Résumés des séances de l’Académie*
* Par Brigitte Dréno, François Guilhot, Pierre Miossec, Jean-Baptiste Ricco, Dominique Vuitton
Séance dédiée :
« L’anatomie au XXIe siècle »
Organisateurs : Vincent DELMAS et André CHAYS
Mardi 27 septembre 2022
Enseignement de l’anatomie aujourd’hui et demain par Patrick BAQUÉ (Anatomie et chirurgie digestive, CHU de Nice)
L’enseignement de l’anatomie peut utiliser des outils très modernes, en particulier numériques, de mise au point récente : anatomie 3D, casques virtuels, table de dissection numérique, etc. Pour autant, la modernité de ces outils ne permet pas de s’affranchir des processus d’apprentissage classiques. Ils doivent constituer le socle théorique pour la modernisation de l’enseignement de cette discipline dont la maîtrise correcte reste la base d’un exercice médical de qualité. L’apprentissage de l’anatomie est caractérisé par la mise en jeu, souvent concomitante, de ces 3 domaines de mémorisation. Les outils et les méthodes pédagogiques nécessaires dans ces 3 domaines sont différents, mais doivent être utilisés conjointement. 1) L’apprentissage cognitif. Celui-ci nécessite la mise en jeu de la mémoire dite « déclarative ». Cette mémoire correspond, en résumé, « aux souvenirs ». Les outils d’apprentissage pour la mémoire déclarative sont en général les cours magistraux, les ouvrages traditionnels (livres, polycopiés, ou tout support numérique structuré) que l’étudiant doit assimiler. 2) L’apprentissage procédural. La mémorisation des procédures utilise des circuits neuronaux différents de ceux utilisés pour la mémoire déclarative. Il s’agit des « habitudes », ou « habiletés », qui sont différentes des « souvenirs ». 3) L’apprentissage affectif : que ce soit au laboratoire d’anatomie (dissection d’un sujet anatomique) ou dans un service de chirurgie (abord chirurgical et intervention), ou lors de l’examen clinique d’un patient « réel », le contexte émotionnel est souvent très fort pour le jeune étudiant. Il faut veiller à ce que, pour chaque séance d’enseignement, les 3 formes d’apprentissage soient présentes. L’enseignement moderne de l’Anatomie ne doit pas se résumer à un transfert d’information, par exemple avec uniquement des présentations PowerPoint.
Une méthode nouvelle a été mise au point au sein du Collège Médical Français des Professeurs d’Anatomie : La méthode TDNE (Tableau noir, Dissection, Numérique, Evaluation). Les cours magistraux sont remplacés par des « conférences d’anatomie » pour garder l’attractivité et la participation active pour tous les étudiants. Un des buts est de maintenir l’émotion de l’anatomie. Cette méthode demande un nombre plus important d’enseignants, implique moins de cours, mais plus d’interactions. Pour mieux intégrer la translation aux disciplines cliniques, cet enseignement est étalé sur plusieurs années. Le contrôle se fait avec des QCM utilisant largement l’imagerie médicale. Il reste à diffuser cette méthode à d’autres centres et à la comparer à d’autres options, à court et surtout long terme.
L’IA au service de l’enseignement de l’anatomie : Anatopass une app mobile intelligente par Olivier PALOMBI Anatomie et neurochirurgie CHU de Grenoble, université des Alpes
L’enseignement de l’Anatomie doit se repenser avec une participation plus active des étudiants. Dans l’idéal, l’enseignement doit être mobile, facile, ludique, personnalisable. L’utilisation du numérique au service de la formation est en pleine effervescence. L’usage massif des smartphones, la dématérialisation des contenus, le traitement personnalisé des traces d’apprentissages, la puissance des algorithmes et le développement de l’intelligence artificielle (IA), ouvrent des perspectives nouvelles. L’IA au service de l’enseignement de l’Anatomie apporte un progrès dans l’ingénierie des connaissances, les modèles 3D, le suivi et l’analyse des traces d’apprentissage. L’enseignement de l’Anatomie qui concerne la transmission de connaissances complexes en 3D est donc un domaine idéal à la mise en place d’une solution innovante basé sur un moteur d’IA au service de la formation. Ainsi a été développé l’Anatopass, qui se présente sous la forme d’une app mobile. L’apprenant réalise de courtes sessions pédagogiques de 7 minutes. Ces sessions sont interactives, associées à des questions générées et corrigées automatiquement par le système. Les traces s’apprentissage sont enregistrées afin d’adapter la nature des questions et leur niveau de difficulté au niveau de l’apprenant. A ce stade de son développement, l’Anatopass est un premier prototype opérationnel qui ne couvre que l’ostéologie humaine. À titre d’exemple, il comporte 733 objectifs avec 3 niveaux de difficulté, donnant au total 106916 questions générées par le système. Cette application innovante disruptive a besoin pour se développer d’une appropriation massive par les étudiants et les enseignants d’autres établissements. Il reste à effectuer un travail important pour couvrir toute l’anatomie humaine, ajouter les fonctions des structures anatomiques et faire le lien avec les maladies et leurs traitements. Dans tous les cas, l’IA a aujourd’hui un niveau qui permet d’envisager concrètement les nouvelles modalités pour enseigner l’anatomie.
La neuroanatomie au XXIe siècle par Francis BRUNELLE (Neuroradiologue, membre de l’ANM)
L’analyse de l’anatomie du cerveau du vivant des patients n’a utilisé jusqu’à l’avènement du scanner et de l’IRM que des méthodes indirectes de visualisation comme l’artériographie. La révolution est venue de l’IRM, qui est une technique non irradiante basée sur les propriétés physicochimiques des molécules d’eau. Les progrès de cette technique ont été fulgurants. Non seulement l’analyse fine des structures anatomiques a été rendue possible, mais l’étude des connexions interrégionales, de la perfusion cérébrale ont été accessibles en routine, et en plus in vivo. Grâce à elle, la neuroanatomie est sortie du champ purement descriptif, elle a ouvert la voie à la compréhension fonctionnelle du cerveau, in vivo. La barrière entre anatomie et physiologie est tombée, car l’IRM est tout autant une imagerie anatomique que fonctionnelle. La nature intrinsèquement volumique et numérique des images a permis une visualisation 3D immédiate, un transfert des images en temps réel du radiologue au chirurgien permettant le guidage des gestes opératoires grâce à des robots neurochirurgicaux couplés aux images IRM. Le traitement des données a permis des études fonctionnelles, des dissections virtuelles, très utiles pour planifier les interventions complexes. La capacité de l’IRM d’atteindre une résolution spatiale inframillimétrique in vivo grâce à la montée en puissance du champ magnétique a donné à la neuroanatomie le statut d’outil clinique de premier ordre. Les barrières entre les outils fonctionnels et anatomiques sont tombées. Le croisement entre de multiples disciplines a ouvert de nouvelles voies de recherche en psychiatrie, en génétique, en pathologie vasculaire, métabolique … La possibilité de construire des bases de données en fonction de l’âge a permis d’établir des corrélations par tranche d’âge, allant de la croissance du cerveau in utero aux changements inverses associés au vieillissement. La neuroanatomie est ainsi devenue une science du vivant.
Anatomie virtuelle et augmentée pour la chirurgie par Luc SOLER (Visible Patient Strasbourg et service de chirurgie digestive et endocrinienne, CHU de Strasbourg)
Le post-traitement par ordinateur des images médicales permet d’obtenir une modélisation 3D (voire 4D) précise des structures anatomiques normales et pathologiques contenues dans ces images. Utilisées de façon croissante sous la forme d’impression 3D, ces modélisations anatomiques permettent aujourd’hui le développement par exemple de prothèses articulaires sur mesure, de simulateurs adaptés à chaque patient. Avec le développement des technologies de la réalité virtuelle et de la réalité mixte ou augmentée, ces modélisations peuvent aller encore plus loin dans l’assistance à la compréhension des variations anatomiques présentes chez un patient donné. Ceci est critique pour l’entraînement avant et l’assistance pendant le geste opératoire. Ces outils, moins onéreux qu’une impression 3D, permettent une avancée majeure dans l’apprentissage de l’anatomo-pathologie à visée chirurgicale. À ce bénéfice pédagogique s’ajoute un intérêt clinique démontré aboutissant surtout à une meilleure prise en charge des patients grâce à la connaissance des variations anatomiques en fait très fréquentes, présentes dès la naissance ou induite par le vieillissement ou la maladie, et que l’équipe chirurgicale rencontrera durant l’intervention. Parmi les outils en plein développement, on peut citer l’utilisation des casques de réalité mixte et l’application à la chirurgie des Métavers représentant l’ensemble des mondes virtuels connectés à internet, lesquels sont perçus en réalité augmentée. Il existe déjà des exemples concrets de ces anatomies virtuelles et augmentées avec des applications en chirurgie thoracique, avec leur extension à d’autres domaines chirurgicaux, chez l’adulte et l’enfant.