Publié le 24 octobre 2024

Les séances de l’Académie*

*Résumés rédigés par Catherine Adamsbaum, Nathalie Cartier Lacave, Jacques Delarue, Jacques Hubert et Denis Malvy

 

Mardi 22 octobre 2024

Ego surdimensionné : de l’estime légitime de soi aux pathologies de la personnalité

Laurent SCHMITT, Psychiatre, Toulouse

Bien équilibré, l’ego donne une force dans l’existence

L’ego caractérise les aspects de la personnalité en lien avec l’estime de soi et les capacités relationnelles. L’ego comporte d’une part notre manière d’être, et d’autre part nos forces internes en équilibre avec les exigences de la réalité extérieure. L’ego donne une perception stable et positive de soi-même, permet de jouir de la vie quotidienne, nouer des relations positives avec les autres, supporter les frustrations et construire des projets. A côté d’un ego harmonieux existent depuis longtemps des distorsions, dont les egos surdimensionnés surtout retrouvés dans les pathologies narcissiques. Brosser les grands traits des pathologies narcissiques permet d’en décrire des sous types et des variantes. Des avancées nouvelles complètent ces traits de caractères avec des données biologiques, d’imagerie, des neurosciences et des nouveaux éléments psychologiques.

L’empathie est un des aspects essentiels de l’ego

L’empathie permet de comprendre ce qu’éprouve l’autre et constitue un élément central de l’ego. Un autre élément de l’ego est l’endurance existentielle, c’est-à-dire d’avoir une constance dans sa vie, de résister et supporter les péripéties existentielles. Inversement, une vision égoïste du monde, un manque d’intérêt pour autrui et une faible endurance existentielle sont des traits de personnalité des egos démesurés. Les personnalités narcissiques sont des anomalies de l’ego qui se caractérisent par deux dimensions : une estime grandiose de soi-même et une vulnérabilité aux critiques. La personne narcissique exploite l’autre pour réaliser ses propres objectifs, manque d’empathie, envie les autres et fait preuve de comportements arrogants. Dans la vie quotidienne, les personnalités narcissiques recherchent l’admiration et la célébrité, elles sont obsédées par l’image qu’elles donnent d’elles-mêmes. Elles dévalorisent les autres et ont tendance à manipuler la relation dans le seul but d’en tirer un profit personnel. Trois sous-types de narcissisme semblent prédominants : le sous-type « grandiose » dans lequel les individus se surestiment, le sous-type « vulnérable » qui associe des dimensions de retrait à une estime élevée de soi et un sous type « brillant » qui comprend des sujets ayant une perception élevée d’eux-mêmes et dont la réussite professionnelle et sociale est forte.

Le narcissisme fait surtout référence à une identité grandiose et au besoin d’admiration, le machiavélisme au manque de moralité et à la manipulation d’autrui, la psychopathie à l’insensibilité et à l’impulsivité. Cette triade a fait l’objet d’étude dans plus de 49 pays chez près de 11 700 sujets. Pour le narcissisme, les pays avec de fortes attentes de réussite et des valeurs hiérarchiques montrent les taux les plus élevés. On a pu retrouver ces dimensions pathologiques de la personnalité aux Pays-Bas chez des scientifiques de haut niveau, réalisant des fraudes ou des mauvaises conduites de recherche scientifique. Il existe de grandes variétés culturelles impliquées dans les personnalités narcissiques

Une inflation des personnalités narcissiques ?

L’épidémiologie reconnue des personnalités narcissiques varie entre 0.2 et 6% d’une population générale. Le narcissisme est plus fréquent chez les hommes que chez les femmes, population dans laquelle il est peut-être encore insuffisamment connu. Le narcissisme est plus important à l’adolescence et chez les sujets jeunes. Le fait que le nombre de personnalités narcissiques semble connaître une décroissance au fil de l’âge peut s’expliquer par l’apprentissage de la vie.  La question d’une épidémie éventuelle de pathologie narcissique a fait l’objet de plusieurs études. Certaines, semblent montrer une majoration au fil du temps des pathologies narcissiques, d’autres ne retrouvent pas de différences significatives.

 

Une meilleure connaissance des causes

 

Récemment plusieurs études dans différents domaines ont apporté des éclairages sur les facteurs potentiellement impliqués dans le narcissisme. Certaines dimensions comme les idées grandioses, l’extraversion ou le manque d’empathie peuvent être corrélés à des aspects génétiques. Des allèles du promoteur 4 du récepteur à la dopamine (DRD4P) et du gène de la catécholamine-O-méthyltransférase (COMT) affectent la transmission synaptique de la dopamine et semblent prédominants chez les traders. Au niveau biologique, les dimensions de grandeur et de vulnérabilité peuvent s’accompagner de modifications de la réactivité au stress (sécrétion du cortisol). Une augmentation de la testostérone a été retrouvée sur un échantillon d’hommes ayant des tendances grandioses. Une dérégulation de la dopamine a été évoquée avec des taux bas de récepteurs D2 à la Dopamine. Plus les taux de sérotonine augmentent dans le cerveau, plus l’agressivité se réduit chez les personnalités narcissiques. L’apport des neurosciences est également potentiellement contributif et il a été montré qu’une personnalité narcissique peut être associée à des anomalies structurelles et fonctionnelles des régions du cortex préfrontal, du cingulum dorsal antérieur, du cortex cingulaire et de l’insula . Ces résultats manquent cependant encore de spécificité.

L’apparition d’un narcissisme pathologique relève aussi de facteurs familiaux et éducatifs. Les parents, la mère surtout, jouent un rôle essentiel dans la mise en place de la pensée, de l’imaginaire, de la créativité et la capacité à réguler les émotions et les relations. Tous les évènements traumatiques altèrent l’harmonie de ces processus et facilitent l’apparition d’une impulsivité, de pensées irrationnelles, d’un retour sur soi avec des éléments de grandeur.

 

Quelles options thérapeutiques ?

Les traitements médicamenteux réduisent l’impulsivité, l’agressivité, la dépression. Les traitements psychothérapeutiques jouent sur les défenses de caractère, la tolérance, les relations à autrui, à condition qu’il y ait une demande de soin et une auto-reconnaissance du trouble, ce qui rare dans le long terme.

Dans le futur, des études sont nécessaires pour préciser les co-morbidités les plus fréquentes, l’histoire naturelle du narcissisme au fil de l’existence et savoir si le développement de tels troubles est favorisé par les réseaux sociaux et l’utilisation du numérique.

 

Connectivité fonctionnelle du cerveau fœtal et néonatal : de la technique à l’application

Maria Argyropoulou, radiologue, Ioannina, Grèce

Le connectome du cerveau, un réseau complexe et efficace de connexions neuronales.

La carte des connexions neuronales reste inégalée en termes de complexité et d’efficacité assurant toutes les fonctions cognitives et sensorielles. L’enjeu est de comprendre ce réseau lors du développement fœtal et infantile. Le connectome désigne la carte des connexions neuronales dans le cerveau, c’est-à-dire des réseaux neuronaux dynamiques et organisés qui communiquent afin d’effectuer une gamme de tâches sophistiquées. L’idée de connectome fonctionnel, c’est-à-dire l’étude de l’activité neuronale entre différentes régions du cerveau, s’est développée avec l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) et a permis de compléter la notion de connectome structurel.

Le connectome est une carte des connexions structurelles et fonctionnelles du cerveau qui évoluent lors du développement.

Durant la période fœtale puis dans l’enfance, le cerveau se modifie à un rythme impressionnant avec formation et raffinement des circuits neuronaux. L’étude du connectome fonctionnel chez les fœtus et les nourrissons présente des défis uniques en termes de communication (suivi d’instructions impossible), d’artefacts de mouvements et de changements occultes d’état de vigilance. Cependant, même au repos, le cerveau a une activité de « fond » reflétant son organisation intrinsèque.

La rs-fMRI permet de détecter les changements d’oxygénation sanguine dans le cerveau.

La technique utilisée en rs-fMRI dite contraste BOLD (dépendant du niveau d’oxygène dans le sang) est basée sur le fait qu’une région cérébrale active nécessite davantage d’oxygène, fourni par un flux sanguin accru. Le signal BOLD est sensible à ces changements. Plusieurs méthodes d’analyse permettent d’appréhender l’organisation fonctionnelle du cerveau en développement. Par exemple, l’analyse basée sur la théorie des graphes étudie les interactions entre différentes régions du cerveau, conceptualisant ce dernier comme un réseau composé de « nœuds » (régions cérébrales) et de « connexions » (voies neurales). Les nœuds ayant de nombreuses connexions et se trouvant sur les chemins les plus courts entre d’autres nœuds représentent les hubs qui facilitent le flux d’informations. À l’inverse, les groupes de nœuds organisés en modules sont densément interconnectés au sein du cluster mais ont moins de liens à l’extérieur, garantissant ainsi une spécialisation fonctionnelle. Cette approche est similaire à l’analyse d’une carte de villes (nœuds) reliées par des autoroutes (connexions). Certaines villes, ayant de nombreuses connexions, jouent un rôle central (hubs majeurs), tandis que d’autres sont plus isolées. Comprendre ces schémas fournit des informations précieuses sur l’organisation et la fonction du cerveau.

Le cerveau est un système global

L’objectif est de comprendre la structure et l’efficacité de ces réseaux cérébraux. L’un des principaux avantages de la théorie des graphes est qu’elle permet d’étudier le cerveau en tant que système global plutôt que de se concentrer sur des régions individuelles. Cet avantage est encore renforcé en examinant les réseaux cérébraux à trois échelles distinctes : microscopique, mésoscopique (organisation modulaire) et macroscopique.

Le développement précoce du cerveau est marqué par des changements dans la connectivité structurelle et fonctionnelle.

Des études sur les fœtus ont démontré une augmentation de la connectivité interhémisphérique avec l’âge gestationnel, tandis que des recherches sur les nouveau-nés ont identifié la maturation progressive de réseaux tels que celui du sensorimoteur et du mode par défaut. Les fœtus nés prématurément présentent une connectivité réduite dans les zones du langage, suggérant que les incapacités observées chez les nourrissons prématurés peuvent également provenir de conditions intra-utérines.

Quelles perspectives ?

Les nouvelles technologies de neuroimagerie fournissent des informations cruciales sur le connectome précoce. Il reste cependant à corréler ces informations avec le devenir clinique des enfants dans la perspective d’améliorer les soins de santé pédiatriques.

 

L’optimisation du parcours de soin en cancérologie.
Eric Lartigau,  radiothérapeute, Directeur du centre Oscar Lambret, Lille, France

Qu’est-ce qu’un parcours en santé ?

On peut schématiquement distinguer trois cadres de parcours en santé pour répondre à la définition de la santé portée par l’OMS comme « un état de bien-être physique, mental et social ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » : des parcours de santé prenant en compte l’ensemble des besoins en santé depuis la prévention primaire jusqu’à l’accompagnement médico-social et le maintien à domicile ; des parcours de soins permettant l’accès aux consultations et hospitalisations en cas de maladie aiguë ou chronique ; des parcours de vie envisageant la personne dans son environnement familial, professionnel et social.  Le parcours de soin a pris une place essentielle en cancérologie depuis une dizaine d’années.

Information du patient

Le parcours de soin nécessite impérativement l’adhésion du patient grâce à une information partagée. En cancérologie, l’article L1111-4, modifié par ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 2020 – art. 2, rappelle que toute personne prend, avec le professionnel de santé référent et compte tenu des informations fournies, les décisions concernant sa santé. Le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de refuser ou d’interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable et peut faire appel à un autre membre du corps médical. L’ensemble de la procédure est inscrit dans le dossier médical du patient.  Le cadre réglementaire portant obligation d’information du patient a plus de 20 ans. L’information est en général délivrée oralement et en cancérologie, ce sujet est parfois difficile à aborder pour les soignants, notamment dans des situations de fin de vie. L’accès direct du patient à son information médicale écrite reste souvent problématique car cette information est, en pratique, difficile à rendre complète, disponible et intelligible. Certains établissements ont des « portails patients » permettant d’accéder à l’intégralité du dossier médical mais l’absence d’accompagnement est une vraie question.

Parcours évalués et impact en vie réelle

Les parcours de soin en « vraie vie » sont une mine d’informations pour confirmer le diagnostic et présenter les options thérapeutiques standardisées. Les parcours sont associés à une homogénéisation des pratiques cliniques, une diminution des durée et coûts du séjour et à une réduction de la mortalité hospitalière. En oncologie, la variabilité du traitement est cependant probablement faible du fait de l’usage de recommandations de bonnes pratiques, de la mise en œuvre de critères d’autorisation à la pratique, du caractère partagé de la décision thérapeutique en réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) et de la culture d’évaluation des pratiques et publication des résultats. Dans une étude australienne récente, une amélioration considérable de la survie résultait de l’organisation du parcours de soins, indépendamment des nouveaux tests diagnostiques et traitements. Ce bénéfice en termes de survie persistait en tenant compte des facteurs de confusion potentiels, notamment l’âge, le sexe, le stade de la maladie et la comorbidité. Ces résultats ont des implications sur les politiques sanitaires car il est démontré qu’une variation du système pourrait avoir un impact sur les résultats obtenus, en particulier, selon les pays et les différents contextes sociaux. Par ailleurs, les outils de télésurveillance et d’intelligence artificielle au service de l’optimisation des parcours de soin modifient le rapport des patients et des acteurs de santé. Une optimisation de la relation humaine est espérée par les professionnels en mettant à profit pour le dialogue avec le patient et ses aidants le temps ainsi récupéré.

 

En conclusion, le suivi des parcours de soin permet d’évaluer les pratiques et d’améliorer les résultats pour les patients. Une meilleure compréhension des obstacles au respect des parcours prévus devrait améliorer le système de santé. L’apparition d’outils numériques validés doit aider à mettre en œuvre les meilleures pratiques possibles tout en respectant la volonté du patient et de ses aidants.