Communication scientifique
Session of 12 janvier 2010

Séance dédiée aux tumeurs endocrines Néoplasies endocriniennes multiples, aspects cliniques

MOTS-CLÉS : dépistage génétique.. néoplasie endocrinienne multiple. tumeurs de la thyroïde
Clinical characteristics of multiple endocrine neoplasia
KEY-WORDS : multiple endocrine neoplasia. thyroid neoplasms.

Bernard Conte-Devolx*, Patricia Niccoli et le groupe d’étude des tumeurs endocrines (GTE)

Résumé

Les néoplasies endocriniennes multiples de type 1 (NEM1) et de type 2 (NEM2) sont des maladies héréditaires autosomiques dominantes dont la pénétrance est proche de 100 % mais dont l’expression varie selon les familles et les individus atteints. Les pathologies caractéristiques de la NEM1 sont l’hyperparathyroïdie (HPT >95 %), les tumeurs endocrines duodéno-pancréatiques (80 %), les adénomes hypophysaires (30 %), et les tumeurs corticosurrénaliennes (25 %). Il n’y a pas d’association syndromique clairement identifiée, ni de corrélation génotype-phénotype. L’identification d’une mutation du gène NEM1 est un élément primordial pour la confirmation du diagnostic. La pathologie commune aux MEN2 est un cancer médullaire de la thyroïde (CMT) dans 100 % des cas. Les pathologies associées permettent d’identifier trois sous-types: NEM2A (CMT+phéochromocytome+ HPT), NEM2B (CMT+pheo) et CMT familial isolé (FMTC). Le pronostic de la NEM2 est lié à l’évolution du CMT ; il dépend essentiellement du stade auquel il est opéré et de la qualité de la première intervention, d’où l’importance d’un diagnostic précoce. L’identification de mutations du proto-oncogène RET responsables des différents sous-types de NEM2, avec une bonne corrélation génotype-phénotype, permet d’identifier les sujets à risque au sein d’une famille et d’entreprendre chez eux les dépistages précoces des diverses atteintes endocriniennes, en tout premier lieu, celle du CMT pour faire une thyroïdectomie précoce voire prophylactique.

Summary

Multiple endocrine neoplasia type 1 (MEN1) and type 2 (MEN2) are autosomal dominant inherited multiglandular diseases with familial and individual age-related penetrance and variable expression. The most frequent endocrine features of MEN1 are parathyroid involvement (>95 %), duodeno-pancreatic endocrine tissue involvement (80 %), pituitary adenoma (30 %), and adrenal cortex tumors (25 %), with no clear syndromic variants. Identification of the germline MEN1 mutation confirms the diagnosis, but there is no phenotype-genotype correlation. All patients with MEN2 have medullary thyroid carcinoma (MTC). The most distinctive MEN2 variants are MEN2A (MTC+pheochromocytoma+hyperparathyroidism), MEN2B (MTC+pheo), and isolated familial MTC (FMTC). The prognosis of MEN2 is linked to the progression of MTC, which depends mainly on the stage at diagnosis and the quality of initial surgical treatment. This emphasizes the need for early diagnosis and management. The specific RET codon mutation correlates with the MEN2 syndromic variant and with the age of onset and aggressiveness of MTC. Consequently, RET mutational status should guide major management decisions, such as whether and when to perform thyroidectomy.

INTRODUCTION

Les néoplasies endocriniennes multiples (NEM) regroupent des affections héréditaires caractérisées chez un même sujet par l’apparition d’un processus prolifératif hyperplasique ou tumoral, bénin ou malin, généralement hyperfonctionnel, d’au moins deux glandes endocrines. Il existe cependant d’authentiques cas familiaux de NEM avec une seule atteinte glandulaire, mais faisant partie du même cadre nosologique, puisqu’elles possèdent les mêmes anomalies génétiques. Les deux principales pathologies qui entrent dans ce cadre sont les NEM de type 1 et de type 2 [1, 2]. Leur présentation clinique a considérablement changé depuis leur identification initiale puisque leur dépistage par les méthodes de génétique moléculaire permet maintenant de les reconnaître à partir d’une seule atteinte endocrinienne chez le cas index, et qu’elles sont asymptomatiques chez les apparentés dépistés suffisamment tôt pour qui une surveillance adéquate permet de reconnaitre les atteintes sur la seule biologie ou l’imagerie appropriée.

Les NEM ont en commun l’histoire naturelle de la tumorigenèse: la pathologie atteint l’ensemble du tissu endocrine concerné, et il existe toujours un stade d’hyperplasie qui précède l’apparition de l’adénome ou du carcinome.

Néoplasie endocrinienne multiple de type 1 (NEM1) ou syndrome de Wermer [3]

C’est un syndrome héréditaire à transmission autosomique dominante, lié à des mutations inactivatrices du gène de la ménine [4, 5] C’est une maladie rare [6] dont prévalence est estimée à 1/20 000 ou 1/40 000. La pénétrance de la maladie est supérieure à 90 %, et les sujets porteurs d’une mutation du gène NEM1 développent au moins l’une des atteintes avant l’âge de soixante ans, la première atteinte est l’hyperparathyroïdie qui a pu être diagnostiquée dès l’âge de dix ans.

Le diagnostic de NEM doit être envisagé si un sujet est atteint de deux lésions majeures [7].

Lésions majeures (tableau 1)

Hyperparathyroïdie primaire (HPT1) avec atteinte pluri-glandulaire associant hyperplasie et adénomes. La présentation clinique n’est pas différente de celle des hyperparathyroïdies primitives sporadiques, sauf le fait qu’elle survient le plus souvent avant l’âge de 40 ans, et que la chirurgie confirme le caractére multiglandulaire de l’atteinte.

Tumeurs endocrines duodéno-pancréatiques multifocales le plus souvent sécrétantes (gastrinome, insulinome, autres sécrétions rares), parfois multisécrétantes, avec les signes cliniques correspondants à la sécrétion (syndrome de Zollinger Elisson, hypoglycémies, etc.). Certaines sont non sécrétantes mais avec possible détection immunohistochimique d’une activité endocrine ; leur diagnostic repose sur l’imagerie.

Tumeurs gastriques à cellules ECL (enterochromaffin-like)

Adénomes hypophysaires fonctionnels, avec les signes cliniques hatituels d’hypersé- crétion lactotrope, somatotrope ou corticotrope pour les atteintes les plus fréquentes, ou plus rarement gonadotrope ou thyréotrope. Certains adénomes sont multisécrétants. D’autres peuvent être non sécrétants ou silencieux (l’identification de la sécrétion est alors établie par l’immunohistochimie), leur diagnostic repose sur l’imagerie.

Adénomes surrénaliens avec ou sans hyperplasie micro ou macronodulaire bilatérale, non sécrétants ou responsable d’un hypercortisolisme périphérique (syndrome de Cushing ACTH indépendant) ou d’un hyperaldostéronisme primitif (syndrome de Conn). Les phéochromocytomes sont exceptionnels.

Tumeurs (neuro)endocrines thymiques ou bronchiques : carcinoïdes ou autre sécré- tion neuroendocrine pouvant être à l’origine d’une syndrome endocrine paranéoplasique.

Les tumeurs duodéno-pancréatiques, les tumeurs thymiques et bronchiques, sont potentiellement des tumeurs malignes diffuses à développement lent, mais dont l’évolution et les métastases font la gravité de la pathologie et entraînent le pronostic vital sur plusieurs dizaines d’années. Le pronostic fonctionnel est lié aux nécessités du traitement des diverses atteintes endocrines dont les prises en charge ne sont pas différentes des tumeurs sporadiques sauf en ce qui concerne l’HPT1 et les tumeurs duodéno-pancréatiques, puisque l’ensemble du tissu endocrine est concerné par la pathologie, d’où la nécessité d’exérèses étendues.

 

Tableau 1 : Lésions tumorales majeures caractéristiques de la néoplasie endocrinienne multiple de type 1.

Type

Pénétrance

Hyperparathyroidie >95 % Tumeurs duodéno-pancréatiques Gastrinome 40 % Insulinome 10 % Glucagonome <2 % PPome… etc.

<2 % Non sécrétant 20 % Adénomes hypophysaires Lactotrope 25 % Somatotrope 5 % Thyréotrope 5 % Corticotrope 2 % Gonadotrope ou Non sécrétant 10 % Tumeurs surrénaliennes Non sécrétantes 30 % Fonctionnelles (stéroïde) 2 % Phéochromocytome <1 % Tumeur carcinoïde thymique 2 % Tumeur carcinoïde bronchique 4 % Tumeur gastrique ECL 10 % Lésions mineures

Il s’agit d’atteintes qui n’entrent pas dans le cadre habituel du diagnostic initial du syndrome. Elles peuvent être fréquentes et leur prise en compte est importante lorsque le diagnostic de NEM1 est évoqué sur la base des lésions cardinales. On observe par ordre de fréquence des :

proliférations cutanées [8], très hétérogènes (30-40 %), fibromes et angiofibromes, lentiginose plus ou moins diffuse, collagénomes, naevus, lipome sous-cutané et parfois lésions de type mélanome. Plus de 20 % des patients prédisposés à la NEM1 développent une mélanose de Dubreuil dans les régions du corps exposées au soleil.

tumeurs méningées (I 5 %) : épendymome à localisation souvent infra-tentorielle, méningiome, et autres lésions atypiques (astrogangliocytome) intracérébrales dont l’évolution lente contraste avec leurs équivalents sporadiques.

sarcomes ou tumeurs conjonctives (I 2 %), à type de léiomyome, rhabdomyome ou sarcome.

L’analyse du gène NEM1 chez le cas index suspect de NEM1 est indiquée à partir des caractéristiques cliniques d’une pathologie endocrinienne, en particulier une association de deux lésions majeures ou la découverte de l’une des lésions majeures à un âge inhabituellement jeune, permet de confirmer la NEM1 par le génotypage avec une fiabilité de plus de 90 %. Le dépistage des sujets à risque de NEM1 dans la famille pourra se faire à partir des résultats du génotypage du cas index avec une fiabilité de 100 % si une mutation a pu être identifiée. Il n’y a pas de corrélations génotype-phénotype, et dans une même famille la même mutation entraîne des phénotypes différents. L’âge auquel doit être fait ce dépistage génétique peut faire l’objet de discussion, mais il parait légitime de ne pas dépasser l’âge de dix ans puisque c’est l’âge auquel peuvent apparaître les premières atteintes [9, 10], et donc commencer les examens spécifiques du dépistage des diverses atteintes, au moyen de:

Calcémie/Parathormone, IRM hypophysaire et prolactinémie/IGF1, échographie et tomodensitométrie abdominales, écho-endoscopie. Si ses examens sont normaux, il est conseillé de les répéter tous les cinq ans.

Néoplasies endocriniennes multiples de type 2 (MEN2)

C’est une pathologie héréditaire à transmission autosomique dominante. La prévalence des NEM2 est estimée à 0,2/1 000. La première description par SIPPLE [11] de l’association caractéristique du NEM2A (cancer médullaire de la thyroïde-CMT-, phéochromocytome, hyperparathyroïdie) date de 1961, suivie par celles de GORLIN [12] du NEM2B (CMT, phéochromocytome, dysmorphie, neuromatose) puis FARNDON [13] (CMT isolé familial ou FMTC). Il est démontré depuis 1993 que la pathologie est liée à une anomalie moléculaire du proto-oncogène RET [14-16], dont l’analyse constitue la meilleure technique de confirmation du diagnostic chez le cas index, et permet de dépister dans la famille les sujets à risque asymptomatiques.

PHENOTYPES [17]

La NEM 2A est la forme la plus fréquente des NEM2 (60 % des cas). Elle associe un CMT, présent dans 100 % des cas, et qui constitue la première atteinte, à un phéochromocytome bilatéral (synchrone ou métachrone) dans plus de 50 % des cas et à une hyperparathyroïdie primitive (HPT1) dans 5 à 20 % des cas avec adénomes multiples et hyperplasie. Des affections cutanées (notalgia ou lichen amyloide: zone hyperpigmentée et prurigineuse) sont observées au niveau de la partie haute du dos de façon précoce dans quelques familles [18].

La NEM 2B, plus rare (5 % des NEM2) associe un CMT dans 100 % des cas à un phéochromocytome (50 % des cas). Le phénotype est caractérisé par une ganglioneuromatose et une dysmorphie de type Marfan. La ganglioneuromatose atteint le tractus digestif dans son ensemble, mais elle est particulièrement visible au niveau des lèvres, de la langue.

Le CMT isolé familial représente 35 % des NEM 2. Sa définition est en fait un diagnostic d’exclusion des autres formes de NEM 2. Le diagnostic de FCMT ne pourra être affirmé qu’après une longue période de surveillance dans une famille où les CMT ne se sont jamais accompagnés d’une des autres manifestations typiques des NEM 2.

 

Le cancer médullaire de la thyroïde [19] est actuellement l’élément prédominant du pronostic de l’ensemble des NEM2. L’hyperplasie des cellules C de la thyroïde (HCC), est la première anomalie histologique constatée traduisant l’atteinte pathologique des cellules C [20]. L’HCC est quasiment toujours retrouvée dans les CMT faisant partie d’une NEM2, même si elle n’est pas spécifique de cette pathologie.

Cette pathologie initiale peut être dépistée par le dosage de la calcitonine plasmatique (valeur basale ou après stimulation par pentagastrine). L’HCC diffuse, multifocale et bilatérale, apparaît très précocement après la naissance dans les NEM2A et 2B. Dans les FCMT ce stade initial apparaît de façon très variable en fonction des familles. L’HCC évolue rapidement vers le microcarcinome, le plus souvent multifocal. Dans l’évolution de la maladie, tous les stades coexistent au sein de la thyroïde, de la cellule C normale au carcinome. La diffusion métastatique aux chaines ganglionnaires récurentielles et jugulo-carotidiennes est très précoce, et peut se faire dès le stade de microcarcinome. Pour les NEM 2B les microcarcinomes sont observés dès la période néonatale, pour les NEM 2A ils peuvent être présents à partir de un an et quasiment toujours avant l’âge de dix ans. Pour les FCMT, le CMT peut n’apparaître qu’après l’âge de cinquante ans dans certaines familles [21].

L’évolution générale des CMT des NEM2 s’effectue sur plusieurs dizaines d’années : un nodule thyroïdien ne devient souvent cliniquement palpable qu’après l’âge de vingt ans, mais à ce stade d’évolution, il existe toujours une dissémination ganglionnaire métastatique.

Phéochromocytomes : lorsqu’ils font partie du tableau, les phéochromocytomes sont bilatéraux dans les deux tiers des cas, d’emblée ou au décours de l’évolution. Le stade d’hyperplasie précède l’adénome médullosurrénalien. Seuls 4 % des phéochromocytomes deviennent malins. Le phéochromocytome apparaît après le CMT et rarement avant l’âge de vingt ans.

Hyperparathyroïdie : (HPT) : l’hyperplasie du tissu parathyroïdien associée à un ou plusieurs adénomes parathyroïdiens est caractéristique de l’HPT des NEM2 lorsqu’elle fait partie du phénotype. Il n’a jamais été observé de cancer parathyroïdien. L’HPT se révèle à un âge moyen de trente-deux ans sur les études rétrospectives, et comme pour le phéochromocytome, les séries récentes de sujets jeunes diagnostiqués montrent que l’HPT apparaît presque toujours après le CMT.

Caractéristiques cliniques des atteintes tumorales des NEM2

Le cancer médullaire est totalement asymptomatique jusqu’à ce qu’il devienne palpable. Il se traduit alors par un nodule thyroïdien avec euthyroïdie. Il est difficile de le distinguer d’un nodule non fonctionnel d’origine vésiculaire. Il est suspect s’il existe des adénopathies satellites et surtout si on peut avoir connaissance d’antécé- dents familiaux évocateurs d’une NEM2. Il est exceptionnel que l’hypercalcitoninémie se traduise par le classique syndrome de flush avec diarrhée motrice, Une telle symptomatologie est en faveur d’un stade très avancé avec des valeurs de calcitonine plasmatiques supérieures à 1 000 pg/ml (valeurs normales inférieures à 10 pg/ml).

Le phéochromocytome est classiquement responsable d’hypertension artérielle paroxystique avec tachycardie céphalées, et sueurs. Mais le phéochromocytome des NEM2 n’est symptomatique que dans environ un tiers des cas, et dans 10 % des cas il est responsable d’une mort subite (au cours d’anesthésie ou d’accouchement…), par méconnaissance de l’atteinte médullosurrénalienne Il ne faut donc pas attendre les manifestations cliniques pour en faire le diagnostic qui doit être fait sur la biologie.

L’hyperparathyroïdie n’est pas différente des HPT1 par adénome parathyroïdien sporadique. Elle est asymptomatique dans plus de 90 % des cas et de découverte fortuite sur les éléments de surveillance d’une NEM2A connue, par la mise en évidence d’une hypercalcémie associée à des valeurs élevées de la parathormone plasmatique.

NEM2 et mutations de RET : corrélations phénotype-génotype

La très bonne corrélation phénotype-génotype dans les NEM2 [1] en fait un modèle unique en oncogénétique, avec de réelles implications pratiques, en terme de prise en charge et de traitement. Une mutation germinale du proto-oncogène RET est retrouvée dans 99 % des NEM2B, 98 % des NEM2A, et dans 95 % des FMTC.

Le phénotype NEM2B est associé dans environ de 97 % des cas à une mutation de RET dans la région du gène codant pour le domaine intracellulaire tyrosine kinase du récepteur, sur le codon 918, dans l’exon 16. Dans moins de 5 % des cas, les mutations sont situées dans l’exon 15 au codon 883, dans l’exon 16 au codon 922, ou il s’agit de double mutations : respectivement aux codons 804/806 dans l’exon 14 et 804/904 dans les exons 14 et 15. Dans le premier cas le phénotype n’est pas différent des autres formes de NEM2B, mais pour la seconde double mutation il se caractérise par l’absence de morphotype Marfanoide [22].

Les mutations associées au phénotype NEM2A siègent majoritairement dans l’exon 11 au codon 634, les mutations dans l’exon 10 (codons 609-611-618-620) étant retrouvées dans 15-20 % des cas. D’autres types de mutations situées dans les exons 10 et 11 ont été rattachées à la NEM2A dans un nombre de cas restreint:

codon 624 de l’exon 10, codons 630, 631, 640 de l’exon 11, duplications de 9 et 12 paires de bases dans l’exon 11 (codons 634-636), les phénotypes cliniques n’étant pas différents des formes classiques. Des mutations de RET identifiées dans la portion du gène codant pour le domaine intracellulaire tyrosine kinase sur les codons 790, 791 (exon 13), 804 (exon 14), 891 (exon 15) peuvent être plus rarement associées à un phénotype NEM2A.

Le phénotype FMTC est associé dans 40 % des cas à des mutations de RET situées dans les exons 10 (codons 609-611-618-620), les deux derniers codons étant préfé- rentiellement atteints (38 % des cas). Le phénotype observé est similaire à celui rencontré dans les NEM2A qui partagent le même spectre de mutations. Dans plus de 60 % des cas, le phénotype FMTC est rattaché à des mutations localisées dans le domaine intracellulaire de RET : dans les exons 13 (codons 768, 790, 791), 14 (codons 804 et 844), et 15 (codon 891), les mutations situées dans l’exon 14 représentant la moitié d’entre elles. Ces FMTC ont la particularité de se présenter comme des CMT sporadiques : retrouvés à un âge plus tardif (48,6 ans vs 41,8 ans pour les FMTC avec mutation dans l’exon 10 et 54,4 ans pour ceux avec mutation dans l’exon 14), diagnostiqués pour 43 % d’entre eux devant un goitre multinodulaire. La pathologie des cellules C est d’apparition en règle plus tardive (30-50 ans) avec des stades anatomocliniques de la maladie peu avancés pour l’âge en comparaison avec les mutations classiques dans l’exon 10 ou la maladie apparaît dans l’enfance [21, 23]. Cette apparition différée explique le mode fréquent de diagnostic de ces CMT au cours d’un dosage systématique de calcitonine dans le cadre d’une pathologie nodulaire thyroïdienne. Cependant, des cas de CMT apparus dans l’enfance sont également décrits au sein des familles, et bien que plus rarement observé, le potentiel invasif et métastatique de ces CMT existe. Ces génotypes se caractérisent également par une expressivité variable de la maladie avec une grande variabilité clinique au sein d’une même famille.

Ces corrélations entre les phénotypes et les génotypes permettent de proposer des thyroïdectomies précoces voire prophylactiques [1, 19, 24-29] chez des sujets porteurs de la mutation déjà identifiée dans la famille, dès les premiers mois de la vie pour les mutations responsables d’une NEM2B, avant l’âge de quatre ans pour les mutations corrélées à la NEM2A et plus tard, en fonction de la surveillance biologique, pour celles corrélées à la FMTC. Cette attitude permet la guérison du cancer médullaire au prix de la thyroïdectomie.

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DISCUSSION

M. Claude JAFFIOL

Quelle est l’attitude à avoir chez les patients ayant subi une thyroïdectomie totale pour cancers médullaires qui conservent des taux modérément élevés de calcitonine ?

Le traitement des cancers médullaires de la thyroïde est avant tout chirurgical. Si l’intervention initiale est optimale, il est inutile de réintervenir. Mais si l’intervention n’a pas été pratiquée de façon satisfaisante sur le plan carcinologique (thyroïdectomie totale et curage ganglionnaire) il est alors nécessaire de la compléter. La non guérison après intervention (ou réintervention), attestée par des valeurs modérément augmentées de calcitonine (inférieures à 500 pg/ml, pour une normale inférieure à 10), n’implique pas une recherche de tissu résiduel ou métastases qui ne peuvent pas être détectés par les imageries actuelles pour de telles valeurs qui correspondent à un trop faible volume tumoral. Et compte tenu de la progression souvent lente de ce type de cancer (plusieurs années), une simple surveillance de la calcitonine (et de l’antigène carcino-embryonnaireACE) doit être entreprise. L’élévation de la calcitonine au dessus de la valeur seuil, ou de l’ACE, conduit alors à faire les investigations d’imagerie, qui permettront de guider un acte chirurgical complémentaire ou entreprendre des chimiothérapies, pour l’instant palliatives. D’où la nécessiter de dépister précocement les cancers médullaires par le dosage de la calcitonine et, dans les familles de NEM2, par l’analyse du protooncogène RET, chez les apparentés du cas index : dans ce cas la chirurgie précoce, voire prophylactique, permet la guérison.

M. Jean-Yves LE GALL

L’oncogène RET est également en cause dans un certain nombre de cas de maladie de Hirchsprung. Ces cas relèvent-ils de mutations différentes de celles observées dans les syndromes NEM2 ?

Pour la maladie de Hirchsprung il s’agit de mutations inactivatrices du proto-oncogène RET, responsables d’une hypoplasie ou aplasie des ganglions sous muqueux du tractus digestif. Ces mutations, situées dans les exons 609, 618 et 620, codent pour le domaine extracellulaire du récepteur tyrosine kinase, alors que les mutations activatrices de ces mêmes codons sont responsables du phénotype NEM2A. À noter que les mutations activatrices situées sur le codon 918 (et 883) sont responsables du phénotype NEM2B qui comporte une hyperplasie des ganglions sous muqueux associée à un syndrome comparable à la maladie de Hirchsprung (pseudo-Hirchsprung).

M. Jean NATALI

A-t-on une idée du nombre total de patients atteints de tumeurs endocrines en France ?

Il n’y a pas de registre national qui recense l’ensemble des tumeurs endocrines. Pour les NEM, les prévalences admises permettent d’estimer en France le nombre de NEM1 à 3 000 et le nombre de NEM2 à 10 000. En 2007, le réseau national des NEM a enregistré 165 nouveaux cas de NEM1 prouvées par le génotypage et seulement 106 nouveaux cas de NEM2. Ces chiffres, stables pour les NEM2 et en augmentation pour les NEM1, semblent montrer qu’un certain nombre de NEM1 non diagnostiquées jusqu’à présent sont en train de l’être par les méthodes actuelles de dépistage.

M. E. Alain CABANIS

Dans une atteinte NEM1, vous avez évoqué la recherche systématique d’adénome hypophysaire par une IRM pratiquée tous les cinq ans. N’est-ce pas trop éloigné, sachant d’une part, la fréquence de survenue de micro-adénomes hypophysaires, prolactinomes notamment, et d’autre part la variabilité des techniques IRM mises en œuvre (qualité des hommes et des techniques) ? Quelle est sa place comparée à celle de contrôle de dépistage biologique ?

Comme tous les adénomes hypophysaires, ceux faisant partie des NEM1 évoluent lentement sur plusieurs années. Les divers consensus ont privilégié l’imagerie IRM pour la surveillance hypophysaire systématique du fait de la complexité de l’étude biologique des différentes fonctions hypophysaires qui, de plus, ne permet pas de dépister les adénomes non sécrétants. La mise en évidence d’une image hypophysaire implique alors une étude exhaustive des fonctions hypophysaires.

 

<p>* Endocrinologie, Diabète, Maladies Métaboliques, Hôpital de la Timone — 13385 Marseille cedex 05, et e-mail : bernard.conte-devolx@ap-hm.fr Tirés-à-part : Professeur Bernard Conte-Devolx, même adresse. Article reçu le 14 décembre 2009, accepté le 11 janvier 2010.</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 1, 69-79, séance du 12 janvier 2010