Published 6 May 2021

Séance bi-académique

Académie vétérinaire de France – Académie nationale de médecine

« Dynamiques des zoonoses et nouveaux risques sanitaires »

4 Mai 2021

Organisateurs : Jeanne BRUGÈRE-PICOUX et Jean-Luc ANGOT

 

Introduction

Maladies émergentes : médecins et vétérinaires en première ligne pour une seule santé

par Jeanne BRUGERE-PICOUX Académie nationale de médecine et Jean-Luc ANGOT Inspecteur général de santé publique vétérinaire, Chef du corps des inspecteurs de santé publique vétérinaire. Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), 251 rue de Vaugirard, 75015 Paris

 

L’arrivée de la Covid19 en Europe puis dans les Amériques et l’Afrique démontre que la vision des maladies émergentes par Charles Nicolle, médecin microbiologiste, est toujours d’actualité près de 80 années plus tard. Il sut montrer le rôle des vecteurs dans certaines maladies humaines et reçut le prix Nobel de médecine en 1928 pour ses travaux sur le typhus, notamment pour avoir découvert le rôle du pou dans la transmission de l’infection à l’Homme.

La majorité des maladies émergentes ou résurgentes qui ont été observées ces dernières décennies sont des zoonoses ; celles-ci ont parfois été la cause de crises sanitaires sans précédent où les vétérinaires ont quelquefois été plus concernés sur le terrain que les médecins. Ce fut le cas de l’encéphalopathie spongiforme bovine qui avait contaminé la grande majorité du cheptel bovin britannique dans les années 80 avec une transmission d’origine alimentaire à l’Homme. Mais la barrière d’espèce a joué dans une certaine mesure car il y eut 172 cas de variants de la maladie de Creutzfeldt-Jakob lié à l’agent bovin au Royaume-Uni, et 53 dans les autres pays dont 27 en France. Une autre crise sanitaire correspond à l’épizootie de peste aviaire (ou grippe aviaire), due au virus influenza hautement pathogène H5N1, qui n’était pas classée dans les zoonoses avant son apparition en 1997 à Hong Kong.

Lors de ces deux crises importantes, les compétences des vétérinaires ont souvent été sous-estimées pour leur gestion, alors que la profession sait gérer les crises importantes touchant de gros effectifs comme ce fut le cas pour les maladies contagieuses sévères pour l’économie d’un cheptel, qu’il s’agisse de maladies zoonotiques ou non.

Beaucoup d’arboviroses transmises par des vecteurs hématophages sont des zoonoses. C’est le cas de la fièvre du virus du Nil occidental (West Nile) qui a une répartition mondiale mais qui connut une émergence historique en 1999 dans un zoo du Bronx : une surmortalité importante chez des corneilles n’a pas alerté le centre de référence d’Atlanta (Center for Diseases Control and Prevention) considérant ce problème uniquement vétérinaire avant que l’on découvre plus tard une relation avec des cas d’encéphalites chez l’Homme (il s’agit maintenant de la cause principale des encéphalites humaines arbovirales aux États-Unis). Parfois il ne s’agit pas d’une zoonose mais l’exemple de la fièvre catarrhale ovine (FCO) et de la maladie de Schmallenberg ayant touché des ruminants dans des zones qui n’étaient pas considérées à risque en Europe septentrionale il y a moins de deux décennies devrait faire prendre conscience des nouveaux risques de maladies émergentes : c’est à partir de la région de Maastricht, carrefour mondial du commerce des fleurs que ces deux maladies caractérisées par des avortements et des malformations fœtales, ont diffusé. Ces deux exemples remarquables à cinq années d’intervalle n’ont pas amené à traiter préventivement les fleurs exotiques avec un insecticide ; ce type d’accident pourrait donc survenir à nouveau pour menacer d’autres espèces dont l’espèce humaine ! Rappelons que la FCO fut la plus grande épizootie de ces trois dernières décennies et que l’on observe actuellement une recrudescence des arboviroses zoonotiques circulant en Europe (West Nile, virus Usutu, encéphalite à tiques…). On peut d’ailleurs noter l’émergence récente en France de l’encéphalite à tiques, transmise par une morsure de tique ou par l’ingestion d’un produit laitier contaminé ; les symptômes de cette affection débutent par un syndrome grippal estival nécessitant actuellement un diagnostic différentiel avec la Covid-19.

La rage demeure un problème de santé publique important avec environ 60 000 décès humains par an. Il s’agit principalement de la rage canine rencontrée chez les populations démunies chez lesquelles la prévention de la rage canine par la vaccination est essentielle. Celle-ci est favorisée par l’association tripartite de l’OMS, de la FAO et de l’Organisation Internationale Epizooties (OIE) qui envisage l’objectif de l’élimination de la rage humaine transmise par le chien d’ici 2030. La prophylaxie post-exposition reste essentielle et les travaux de Bourhy et al montrent l’intérêt de raccourcir les protocoles trop coûteux de prophylaxie post-exposition. En France, la rage a été éradiquée par la vaccination orale des renards mais un risque exceptionnel demeure avec les chauves-souris européennes. Cette année, le Centre national de référence de la rage (CNRR) a identifié un troisième cas de rage transmis par une chauve-souris chez un chat en Côte-d’Or. D’autres cas exceptionnels de rage ont pu être observés en Europe chez d’autres espèces animales comme le mouton ou la fouine. L’Homme n’a pas été épargné avec quatre cas référencés suite à une morsure de chauve-souris.

Enfin, nos nouvelles habitudes alimentaires nous exposent à de nouveaux risques en particulier avec la mode de la consommation de poissons crus depuis une vingtaine d’années, qu’il s’agisse de poissons de mer ou plus récemment de poissons d’eau douce. Il convient aussi de rester prudent lors de la consommation de produits de la mer comme les huîtres, qui peuvent subir une contamination fécale d’origine humaine.

En conclusion, parmi les maladies émergentes humaines, 75 % sont des zoonoses et parfois la maladie animale peut constituer une alerte de risque pour la santé publique. La médecine vétérinaire, formée à la pathologie comparée et à la connaissance des maladies de nombreuses espèces et de grandes populations, représente un complément indispensable à la médecine humaine. C’est pourquoi il n’existe qu’une seule santé pour les affections humaines et animales.

 

Communications

 

Arboviroses émergentes : virus du Nil occidental, fièvre catarrhale ovine et maladie de Schmallenberg par Stephan ZIENTARA UMR VIROLOGIE, INRAE, Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort (ENVA), ANSES, Université Paris-Est, Laboratoire de santé animale, Maisons-Alfort, 94700, France

 

L’augmentation des échanges internationaux, au cours de ces trente dernières années, les modifications climatiques engendrées par la révolution industrielle, les perturbations des écosystèmes, sont quelques-uns des facteurs susceptibles d’expliquer la dynamique d’émergence de maladies dans les régions du monde où elles n’étaient pas présentes. Ainsi en 1999, le virus West Nile a été introduit sur le continent américain où il s’est disséminé à grande vitesse. Aux Etats-Unis, 2 381 décès et plus de 25 000 formes neuro-invasives ont été enregistrés chez l’Homme de 1999 à 2019.

Dans le domaine des maladies animales, deux virus ont défrayé la chronique en Europe : le virus de la fièvre catarrhale ovine (FCO) et le virus Schmallenberg (SBV). Le virus de la FCO, jusqu’alors absent d’Europe a été introduit en 1999. De nombreux sérotypes (1, 2, 4-,6, 8, 9, 25, 27) ont depuis cette date, été identifiés dans l’Union Européenne. Le virus Schmallenberg, quant à lui, a été identifié en 2011 dans le nord de l’Allemagne et a rapidement diffusé sur tout le continent. Ce virus n’avait jamais été identifié dans le monde jusqu’à alors. Ces trois virus (WNV, FCO et SBV) sont transmis par des arthropodes vecteurs (moustiques et culicoïdes). On peut y ajouter le virus USUTU qui a touché en 2018 de nombreux départements de France métropolitaine et est responsable d’une forte mortalité chez les merles et les chouettes.

Ces émergences illustrent bien les défis auxquels nos pays seront confrontés dans les années à venir, en santé publique, humaine et vétérinaire.

 

 

Nouveaux aspects de la lutte contre la rage par Hervé BOURHY Unité lyssavirus, épidémiologie et neuropathologie, Centre collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé de référence et de recherche sur la rage, Institut Pasteur, 28 rue du Docteur Roux, 75724 Paris Cedex 15, France

 

La rage est encore aujourd’hui responsable d’environ 60 000 décès humains par an, principalement dans les populations démunies en Afrique et en Asie. Pourtant, depuis le développement du premier vaccin par Louis Pasteur, il y a 130 ans, les mesures prophylactiques se sont considérablement améliorées et allégées. Elles sont désormais composées du vaccin associé à des immunoglobulines antirabiques d’origine équine ou humaine purifiées. Mais, d’une manière générale, les protocoles de prophylaxie post-exposition sont longs et coûteux et les immunoglobulines qui servent à la sérothérapie associée sont chères et peu accessibles dans les pays en voie de développement. La rage chez l’Homme reste incurable lorsque les symptômes apparaissent voire même lorsque les patients sont pris en charge trop tardivement pendant la période d’incubation. Dans ces deux cas, des approches ont été développées qui laissent espérer un changement de paradigme au bénéfice des populations exposées. Enfin, les campagnes de vaccination antirabique de masse des chiens qui constituent la mesure de prévention de la rage chez l’Homme la plus efficace et la moins coûteuse se heurtent à des difficultés d’implémentation et présentent parfois une efficacité modérée. À ce titre, l’identification et l’analyse des moteurs épidémiologiques conditionnant la circulation du virus dans les populations canines permettent de mieux comprendre les points clés du contrôle qui doivent être associés à ces campagnes.

 

 

De nouvelles habitudes alimentaires, de nouveaux risques parasitaires : l’exemple du poisson par Jean DUPOUY-CAMET Professeur Emérite, Faculté de Médecine de l’Université de Paris, 15 rue de l’Ecole de Médecine, 75006, Paris, France et Mélanie GAY Chef d’Unité Adjoint, ANSES Boulogne sur Mer, France

Introduction. Il y a une vingtaine d’années l’explosion massive de restaurants « japonais » servant du poisson cru (sushi) a popularisé de nouvelles habitudes culinaires en France. Parallèlement, les consommateurs ont pris pour habitude de préparer eux-mêmes, à domicile, des plats à base de poissons crus ou marinés. En conséquence, la mise en évidence de larves de vers parasites vivants dans la chair de poisson crue est fréquente et une source d’inquiétude pour les professionnels ou les cuisiniers amateurs. Parfois, ces vers sont recrachés ou extirpés après fibroscopie chez des patients ayant présenté de violentes douleurs épigastriques rapidement après consommation de poissons crus.

Objectif Le but de la présente étude est de faire le point sur les principales parasitoses transmises à l’Homme par la consommation de poisson cru en France.

Méthodes Cette étude est basée sur l’expérience personnelle des auteurs, sur des références bibliographiques choisies préférentiellement dans la littérature française et sur les résultats du programme de recherche Fish Parasites (ANR).

Résultats. De 2011 à 2014, l’action Fish-Parasites (ANR) a évalué la prévalence du parasitisme chez des poissons de mer et d’eau douce appartenant à 29 espèces. Environ 57 % des poissons de mer étaient parasités par des Anisakidae. Des larves de Dibothriocephalus latus ont été retrouvées dans les brochets, perches et lottes du lac Léman mais chez aucun des poissons examinés des lacs d’Annecy ou du Bourget. En ce qui concerne l’anisakidose humaine, une enquête rétrospective a été réalisée sur les années 2010 à 2014 auprès de tous les laboratoires hospitalo-universitaires de parasitologie de France. Trente-sept cas d’anisakidose ont pu être répertoriés dont 18 cas d’anisakidose allergique. Six cas supplémentaires d’allergie sévère aux Anisakidae ont été rapportés au Réseau National d’Allergovigilance sur cette même période.

Conclusions. Malgré l’augmentation de la consommation de poissons crus, et par rapport à des études antérieures, les cas d’anisakidose diminuent mais leur potentiel allergisant est en augmentation. L’incidence la dibothriocéphalose, après une certaine tendance à l’émergence sur les bords du lac Léman il y a une vingtaine d’année, est actuellement en diminution mais des cas sporadiques d’importation sont toujours rapportés. Des actions auprès des professionnels (enquête, mise à disposition d’éléments d’information et de communication) et des programmes de recherche sur la maîtrise du risque lié aux parasites sont poursuivis et ont abouti à une mise à jour de l’instruction technique de la Direction Générale de l’Alimentation sur la maîtrise du risque parasitaire chez les poissons.

 

Problèmes de santé publique liés à la consommation de fruits de mer par Coralie LUPO (Ifremer) Vétérinaire épidémiologiste, inspecteur de santé publique vétérinaire, Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), Laboratoire de génétique et pathologie des mollusques marins, Avenue Mus de Loup 17390 La Tremblade

Les produits alimentaires tirés de la mer pourraient être une solution pour faire face à la demande alimentaire mondiale qui sera multipliée par deux d’ici 2050. Les fruits de mer englobent une grande variété d’organismes marins comestibles, à l’exception des poissons et des mammifères. Il s’agit des mollusques, crustacés, échinodermes et algues. Comme tout aliment, les fruits de mer peuvent comporter des dangers transmis à l’Homme par la voie alimentaire, qui ont une incidence sur la santé du consommateur. Ces dangers sont à la fois biologiques (virus, bactéries, parasites) et chimiques (toxines, allergènes, substances chimiques, microplastiques). L’exposition des populations à ces dangers par la consommation de fruits de mer s’explique notamment par leur mode de production et les habitudes de leur consommation. Tout d’abord, la qualité sanitaire des fruits de mer reflète la qualité du milieu aquatique dans lequel ils sont prélevés, qui peut être contaminé par différentes pollutions (fécales ou chimiques, chroniques ou accidentelles). Ensuite, les produits sont manipulés, souvent traités sans emploi d’additifs ou de conservateurs chimiques, et finalement distribués sans autre moyen de conservation que la réfrigération ou la congélation. Enfin, les habitudes alimentaires de ces produits favorisent l’exposition à certains dangers. La sécurité sanitaire de ces produits doit être intégrée tout au long de la chaîne alimentaire, sous la responsabilité partagée par tous les acteurs de la filière de production. La sécurité sanitaire des fruits de mer apparaît comme un enjeu de santé publique émergent de portée mondiale, car la mer ne s’arrête pas aux frontières.