Organisateur : Jean-Noël FABIANI
Introduction par Jean-Noël FABIANI (Chirurgie cardiovasculaire, Hôpital Européen Georges Pompidou, APHP)
La survenue d’une dissection aortique (DA) est d’une extrême gravité. Le terrain essentiel est une hypertension artérielle chronique non stabilisée qui fragilise la paroi artérielle. La DA correspond à la rupture aiguë de l’aorte ascendante ou descendante avec constitution d’un chenal où s’engouffre le sang sous pression. Les DA sont schématiquement classées en type A (DA de l’aorte ascendante), et en type B (DA de l’aorte non ascendante). Les deux complications majeures sont l’insuffisance aortique par prolapsus valvulaire avec insuffisance cardiaque et l’ischémie d’organes. Le pronostic spontané est très grave (50% de décès dans les 48 premières heures, 90% à un mois). Des progrès considérables ont été réalisés tant sur le plan chirurgical que sur celui de l’anesthésie-réanimation, mais le pronostic reste lourd avec une mortalité globale de l’ordre de 25% justifiant la nécessité d’une prise en charge aussi rapide que possible et la mise en place d’une organisation « SOS AORTE » dans le but de diminuer les délais de prise en charge.
Communications
Un réseau de prise en charge des dissections aortiques par Paul ACHOUH (Chirurgie thoracique et cardiovasculaire, Hôpital Européen Georges Pompidou, APHP)
Les urgences aortiques sont de trois types : les syndromes aortiques aigus, les anévrysmes compliqués ou symptomatiques, et la rupture traumatique de l’aorte. Les syndromes aortiques aigus peuvent correspondre à une dissection classique, à un hématome intradural ou à un ulcère pénétrant (de nature athéromateuse). La rapidité de prise en charge, mieux assurée par les centres aortiques de haut volume, est cruciale pour la survie. SOS AORTE est basé sur l’organisation suivante : un numéro de téléphone unique accessible 24 heures sur 24 ; une SSPI (salle de surveillance post-interventionnelle) ; Trauma Unit : centre d’accueil pour toutes les urgences aortiques ; un chirurgien aortique référent joignable 24 heures sur 24 ; une unité de soins intensifs dédiée ; un héliportage ; une approche multidisciplinaire (chirurgien cardiovasculaire, endovasculaire, cardiologue, anesthésiste sur place, radiologue cardiovasculaire). Des protocoles de soins ont été établis de même que, depuis 2010, un registre prospectif. Les principaux impacts de cette organisation sont : i) un accroissement du nombre de patients admis pour urgences aortiques (287 patients dans les trois années ayant suivi la création de SOS AORTE contre 174 les trois ans précédents) ; ii) une extension géographique de la zone de recrutement (passage de 37 à 61% pour le recrutement en Ile-de-France hors Paris) ; iii) une prise en charge chirurgicale dans les 24 heures dans plus de 42% des cas ; iv) une diminution significative de la mortalité (qui s’établit à 24% à 30 jours pour les urgences aortiques confirmées). Comme éléments organisationnels supplémentaires, il faut mentionner : la tenue d’une RCP hebdomadaire et d’une matinée « aorte » annuelle ; la création d’un groupe de travail « Dissection » (dans le cadre de la Société française de chirurgie thoracique et cardiovasculaire) ayant pour objectifs de diffuser des chartes de fonctionnement des programmes SOS AORTE, de constituer une base nationale de données pour la dissection aortique, et de créer une association de patients.
Évaluation du risque génétique devant une aortopathie par Juliette ALBUISSON (Laboratoire de biologie moléculaire, Biologie et pathologie des tumeurs, CLCC Georges-François Leclerc, Dijon)
Les maladies anévrysmales et disséquantes ont en commun d’être surtout des maladies à transmission dominante, d’avoir une pénétrance incomplète et une expressivité variable. Sur le plan mécanistique, les aortopathies correspondent soit à des maladies de la matrice extracellulaire (cas du syndrome de Marfan) soit à des maladies de la cellule musculaire lisse. Le type d’atteinte artérielle en fonction de la maladie concernée est schématisable comme suit : i) anévrysme de l’aorte ascendante dans le syndrome de Marfan, le syndrome Loeys-Dietz (syndrome« Marfan-like », impliquant plus de 5 gènes) et la biscuspidie ; ii) dissection aortique (DA) de type A dans le Marfan, le Loeys-Dietz et les aortopathies dites non syndromiques : la DA survient alors sur anévrysme préalable de plus de 45-50 mm ; dans le syndrome d’Ehlers-Danlos vasculaire : DA survenant sur aorte non dilatée; iii) atteinte distale (aorte abdominale, artères moyennes) : exceptionnelle dans le Marfan, fréquente dans le Loeys-Dietz et absente dans les aortopathies non syndromiques. Le Z-score est un outil précieux qui permet d’évaluer la dilatation de l’aorte : il exprime l’écart du diamètre par rapport à la valeur moyenne en déviation standard (DS), l’aorte étant considérée comme dilatée au-delà de deux DS. Les maladies de la cellule musculaire lisse sont des aortopathies non syndromiques, de transmission dominante ; l’atteinte de la contractilité des cellules musculaires lisses correspond aux cibles suivantes : myosine (MYH11), actine (ACATA2), myosine kinase…
Dissection aortique : l’endovasculaire remplacera-t-il la chirurgie ouverte ? par Fadi FARHAT (Chirurgie Cardiovasculaire de l’adulte et Transplantation cardiaque, Hôpital Louis Pradel, Bron – Hospices civils de Lyon)
La place de l’interventionnel dans la DA se pose du fait que cette affection reste une catastrophe en matière de morbi-mortalité (rupture), que la survie est liée à la prise en charge chirurgicale précoce de l’aorte ascendante, et que, dans les types A opérés et les types B, le pronostic semble dépendre de l’absence d’ischémie viscérale et de la thrombose du faux chenal. Les objectifs du traitement vasculaire à la phase aigüe sont : i) A court terme : la couverture de la porte d’entrée principale, la levée des malperfusions en rétablissant le flux dans les artères cibles, et la prévention de la rupture aortique en diminuant la pression dans le faux chenal. ii) A moyen et long terme : la prévention de la survenue d’un anévrysme thoraco-abdominal, et le remodelage aortique par thrombose du faux chenal. Une étude d’éligibilité à une approche endovasculaire a été réalisée sur 217 patients entre 2009 et 2016 ; elle a montré que 51 % étaient éligibles (121 exclus en raison de l’absence de scanner ou d’une qualité insuffisante de cet examen) et que 26% (40% des plus de 80 ans) présentaient une anatomie permettant un traitement endovasculaire. En conclusion : il est nécessaire de bien identifier les causes de malperfusion (dynamique, statique) ; la chirurgie doit être première, sauf exception (patient inopérable) ; il importe de développer un matériel dédié aux approches de l’aorte ascendante.
Conclusion : Jean-Noël Fabiani souligne l’extrême difficulté de la prise en charge de ces malades, requérant de grands progrès organisationnels et d’équipement (salles d’opération hybrides, combinant bloc opératoire et matériel d’imagerie performant). Il rappelle le dilemme posé, par exemple, par un jeune atteint d’une maladie de Marfan, totalement asymptomatique, mais dont on sait qu’il est à risque de dissection aortique : doit-on envisager une chirurgie préventive ? Trop peu de données permettent à ce jour de répondre, mettant le médecin praticien dans une situation humainement très démunie face à un tel patient.