Published 28 June 2022

RESUMES DE LA SEANCE DU 28 JUIN 2022

L’ARN pour la vaccination et les médicaments : évolution ou révolution ?

Organisateurs : Patrick Netter, Patrick Couvreur, Arnold Migus

 

Résumés des séances de l’Académie*

* Par Catherine Barthélémy, Pierre Brissot, Martin Danis, Vincent Delmas, Francis Michot

 

L’ARN et ses modifications chez les eucaryotes par Eric Westhof, Institut de biologie moléculaire et cellulaire du CNRS, Université de Strasbourg.

Tout comme l’acide désoxyribonucléique (ADN), l’acide ribonucléique (ARN) est un polymère le long duquel s’enchaîne une suite d’unités synthétisées à partir de l’une des quatre bases fondamentales : adénine (A), guanine (G), cytosine (C) et uracile (U) ; elles ont deux propriétés fondamentales : une forte préférence pour une forme tautomère unique et une stabilité moléculaire dans une gamme de pH autour de 7. Sur le plan biochimique, l’ADN peut être considéré comme de l’ARN modifié par le retrait d’un atome d’oxygène du sucre et méthylation de l’uracile pour donner de la thymine (T). Les molécules d’ARN peuvent porter de nombreuses modifications chimiques lors de leurs diverses fonctions cellulaires qui vont de simples méthylations sur l’hydroxyle libre du ribose ou sur un atome de la base à des modifications complexes nécessitant un grand nombre de réactions enzymatiques. Ces modifications chimiques ne se trouvent pas uniquement sur les molécules d’ARN impliquées dans la traduction d’ARN messager en protéines : ARN de transfert (ARNt) et ARN ribosomiques (ARNr) ; les récents développements dans les méthodes de séquençage ont révélé que l’ARN messager est lui-même régulièrement chimiquement modifié dans ses régions codantes : plus de mille éditions A>I identifiées, pseudouridine, adénine méthylée en position 6 (méthyladénosine ou m6A) et ses régions non-codantes notamment en 5’ et 3’. Les analyses chimique et fonctionnelle des modifications de l’ARN constituent l’épitranscriptome. Les fonctions biologiques sont multiples même si la reconnaissance soi/non-soi en constitue une partie importante.

 

Délivrance de l’ARN à l’aide de nanoparticules lipidiques par Patrick Couvreur, Université Paris-Saclay, CNRS, Institut Galien Paris-Saclay, 92296, Châtenay-Malabry, France.

Les acides ribonucléiques utilisés pour la vaccination (ARNm) ou pour le développement de nouveaux médicaments (ARNm, ARN interférents, microARN) sont des biomolécules particulièrement fragiles, sensibles aux exo- et endonucléases ; leur poids moléculaire élevé et leur caractère polyanionique sont autant de freins à leur pénétration intracellulaire: améliorer la stabilité de l’ARN et permettre un bon rendement de sa traduction en protéine sont des éléments indispensables à l’efficacité vaccinale. C’est la raison pour laquelle les vaccins et médicaments à base d’ARN ont mis longtemps à se développer avant d’aboutir à une réalité clinique. Celle-ci est devenue aujourd’hui possible grâce au développement de nanoparticules lipidiques équipées de lipides ionisables (amines tertiaires ou quaternaires avec un pKa entre 6,2 et 6,5, un pH acide). L’encapsulation dans des nanovecteurs a, en effet, constitué une étape décisive pour l’efficacité de l’ARN, en promouvant son export du compartiment endosomal vers le cytoplasme cellulaire. Le mécanisme de l’échappement endosomal permet à l’ARN messager d’avoir un accès direct aux ribosomes au niveau desquels il se traduit en protéine. La production de la protection vaccinale est également facilitée par l’expression de fragments peptidiques à la surface des cellules immunocompétentes. D’autres lipides appelés lipides helpers sont utilisés pour permettre à l’ADN de quitter les endosomes.

L’utilisation de l’ARNm ouvre des perspectives séduisantes dans le domaine du médicament à condition que la protéine soit produite en quantité suffisante et sur le long terme et sachant que son expression peut être transitoire et/ou immunogène : production d’antigènes de tumeur dans l’immunothérapie du cancer, traitement du mélanome malin, de certaines maladies pulmonaires congénitales, d’anémies sévères. Des ARN non-codants, petits ARN interférents (siRNA) ou micro-ARN (miRNA) peuvent inhiber l’expression d’une protéine pathologique et empêcher l’expression d’oncogènes à l’origine de certaines tumeurs ; le  Patisiran, premier médicament ARN approuvé pour le traitement de l’amyloïdose à transthyrétine, permet une amélioration significative chez environ 60 % des patients traités. Si les nanoformulations de l’ARN ouvrent des perspectives intéressantes en matière de médicaments, de nombreuses difficultés restent à résoudre : maintien de l’efficacité de l’expression d’une protéine par voie intraveineuse, absence d’immunogénicité, développement de nanovecteurs fonctionnalisés spécifiques, nanovecteurs capables d’exporter un plus grand nombre de molécules d’ARN vers le cytoplasme cellulaire.

 

Les traitements par ARN interférents et par oligonucléotides antisens actuellement disponibles en France : une mise au point par Gilles Bouvenot, Professeur Emérite à la Faculté de médecine de Marseille, membre de l’Académie nationale de médecine.

L’arrivée des vaccins anti Covid-19 à ARN en 2020 ne doit pas occulter le fait que sont disponibles depuis plusieurs années des traitements à base d’ARN interférents (ARNi) (ARN dont interférence avec un ARN spécifique conduit à sa dégradation et à sa traduction en protéine) ou d’oligonucléotides antisens dans un certain nombre de maladies rares de pronostic très sombre. Trois médicaments à base d’ARNi sont actuellement disponibles en France: le Patisiran (Onpattro) dans le traitement de l’amylose à transthyrétine, le Givosiran (Givlaari) dans le traitement de  la porphyrie hépatique aiguë et le Lumasiran (Oxlumo) dans le traitement de l’hyperoxalurie primitive type 1. L’Inclisiran (Leqvio), dans le traitement de l’hyperchylomicronémie familiale, a obtenu une AMM européenne en 2020 et n’est pas encore évalué par la HAS. Trois oligonuclétides antisens sont actuellement disponibles : le Nusinersen (Spinraza) dans le traitement de l’amyotrophie spinale 5q, l’Inotersen (Tegsedi)  dans le traitement de la polyneuropathie de stade 1 ou 2, et le Volanesorsen (Waylivra) dans l’hyperchylomicronémie familiale et à risque de pancréatite aiguë. Il convient enfin de signaler le cas singulier d’Eteplirsen dans la dystrophie musculaire de Duchenne dont l’AMM a été refusée en Europe en 2018 en raison de son inefficacité mais qui dispose d’une AMM aux États-Unis depuis 2016. Il en est de même du Mipomersen dans l’hypercholestérolémie, refusé par l’Europe en raison de ses effets indésirables graves.

Si leurs performances, à l’inverse de celles des vaccins, ne sont pour l’instant qualifiées que de progrès thérapeutiques modérés et de performances modestes dans les stratégies opposées à ces maladies, il convient  de considérer que leur évaluation initiale a été pénalisée par un certain nombre de facteurs défavorables : essais de petits effectifs, modalités thérapeutiques (doses utilisées non optimales, rythme d’administration, durée du traitement continu ou à vie), coûts élevés, manque de recul et surtout choix du moment de l’instauration du traitement dans le cours de la maladie qui doit être très précoce ;  ce choix n’est pas anodin car il est malaisé de penser que les produits utilisés puissent être efficaces après l’installation de lésions constituées irréversibles; un dépistage génétique est une piste à saisir dans l’intérêt des patients. Dans un contexte concurrentiel des innovations thérapeutiques, les traitements par ARN interférents et oligonucléotides antisens devront compter avec les thérapies géniques et l’édition du génome par la technique CRISPR-Cas 9.

 

Propriété industrielle et recherche fondamentale dans la genèse du vaccin ARNm contre la Covid-19 par Arnold Migus, membre de l’Académie nationale de médecine.

L’extrême rapidité de la conception et de l’approbation provisoire des vaccins à ARNm contre la Covid-19 (publication du code génétique du virus en Chine le  11 janvier 2020 et finalisation du vaccin Moderna le 16 novembre 2020, autorisation du vaccin Pfizer au Royaume-Uni le 2 décembre 2020) ainsi que la rapidité de leur production de masse un an après le début de la pandémie ont surpris et contredit tous les spécialistes et les grandes entreprises pharmaceutiques qui s’attendaient à des années de développement. Sans la vaccination, il y aurait eu soixante-six millions de cas supplémentaires de Covid et près de neuf cents milliards de dollars de coûts de soins de santé associés. Malgré leur efficacité supérieure aux autres vaccins, les vaccins à ARNm n’ont représenté que 27 % de la production mondiale, les pays à revenus élevés auraient reçu 72 % des doses d’ARNm et les pays à faible revenu 16 %. Leur efficacité devrait rendre les vaccins ARNm indispensables mais leur diffusion reste faible en dehors des pays développés. Diverses raisons sont invoquées pour expliquer leur faible diffusion en dehors des pays développés : difficultés logistiques, méfiance des populations, impossibilité d’une production locale sans lever les brevets. Considérant que ces brevets peuvent être remis en cause parce qu’ils ne répondraient pas aux critères nécessaires d’inventivité, il est utile de revenir sur l’histoire de l’avènement des plateformes mRNA:

-Trois périodes successives peuvent être individualisées : 1985-2000, des preuves de concept prometteuses mais des culs-de-sac industriels, notamment en France (Transgène) ; dans les années 2000, la réussite initiale d’entreprises canadiennes dans la vectorisation par nanoparticules lipidiques ionisables (Arbutus Biopharma, Acuitas) ; dans la première décennie du XXIe siècle, la création de jeunes entreprises (CureVac, BioNTech, Moderna) à l’origine du succès des vaccins à ARNm.

-Les points-clés des brevets conduisant aux vaccins à ARNm : la stratégie qui avait pour objectifs de minimiser l’immunogénicité des ARNm, d’accélérer et maximiser la production d’antigènes ; une découverte et un brevet à la base des vaccins à ARNm actuels de Pfizer-Bio NTech et de Moderna ; les travaux antérieurs sur le VRS qui ont conduit à la mutation 2P-2P dans les vaccins à ARNm contre la COVID-19.

-Un paysage complexe de la propriété intellectuelle à base de brevets, licences, accords croisés répartis entre universités, organismes publics de recherche et entreprises biotechnologies. C’est dans ce contexte que l’OMS a décidé, en avril 2021, de lancer un programme de transfert de technologie à destination des pays à bas et moyens revenus, choisissant l’Afrique du Sud comme lieu d’implantation. Les principaux facteurs limitants sont, non les barrières juridiques, mais l’acceptation de la campagne vaccinale par les populations locales et la lutte contre toutes les formes de désinformation.

Le fait que quelques entreprises de biotechnologie qui avaient investi à perte pendant des années dans une technologie aussi risquée que celle des ARNm aient un retour jugé par certains élevé voir indécent doit être perçu comme une incitation au soutien à des projets scientifiques et technologiques innovants dits à risque. Sur ce sujet, où la France a encore beaucoup de progrès à faire, la démarche de l’Afrique du Sud est vertueuse car il s’agit d’un projet d’acquisition de connaissances avec, à terme, des objectifs d’innovation et d’indépendance dans la technologie des ARNm.