Publié le 8 décembre 2022

Résumés des séances de l’Académie*

* Par Brigitte Dréno, François Guilhot, Pierre Miossec, Jean-Baptiste Ricco, Dominique Vuitton

 

Séance du 6 décembre 2022

Communications

 

Le syndrome du bébé secoué (SBS), l’enjeu de la fiabilité face à la fabrique de l’ignorance par Catherine ADAMSBAUM (Université Paris Saclay, Faculté de Médecine. AP-HP, CHU Bicêtre, Service de Radiologie Pédiatrique, Le Kremlin-Bicêtre)

La maltraitance envers les enfants a été une pratique tristement courante pendant des siècles.   La maltraitance a longtemps été ignorée, car l’enfant était la « propriété » de la sphère familiale privée (constitution USA). Dès 1860, le légiste français Ambroise Tardieu fera les premières descriptions de cette maltraitance. À partir du début du XXe siècle avec le développement de la radiologie, l’association d’un hématome sous-dural à des fractures des os longs suggère des violences volontaires, et John Caffey puis Frédéric Silverman (1953) décrivent des fractures osseuses sans histoire traumatique chez des enfants par ailleurs strictement normaux.

Dans les années 70 est individualisé le syndrome dit « du bébé secoué » (SBS) pouvant survenir sans signe extérieur de violence. Depuis, les critères diagnostiques ont été affinés grâce à des performances croissantes des nouvelles techniques d’imagerie en coupes (scanner, IRM). Les circonstances de survenue des secouements sont maintenant suffisamment connues pour être stéréotypées. Plusieurs consensus et recommandations existent dans le monde entier au sujet du diagnostic de SBS pour lequel la preuve de l’acte manque souvent. La gravité du SBS est majeure et plus de 10 % des enfants décèdent. Les survivants peuvent présenter des séquelles neurocognitives d’intensité variable (déficience motrice ou cognitive, troubles du comportement ou de l’attention, malvoyance, épilepsie…). La présentation clinique est variable : coma ou crise convulsives, hémorragies rétiniennes, ou épisodes de vomissements, modifications du comportement, lésions antérieures passées inaperçues. À l’examen, des lésions cutanées, buccales ou squelettiques peuvent être présentes. Le scanner puis l’IRM mettent en évidence des lésions typiques : hématomes sous-duraux de localisation particulière (prédominance au sommet) avec arrachements des veines-ponts, éléments très importants. Le diagnostic différentiel principal est le traumatisme accidentel bien différent par sa présentation clinique et radiologique, les hématomes sous-duraux obstétricaux, les troubles de l’hémostase, une méningo-encéphalite, des maladies métaboliques, une ostéogenèse imparfaite.

Mme Catherine ADAMSBAUM décrit aussi un déni actif très largement relayé par les médias, remettant en cause l’existence même du SBS notamment en France en fabriquant de l’ignorance. Cette agnotologie consiste à rendre douteux des faits scientifiquement prouvés en introduisant une confusion dans un objectif d’ordre économique, politique ou social. Afin d’aider les médecins, la Haute Autorité de Santé a publié ses recommandations. Par ailleurs, le signalement judiciaire du SBS est le plus souvent issu d’un collège médical multidisciplinaire compétent.

La désinformation a été menée par une association et une publication suédoise, laquelle a été fortement critiquée par une littérature scientifique robuste. Cette maltraitance ne survient pas dans les crèches et il faut souligner l’existence de cas douteux qui doivent faire l’objet d’une surveillance accrue. La recherche doit aussi se poursuivre pour expliquer la fréquence élevée des cas masculins et les lésions anoxo-ischémiques.

L’auteure conclut sur la nécessité de travailler sur les relations entre la science, la médecine et la société. Et le partage honnête des limites et de l’incertitude de l’expertise médicale doit être vu comme l’élément d’une humilité maîtrisée.

 

La recherche française face aux maladies infectieuses émergentes : de REACTing à l’ANRS Maladies Infectieuses Émergentes par Jean-François DELFRAISSY (Président du CCNE – Ancien Président du Conseil Scientifique Covid-19)

Des maladies infectieuses émergentes (MIE) peuvent être responsables d’épidémies, voire de pandémies bouleversant les sociétés et provoquant des crises nationales et internationales.  De nombreux facteurs sont à l’origine de la propagation de pathogènes émergents ou ré-émergents comme les SARS-Cov, MERS-CoV, Ebola, Zika, grippe, ou encore plus récemment SARS-CoV-2 et Monkeypox.

Ainsi depuis 25 ans s’est succédé une série de crises sanitaires faisant évoluer notre système de soins et de recherche. À l’épisode de la vache folle en 1996 succède le chikungunya en 2005-2006 avec de manière inhabituelle des formes sévères de la maladie, des transmissions maternelles-fœtales et des formes cliniques invalidantes. La grippe pandémique H1N1 en 2009-2010 révèle qu’en France, il n’existait pas de dispositifs institutionnels et financiers permettant d’implémenter et de financer rapidement les recherches nécessaires pour faire face à des situations exceptionnelles. Ainsi a été mis en place, début 2012, un consortium appelé REACTing (REsearch and ACTion targeting emerging infectious diseases), réseau multidisciplinaire rassemblant les groupes de recherche français d’excellence afin de préparer et coordonner la recherche pour faire face à une menace qui n’est pas encore arrivée et qui est donc, par nature, imprévisible.

Malgré des moyens limités (pas de financement ANR malgré deux demandes) et une certaine indifférence du ministère de la recherche…, REACTing a débuté ses premières actions et le soutien de projets lors de l’épidémie de chikungunya aux Antilles et en Guyane françaises et en Amérique du Sud en 2013.

L’épisode Ebola à partir de juin 2014 a mobilisé REACTing avec la mise en place d’essais thérapeutiques, l’étude du vaccin Prevac, une collaboration avec les ONG impliquées et la mise en évidence du virus dans le laboratoire lyonnais P4 Mérieux-Inserm. REACTing s’est aussi mobilisé pour lutter contre la menace du virus Zika en Amérique latine et dans les Caraïbes, et avant les premiers cas aux Antilles françaises :

– Mise en place d’études observationnelles incluant les conséquences de l’infection à virus Zika au cours de la grossesse et chez les nouveau-nés ;

– Constitution de ZIKAlliance, consortium de recherche pluridisciplinaire et multinational, coordonné par l’Inserm avec un soutien de 12 millions d’euros de l’Europe.

Bien que REACTing ait montré l’intérêt d’un tel réseau multidisciplinaire, la pandémie COVID19 en a souligné les limites. Avec cette pandémie, les efforts de REACTing pour assurer une bonne coordination des projets de recherche portés par les différentes institutions françaises, et inciter les équipes à se rapprocher en cas de redondance, se sont heurtés aux limites de son périmètre institutionnel, n’ayant ni les missions ni les outils pour procéder à une régulation des projets et des essais cliniques, que ce soit au niveau réglementaire ou financier. Si la production scientifique française a été de qualité, la recherche française n’a pas permis la production de vaccins ou de traitements spécifiques. Dès lors, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a exprimé la volonté d’intégrer l’ANRS et le consortium de l’Inserm REACTing en une nouvelle agence afin d’optimiser la réponse française aux crises pandémiques : l’ANRS Maladies Infectieuses Émergentes (ANRS MI). L’ANRS MIE agence autonome de l’Inserm a pour missions l’animation, l’évaluation, la coordination et le financement de la recherche sur le VIH/sida, les hépatites virales, les infections sexuellement transmissibles, la tuberculose et les maladies infectieuses émergentes et ré-émergentes (notamment les infections respiratoires émergentes, dont la Covid-19, les fièvres hémorragiques virales, les arboviroses).

Pour conclure, il faut permettre une meilleure fluidité dans la transmission des données issues de Santé Publique France et développer les réseaux de recherche clinique impliquant les généralistes, rapprocher les équipes de recherche fondamentale et les entreprises en biotechnologies et augmenter de manière substantielle la part du PIB dans la recherche biomédicale.

Les cancers des voies aérodigestives supérieures induits par une infection par Papillomavirus Humain : spécificités épidémiologiques, diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques par Cécile BADOUAL (Service d’anatomopathologie, Hôpital européen G Pompidou, Paris, APHP, Université Paris Cité 2- PARCC, Inserm U970, équipe 10, Paris, Université Paris Cité)

Les carcinomes des voies aérodigestives supérieures (VADS) sont en très grande majorité des carcinomes épidermoïdes (CE) : tumeurs malignes épithéliales présentant une différenciation malpighienne plus ou moins marquée, avec plus ou moins de kératinisation.

Les facteurs de risque classiques sont la consommation d’alcool et l’intoxication tabagique.

Le rôle de l’infection par Papillomavirus Humain (HPV) dans la genèse de certains carcinomes épidermoïdes des voies aérodigestives supérieures (CEVADS) est maintenant reconnu et les carcinomes épidermoïdes de l’oropharynx associés à une infection par l’HPV (COP HPV-associés) sont considérés comme une entité à part entière dans la classification OMS des tumeurs de la tête et du cou de 2022. Le papillomavirus humain (HPV) est un petit virus non enveloppé à ADN double brin circulaire d’environ 8.000 paires de bases.  On dénombre plus de 200 génotypes d’HPV, classés en « bas risque » et « haut risque » en fonction de leur pouvoir oncogène. Les « sous-types » ou génotypes d’HPV dits à bas risque sont le plus souvent associés à des lésions bénignes (HPV de types 6 et 11), tandis que les génotypes d’HPV dits à risques intermédiaires ou à haut risque sont à l’origine de lésions précancéreuses ou malignes. À travers le monde, on estime le nombre de personnes infectées par un des sous-types (cutané ou muqueux) d’HPV à 660 millions et l’infection à HPV à tropisme génital est l’infection sexuellement transmise la plus répandue à travers le monde.

Le rôle de l’HPV dans le processus de cancérogenèse du col utérin a été démontré par la mise en évidence au sein de prélèvements biopsiques de cancers du col de l’utérus et de lésions précancéreuses de la présence d’ADN HPV 16 et 18.  L’implication de certains HPV oncogènes dans la genèse des carcinomes épidermoïdes des VADS a été mise en évidence avec chez des patients ayant un CE des VADS une positivité de HPV de 25% toutes localisations confondues, et de 57% pour les CE oropharyngées. Le mécanisme de l’oncogenèse de l’HPV est identifié. Ainsi l’expression des protéines virales E6 et E7 ont un rôle majeur dans la stimulation du cycle cellulaire.

On estime le nombre de cancers associés à l’HPV diagnostiqué chaque année dans le monde à 640.000, ce qui représente 4,5 % de l’ensemble des diagnostics de cancers dans le monde ; 570.000 des cas sont diagnostiqués chez des femmes et 60.000 chez des hommes soit respectivement 8.6% et 0.8% des cancers diagnostiqués annuellement à l’échelle mondiale.

Les cancers HPV-associés représentent au total 29,5% des cancers liés à une infection (virale ou bactérienne). Parmi les cancers HPV-associés, les localisations gynécologiques sont de loin les plus fréquentes, et les carcinomes du col utérin sont liés à une infection chronique par un HPV-HR dans 100% des cas.

L’infection par le HPV est présente dans environ 20 à 60 % des carcinomes épidermoïdes de l’oropharynx (COP), selon la situation géographique des patients (30 à 35% des cas en France). Les COP HPV-associés ont tendance à être plus souvent diagnostiqués chez les non-fumeurs, mais un autre facteur important est l’activité sexuelle et le nombre de partenaires de sexe oral est l’un des principaux facteurs de risque des COP HPV-associés. Le diagnostic repose sur l’immunohistochimie avec l’anticorps anti-p16. Les COP HPV-associés ont un meilleur pronostic, quelle que soit la modalité de traitement avec des taux de survie globale à 3 et 5 ans de 86 % et 80 %, respectivement. Les COP HPV-indépendants sont souvent localisés dans la région tonsillaire, et ont comme principaux facteurs de risque le tabagisme et l’abus chronique d’alcool. Les patients présentant un COP HPV-associés sont globalement plus jeunes avec moins de comorbidité que les patients avec des cancers HPV-indépendants avec un meilleur pronostic en lien avec une chimio et une radiosensibilité accrue.

Reste la question des vaccinations. Certains pays ont décidé de proposer la vaccination prophylactique anti-HPV à tous les adolescents dans le but de prévenir a priori l’apparition de tous les cancers viro-induits. Les vaccins thérapeutiques visent à induire une réponse lymphocytaire T, en particulier cytotoxique. Dans le cas du traitement des cancers viro-induits, la réponse immunitaire désirée est dirigée contre les antigènes d’HPV, comme les oncoproteines E6 et E7. Le développement des vaccins thérapeutiques est un des axes prioritaires de la recherche pour contrôler l’infection à HPV.