Publié le 28 février 2023

Résumés des séances de l’Académie*

* Par Brigitte Dréno, François Guilhot, Pierre Miossec, Jean-Baptiste Ricco, Dominique Vuitton

Séance du 28 février 2023

 Communications

 

Syndrome d’Apnées du Sommeil 1999-2022 : des essais randomisés aux études de cohorte par Patrick LÉVY (Univ. Grenoble Alpes, laboratoire HP2, Inserm U1300, CHU Grenoble Alpes, Grenoble, France.

Les Troubles Respiratoires Nocturnes sous leurs différentes formes représentent un problème majeur de santé publique, par leur fréquence et les conséquences associées notamment l’altération de la vigilance, les troubles cognitifs et les conséquences cardiovasculaires et métaboliques associées. Le syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) est la pathologie la plus fréquente (environ 5% de la population générale), augmentant avec l’âge et de prévalence identique chez l’homme et la femme après la ménopause. D’autres pathologies sont importantes à prendre en compte notamment au cours de l’insuffisance cardiaque (respiration périodique et apnées centrales (respiration de Cheyne-Stokes) ou chez l’obèse (hypoventilation au cours du sommeil.

Le traitement du SAOS (il n’existe pas de traitement médicamenteux) a un impact sur la pression artérielle (PA).  S’agissant de l’effet du traitement des apnées sur la pression artérielle, il a été démontré une baisse d’environ 2 mm Hg des pressions systoliques, et diastoliques, avec des réductions plus marquées chez les patients observant de la pression positive continue (PPC). La comparaison avec les traitements usuels de l’HTA montre la nécessité de combiner des traitements pharmacologiques en plus de la suppression des apnées par la PPC, même s’il existe un rôle synergique pour le contrôle nocturne de la PA. Le SAOS est considéré aujourd’hui comme une cause d’HTA secondaire, un facteur de risque « modifiable » et une cause d’HTA résistante. La diminution de PA sous traitement (2 mm Hg sous PPC, environ 1,2 mm Hg sous orthèse d’avancée mandibulaire, est cependant modeste. L’impact du traitement du SAOS sur la morbi-mortalité cardiovasculaire a fait l’objet d’étude de cohorte et de plusieurs essais randomisés testant l’intérêt de la PPC. Dans une vaste étude, la PPC avait significativement réduit le ronflement et la somnolence diurne excessive et amélioré la qualité de vie. Cependant, l’impact sur la morbi-mortalité cardiovasculaire, en prévention primaire ou secondaire, était resté limité. Concernant les complications métaboliques du SAOS, l’impact du traitement par PPC sur le contrôle glycémique est inconstant et n’apparaît pas comme démontré. Seule une association perte de poids – PPC est susceptible d’améliorer l’insulinorésistance.

La Somnolence Diurne Excessive (SDE) au cours du SAOS est un symptôme majeur de consultation et un motif essentiel de traitement. Plusieurs études ont montré la réduction de la SDE par l’utilisation de la PPC. Les apnées et l’insuffisance cardiaque (IC) sont deux maladies chroniques très fréquentes. Et il a été montré que les apnées centrales contribuent à l’aggravation de l’IC du fait d’une activation sympathique plus importante que celle liée à la seule IC. Lorsque l’IC est amélioré ou supprimé, par exemple par la transplantation cardiaque, les apnées centrales sont réduites, par conséquent le premier traitement des apnées au cours de l’IC consiste à optimiser la prise en charge cardiaque. Enfin, l’obésité est un facteur favorisant des troubles respiratoires au cours du sommeil, en en facilitant la survenue et l’aggravation. Les apnées sont aussi un élément reconnu de dysmétabolisme glucidique, associé à l’intolérance au glucose, la résistance à l’insuline et une plus grande prévalence du Syndrome Métabolique à l’index de masse corporelle comparable. Une forme particulière est représentée par le Syndrome d’Obésité Hypoventilation Alvéolaire (SOH), défini comme l’association d’une obésité (IMC ≥30 kg/m2), une hypercapnie diurne (PaCO2 ≥45 mm Hg) et des troubles respiratoires nocturnes, après avoir éliminé les autres causes d’hypercapnie, sa prévalence est de l’ordre de 0.4% de la population adulte. Le SOH est typiquement découvert lors d’un épisode d’exacerbation aiguë d’une insuffisance respiratoire chronique (IRC) ou en situation d’hypercapnie chronique stable. Le diagnostic nécessite à minima des gaz du sang et une analyse de la respiration au cours du sommeil. Compte tenu de la morbidité importante associée au SOH, son traitement est impératif et repose sur la PPC et la ventilation non invasive.

Potentiel impact thérapeutique de la substitution en cours de traitement d’un princeps par un générique : limites de la bioéquivalence moyenne pour les médicaments à marge thérapeutique étroite par Philippe LECHAT (Pr Émérite Université de Paris-Cité. Service de pharmacologie et toxicologie, Hôpital Européen Georges Pompidou, APHP. Service Évaluations pharmaceutiques et bon usage de l’Agence des équipements et des produits de santé (AGEPS), APHP

La mise sur le marché des médicaments génériques depuis de nombreuses années est basée sur la démonstration d’une bioéquivalence moyenne d’exposition sanguine de la substance active entre médicament de référence (princeps) et générique.

Cependant plusieurs épisodes de déséquilibres thérapeutiques ont été rapportés chez certains patients avec des médicaments comme les antiépileptiques à la suite du remplacement (substitution par le pharmacien) au cours d’un traitement chronique du médicament de référence par un de leurs génériques. Ces observations viennent poser la question de l’applicabilité de la méthode de bioéquivalence basée sur la comparaison des moyennes d’exposition à l’interchangeabilité individuelle princeps/générique en cours de traitement. Les études de bioéquivalence requises pour la mise sur le marché d’un générique en Europe et donc en France sont basées  sur la comparaison entre médicament princeps et son générique correspondant des cinétiques d’évolution au cours du temps des concentrations plasmatiques (dites « expositions ») de la même substance active contenue dans les deux médicaments. Le principe pharmacologique de base qui sous-tend cette démarche est que l’effet pharmacologique (et donc thérapeutique) d’une substance active est étroitement corrélé avec la cinétique de son exposition plasmatique. On considère ainsi d’une manière générale qu’une différence à l’échelon individuel de l’exposition plasmatique de la substance active du générique par rapport à celle du princeps, si elle est inférieure à ±20% n’aura pas d’impact thérapeutique. Pour établir la bioéquivalence, ce principe a été appliqué aux différences entre moyennes inter-individuelles d’exposition entre princeps et génériques.

Certains médicaments contiennent des substances actives qui présentent une large variabilité intra-individuelle au cours du temps de leur biodisponibilité et donc de leur exposition plasmatique (pour une même posologie) lors des administrations répétées chez un même patient. Il s’agit en particulier des substances peu hydrosolubles, peu lipophiles, qui ont une faible biodisponibilité, qui subissent un métabolisme intestinal et hépatique de premier passage important. Pour ces médicaments, leur marge thérapeutique est généralement suffisamment grande pour permettre sans impact thérapeutique, l’interchangeabilité princeps / générique basée sur une bioéquivalence « moyenne ».

Certains médicaments ont une marge thérapeutique étroite. Il n’existe pas de liste internationalement reconnue de ces médicaments ni de critères unanimement acceptés pour les définir. Il s’agit des médicaments pour lesquels les effets indésirables surviennent à des doses proches des doses thérapeutiques, pour lesquels la relation dose-effet est généralement abrupte et pour lesquels un monitoring des concentrations plasmatiques est nécessaire pour l’adaptation thérapeutique des posologies. Il s’agit la plupart du temps de traitements chroniques (immunosuppresseurs, antivitamines K, L-thyroxine) au cours desquels l’éventualité du remplacement du princeps par un de ses génériques peut venir s’envisager et pour lesquels se pose la question de l’interchangeabilité pour un patient donné. C’est dans cette catégorie de médicaments que des modifications d’efficacité et/ou de balance-bénéfice/risque ont été rapportées suite au remplacement du princeps par un générique chez un patient donné. Le resserrement des bornes d’acceptation de la bioéquivalence à 10% pour les médicaments à marge thérapeutique étroite apporte a priori en moyenne dans la plupart des cas une réponse « cliniquement » satisfaisante, car les variations d’effet thérapeutique inférieures à 10% ont rarement un impact thérapeutique important. Mais il s’agit là encore de critères apportés sur les moyennes et non à l’échelon individuel. Pour une proportion relativement importante de patients, la différence d’exposition entre princeps et générique lors de leur remplacement respectif sera plus importante que 10% puisque la variabilité inter-individuelle de cette différence intra-individuelle est mathématiquement plus importante que celle de leur moyenne comme indiqué en introduction. En pratique, l’ANSM et la CNAM ont proposé en France de déconseiller, autant que faire se peut, le remplacement (interchangeabilité) en cours de traitement des médicaments à marge thérapeutique étroite. Une disposition réglementaire liée à une modification du Code de la santé publique apportée par la LFSS 2020 (arrêtés du 12 novembre 2019 et du 30 janvier 2020) a ainsi défini une liste de médicaments à marge thérapeutique étroite pour lesquels la substitution ne doit pas être opérée.

Les glomérulopathies auto-immunes : concepts de base, nouvelles entités, implications cliniques et évolution vers la médecine personnalisée.  RAYMOND ARDAILLOU et PATRICE DEBRE au nom de la Commission 1 de l’Académie nationale de médecine.

Cette présentation consiste en une revue sur la place des glomérulopathies (GP) auto-immunes parmi les néphropathies, pour en décrire les mécanismes, les symptômes et les traitements. Le diabète et l’hypertension artérielle restent les causes les plus fréquentes de GP. Puis ont été reconnues des causes génétiques et immunologiques. Ce sont ces causes qui font l’objet de cette mise au point.

On décrit 2 mécanismes de base pour expliquer la survenue des GP immunes, la réponse innée et la réponse adaptative. Au cours de la réponse innée, il y a stimulation des récepteurs « Toll-like » ubiquitaires et membranaires qui reconnaissent des molécules étrangères comme les acides nucléiques bactériens et viraux et les lipopolysaccharides activant les voies menant à la libération de médiateurs inflammatoires. Il se produit ensuite une activation de la voie du complément, dont certains composants vont déclencher une réaction inflammatoire glomérulaire. La réponse adaptative consiste en la formation de complexes antigène-anticorps et leur apparition dans le glomérule selon 3 modes différents, d’abord le piégeage passif des immunocomplexes circulants, ensuite la formation locale d’immunocomplexes à partir d’antigènes exogènes et d’autres à partir d’antigènes endogènes préexistants. La physiopathologie des GP auto-immunes a souligné le rôle important des podocytes situés sur le versant urinaire de la membrane basale glomérulaire. Cette revue se propose de décrire les caractéristiques et les options thérapeutiques des GP auto-immunes : la glomérulopathie à croissant auto-immune rapidement progressive, le syndrome néphrotique idiopathique de l’enfant et de l’adulte, la néphropathie à IgA (Maladie de Berger), les glomérulonéphrites extramembraneuses (GEM), les glomérulopathies par auto-anticorps anti-membrane basale glomérulaire et le lupus érythémateux.

Les glomérulopathies immunes à croissant sont graves, souvent liées à des vascularites par anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires et nécessitant le recours aux thérapeutiques de suppléance, hémodialyse et transplantation rénale. Sur le plan histopathologique, les cellules pariétales glomérulaires sont impliquées dans la formation de croissants et la sclérose glomérulaire. Des modèles animaux montrent l’implication de la tétraspanine CD9, le ciblage du gène Cd9 dans les cellules pariétales prévenant les lésions glomérulaires. L’intervention de Stat 3 (Signal transducer and activator of transcription 3) qui régule la synthèse de plusieurs micro-ARNs comme miR92a pourrait être une voie thérapeutique.

Les glomérulopathies extramembraneuses sont des maladies auto-immunes rares où le glomérule est ciblé par des auto-anticorps circulants dirigés contre des antigènes des podocytes. Il existe des immuns complexes formés d’IgG4 et de C3, avec activation du complément. Ces GP est sont la cause la plus commune des syndromes néphrotiques de l’adulte pouvant se compliquer de thrombose des veines rénales et d’embolie pulmonaire. Leur évolution est progressive vers une insuffisance rénale chronique terminale. Cependant certains cas évoluent vers la guérison spontanée. D’autres reçoivent des traitements anticoagulants et des immunosuppresseurs ; le recours au rituximab a permis d’obtenir des rémissions cliniques et immunologiques.

La néphropathie à IgA ou Maladie de Berger est caractérisée par des dépôts mésangiaux d’IgA1 combinés sous forme de complexes immuns à des IgG et à la fraction C3 du complément. La maladie de Berger est la plus fréquente des néphropathies glomérulaires primitives. Sa fréquence est très élevée en Asie, s’atténue en Europe où elle en représente 10 à 30% et devient très faible en Afrique. Elle est prédominante chez l’homme et a une évolution variable, souvent relativement bénigne, mais parfois conduisant, après 15-20 ans, à une insuffisance rénale chronique chez près de 40% des patients. Du fait de l’implication de l’IgA, des résultats positifs intéressants ont été obtenus avec un glucocorticoïde de synthèse à libération intestinale, la budesonide doté d’un effet anti-inflammatoire local puissant.

Le syndrome néphrotique idiopathique à rechutes de l’enfant se manifeste par une protéinurie massive (> 3g/24h) et une hypoalbuminémie (<30g/l) sans lésions glomérulaires visibles en microscopie optique et sans dépôts de complexes immuns en immunofluorescence. L’examen en microscopie électronique montre une fusion des pieds des podocytes. On distingue 2 formes de la maladie : le syndrome néphrotique à lésions glomérulaires minimes (SNLGM), le plus fréquent représentant 85% des néphropathies glomérulaires de l’enfant et la hyalinose segmentaire et focale. La grande majorité des enfants est sensible à la corticothérapie, mais les rechutes sont nombreuses nécessitant parfois le passage au traitement par les immunosuppresseurs. Le recourt à la transplantation ne préserve pas des récidives dans les formes avec hyalinose.

Les glomérulopathies avec anticorps anti-membrane basale glomérulaire ou  « syndrome de Goodpasture » atteint le rein et les poumons. C’est une maladie de l’adulte, gravissime puisqu’elle conduit au décès de 85% des sujets atteints lorsqu’elle n’est pas traitée. Il existe un syndrome inflammatoire glomérulaire avec dépôts d’IgG le long des MB glomérulaire et alvéolaire. De nombreux auto-anticorps ont été décrits. Le traitement par les corticoïdes, les échanges plasmatiques et la cyclophosphamide est souvent efficace.

La néphrite lupique est une pathologie auto immune comportant une mortalité élevée et affectant surtout les femmes. Des auto-anticorps contre des antigènes nucléaires et cytosoliques sont produits avec formation d’immuns complexes dans la circulation qui s’accumulent dans les glomérules. Les signes cliniques de la maladie sont ceux communs à toutes les néphropathies, protéinurie, hématurie, élévation de la créatininémie. Le diagnostic repose sur la biopsie rénale et la détection des anticorps anti-ADN. Il convient de rechercher aussi les anticorps anti-phospholipides indicateurs d’un type particulier de néphropathie. Le traitement débute par l’administration intraveineuse de méthylprednisolone associée à une dose modérée et décroissante de glucocorticoïdes per os et au mycophénolate mofétil ou au cyclophosphamide. Ultérieurement on peut avoir recours au rituximab et dans certains cas plus sévères à la dialyse et la transplantation rénale.