Publié le 29 novembre 2024

Les séances de l’Académie*

*Résumés rédigés par Catherine Adamsbaum, Nathalie Cartier Lacave, Jacques Delarue, Jacques Hubert.

 

Mardi 26 novembre 2024

Séance dédiée :
« L’obésité aujourd’hui : mieux comprise, mieux traitée »

Organisation : Catherine BUFFET, Pierre BRISSOT, Pascal VOUHÉ

 

 

Physiopathologie de l’obésité par Pierre BEL LASSEN (APHP, GH Pitié-Salpêtrière)

 

L’obésité est une maladie multifactorielle définie par un excès de masse grasse ayant des répercussions néfastes sur la santé (diabète, HTA, dyslipidémie, maladies cardiovasculaires, apnée du sommeil, NASH (stéatohépatite non alcoolique), arthrose, troubles cognitifs, certains cancers…).

Un IMC > 30 est un mauvais critère pour définir une pathologie bien plus complexe : à IMC égal existe une grande variabilité corporelle et du risque métabolique. Par exemple, une obésité sarcopénique est associée à une mortalité supérieure à celle d’une obésité avec conservation de la masse maigre.

Mécanismes principaux de développement d’une obésité :

1- La balance énergétique : Un déséquilibre entre apports caloriques (qui dépendent de la quantité et de la qualité énergétique) et dépenses énergétiques favorise le stockage adipeux.

La quantité énergétique : La régulation de la prise alimentaire dépend :
– de la sensation de faim/satiété (régulation homéostatique) soumise à des hormones digestives (GLP-1… cible des nouveaux traitements pharmacologiques) ou fabriquées par le tissu adipeux (leptine).
– de la composante hédonique de l’alimentation (circuits de la récompense)

La qualité énergétique : la charge glucidique des aliments entraine une augmentation de la sécrétion d’insuline puis une augmentation de la lipogénèse et diminution de la lipolyse, interprétée par le système nerveux central comme un déficit énergétique, stimulant la prise alimentaire.

Différents facteurs influencent la dépense énergétique : la composition corporelle (proportion de masse maigre), l’âge, la génétique, les épisodes de restriction calorique (« yoyo ascendant »)…

2 – Facteurs environnementaux et sociétaux « obésogènes » :

Comportement alimentaire (grignotage, hyperphagie boulimique ou prandiale, repas nocturne…) et consommation (disponibilité alimentaire, aliments transformés, taille des portions…)

Psychologiques (événements de vie, stress, traumatismes, sevrage tabagique…) et sociaux (une catégorie socio-professionnelle défavorisée expose à un risque x2)

3 – Facteurs génétiques et épigénétiques :

Des variations génétiques influencent le risque d’obésité via le contrôle cérébral de l’appétit et du métabolisme (un score de prédisposition génétique a été établi et expose à un risque x15 de développer une obésité sévère). Ces gènes s’expriment dans les zones du cerveau impliquées dans le circuit de la récompense.

L’épigénétique, notamment pendant la grossesse, peut également influencer le développement de l’obésité.

4 – Rôle du tissu adipeux :

 

Le tissu adipeux est un organe endocrine actif.

L’augmentation en nombre et en taille des adipocytes associée à une inflammation induit une insulino-résistance. De plus, la fibrose du tissu adipeux induite par les processus inflammatoires chroniques est un facteur de résistance à la perte de poids.

La dysfonction du tissu adipeux sous-cutané, lieu physiologique de stockage dans l’obésité entraine un stockage des graisses ectopique, intra-abdominal (hépatique, cardiaque, pancréatique, musculaire…) aux conséquences délétères pour la santé. Le rapport tour de taille / tour de hanche est un reflet de cette accumulation de graisse abdominale et est corrélé au risque d’infarctus du myocarde

5 – Microbiote intestinal : Le microbiote contribue au stockage énergétique. Une faible diversité microbienne est souvent associée à l’obésité.

 

Conclusion et perspectives : Rôles de l’intelligence artificielle (IA) :

L’obésité est une maladie hétérogène et multifactorielle, aux phénotypes hétérogènes, relevant de prises en charge diverses, avec de plus une hétérogénéité des réponses.

L’Intelligence Artificielle (IA) permettrait d’intégrer cette complexité en identifiant des profils patients, une prédiction des réponses thérapeutiques et d’apporter une aide à la personnalisation de la prise en charge (combinant des interventions sur l’alimentation, l’activité physique et, dans certains cas, des traitements pharmacologiques ou chirurgicaux).

 

Traitement endoscopique de l’obésité : du passé au futur par Nadey HAKIM (Londres)

L’endoscopie bariatrique est une approche ancienne dans le traitement de l’obésité, moins invasive que la chirurgie traditionnelle, qui vise à réduire la taille de l’estomac ou à limiter l’absorption des nutriments. Elle a bénéficié de progrès technologiques et fait l’objet d’une demande croissante, alimentée par les réseaux sociaux.

Techniques principales :

1. Ballons intragastriques : Temporaires, gonflés à un volume de 500 ml, ils induisent une sensation de satiété rapide en réduisant l’espace stomacal.
Ces dispositifs sont temporaires : ils sont retirés au bout de quatre à douze mois, en fonction du ballon utilisé et des recommandations médicales.
Différents modèles existent sur le marché.
L’un d’eux, introduit sans endoscopie ni anesthésie se dissout après 4 mois pour être éliminé par les voies naturelles, mais l’ANSM en a suspendu en août 2024 la mise sur le marché, la publicité ainsi que l’utilisation en raison de nombreuses complications gastro-intestinales.

2. La gastroplastie endoscopique (Endo-sleeve) : Réduction stomacale par sutures lors d’une gastroscopie, elle entraine une rétraction de la paroi gastrique sur elle-même visant à reproduire les effets d’une sleeve gastrectomie chirurgicale.

3. EndoBarrier : « chaussette » endoscopique, assurant un revêtement intestinal qui réduit l’absorption dans l’intestin grêle, imitant le bypass gastrique.

 

Les ballons peuvent être efficaces dans la prise en charge des patients en surpoids avec un IMC compris entre 27 et 30, qui ne parviennent pas à perdre du poids de manière conventionnelle (régime alimentaire, exercice physique, mode de vie, etc.) et ne sont pas éligibles à la chirurgie bariatrique, ou pour les patients souhaitant un amaigrissement à court terme, en préparation d’une intervention chirurgicale.

Cette prise en charge doit impérativement s’inscrire dans le cadre d’un programme de gestion du poids (directives alimentaires et sportives adaptées, suivi médical régulier, accompagnement psychologique…).

Leur efficacité à long terme n’est pas connue, mais la reprise de poids est fréquente après le retrait des dispositifs…

Ils ne sont pas indiqués pour le traitement de l’obésité chronique et ne sont pas évoqués dans les recommandations sur l’obésité récemment publiés par la HAS dans le parcours de soins des patients en surpoids ou obèses.
La pose des ballons gastriques n’est pas prise en charge par l’Assurance Maladie.
Ces différents traitements endoscopiques vont être concurrencés par les nouveaux médicaments, analogues de la GPL-1.

 

 

Nouveaux médicaments de l’obésité : quelle pertinence ? par Jacques BRINGER (Membre de l’ANM)

 

L’obésité est une pathologie chronique qui fait subir beaucoup plus tôt dans la vie de nombreuses comorbidités aux conséquences importantes, individuellement et en terme de santé publique.

Malgré les interventions sur le mode de vie (diététique, exercice, comportement), moins de 15 % des patients parviennent à maintenir une perte de poids significative à long terme.

Ceci explique l’émergence des traitements médicamenteux de l’obésité, en pleine évolution.

Les anciens médicaments (amphétamines, Orlistat …) sont quasiment tous retirés du marché ; en revanche, on assiste à l’émergence des agonistes, qui vont probablement prendre une place prépondérante dans la prise en charge de l’obésité, qu’elle soit associée ou non au diabète de type 2 :

– Les agonistes du récepteur GLP-1 (sémaglutide, liraglutide) renforcent l’action intestinale de l’hormone incrétine par augmentation de la sécrétion d’insuline, réduction de la vidange gastrique et de l’appétit.

– De nouveaux traitements ont des résultats encore plus prometteurs, avec des pertes de poids allant jusqu’à 25% (et des résultats qui se rapprochent de ceux de la chirurgie bariatrique) : double agoniste GLP-1/GIP (Tirzepatide) ; triple agoniste GLP-1/GIP/glucagon (Retarutride), agoniste amyline/GLP-1 (Cagrilintide)

Plus de 50.000 patients ont été inclus dans les études ; ces traitements ont également montré des bénéfices cardiovasculaires, hépatiques (NASH) et rénaux, en particulier chez les patients obèses avec des comorbidités, et une amélioration de la qualité de vie, une réduction des apnées du sommeil ….

Les effets secondaires, dans 20 à 30%, sont surtout à type de troubles digestifs. Un cas grave, léthal, de pancréatite médicamenteuse a été rapporté récemment.

 

Pertinence Médicale et Médico-économique

Ces nouveaux traitements ont une efficacité prouvée pour une majorité de patients mais avec des « non » ou « faibles » répondeurs qu’il est impossible de prédire.

Cet espoir thérapeutique médicamenteux menace d’être contre-productif pour les messages de prévention par l’illusion de s’affranchir du prérequis d’une modification du mode de vie (habitudes alimentaires, exercice physique).

La généralisation de ces traitements (4000 €/an pour certains, et à vie, pour près de 10 millions d’obèses) risque d’être insoutenable sur le plan médico-économique.

 

Conclusion par Arnaud BASDEVANT (Membre de l’ANM)

L’obésité est une pathologie chronique multifactorielle, associée à de nombreuses comorbidités. Elle est une maladie de système dont les substrats anatomiques, physiologiques, physiopathologiques dépassent largement la question de l’alimentation.
La réponse qui consiste à dire sans arrêt « manger moins/ bouger plus » n’est pas pertinente en termes de santé publique parce que le tissu adipeux est devenu malade d’une inflammation qui entretient la situation pathologique.

 

Les nouveaux médicaments posent un problème de santé publique avec un paradoxe :

– Une surmédicalisation des problèmes de poids qui ne retentissent pas sur la santé : des demandes non médicales du point de vue somatique, demandes de prescription à visée cosmétique ou de conformité à une norme sociale.

– Alors que la majorité des personnes qui ont une obésité maladie ne consultent pas

Concernant la surmédicalisation, les médecins répondaient jusqu’à présent à ces demandes hasardeuses par des conseils hygiéno-diététiques.
Maintenant les patients, en fait des « non-patients », arrivent en consultation en réclamant la prescription des médicaments permettant de maigrir. Aux USA, 7 millions de personnes sont sous semaglutide dont moins d’1/3 sont des malades d’obésité. La quête de minceur à tout prix a trouvé son produit et son circuit de distribution (internet, réseaux sociaux) qui n’est plus le médecin.

Concernant l’autre enjeu de santé publique, l’objectif est au contraire d’apporter une prise en charge adaptée et efficace à la population présentant une obésité maladie sous-médicalisée.s