Publié le 10 novembre 2022

Résumés des séances de l’Académie*

* Par Brigitte Dréno, François Guilhot, Pierre Miossec, Jean-Baptiste Ricco, Dominique Vuitton

 

Séance des membres correspondants de la 3e division

8 novembre 2022

Organisation : Thierry HAUET

 

La sénescence cellulaire, nouvelle cible des infections virales respiratoires : du virus influenza au SARS-CoV-2 par Serge ADNOT (INSERM U955 et Département de Physiologie, Hôpital Henri Mondor, AP-HP, FHU- SENEC, Créteil ; Université Paris-Est Créteil (UPEC))

 

La sénescence cellulaire des tissus est un processus clé du vieillissement et des maladies chroniques liées à l’âge, qui cible de nombreux organes, dont le poumon où il joue un rôle important dans le broncho pneumopathie chronique obstructive, la fibrose pulmonaire, ou le cancer pulmonaire.
La sénescence cellulaire survient par 2 mécanismes : l’érosion des télomères que l’on appelle sénescence replicative et la sénescence prématurée par dommage direct de l’ADN par exemple induite par la cigarette ou la pollution. Ces 2 mécanismes aboutissent à l’activation des gènes P53, P21, P16 avec rentrée en sénescence de la cellule. Les cellules sénescentes s’accumulent avec l’âge. La sénescence induit une inflammation chronique cytokinique de l’environnement.

L’idée qu’une infection virale respiratoire puisse provoquer la sénescence des cellules pulmonaires, et que cette sénescence cellulaire puisse être aggravée par des facteurs de comorbidité de l’hôte, émerge aujourd’hui comme un nouveau concept. Elle s’applique au virus de la grippe A, au lentivirus, à l’Adeno-associated virus (AAV), au virus de la stomatite vésiculeuse (VSV), mais aussi bien sûr à SARS-CoV-2. La persistance de cellules pulmonaires sénescentes, longtemps après la disparition apparente de l’infection initiale par SARS-CoV-2, pourrait entraîner une inflammation stérile chronique et favoriser ainsi le développement d’altérations pulmonaires chroniques à type de fibrose et d’emphysème pulmonaire. La gravité des symptômes du COVID-19 est exacerbée chez les personnes âgées et chez celles présentant des facteurs de comorbidités, par l’accumulation de cellules sénescentes dans le poumon. Les études les plus récentes montrent que si les cellules sénescentes sont initialement les cellules infectées par le SARS-CoV-2, des mécanismes paracrines semblent intervenir pour propager la sénescence et affecter la plupart des cellules constitutives du poumon. Les cellules endothéliales sont aussi touchées (rôle dans les phénomènes de thrombose vasculaire) et les macrophages.

Cette découverte récente ouvre la voie de nouvelles approches thérapeutiques par des molécules dans un but de prévention des effets aigus ou à plus long terme, des séquelles pulmonaires., ce sont les sénolytiques. D’autres approches font appel à l’immunothérapie, dirigées contre des protéines membranaires exprimées par les cellules sénescentes. Les premiers résultats suggèrent que l’élimination des cellules sénescentes réduit la destruction pulmonaire post-virale et l’installation de séquelles.

 

Avancées et promesses de la médecine de précision personnalisée des maladies métaboliques par Philippe FROGUEL (8199-EGID, INSERM, CNRS, Institut Pasteur de Lille et Imperial College London)

La médecine 4 P (prédictive, préventive, de précision et participative) devrait transformer la médecine métabolique dans les prochaines années. La médecine de précision doit permettre une optimisation thérapeutique en augmentant l’efficacité médicamenteuse, diminuant les effets secondaires et finalement diminuant les coûts. Elle est basée sur la définition d’endotypes (clusters) pour classer les patients en groupes homogènes.

La médecine de précision n’est applicable que si la maladie visée a une forte variabilité dans l’évolution, la gravité et les réponses thérapeutiques et si cette variabilité est prévisible au moment du diagnostic, avec une alternative thérapeutique. La médecine métabolique est à mi-chemin, avec une petite fraction croissante, de patients éligibles à une médecine de précision.  Il y a au moins 500 millions de diabétiques dans le monde, dont 90% de type 2 (DT2), et ce nombre devrait dépasser 700 millions avant 2050. La médecine de précision est une hypothèse crédible en diabétologie du fait de sa nature multifactorielle à forte composante génétique : l’héritabilité du DT2 est d’environ 70%. Une trentaine de gènes responsables du développement de formes monogéniques de diabète non auto-immun ont été identifiés : leurs mutations entraînent un diabète à début très précoce, généralement non associé à un surpoids et à forte pénétrance familiale. La totalité de ces gènes est exprimée dans les cellules bêta endocrines des îlots pancréatiques. Le diagnostic génétique a deux intérêts : d’une part, il permet un conseil génétique familial et, d’autre part, identifier la mutation permet dans 80% des cas de mettre en route une thérapeutique de précision, adaptée à la mutation.

Le principal obstacle à la généralisation de cette médecine génomique est l’absence d’accès facile et rapide au diagnostic génétique en France. Le développement de centres de diagnostic génétique à haut débit, accrédités COFRAC (Comité Français d’Accréditation) devrait changer la donne. Par ailleurs, basés sur les données de l’analyse par GWAS (Genome Wide Association Study ou étude d’association pangénomique) de la gigantesque UK Biobank (500 000 personnes) des scores génétiques prédicteurs du risque de survenue tardive de DT2 ont été développés.

Concernant l’obésité, depuis 40 ans, le nombre d’obèses a été multiplié par trois avec une hérédité dans environ 70% des cas. Il existe des formes monogéniques non syndromiques toutes liées à des mutations dans les gènes de la voie de la leptine-mélanocortine, responsables d’une obésité extrême, à début dans la petite enfance, associée à une hyperphagie. Dans les populations d’origine européenne, les mutations les plus fréquentes (2 à 4% des obèses), à transmission autosomale dominante ont été identifiées dans le gène MC4R. En revanche, dans les populations à forte consanguinité, ce sont les mutations de la leptine et de son récepteur qui dominent.

Quel est l’impact de la génétique dans la prise en charge personnalisée de l’obésité ? La leptine recombinante est sur le marché pharmaceutique depuis 2015, mais la plupart des patients qui en auraient besoin viennent de pays trop pauvres pour s’en procurer. Au bout de près de 25 ans d’efforts, un agoniste du récepteur MC4R, devrait arriver sur le marché en 2022, mais ses indications restent à déterminer.

 

Avancées thérapeutiques cliniques de la thérapie génique des maladies neurodégénératives : des maladies monogéniques rares aux maladies complexes (Alzheimer, Parkinson, Sclérose latérale amyotrophique) par Nathalie CARTIER LACAVE (Génétique et biothérapie des maladies dégénératives et prolifératives du système nerveux – INSERM UMR 745, Faculté de Sciences Pharmaceutiques et Biologiques, Paris)

La maladie de Huntington (MH) est une affection neurodégénérative autosomique dominante qui affecte le système nerveux central. Rare et héréditaire, elle se manifeste par des troubles moteurs, cognitifs et psychiatriques qui évoluent en dents de scie et s’aggravent progressivement jusqu’au décès qui survient en moyenne vingt à trente ans après le début des symptômes. Cette maladie génétique est due à la mutation du gène codant pour une protéine nommée « huntingtine ».

Le rôle crucial du métabolisme du cholestérol cérébral a été montré récemment dans la MH. Le cholestérol présent dans le cerveau ne peut pas franchir la barrière méningée. Ainsi, la cholestérol-24 hydroxylase (CYP46A1) neuronale est l’enzyme clé qui permet l’excrétion du cholestérol hors du cerveau, après conversion en 24S OH-cholestérol (24OH-Chol). La CYP46A1 dans le striatum et le 24OH-Chol dans le sang sont diminués chez les patients atteints de MH.

La voie de biosynthèse du cholestérol est montrée déficiente chez les souris MH. L’injection d’AAV-CYP46A1 (Adeno-Associated-Virus recombinant) dans le striatum restaure l’expression de CYP46A1, la voie de synthèse du cholestérol cérébral, les défauts comportementaux. De plus les agrégats de Huntingtine mutée chez les souris MH sont diminués par stimulation de l’autophagie. AAV-CYP46A1 restaure les fonctions synaptiques (plasticité synaptique, transport vésiculaire et voies de survie neuronale). Inversement, inhiber CYP46A1 dans le striatum de souris normales – via l’utilisation de sh-RNA induit une accumulation du cholestérol, des déficits moteurs et une mort neuronale.

L’ensemble de ces résultats a amené à proposer CYP46A1 comme cible d’une thérapie génique de la MH. L’objectif est de proposer une thérapie génique (AAV-CYP46A1) visant à rétablir l’expression de CYP46A1 dans le striatum, à un stade précoce de l’évolution de la maladie. Les étapes ont été successivement : 1) développer un processus de production de vecteur clinique en collaboration avec un industriel 2) valider le protocole d’injection chez le primate non humain 3) développer une étude de phase I/II avec escalade de dose (3 à 6 patients par dose) comprenant une étude du métabolisme du cholestérol chez les patients MH pour corréler l’évolution du 24OHChol (biomarqueur) à l’évolution clinique de la maladie (clinique et IRM).

L’intérêt de cette approche par thérapie génique serait de pouvoir être utilisée dans d’autres maladies génétiques impliquant le métabolisme du cholestérol comme la sclérose latérale amyotrophique, la maladie de Machado Joseph où l’atteinte se situe au niveau du cervelet avec diminution de CYP46A1, la maladie d’Alzheimer où l’accumulation de substance myéloïde en lien avec les anomalies du cholestérol se fait dans l’hippocampe. Dans ces 2 dernières maladies, un effet de la thérapie génique a été démontré chez la souris. Ainsi les défis futurs de la Thérapie Génique sont : l’accessibilité aux patients, la simplification de la délivrance, la réduction des coûts, une approche thérapeutique basée non sur un gène, mais sur une anomalie physiopathologique qui permettra d’utiliser la même thérapie génique dans plusieurs maladies, et combiner des cibles synergiques.

 

Prédispositions héréditaires au cancer de l’endomètre (CE), par Florent SOUBRIER, Professeur émérite à Sorbonne-Université, UMR_S1166 INSERM-Sorbonne université, Centre Luxembourg, 103 boulevard Saint-Michel, 75005 PARIS

Grâce aux analyses de séquence de l’ADN tumoral de dizaines de CE par le consortium TCGA et l’analyse des données par des panels d’experts, des progrès considérables ont été faits pour la classification des CE et cela a profité à l’élucidation des formes héréditaires de CE dont la fréquence est en en augmentation en raison de facteurs environnementaux (obésité au premier chef). Ce cancer est en augmentation notamment du fait de l’obésité ; 5e cancer chez la femme

L’analyse histologique et moléculaire des tumeurs de l’endomètre est particulièrement informative pour la reconnaissance des formes héréditaires et constitue un préalable essentiel avant l’analyse génétique constitutionnelle, permettant soit de l’orienter, soit de l’éviter.

Le syndrome de Lynch ou cancer du côlon héréditaire non polyposique (HNPCC).

C’est la première cause génétique de cancer de l’endomètre. Il s’agit d’une prédisposition génétique fréquente puisqu’elle touche une sur 300 personnes. Les gènes responsables du syndrome de Lynch sont les quatre gènes principaux de la réparation des mésappariements de l’ADN (gènes MMR pour DNA Mismatch Repair). Ce sont des pertes de fonction à l’état hétérozygote sur les gènes MSH2 (et EPCAM indirectement), MLH1, MSH6 et PMS2. L’immunothérapie par Pembrolizumab s’est montrée d’une efficacité robuste et durable dans le CE de phénotype MSI-H/dMMR défini en IHC ou en biologie moléculaire. Il est aussi essentiel de faire le diagnostic chez les apparentés des deux sexes afin de dépister les porteurs dans le cadre d’un diagnostic présymptomatique qui est réalisé dès 18 ans chez les personnes concernées afin de mettre en place la surveillance.

Les cancers de l’endomètre au cours du syndrome de Cowden par altération du gène PTEN

Les altérations du gène PTEN entraînant sa perte de fonction à l’état hétérozygote et provoquent la survenue d’hamartomes. Devant un CE endométrioïde de la femme avant 50 ans (c’est le cas pour 40% des CE au cours du Cowden), avec perte de PTEN, des signes cliniques évocateurs (lésions cutanées, macrocéphalie), un test génétique moléculaire doit être demandé qui permettra de mettre en évidence un variant pathogène constitutionnel. La perte de fonction constitutionnelle hétérozygote du gène PTEN peut être associée à d’autres mutations notamment du gène KRAS.

Cancers de l’endomètre par altération du gène PolD1

Les mutations hétérozygotes constitutionnelles du gène codant pour la polymérase 1 (POLD1) sont responsables de polypose digestive (60% des patients ont ≥ 2 polypes et en moyenne 16 dans le colon) et associées à un risque de développer un cancer de l’endomètre (CE) de 51% et d’autres cancers et un risque de polypose gastroduodénale. Le phénotype moléculaire tumoral est ultra-mutateur avec un TMB>100. Chez les porteuses d’une altération de POLD1, les recommandations de surveillance sont similaires à celles du Lynch pour le colon et la surveillance proposée débute à 40 ans pour l’endomètre.

D’autres prédispositions plus rares au cancer de l’endomètre existent : ainsi, un risque accru de cancer séreux de l’endomètre chez les femmes porteuses d’une perte de fonction hétérozygote de BRCA1 a été décrit dans plusieurs études. Les résultats d’études d’association « génome entier » utilisant des variations génétiques communes (de fréquence supérieure à 1%) ont permis d’identifier 16 régions génomiques à risque de CE à partir d’une cohorte de 13 000 cas. Plusieurs locus de susceptibilité détectés par ce type d’étude semblent agir par le biais de l’obésité (BMI) et du diabète alors que des corrélations négatives sont détectées avec l’âge des premières règles qui, lorsqu’elles sont plus tardives, seraient protectrices ainsi que l’âge d’entrée à l’école.

En conclusion, une analyse histologique et moléculaire permet de classer le CE. L’analyse des antécédents personnels autres de la patiente et des antécédents familiaux peut être également d’une aide précieuse.