Les séances de l’Académie*
*Résumés rédigés par Catherine Adamsbaum, Bernard Bauduceau, Nathalie Cartier Lacave, Jacques Delarue, Jacques Hubert, Jean-Pierre Richer
Séance conjointe de l’Académie nationale de médecine, du Centre national d’études spatiales (CNES) et de l’Institut de médecine et de physiologie spatiales (MEDES)
« L’espace au service de la santé »
Place des sciences de la vie dans les missions d’exploration spatiale par Guillemette GAUQUELIN-KOCH (Responsable des sciences de la vie, CNES)
Les missions spatiales offrent un modèle unique pour étudier l’adaptation de l’organisme humain à un environnement extrême : microgravité, confinement, isolement, rayonnements, etc. Le CNES, via le MEDES et sa Clinique Spatiale, pilote depuis plus de 30 ans des recherches en médecine spatiale qui trouvent aujourd’hui de nombreuses applications en santé publique.
L’objectif initial : préserver la santé des astronautes lors de missions longues (jusqu’à 9 mois pour Mars), où tout retour urgent est impossible. Cela implique le développement de stratégies de prévention, de contremesures personnalisées, de télémédecine autonome et de dispositifs médicaux miniaturisés et robustes.
Les études de simulation au sol (par alitement prolongé ou immersion sèche) permettent de reproduire les effets de l’impesanteur et de mieux comprendre des troubles observés en orbite : fonte musculaire, ostéoporose accélérée, désordres cardiovasculaires, syndrome neuro-ophtalmique, troubles métaboliques. Ces recherches offrent un modèle expérimental précieux pour mieux comprendre des pathologies terrestres liées à la sédentarité, au vieillissement ou aux maladies chroniques.
Par ailleurs, les exigences du spatial – autonomie, contraintes techniques, personnalisation – stimulent le développement de technologies innovantes utiles en médecine courante: capteurs physiologiques embarqués, diagnostic avec goutte de sang séchée, modélisation prédictive, télémédecine.
Ces travaux s’inscrivent dans une dynamique interdisciplinaire promue par le programme Spaceship FR, catalyseur français de l’innovation spatiale appliquée à la santé, et visent à inspirer à la fois la recherche biomédicale et l’organisation des soins de demain.
En somme, la médecine spatiale ne se limite pas à l’espace : elle éclaire les mécanismes du vivant, accélère l’innovation technologique et propose de nouvelles solutions pour améliorer la santé sur Terre.
Biologie, médecine et physiologie spatiales – applications pour la recherche médicale par Marc-Antoine CUSTAUD (CHU d’Angers, Président de l’International Society for Gravitational Physiology)
L’étude du corps humain en microgravité, menée à l’occasion des missions spatiales ou dans des modèles de simulation au sol, offre un terrain d’exploration unique pour comprendre les effets de la sédentarité, du vieillissement ou du confinement prolongé – autant de situations fréquentes en médecine générale.
L’absence de gravité entraîne un déconditionnement global : atrophie musculaire , fonte osseuse (jusqu’à 1 % par mois au niveau de la hanche), résistance à l’insuline, dysfonction endothéliale et diminution de la VO₂ max. Le système cardiovasculaire s’altère, avec un risque accru de syncope à l’orthostatisme. À cela s’ajoutent des transferts liquidiens thoraco-céphaliques, pouvant induire céphalées, bouffissure du visage, et œdème neuro-oculaire
Les recherches spatiales utilisent aussi des modèles au sol comme l’alitement prolongé (« head-down bed rest ») ou l’immersion sèche pour simuler l’impesanteur. Ces outils permettent de tester des contremesures (activité physique, dispositifs médicaux, médicaments) pour prévenir ces effets. L’approche actuelle est intégrative et multi-omique, combinant biologie cellulaire, imagerie, données cliniques et intelligence artificielle.
Au-delà de la physiopathologie, la biologie spatiale ouvre des perspectives nouvelles : cultures cellulaires 3D, cristallisation de protéines, impression de tissus biologiques sans gravité.
Enfin, plusieurs innovations technologiques développées pour les astronautes se révèlent utiles sur Terre : biocapteurs miniaturisés, analyses sur goutte de sang séchée, télémédecine autonome, modèles prédictifs de santé.
Ainsi, l’espace devient un laboratoire avancé pour la médecine humaine sur Terre, offrant des modèles reproductibles de pathologies courantes (sédentarité, ostéoporose, diabète, dysautonomie).
Médecine spatiale et développements technologiques par Alain LUCIANI (Imagerie médicale, Hôpital Henri Mondor, APHP et Secrétaire général de la société Française de radiologie)
La conquête spatiale, bien plus qu’un défi technique, constitue un véritable laboratoire de médecine prospective. Les contraintes extrêmes des vols spatiaux – isolement, microgravité, distance, exposition aux rayonnements – obligent à repenser la prise en charge médicale, avec des retombées concrètes pour la médecine terrestre.
Sur la Station Spatiale Internationale, l’autonomie médicale est cruciale. Elle repose sur la télémédecine (transmission de données biomédicales, consultations vidéo) et des outils d’imagerie embarqués, principalement l’échographie. Des dispositifs télé-opérables ont été développés par le CNES, permettant à un médecin au sol de piloter l’appareil à distance.
Pour les missions plus lointaines (Lune, Mars), le délai de communication rend indispensable le recours à l’IA embarquée pour guider diagnostics et gestes techniques. Ainsi, la trousse MITBO de radiologie interventionnelle a été conçue pour que des astronautes non-médecins réalisent des gestes simples en autonomie (drainage, ponctions…), à l’aide de supports pédagogiques.
L’imagerie, notamment par IRM, permet d’objectiver les effets de la microgravité : modifications cérébrales (déplacement du tronc cérébral, œdèmes optiques), fonte osseuse et musculaire, ou remaniements spléniques mimant des anémies inflammatoires. Ces études éclairent certaines pathologies chroniques terrestres (ostéoporose, sarcopénie…).
Enfin, la radioprotection reste un enjeu majeur, les astronautes étant exposés à des doses de rayonnements bien supérieures à celles reçues sur Terre (Dose équivalente ± 1,6mSv/jour / exposition annuelle sur terre 2,4mSv), posant la question de contre-mesures protectrices.
Ces innovations nourrissent déjà la médecine quotidienne : développement de l’IA pour l’analyse d’images, outils d’évaluation musculaire ou splénique, télémédecine en zones isolées, optimisation de la radiologie interventionnelle… Un bel exemple de « transfert technologique inversé » où le spatial soigne le terrestre.
Les données satellitaires au service de la santé par Annelise TRAN (Chercheuse au CIRAD)
Les images satellites, issues de la télédétection, sont devenues des instruments puissants pour comprendre et anticiper les risques sanitaires, notamment ceux liés à l’environnement. Initialement développées pour d’autres usages, elles sont désormais intégrées à des outils de surveillance en santé publique.
Ces données permettent la caractérisation des structures urbaines, d’analyser Occupation / usages des sols et des variables environnementales comme la température, l’humidité, la végétation, la qualité de l’air ou la présence d’eaux stagnantes. En les combinant à des données épidémiologiques, il est possible de modéliser et cartographier les risques de maladies infectieuses (dengue, chikungunya, leptospirose…), mais aussi d’expositions à des polluants ou pesticides.
Des outils comme Arbocarto, permettent par exemple d’estimer localement la densité de moustiques vecteurs à partir d’imagerie satellite et de données météo. Ceci guide les campagnes de prévention : pulvérisation, sensibilisation, surveillance ciblée.
De même, des projets comme ClimHealth visent à développer des systèmes d’alerte précoce pour anticiper les pics de transmission de maladies environnementales, en lien avec les changements climatiques.
Ces approches s’inscrivent dans le concept « Une seule santé » (One Health), qui lie santé humaine, santé animale et état de l’environnement. Elles sont fondées sur des collaborations interdisciplinaires entre médecins, écologues, épidémiologistes, géographes et ingénieurs.
En pratique, cela ouvre la voie à une médecine préventive renforcée, appuyée sur la modélisation et l’anticipation des risques. Les données sont souvent accessibles en open source, facilitant leur usage pour les collectivités ou les acteurs de terrain.
Les images satellite, longtemps perçues comme lointaines, deviennent ainsi un levier concret de santé publique, en particulier face aux enjeux climatiques et aux maladies émergentes.
Vidéo de la séance du 13 mai 2025
