Publié le 12 novembre 2019

Résumés des séances de l’Académie*

* Par Catherine Barthélémy, Pierre Brissot, Martin Danis, Vincent Delmas, Francis Michot

Séance des membres correspondants de la 1re division

Organisateur : Yves de PROST

 

Le passage de la douleur à la conscience

Bernard LAURENT (Service de neurologie, Hôpital Nord, CHU de St Etienne)

 

Douleurs et mécanismes inconscients : il peut apparaître paradoxal de parler de phénomènes inconscients dans la douleur  où toute l’expertise est basée sur le récit d’une perception sensorielle (nociception), mais aussi d’un vécu de désagrément subjectif, qu’analysent les échelles de douleur utilisées en clinique. Pourtant, comme dans toute activité cérébrale, la partie consciente du processus n’est peut-être que la partie émergée de l’iceberg et beaucoup de comportements douloureux, anticipatoires ou de conditionnement, restent dans le champ de l’implicite. Bernard Laurent et son équipe ont exploré chez des patients suivis pour la prise en charge d’une épilepsie, ayant des microélectrodes intracérébrales, puis chez des sujets sains volontaires, en utilisant stéréo-EEG, IRM fonctionnelle, et PETscan, les localisations de l’implication de la conscience.

-La conscience perceptive visuelle et l’espace global conscient : la transmission subliminale d’un mot (<50ms) n’est pas consciemment enregistrée et pourtant sa réintroduction ultérieure, même sous une image différente, sera efficace, témoignant d’une mémorisation implicite. Qu’en est-il de la douleur ?

-Douleur expérimentale et réponses électrophysiologiques dans la matrice anatomique de la douleur : une stimulation douloureuse de la main par laser, chez 20 sujets épileptiques en exploration, montre que la matrice cérébrale de la douleur comporte une entrée très précoce dans l’insula postérieure, que l’on peut qualifier de primaire, où les réponses surviennent à partir de 100 millisecondes. L’insula postérieure a une réponse « nociceptive » constante, l’activité enregistrée dans l’insula antérieure (gamma) et l’amygdale (delta) prédit la subjectivité douloureuse. Mais curieusement la réponse subjective de douleur n’est pas constante et certaines stimulations sont perçues mais jugées non douloureuses.

-Douleur et états pauci-relationnels : la question taraude les soignants des unités de réanimation ou de soins palliatifs, au point qu’un même patient suscite parfois des interprétations divergentes lorsque l’on doit analyser un comportement de retrait, une grimace voire des pleurs qui ne suffisent pas pour parler de conscience au sens propre. Une stimulation des noyaux sensitifs du thalamus chez un patient sans cortex peut très bien déclencher un comportement de retrait ou de grimace, sans conscience de la douleur. Les nouvelles approches d’imagerie et de neurophysiologie montreraient que l’accès à la conscience est fluctuant chez certains patients.

– Les mécanismes inconscients dans la douleur. Beaucoup de processus cognitifs inconscients participent au comportement réponse à une douleur aigüe, et ce d’autant plus que celle-ci a déjà été expérimentée et qu’elle survient dans un contexte annonciateur. Connaitre ces processus  est utile pour comprendre ses propres réactions douloureuses et émotionnelles et surtout pour expliquer au patient bon nombre d’effets pervers qu’il ignore dans la gestion de sa douleur chronique : ceci est la base des thérapies cognitivo-comportementales.

– La mémoire de la douleur de l’explicite à l’implicite. Dans les états pré-linguistiques de l’enfance où la communication verbale n’est pas possible et le stockage déclaratif impossible, il est clair que l’enfant est conscient de la douleur, l’exprime par son comportement et qu’il gardera une trace mnésique non explicite de la situation, proche d’un conditionnement ou d’un stress post traumatique. Ainsi, une circoncision sans anesthésie s’accompagnera plusieurs mois plus tard d’un comportement douloureux plus intense lors de la première vaccination. Le système nociceptif est probablement soumis à une « finalité » d’oubli de la douleur, mais tout stimulus douloureux étant stocké, il s’agit d’un blocage de l’évocation et non d’un effacement.

 

L’administration d’un agent thrombolytique peut-elle favoriser une hémorragie cérébrale sur un cerveau sain ?

Didier LEYS, Service de neurologie et pathologie neurovasculaire, Hôpital Roger Salengro, CHU de Lille.

 

Une hémorragie intra-cérébrale (HIC) peut survenir lors d’un traitement thrombolytique prescrit pour une pathologie coronaire. Dans les thrombolyses pour ischémie cérébrale, une HIC sur cinquante survient en dehors du territoire ischémié. Le mécanisme de ces HIC à distance (HIC-d) pourrait se rapprocher de celui des HIC observées en pathologie coronaire. L’hypothèse a été testée selon laquelle une HIC-d se développe à partir d’une lésion sous-jacente identifiable sur l’imagerie par résonance magnétique (IRM) initiale. Toutes les thrombolyses par activateur recombinant du plasminogène tissulaire (rt-PA) pour ischémie cérébrale, effectuées sur une période de 9 ans, ont été colligées chez des patients majeurs et consentants.

Une HIC-d (41 cas) a été identifiée chez 24 (2.5%) des 944 patients. L’HIC-d était lobaire chez 14 (58.3%), profonde chez 7 (29.2%) et mixte chez 3 (12.5%). Dans 24 des 41 HIC-d (58.5%) aucune lésion préalable n’a été identifiée. Dix-sept HIC-d (41.5%) s’étaient développés sur une lésion préalable : 6 micro-saignements, 6 infarctus cérébraux anciens et 1 récent, et 4 anomalies de la substance blanche. Les facteurs indépendamment associés aux HIC-d étaient un âge plus élevé, la présence d’au moins 5 micro-saignements  et le siège lobaire des micro-saignements.

Toutes les lésions préexistantes identifiées sont de nature vasculaire, mais la moitié des cas reste inexpliquée. Des IRM à plus haut champs (3 tesla), avec des coupes fines et des séquences plus sensibles, pourraient permettre d’identifier la cause des cas inexpliqués.

 

Le microbiote intestinal, un acteur clé dans les maladies du foie

Gabriel Perlemuter, Hôpital Antoine-Béclère – Univ. Paris-Sud/Paris-Saclay, Inserm U996 (Microbiote intestinal, macrophages et inflammation hépatique)

 

Le microbiote intestinal (MI) représente l’ensemble des micro-organismes (bactéries, virus, parasites, levures et autres agents fongiques), qui peuplent l’intestin et vivent en symbiose avec l’organisme humain. L’altération de la composition du MI (dysbiose), de la barrière intestinale, de l’interaction de la barrière avec le MI ainsi que des modifications des métabolites bactériens jouent un rôle important dans la physiopathologie des maladies du foie. Ainsi, parmi les consommateurs excessifs d’alcool, seuls 15 à 20% développent une maladie alcoolique du foie sévère. Le MI module cette susceptibilité. Une diminution des Bacteroidetes est associée à la survenue de lésions hépatiques. Des profils microbiens particuliers ont pu également être identifiés au cours de la stéato-hépatite non alcoolique, de la cholangite biliaire primitive, et des hépatites virales.

Au cours de la cirrhose, les changements du MI sont importants. 54% des bactéries responsables de la dysbiose sont d’origine buccale. Les changements observés dans le microbiote salivaire sont d’ailleurs similaires à ceux observés au niveau intestinal, données qui ont donné naissance au concept d’axe bouche-intestin-foie.

Les mécanismes par lesquels le MI intervient dans les pathologies hépatiques sont multiples :  – augmentation de la translocation bactérienne du fait de l’altération de la barrière intestinale ; altération du métabolisme des acides biliaires avec notamment activation des récepteurs spécifiques aux acides biliaires (FXR); – métabolisation du tryptophane en dérivés d’indole qui activent des récepteurs spécifiques ; modification du métabolisme des médicaments qui arrivent au contact des bactéries.

En conclusion, le microbiote intestinal joue un rôle clé dans toutes les maladies du foie par des mécanismes multiples et complexes qui incluent des modifications de sa composition, de ses métabolites ainsi que de la barrière intestinale. Ces éléments sont impliqués dans la susceptibilité individuelle à développer des maladies du foie et leur aggravation. La recherche fondamentale et translationnelle est toujours plus rapide que l’application clinique des données expérimentales. On peut espérer, grâce à l’étude du microbiote intestinal, aboutir à une médecine prédictive plus personnalisée. Le microbiote intestinal étant modifiable, au moins partiellement, on peut également espérer améliorer le pronostic des maladies du foie en ciblant le microbiote intestinal ou les voies métaboliques dans lesquelles il est impliqué.

 

Différents états  de sensibilité ou de résistance aux hormones thyroïdiennes

Jean-Louis WÉMEAU, Clinique Endocrinologique, CHRU de Lille, Université de Lille.

 

Il est commun d’établir le diagnostic des dysfonctions thyroïdiennes sur des modifications de la thyrostimuline hypophysaire (TSH), et de les quantifier par le degré d’abaissement ou d’augmentation des concentrations des iodothyronines, T4 et de T3, circulantes.

Cette conception est mise en défaut lorsque des facteurs génétiques, voire pharmacologiques, déterminent des altérations de la sensibilité tissulaire à l’action des iodothyronines, avec une très grande fréquence des dysfonctions thyroïdiennes latentes (« subcliniques ») qui constituent actuellement environ 90% des formes diagnostiquées. La situation la moins rare est celle d’états de sécrétion inappropriée de TSH, responsables d’hyperhormonémie thyroïdienne familiale sans que ne s’expriment clairement de manifestations thyrotoxiques, en raison de la résistance des récepteurs β des iodothyronines. Les mutations du récepteur α sont responsables de sévères modifications du morphotype osseux et du comportement, alors que les concentrations de T4 et T3 et de TSH sont pratiquement normales, mais comportent une subtile majoration du rapport T3/T4. Le transporteur transmembranaire MCT8 est impliqué dans la pénétration de la T3 dans les structures fines neuronales ; des mutations de MCT8 ont permis de comprendre les états de déficience intellectuelle sévère liés à l’X correspondant à l’entité traditionnelle du syndrome d’Allan-Herndon-Dudley. D’autres situations résultant d’un défaut d’activation de T4 en T3, se révèlent par des retards de croissance et du développement intellectuel, des atteintes myopathiques, un déficit immunitaire, une azoospermie. Il existe aussi des états d’hypersensibilité aux hormones thyroïdiennes.

Il faut apprendre à reconnaître ces situations dont la présentation clinique et/ou hormonale n’évoque a priori nullement un désordre thyroïdien. Il apparaît qu’elles ont des correspondances pharmacologiques, notamment avec l’amiodarone, antiarythmique cardiaque dont l’un des effets indésirables est de réduire la conversion périphérique de T4 en T3.  La dronédarone, antiarythmique comparable, semble moins thyroïdotoxique.

Les pathologies liées aux modifications de la sensibilité hormonale élargissent considérablement  le champ traditionnel  de l’endocrinologie.

Les états de sensibilité réduite ou accrue aux hormones thyroïdiennes ne sont pas du domaine de l’hyper-spécialité thyroïdologique. Désormais elles doivent être évoquées plus largement par les médecins de toutes spécialités dans des situations atypiques d’altérations du développement statural, gonadique, squelettique, neuromusculaire, sensoriel, intellectuel, d’anémie, de troubles cardiaques ou digestifs… S’impose alors une lecture attentive, critique d’éventuelles atypies des taux d’hormones thyroïdiennes totales ou libres, de la TSH. Leur permanence lors de la répétition des dosages doit susciter une approche collaborative entre biologistes et cliniciens spécialisées en thyroïdologie.