Publié le 29 juin 2021

Les plaquettes sanguines produites in vitro

 

Dans leur éditorial introductif, Christian Gachet et Jean-Pierre Cazenave, membres de l’Académie nationale de médecine, organisateurs de la séance, soulignent les progrès des connaissances en matière d’hématopoïèse et de biotechnologies qui permettent d’envisager de produire in vitro des plaquettes sanguines de compatibilité universelle. Ces nouvelles technologies permettraient d’assurer l’autosuffisance et la sécurité pour le donneur et pour le receveur, d’éliminer des risques résiduels infectieux, des difficultés d’approvisionnement, les impasses transfusionnelles comme les états réfractaires chez les sujets polytransfusés et les polyimmunisés. Les principales questions non résolues concernent le modèle de production industrielle, le coût élevé de la production, les modalités de la  production en systèmes microfluidiques et  ou en bioréacteurs, le choix entre fermes de production ou dispositifs implantables dans les services hospitaliers.

 

Innovations dans la culture de plaquettes à partir de cellules souches pluripotentes induites. Koji Eto, Department of Clinical Application, Center for iPS Cell Research and Application, Kyoto University, Japan.

 

La production in vitro de plaquettes offre une opportunité de résoudre les problèmes liés aux limites d’approvisionnement et à la sécurité des dons de produits de dérivés du sang. Les cellules souches pluripotentes induites (iPSC) sont une source idéale pour la production de cellules à des fins thérapeutiques régénératives. Une lignée mégacaryocytaire a été précédemment immortalisée à partir d’iPSC; celle-ci possède une capacité de prolifération fiable qu’il est possible de cryoconserver. Elle est une source adaptée de cellules primaires pour la production de plaquettes suivant les bonnes pratiques de fabrication. Dans le même temps, la capacité améliorée des bioréacteurs à reproduire certaines conditions physiologiques telles la turbulence allant de pair avec la découverte de molécules favorisant la thrombopoïèse a contribué à l’accomplissement de la production de plaquettes en quantité et qualité suffisantes pour répondre aux besoins cliniques. La production de plaquettes à partir de cellules iPS s’étend aussi aux patients en état de réfraction allo-immune par la production de plaquettes autologues ou dont l’expression des antigènes des leucocytes humains (HLA) et des antigènes plaquettaires humains (HPA) a été génétiquement manipulée. Considérant ces avancées fondamentales, les plaquettes iPSC avec expression des HLA modifiée se présentent comme un potentiel produit de transfusion universel.

 

Les plaquettes de culture : du micro au macro, comment aller vers une production efficace ? Dominique Baruch, société PlatOD, Société HemostOD, Paris Santé Cochin, Inserm U 1140 Paris, CNRS 7338, Université de Technologie de Compiègne.

 

Le mégacaryocyte (MK), cellule mère des plaquettes, subit des remaniements du cytosquelette et libère les plaquettes de façon synchronisée lorsque, dans un dispositif de flux fonctionnalisé avec du facteur Willebrand, il lui est appliqué des forces de cisaillement comparables à celles qui initient l’adhésion des plaquettes à la surface vasculaire. Ce principe est robuste ; il fonctionne avec différentes sources de MK humains provenant du sang du cordon, du sang adulte mobilisé, de cellules souches embryonnaires ou d’une lignée immortalisée de MK (imMK) produite à partir de cellules souches pluripotentes induites (iPS). En parallèle, comprendre la biogenèse plaquettaire suppose des hypothèses situées en amont de l’action du cytosquelette. Un consortium d’équipes académiques a établi un nouveau mécanisme régulateur en lien avec les variations des espèces réactives de l’oxygène. Les résultats suggèrent que l’augmentation des taux d’oxygène dans le micro-environnement des MK matures de la moelle osseuse déclenche une boucle d’auto-activation permettant d’initier la biogenèse des plaquettes à partir de ces MK. La production de plaquettes à l’échelle macro représente un défi majeur à relever dans les années à venir. La compréhension fine des mécanismes de la biogenèse des plaquettes à l’échelle micro permettra d’atteindre plus facilement le changement d’échelle de production.

 

Plaquettes sanguines de culture : état de l’art, vers une introduction chez l’homme. Catherine Strassel, Université de Strasbourg, Inserm BPPS UMR-S 949, Strasbourg.

 

Les plaquettes sanguines sont des éléments anucléés du sang et sont les plus petits éléments figurés du sang. Leur rôle principal est d’arrêter ou prévenir les saignements mais elles sont également impliquées dans d’autres fonctions comme l’immunité, l’inflammation ou la progression tumorale. L’essor des biotechnologies et les connaissances acquises sur les mécanismes qui régulent la biogenèse des plaquettes permettent aujourd’hui d’envisager la production de plaquettes de culture disponibles à la demande et immunologiquement compatibles La production de plaquettes repose sur trois piliers : la cellule source, une méthode de culture (14 jours), un dispositif de libération des plaquettes permettant leur séparation des mégacaryocytes (MK). Dès lors, ce type de produit pourrait avoir sa place pour relever un certain nombre de défis transfusionnels comme l’allo-immunisation ou les états réfractaires; cependant, les rendements de culture restent faibles et de nombreux obstacles doivent encore être franchis avant d’envisager une application en transfusion. Les principaux arguments qui motivent la production de plaquettes de culture à visée transfusionnelle sont la menace de pénurie, le risque de contamination, le risque immunologique. Les voies d’amélioration sont d’atteindre une efficacité suffisante d’amplification des progéniteurs mégacaryocytaires (CD34+ CD9- CD41+ préalablement rendus universels), d’obtenir un niveau de maturation des MK  proche de celui rencontré dans la moelle osseuse, de libérer plus efficacement les plaquettes à partir de MK matures, de démontrer les propriétés et qualités hémostatiques des plaquettes après transfusion, de baisser les coûts (montée en échelle, développement des bioréacteurs, simplification des milieux) et d’atteindre une production à l’échelle industrielle. Ainsi, il est raisonnable d’envisager à l’avenir que les plaquettes de culture puissent complètement remplacer le don de sang volontaire, bénévole et anonyme.

Du laboratoire à l’usage clinique : le défi de la production de plaquettes in vitro. Cédric Ghevaert, Department of Haematology, University of Cambridge, UK.

 

Les transfusions de plaquettes, aujourd’hui totalement dépendantes des dons des bénévoles, constituent un besoin vital permanent pour tous les patients thrombocytopéniques suite à un traumatisme, une chirurgie ou des suites d’une pathologie comme le cancer. La production de plaquettes in vitro représente une avancée et une solution technologique et scientifique majeure qui permettrait de pallier des problématiques logistiques d’approvisionnement et de stockage, des problématiques médicales de compatibilité et de biosécurité. L’émergence et la concrétisation de cette innovation vont de pair avec une maîtrise totale et harmonisée entre les laboratoires du contrôle de la qualité des plaquettes produites in vitro, la puissance du produit à savoir les méthodes de comptage des plaquettes dans le produit final, la mesure de leur fonctionnalité, la mesure de leur intégrité génomique et la définition des anomalies génomiques acceptables pour une application clinique.

En conclusion, Jean-Pierre Cazenave souligne que la production de plaquettes sanguines in vitro est le fruit des progrès réalisés dans la connaissance de l’hématopoïèse et dans les biotechnologies grâce aux ingénieurs en hémodynamique des fluides, concernant le contrôle qualité, les bioréacteurs, les conditions de stockage industriel. Il persiste cependant des fragilités : la production industrielle, les donneurs de sang et l’indépendance sanitaire nationale, la disponibilité pour les cliniciens prendra des dizaines d’années.