Publié le 28 janvier 2025

Les séances de l’Académie*

*Résumés rédigés par Catherine Adamsbaum, Bernard Bauduceau, Nathalie Cartier Lacave, Jacques Delarue, Jacques Hubert, Jean-Pierre Richer.

Mardi 28 janvier 2025

Séance dédiée : « Le financement de l’hôpital en France »

Organisation : Dominique BERTRAND

 

L’évolution des dépenses hospitalières dans la consommation des soins et biens médicaux dans les dix dernières années par Cyrille COLIN (Epidémiologie, Economie de la santé, Université Lyon 1)

Les Dépenses de Santé en France
La France consacre 11,8 % de son PIB à la santé, se classant deuxième en Europe après l’Allemagne. En 2023, la Dépense Courante de Santé au sens International (DCSi) a atteint 325 milliards d’euros, soit 4 600 euros par habitant. Les dépenses hospitalières représentent le principal poste, avec 122,1 milliards d’euros financés à 93,5 % par des fonds publics. Entre 2010 et 2023, la part des ménages dans le financement des soins a diminué de 10,5 % à 7,5 %, reflétant un renforcement de la solidarité publique.

Progression des Dépenses Hospitalières
Depuis les années 1950, le financement des hôpitaux a évolué, passant du prix de journée au budget global, puis à la tarification à l’activité. Malgré une réduction de 80 000 lits en 20 ans, le nombre d’hôpitaux reste stable, à près de 3 000. La pandémie de COVID-19 a provoqué une hausse exceptionnelle des dépenses. Cette augmentation est liée à des mesures spécifiques, telles que le financement garanti, le dépistage, la vaccination et les accords du Ségur de la Santé, qui ont injecté 19 milliards d’euros d’investissements et permis la revalorisation salariale des soignants.

Impact de la Pandémie sur les Hôpitaux
La pandémie a bouleversé le fonctionnement hospitalier, nécessitant des circuits dédiés pour les patients COVID, la réorganisation des services et une hausse des capacités de réanimation. La baisse d’activité (-2 à -5 %) a été compensée par le mécanisme de « Garantie de financement », assurant aux établissements un budget équivalent à l’année précédente, même en cas de diminution de leur activité. Les accords du Ségur de la Santé ont aussi permis des revalorisations salariales et des recrutements supplémentaires, répondant aux besoins criants de renforcement du système de santé.

Le Rôle de l’ONDAM
L’Objectif National de Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM), instauré en 1996, encadre les dépenses hospitalières et de soins. Jusqu’en 2019, ce mécanisme a permis de maintenir la progression des dépenses en dessous des objectifs parlementaires grâce à des incitations tarifaires et au développement de l’ambulatoire. Cependant, la période COVID a entraîné un dépassement massif des objectifs, accentué par les mesures d’urgence sanitaires et les accords du Ségur.

Déficit des Hôpitaux et Réformes Nécessaires
Les comptes financiers des hôpitaux publics se sont dégradés, avec un déficit atteignant 1,3 milliard d’euros en 2022, le pire niveau depuis 2005. Près de 65 % des établissements publics sont déficitaires, les charges de personnel augmentant de 5,1 %, tandis que les recettes progressent seulement de 4,1 %. En 2024, le déficit des hôpitaux est de 3,5 milliards pour 1,1 milliard d’euros pour les seuls CHU, menaçant leur capacité à rembourser leurs dettes.

Des réformes profondes sont nécessaires, notamment des financements basés sur des objectifs de santé publique, la qualité et le paiement forfaitaire des parcours de soins, pour garantir la pérennité du système hospitalier.
Il faut s’interroger sur l’organisation régionale des soins : nombre d’hôpitaux dans les villes, complémentarité des hôpitaux, de l’HAD et de la médecine de ville, permanence des soins qui est devenue uniquement hospitalière.

 

 

Le financement des hôpitaux publics : « approche conceptuelle en France : du prix de journée à la tarification à l’activité » par Dominique BERTRAND (Membre de l’ANM)

Le financement des soins hospitaliers représente un enjeu majeur dans les systèmes de santé développés, notamment en France, impliquant à la fois les établissements publics et privés participant au service public. La part de l’hôpital dans la consommation de soins et biens médicaux (CSBM) a crû, passant de 41 % en 1970 à 49 % en 2023, tandis que la part de la CSBM par rapport au PIB est montée de 5 % à 9 % sur la même période.

Les modalités de l’allocation des ressources financières de l’hôpital sont passées par 3 périodes :

1. Le prix de journée hospitalier (jusqu’en 1983)

Historiquement, les coûts hospitaliers étaient calculés sur une base journalière incluant tous les frais (personnel, médicaments, amortissements, etc.), avec plusieurs prix de journée (médecine / chirurgie / soins hautement spécialisés / réanimation / obstétrique). Ce système rémunérait la durée de séjour sans distinction de l’utilité médicale, et engendrait des dépenses inflationnistes par l’augmentation du nombre de journée et des écarts importants entre établissements, avec surtout, un décalage entre l’intérêt du patient (sortie précoce) et de l’hôpital (séjour long).
Ce système ne pouvait tenir : le pourcentage des dépenses hospitalières dans la CSBM consommation de soins et biens médicaux) atteignait 52%.

2. La dotation globale de financement ou budget global (de 1984 à 2003)

Le budget global est mis en place en 1983, toujours dans une volonté de modérer la croissance des dépenses hospitalières. Ce système prévoyait un budget prospectif basé sur des dépenses autorisées pour l’année à venir. Le taux directeur, déterminé au niveau national, régional et local, ajustait les budgets en fonction des besoins. Ce modèle encourageait les gains de productivité par l’établissement pour rester dans le budget tout en répondant aux besoins de tous les patients, mais il limitait les marges de manœuvre des établissements et pénalisait ceux déjà optimisés. Il n’autorisait pas d’abondement supplémentaire même en cas de croissance justifiée des dépenses. Un budget épuisé en fin d’année pouvait obliger à annuler de l’activité programmée.

3. La tarification à l’activité (T2A, depuis 2004)

La T2A repose sur une classification des patients en groupes homogènes de malades (GHM) en fonction des pathologies et des soins requis, dans une logique médico-économique. Ce système a progressivement remplacé la dotation globale (10 % en 2004 à 100 % en 2008), tout en maintenant certains financements complémentaires (prélèvements d’organes, médicaments spécifiques, etc.).

Selon Robert FETTER (économiste US), « … bien que chaque patient soit unique, … il partage avec d’autres les caractéristiques cliniques et un profil de soins semblable, contrôlé par un médecin… », ce qui permet le groupement des malades dans des groupes iso-ressources nécessaires.
Ce système vise à lier le financement à l’activité réelle des établissements, à améliorer la transparence et l’équité budgétaire entre établissements, mais génère une dégressivité des tarifs : pour améliorer le financement, les hôpitaux améliorent le codage en identifiant mieux les comorbidités mais l’ONDAM (Objectif national des dépenses d’assurance maladie, fixé dans les lois de financement de la sécurité sociale -LFSS)  limitant les dépenses, cela entraîne une diminution des remboursements du GHM.

Conclusion
L’équilibre budgétaire des hôpitaux reste un défi majeur, et l’évolution des modes de financement hospitalier reflète une recherche constante d’efficacité, mais des problématiques persistent, notamment la dégressivité tarifaire et la rigidité budgétaire. Les mécanismes doivent continuer d’évoluer pour assurer un financement adapté, équilibré et durable.

Il est primordial que chaque dépense publique soit évaluée selon trois critères clés : efficacité (assurant une prestation de qualité), utilité (répondant aux besoins des patients) et efficience (qualité au meilleur coût).

 

Les nouvelles approches du financement des soins hospitaliers par Emmanuel RUSH (Département d’information médicale GHT 37, CHU Tours. Equipe de recherche 7505 « Education Ethique Santé », Université de Tours)

La tarification à l’activité (T2A), mise en place progressivement à partir de 2004, est devenue le mode de financement principal des établissements de santé pour la médecine, chirurgie et obstétrique (MCO). Elle visait à lier le financement à l’activité réelle des établissements tout en harmonisant les approches entre secteurs public et privé. Reposant sur le Programme de médicalisation du système d’information (PMSI), la T2A classe les séjours hospitaliers en groupes homogènes de malades (GHM) et de séjours (GHS), à chaque GHS étant associé un tarif spécifique.

Pour la Cour des Comptes, la T2A a tenu une large partie de ses promesses initiales : elle a permis une répartition plus équitable des ressources et une maîtrise des dépenses de santé mais, malgré des évolutions techniques significatives, notamment une meilleure description clinique des patients, des classifications plus détaillées (on est passé de quelques centaines de GHM à quelques milliers) et des incitations comme le développement de la chirurgie ambulatoire, la T2A a montré ses limites. Elle a été critiquée pour son manque de prise en compte des besoins de santé des populations, la qualité des soins ou encore la valorisation insuffisante des parcours complexes et des actions de prévention.

Face à ces limites, de nouvelles modalités de financement émergent :

Financement à la qualité (IFAQ) qui repose sur 19 indicateurs de qualité (satisfaction, qualité clinique, prévention des infections…) ; financement à la séquence de soins (coordination entre acteurs) ; financement au suivi d’une pathologie chronique (favoriser continuité des soins) ; financement à la dotation populationnelle (prise en compte besoins de la population) ; financement de missions territoriales (activités spécifiques sur un territoire) qui cible les inégalités territoriales et démographiques ; forfaits annuels qui financent des missions spécifiques sur certains territoires.

Cette restructuration récente de financement a fait l’objet d’un Décret du 31/12/2024.

La Loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 (LFSS 2024) introduit une structure tripartite de financement pour les établissements MCO : financement à l’activité, dotation pour des objectifs de santé publique (prévention, qualité, coordination), et dotation pour des missions spécifiques (expertise, innovation). Cette combinaison cherche à équilibrer productivité, qualité des soins et adaptation aux besoins locaux.

Si ces évolutions marquent une volonté de diversification et de territorialisation des financements, leur mise en œuvre reste complexe, et leur impact nécessite des évaluations approfondies pour garantir leur efficacité et complémentarité. L’objectif final est de conjuguer performance, équité et adaptation aux défis du système de santé.

 

Financement et activité : le lien dans les hôpitaux privés à but non lucratif par Jean-Patrick LAJONCHÈRE (Membre correspondant libre de l’ANM. conseiller du président de la Fondation hôpital Saint-Joseph, Paris)

Les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC), autrefois désignés comme « participants au service public hospitalier » (PSPH), se distinguent par leur statut privé à but non lucratif. Historiquement créés par des associations religieuses, caritatives ou industrielles, ils sont structurés depuis la fin du XIXᵉ siècle. Ces institutions, comparables aux hôpitaux publics dans leurs missions, se différencient par le statut privé de leurs personnels soumis au Code du travail, et non à la fonction publique hospitalière.

Ni fonctionnaires ni actionnaires, les ESPIC jouent un rôle clé dans le service public hospitalier. Rattachés aux facultés de médecine, ils accueillent étudiants et internes dans des conditions similaires à celles des hôpitaux publics. Leur financement repose principalement sur la tarification à l’activité (T2A), combinée à des dotations pour les missions d’intérêt général, d’enseignement et de recherche. Cependant, les contraintes budgétaires imposées par les pouvoirs publics, avec des tarifs souvent minorés par rapport aux hôpitaux publics, fragilisent leur équilibre financier.

Ces établissements, régis par la convention collective nationale, respectent les mêmes normes sanitaires et réglementaires que les hôpitaux publics. Leur gouvernance, plus souple grâce à une structure allégée, repose sur un conseil d’administration et une direction générale, mais leur autonomie financière exige une gestion rigoureuse. Les ESPIC sont contraints de maintenir des marges d’investissement de 5 à 8 % pour garantir la qualité des soins, des infrastructures et de l’innovation, tout en répondant à des exigences croissantes en matière de personnel et d’équipement.

Malgré leur mission d’intérêt général, ces institutions doivent faire face à des défis majeurs. La part élevée de la masse salariale dans leurs dépenses (environ 68 %) et les contraintes financières les obligent à trouver un équilibre délicat entre contrôle des coûts et qualité des soins. La collaboration entre responsables médicaux et équipes administratives est essentielle pour assurer leur pérennité.
Leur survie dépend de leur capacité à conjuguer rigueur budgétaire et excellence médicale dans un contexte économique souvent défavorable.