Publié le 27 avril 2021

SEANCE DU MARDI 27 AVRIL 2021

 

Conférence de Gérard de Pouvourville

Professeur émérite – ESSEC – chaire d’Economie

Quel est le rôle des études médico-économiques

 dans la fixation des prix des médicaments innovants ?

 

 

Le prix d’un médicament doit contribuer à la rentabilité globale de l’entreprise, il n’est pas indépendant de la rentabilité globale du portefeuille produit et il n’est pas fondé uniquement sur la valeur ajoutée du produit. Cette rentabilité attendue doit permettre de couvrir les dépenses passées de R&D qui n’ont pas abouti, de continuer à soutenir les efforts de R&D, y compris les acquisitions, d’investir dans du capital physique et humain (unités de production, laboratoires de recherche). Il faut aussi verser des dividendes aux actionnaires, accumuler des réserves ou racheter ses propres actions, payer les salariés et/ou investir dans le développement d’activités nouvelles autour du médicament  (affaires réglementaires, marketing, market access). Le maintien d’une valorisation boursière forte est un objectif important des entreprises car elles sont moins vulnérables face à une OPA hostile et dans une position favorable en cas de rapprochement; les dirigeants sont d’ailleurs incités directement à atteindre des objectifs de valorisation par les stock-options.

Le prix tient compte de la taille du marché potentiel au niveau de chaque grande région du monde (USA, Europe Canada, Asie). Pour un produit nouveau, il se fixe en référence aux produits existants dans la même indication; il est ajusté à la disposition attendue de chaque marché, expliquant la différence des prix affichés aux USA et en Europe par exemple.

Le développement de produits issus de biotechnologie a développé l’offre d’innovation avec deux tendances principales :

– la découverte de mécanismes innovants et leur développement initial viennent plus souvent de spin-offs que d’unités de recherche académique,

– le déplacement vers des aires de relative impasse thérapeutique comme les cancers avancés, les maladies auto-immunes, les maladies rares.

Les prix finaux des médicaments résultent d’un double impact : pour la « big pharma » qui rachète, l’amortissement du prix d’acquisition ou de partenariat avec les start-ups, et pour les start-ups qui veulent rester indépendantes, la dépendance forte à l’égard d’un seul produit au départ lié à une capacité plus faible de trouver des financements permettant de financer leur développement. Ainsi, les prix demandés reflètent  autant la stratégie financière de l’entreprise que la valeur intrinsèque des produits sachant qu’il serait souhaitable de parler de valeur pour le payeur plutôt que de valeur intrinsèque; le juste prix est celui qui permet d’aboutir à un accord sur le partage de la rente d’innovation. En France, la théorie de la valeur est l’AMSR (amélioration médicale du service rendu); la théorie du prix qui en résulte est la suivante:

– en cas d’ASMR innovants (1,2 ou 3), le prix de l’entreprise est accepté avec une protection pour cinq ans, le bailleur garantissant pendant cette période la prime à l’innovation demandée par l’industriel

– pour les ASMR 4, le prix est négocié par rapport au prix des comparateurs. Ainsi, pour les ASMR 1, 2, 3, le payeur français n’a pas de référence alors que, pour les ASMR 4 et 5, la référence est historique: le prix payé pour des produits dans la même indication.

Plusieurs idées pourraient être consensuelles : payer plus pour une ASMR 1 que pour une ASMR 2; raisonner sur une base historique avec référence aux choix passés ; utiliser le potentiel des études d’efficience réalisées par la CEESP (commission d’évaluation économique et de santé publique) depuis 2013 pour constituer une base de référence de ratios coût-efficacité par ASMR ; choisir comme référence une valeur médiane des ratios coût-efficacité par ASMR.

Des problèmes méthodologiques restent à résoudre : les médicaments orphelins (prix fixé par les laboratoires en fonction de la prévalence et de l’incidence de la maladie) ; l’incertitude autour des ratios coût-efficacité (travail méthodologique à faire sur l’utilisation systématique de ratios coût-efficacité à horizon borné) ; les multi-indications (problème récurrent d’un prix par indication).

Des problèmes conventionnels restent à résoudre : simuler le modèle pour évaluer son impact et savoir s’il peut rencontrer l’assentiment de l’industrie ; situation spécifique des thérapies géniques curatives.

 

 

Séance dédiée : « Devenir de l’enfant et neuro-développement »

Organisateur : Paul Vert

 

Dans son introduction, Paul Vert, Professeur émérite de pédiatrie, membre de l’Académie nationale de médecine, souligne que la vie est conditionnée par le  neurodéveloppement. La proportion de handicaps sévères est estimée aux environs de neuf pour mille enfants de 0 à 18 ans, soit un nombre approximatif de 130 000 ; à la rentrée scolaire de 2018, 408 000 enfants étaient en situation de handicap. Quelques grandes lois conditionnant le développement neurocognitif méritent d’être rappelées : 1- tout neurone non sollicité disparaît par apoptose soulignant  l’importance déterminante des stimulations liées à l’adéquation et à la richesse de l’environnement de l’enfant; 2- le développement neurocognitif ne suit pas une progression linéaire mais obéit à un concept de calendrier avec des fenêtres temporelles de vulnérabilité; 3- ces phases de développement sont limitées dans le temps et soumises à des seuils d’irréversibilité. Les aléas, qu’ils soient métaboliques, toxiques ou psychologiques, sont le plus souvent multifactoriels et accessibles à la prévention.

 

 

Le développement du système nerveux : de la neurogenèse à la structuration des réseaux neuronaux. Pierre Gressens, Hôpital Robert Debré, Inserm-Université de Paris, NeuroDiderot, UMR 1141.

 

Le développement cérébral résulte de la réalisation de programmes génétiques successifs aux différentes étapes ontogénétiques : la production de neurones (le nombre total de neurones générés dans un cerveau humain mature est estimé entre trois et cent milliards) ; leur migration des zones prolifératives vers le futur cortex ; la mort programmée d’une proportion significative de neurones entre 28 et 41 semaines de grossesse concernant 15 à 50% des neurones initialement produits ; la production des axones et des dendrites ; l’élimination des neurites excédentaires ; la synaptogenèse se déroulant en cinq vagues successives de surproduction et de stabilisation sélective des synapses éliminant les synapses redondantes ou  inutiles, élimination où la microglie joue un rôle central ; la production des astrocytes dont le pic de production est aux environs des 26-28 semaines de la grossesse ; la production des oligodendrocytes en quatre types de cellules en fonction de leur degré de maturation ; la myélinisation couvrant une longue période et se terminant longtemps après la naissance ; l’angiogenèse. Ces différentes étapes sont contrôlées par des facteurs intrinsèques génétiquement déterminés et modulés par des facteurs extrinsèques environnementaux pouvant mettre en jeu des mécanismes épigénétiques en particulier dans la plasticité neuronale et l’apprentissage de la mémoire.

 

Autisme : comprendre et agir tôt pour prévenir. Relancer la dynamique développementale du système bio-psycho-social. Catherine Barthélémy, Pédopsychiatrie, Université de Tours, membre de l’Académie  nationale de médecine.

 

Grâce aux progrès considérables de la médecine du très jeune enfant, de la psychologie et de la neurophysiologie, les talents du bébé qui va bien sont mieux connus: dès la naissance, cette petite personne dispose d’un répertoire sensoriel, psychomoteur et socio-émotionnel très riche. Bébé observe, imite l’autre et s’ajuste pour communiquer et grandir. Ainsi, dans un système bio-psycho-social « faste », le jeune enfant expérimente et co-construit avec joie ses « savoirs et savoirs faire » avec ses partenaires. Il en est tout autrement pour l’enfant atteint d’autisme, forme la plus globale et précoce des troubles du neuro-développement. 7500 bébés naissent chaque année atteints d’autisme. La pensée commune voulait que l’enfant autiste préférait rester dans son monde, dans sa « forteresse » ou, bien pire, que sa mère ne s’en occupait pas bien. Les résultats des recherches en neurosciences cliniques et biologiques ont permis de confirmer l’origine anténatale de cette « dyspraxie sociale » liée à des anomalies de l’orchestration des réseaux de neurones intracérébraux dédiés : sillon temporal supérieur intégrateur multimodal, systèmes de perception du mouvement d’autrui, dialectique des hémisphères cérébraux.  Des pistes sont en cours d’exploration pour l’identification de marqueurs biologiques et d’imagerie dès la naissance. À ce jour, le diagnostic est seulement clinique (défaut de contact œil-œil à 4 mois, anomalies des performances du membre supérieur pour attraper un objet ; absence d’attitude anticipatrice ; désynchronisation altérant les conversations avant 18 mois)  et souvent posé tardivement après 3 ans. Il est maintenant démontré que des thérapies psycho-physiologiques précoces, ludiques et ciblées permettent de redynamiser le développement des réseaux intracérébraux. Ces pratiques, maintenant recommandées au plan international, améliorent les fonctionnements adaptatifs et préviennent l’exclusion sociale grâce à un accompagnement personnalisé tout au long de la vie.

 

 

Développement socio-émotionnel de l’enfant et conséquences des contextes d’adversité. Mario Speranza, service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, centre hospitalier de Versailles-Saint Quentin, Inserm U669.

 

Dès sa naissance, le nourrisson est en interaction avec son environnement, véritable système de communication en mouvement où le nourrisson et son partenaire pourvoyeur de soins répondent au message de l’autre ; cette boucle interactive, définie par le terme de biofeedback social, se déroule en quelques secondes et se répète des centaines de fois par jour. Elle est la base de l’apprentissage de l’interaction sociale et du développement de la « mentalisation ». Le nourrisson exprime son état et ses éprouvés internes par une expression comportementale intentionnelle d’une modification de son état de base ; cette capacité à interpréter le comportement de l’enfant sous l’angle de l’état mental est le « mirroring » parental. C’est à travers l’expérience d’être mentalisé que le nourrisson apprend à mentaliser et à développer un sentiment de soi. Trois caractéristiques principales du mirroring parental ont été identifiées : la contingence (la réponse du parent est temporellement associée à la réaction émotionnelle du nourrisson), la congruence (la réponse du parent se superpose au registre émotionnel exprimé par l’enfant) et le marquage (le parent répond de manière contingente et congruente à l’émotion du nourrisson mais l’exagère afin de signifier qu’il exprime l’émotion que le nourrisson lui communique). Ces trois caractéristiques du mirroring parental permettent  au nourrisson de réguler ses états émotionnels et de construire les premières représentations de ses états internes. L’attachement du nourrisson et d’un pourvoyeur de soins, le plus souvent la mère biologique, est la traduction d’un besoin humain de sécurité et de survie. Ce sentiment de sécurité permet à l’enfant de s’intéresser au monde autour de lui, de stabiliser son développement émotionnel entre dépendance et autonomie. La relation d’attachement joue un rôle important pour informer le nourrisson des principes du fonctionnement social. L’attachement jouerait, enfin, un rôle essentiel pour générer la confiance épistémique c’est-à-dire la capacité d’attribuer à une source d’information une valeur pertinente pour soi et généralisable au monde. Les expériences d’adversité, en lien avec des expériences relationnelles traumatiques (maltraitance, négligence), influencent négativement le développement socio-émotionnel de l’enfant, fragilisant le développement de la mentalisation et de la confiance épistémique.

 

 

Facteurs psychosomatiques intervenant dans le développement de l’enfant. Jean-Michel Hascoët, université de Lorraine, CHRU Nancy, membre correspondant de l’Académie nationale de médecine.

 

Le développement psychosomatique et neurologique de l’enfant suit une trajectoire non linéaire dont l’orientation initiale, définie par l’établissement du lien mère-enfant et parents-enfant dès la naissance, est suivie par de nombreux virages liés à l’environnement, bénéfiques (virages positifs ou résilients) ou néfastes (virages négatifs ou fragilisants). Dès la naissance, la qualité de la relation parent enfant influence son développement psychosomatique ; des travaux en neurobiologie suggèrent l’existence d’une relation étroite entre l’adaptation à la maternalité et les systèmes de réponse au stress : ocytocine, hormone de l’attachement et corticostéroïdes, hormones du stress. Une dualité des corticostéroïdes au plan de l’attachement a été suggérée, les taux de stéroïdes semblent s’élever lors d’un contact affectif positif sauf s’ils sont préalablement déjà élevés du fait d’un stress antérieur ; cette dualité serait un facteur majeur d’adaptation à la parentalité et de difficultés d’attachement en cas de stress. Chez l’enfant, la trajectoire développementale qui suit la naissance comporte des étapes de vulnérabilité permettant à l’enfant d’exprimer ses potentialités. Des interventions  socio-éducatives précoces (éducation des familles à la parentalité, visites et soutien à domicile, facilitation de l’accès aux soins) permettent de créer les conditions favorables pour que les enfants puissent exprimer leur potentiel, évitant ainsi une accumulation de retards qui impactent leur devenir, et les conduisent à l’échec scolaire et sociétal du fait d’une trajectoire neurodéveloppementale perturbée.