Publié le 27 janvier 2023

Résumés des séances de l’Académie*

* Par Brigitte Dréno, François Guilhot, Pierre Miossec, Jean-Baptiste Ricco, Dominique Vuitton

Séance dédiée : « La leucémie à promyélocytes :

une aventure franco-chinoise (Shanghai – Paris),

un modèle pour le traitement ciblé des cancers »

 Organisation : Jacques CAEN (membre de l’Académie nationale de médecine)

Découverte de l’action de l’acide tout-trans rétinoïque dans le traitement par Jian-Qing MI (Ruijin Hospital, Shanghai, China), au nom de Zhen Yi WANG (Membre de l’Académie d’Ingénierie de Chine et Associé étranger de l’Académie des Sciences de France)

Le traitement de la leucémie à promyélocytes (LAP) est basé sur le concept général de la possibilité de faire évoluer une cellule maligne en levant le blocage de différentiation. C’est ce concept qui a émergé à partir des années 1980. L’acide rétinoïque d’abord dans sa forme 13-cis puis tout-trans s’est avéré être un agent différentiant prometteur avec la démonstration de son activité dans plusieurs études in vitro, aussi bien avec la lignée cellulaire promyélocytaire HL-60 qu’avec des cellules fraîchement isolées de patients atteints de la LAP. La LAP, un sous-type de leucémies aiguës myéloblastiques, avait le pronostic le plus sévère, souvent fatal en quelques jours du fait de la gravité des manifestations hémorragiques cataclysmiques d’une constante coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) échappant à tout traitement ; la chimiothérapie seule peut même intensifier l’hémorragie.

Le premier cas d’une fillette de 5 ans, toujours bien portante, traitée en 1985, avec succès par l’acide rétinoïque ouvre la voie d’une nouvelle ère de recherche clinique. Les premières séries de patients utilisent l’acide rétinoïque (ATRA) d’abord seul puis jusqu’en 1993 plusieurs essais testent l’ATRA en association avec la chimiothérapie (la cytosine arabinoside) avec des taux de rémission variables de respectivement de 81,3% et de 75% avec ou sans chimiothérapie. Bien que les taux de rémission observés étaient élevés, avec 90% de patients en vie à 1 an, la survie sur le plus long terme restait médiocre, de l’ordre de 30% à 3 ans.

Une nouvelle étape est franchie par l’introduction du trioxyde d’arsenic (ATO) dans l’arsenal thérapeutique, les 2 produits ayant une action synergique. À partir des années 2013, et sous l’impulsion du groupe de recherche clinique italien, plusieurs essais montrent la supériorité de l’association ATO-ATRA sur celle de la chimiothérapie-ATRA. Le taux de survie globale  à 2 ans pour le groupe traité par l’ATRA et l’ATO était de 99%, et celui du groupe traité par l’ATRA et la chimiothérapie de 91% (p=0,02) ; le taux de rechute étant plus élevé avec l’association de ATRA-chimiothérapie.

Plusieurs travaux ont ensuite montré que tous les cas de LAP n’étaient pas identiques et que les réponses étaient variables selon certaines caractéristiques initiales de la maladie. Les patients atteints de LAP ont été subdivisés en trois groupes de risque élevé, intermédiaire et faible. Une importante étude chinoise a inclus 855 patients traités en induction par ATRA-ATO avec ou sans chimiothérapie selon les scores de risque suivi d’un traitement de consolidation puis d’entretien. La rémission complète a été de 95,08% et la survie à 7 ans de 88,9%, 93,5% et 97,4% selon les scores de risque. Cette étude a permis de mieux définir la place respective des traitements différenciants ATRA-ATO et de la chimiothérapie, à chaque étape du traitement.

 

Compréhension moléculaire des hémorragies : le PML-RARA, la liaison avec le promoteur du facteur tissulaire par Saijuan CHEN, Shanghai Institute of Hematology, Rui-Jin Hospital, Chine.

Dans la leucémie aiguë promyélocytaire (LAP), caractérisée par la protéine de fusion de la leucémie promyélocytaire et du récepteur de l’acide rétinoïque (PML-RARA), l’hémorragie est la complication la plus grave et la plus difficile à résoudre, étant la principale cause de décès précoce et d’échec du traitement lors de la phase dite d’induction du traitement de la LAP. Malgré les succès thérapeutiques de l’association acide tout-trans rétinoïque (ATRA) et trioxyde d’arsenic (ATO) les décès hémorragiques sont encore observés globalement dans 4% des cas. Dans une autre étude rétrospective portant sur 1009 patients atteints d’une LAP nouvellement diagnostiquée, l’incidence des décès hémorragiques était de 3,7%, les hémorragies fatales comprenaient principalement des hémorragies intracrâniennes (80%), pulmonaires (13%) et gastro-intestinales (7%).

Les anomalies plaquettaires, la coagulopathie, l’hyperfibrinolyse et la coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) sont impliquées dans la diathèse hémorragique de la LAP, dans laquelle l’expression aberrante du facteur tissulaire (FT) médiée par la PML-RARA joue un rôle essentiel.

Il existe, associé à la thrombopénie parfois profonde et liée pour partie à l’infiltrat leucémique médullaire, un dysfonctionnement plaquettaire qualitatif. Ainsi l’agrégation plaquettaire est perturbée par la podoplanine (PDPN), impliquée dans l’agrégation plaquettaire, qui est exprimée de façon aberrante dans les promyélocytes LAP et dont l’expression diminue avec l’ATRA. Il y a une augmentation de la production de thrombine principalement due à l’augmentation de deux procoagulants, à savoir le FT et le procoagulant du cancer (CP).   La libération de FT par les cellules LAP est considérée comme la cause essentielle de la coagulopathie. De plus l’activité procoagulante excessive des LAP est liée à la génération du facteur X activé (FXa) par le biais du FT exposé ainsi que par une protéase à cystéine, appelée cancer procoagulant. La thrombose est une autre complication liée à l’augmentation de la réaction procoagulante avec la fibrinolyse et la fibrinogénolyse liés une expression accrue de l’annexine II sur la population de blastes. Le rôle du FT, glycoprotéine membranaire de 47 kDa qui initie la cascade de la coagulation sanguine, a été particulièrement étudié. Ainsi la formation du complexe FT-FVIIa est accélérée par les cytokines et la production de FT est augmentée par la chimiothérapie par l’intermédiaire de la production des espèces réactives de l’oxygène. D’autre part PML-RARA régule l’activation transcriptionnelle du FT avec une spécificité liée à la maladie et fait important l’augmentation de l’expression du FT ne se produit qu’en présence de PML-RARA, et non avec la PML ou le RARA sauvages. On considère que l’ATO réduit la synthèse du FT en dégradant la protéine PML-RARA d’où l’efficacité thérapeutique et l’ATRA qui induit la différenciation des cellules leucémiques, pour inhiber la transcription du FT.

Compréhension de l’action synergique de l’acide tout-trans rétinoïque et de l’arsenic par Zhu CHEN, Hématologie et biologie moléculaire.

Dans la majorité des cas (93-95 %), la leucémie à promyélocytes (LAP) résulte de la survenue d’une translocation de novo au niveau des cellules médullaires, la translocation t(15 ;17)(q22;q21) entraînant une fusion des gènes RARA (récepteur de l’acide rétinoïque alpha situé en 17q21.1) et PML (ProMyelocitic Leukemia; situé en15q24.1). Le produit de cette translocation est l’oncoproteine chimère PML/RARA.

Le traitement par l’utilisation simultanée de l’acide tout trans rétinoïque (ATRA) et le trioxyde d’arsenic (ATO) est remarquablement efficace, mais ce sont des travaux de biologie cellulaire et moléculaire qui ont tenté d’élucider les mécanismes d’action de ces produits après la démonstration de leur efficacité clinique.

Il a été montré que l’ATRA est capable de lever la répression de l’expression transcriptionnelle des gènes cibles du PML-RARA et d’induire une différenciation terminale des cellules de la LAP, tandis que l’arsenic tend à exercer un effet sur les réseaux protéiques dérégulés par PML-RARA et déclencher une différenciation cellulaire partielle ou la mort cellulaire programmée selon les doses utilisées. PML-RARA affecte aussi l’hématopoïèse par la suppression de gènes essentiels à cette fonction; il existe aussi des interactions avec les sous-unités de l’immunoprotéasome impliqué dans l’élimination des cellules malignes par les lymphocytes T cytotoxiques.

Les travaux de l’équipe de Zhu CHEN ont élucidé les mécanismes par lesquels l’oncoproteine PML-RARA dirigeait l’oncogenèse par l’intermédiaire de fonctions répressives et activatrices

Le knock-down de PML-RARA diminue la liaison de l’oncoproteine sur la chromatine et il a été montré une fonction similaire à l’ATO qui peut rapidement et spécifiquement dégrader PML-RARA. À partir des données comparées de séquençage d’ARN de patients atteints de leucémies aiguës (myéloïdes et promyélocytaires) il a été montré que les cibles activées par PML-RARα étaient principalement corrélées aux gènes exprimés dans les promyélocytes et les progéniteurs des granulocytes/monocytes. Utilisant d’autres essais de knock-down d’un gène essentiel dans la régulation de l’hématopoïèse (GFI1), il a été montré que la fonction d’activation de PML-RARA était déterminante dans la leucémogenèse de la LAP. De plus, PML-RARA transactive l’expression génique en régulant des enhancers et en remodelant la conformation de la chromatine. Des travaux complémentaires ont montré que PML-RARA transactive l’expression de gènes cibles en rassemblant des sous-enhancers pour former des super-enhancers.

D’autres travaux ont montré que l’ATO a remarquablement réprimé la majorité de gènes régulés par des super-enhancers, tandis que l’ATRA en a réprimé une partie, mais en a aussi activé une autre partie. Ces travaux ont été complétés par des analyses fonctionnelles. Ainsi de manière intéressante il a été montré que la principale fonction moléculaire était associée à la régulation transcriptionnelle et que les fonctions biologiques étaient regroupées en deux groupes principaux : la réponse immunitaire et la différenciation hématopoïétique, et la régulation de la mort cellulaire et de l’apoptose. Fait majeur, l’ATO a exclusivement régulé à la baisse les gènes associés à la régulation négative de l’apoptose, soutenant la notion que PML-RARA a été rapidement dégradé par l’ATO. Le groupe de Zhu CHEN a démontré que les gènes essentiels à la réponse immunitaire et à la différenciation hématopoïétique, tels que SPI1, PRKCD et RBM, étaient activés après le traitement par l’ATRA, mais que l’ATO n’avait pas d’impact sur ces gènes, impliquant que la différenciation induite par l’ATRA pourrait également être attribuée à sa régulation des super-enhancers.

Ces travaux, impliquant les super-enhancers, suggèrent un potentiel thérapeutique de l’association ATRA-ATO dans l’inhibition de la croissance des cellules cancéreuses et donc la possibilité de tester cette association dans d’autres maladies tumorales.

Extensions à d’autres formes de leucémies myéloblastiques. Action mitochondriale par Hugues de THÉ, Collège de France, Oncologie cellulaire et moléculaire.

La leucémie aiguë à promyélocytes se caractérise par un blocage de différentiation au stade de promyélocyte. C’est l’action différenciante des rétinoïdes qui a suscité les premiers essais cliniques de traitement des LAP démontrant une extraordinaire efficacité de l’acide tout trans rétinoïque (ATRA), associé à un phénomène de différenciation in vivo. Puis c’est la découverte de l’efficacité de l’arsenic sur les LAP qui allait permettre sa guérison sans chimiothérapie et révéler le rôle majeur de PML et de la sénescence dans la réponse à long terme.

Le mécanisme par lequel l’ATRA ciblait la protéine de fusion PML/RARA a été progressivement élucidé. PML/RARA a été considéré comme un super-répresseur, transformé en activateur de la transcription par la présence d’ATRA à des doses pharmacologiques. La réactivation de la transcription induirait alors une différenciation terminale et irréversible des blastes leucémiques, prélude à leur disparition. Cependant avec ce traitement la rechute est la règle suggérant que ce traitement seul est insuffisant sauf lorsque l’ATRA est donné à de fortes doses. Donc l’ATRA induit la différenciation terminale des cellules leucémiques, mais pas l’élimination de celles-ci. De fait la différenciation induite par la réactivation transcriptionnelle n’est pas suffisante pour une réponse thérapeutique durable. Il a été ensuite observé que l’arsenic induit une différenciation in vivo, morphologiquement identique à celle induite par les rétinoïdes. Plusieurs travaux ont mis en évidence que les deux agents induisaient la dégradation de la protéine de fusion PML/RARA. L’arsenic cible PML et le dégrade par une nouvelle vois de protéolyse, cependant que la fixation de l’acide rétinoïque sur la partie RARA de la fusion induit le recrutement direct du protéasome et la dégradation de PML/RARA ; et l’arsenic cible spécifiquement PML et contribue à la biogenèse des corps nucléaires. Des travaux ont aussi montré l’implication de P53 dans la régulation de l’action de PML sur la sénescence et l’apoptose. La dégradation de PML/RARA en réponse à l’administration d’ATRA ou d’arsenic conduit à la libération de la protéine PML et à la reformation des corps nucléaires PML. En l’absence de l’allèle normal de PML, les réponses anti-leucémiques (mais pas la différenciation) sont abolies ou sévèrement amputées dans les modèles murins. De même, les formes variantes de LAP humaines (comme PLZF-RARA) sont complètement résistantes à l’arsenic (car les gènes de fusion n’impliquent pas PML) et aussi résistantes à l’ATRA. Ainsi, PML est un acteur essentiel de la réponse anti-leucémique à long terme.

Par ailleurs le ciblage de la protéine PML normale par l’arsenic contribue aussi à la réponse thérapeutique. Effectivement, les preuves formelles de l’importance du ciblage de la protéine PML normale dans la LAP sont venues de l’analyse de patients résistants aux traitements chez lesquels des mutations du site de liaison de l’arsenic ont été trouvées sur PML.

Ainsi, le double ciblage de PML/RARA (pour la dégradation) et de PML (pour la formation des corps nucléaires) explique l’extraordinaire efficacité de l’arsenic -qui guérit 70% des LAP en monothérapie.

Récemment, plusieurs travaux ont exploré la possibilité que PML et RARA, jouent aussi des rôles importants dans la physiopathologie et/ou la réponse thérapeutique de leucémies aiguës myéloïdes LAM et le rôle des rétinoïdes est en cours d’exploration. D’autres travaux ont porté sur les syndromes myéloprolifératifs. On sait que la transcription de PML est fortement induite par les interférons. Ainsi l’ajout d’arsenic à un traitement par interféron dans des modèles murins de maladie de Vaquez augmente considérablement l’effet thérapeutique, en favorisant l’élimination des cellules souches leucémiques.

Plan cancer européen : La leucémie à promyélocytes inspiratrice du traitement personnalisé des cancers par Christine CHOMIENNE, Université Paris Cité – Unité Inserm 1131, Hôpital Saint Louis, Paris.

Christine Chomienne souligne l‘importance pour la recherche en cancérologie, de pouvoir disposer de solides relations scientifiques et d’avoir en un seul lieu une concentration importante de chercheurs et de cliniciens aptes aux transferts des connaissances. La recherche sur la leucémie à promyélocytes (LAP) a pu bénéficier d’une double situation : une concentration humaine dans 2 lieux travaillant sur la même thématique, l’hôpital Saint-Louis et celui de Shanghai et des relations fortes entre ces 2 écosystèmes. De plus les chercheurs de ces 2 institutions, suite au concept développé par Léo Sach, ont eu la même intuition à savoir qu’il pouvait être judicieux de proposer des traitements induisant une différenciation des cellules leucémiques. De plus, ce concept séduisait déjà les scientifiques chinois et les rétinoïdes apparaissaient comme une thérapeutique séduisante.

Les travaux portant sur l’utilisation de l’acide tout trans rétinoïque (ATRA) et le trioxyde d’arsenic (ATO) se sont multipliés, incluant de nombreux patients dans des essais thérapeutiques menés en étroite coopération entre la France et la Chine.

Pendant plusieurs dizaines d’années, les centres intégrés de Paris et de Shanghai   ont permis d’offrir aux patients un accès à l’innovation, et à la communauté scientifique des résultats probants et des méthodes de prises en charge adaptée à ce nouveau traitement.

Il faut aussi souligner les travaux fondamentaux permettant de décrire les caractéristiques cellulaires, cytogénétiques et moléculaires de la LAP. Le clonage de la translocation t(15;17) caractéristique de la LAP, par des chercheurs dont en France, l’équipe de l’Institut Pasteur de Anne Dejean avec Hugues de Thé, a identifié le gène de fusion (PML-RAR) de la LAP. Et des études ont en Chine comme en France permis de mieux comprendre le mécanisme d’action bénéfique de l’association ATRA-ATO.

Christine Chomienne indique ensuite que les résultats obtenus pour le traitement de la LAP ont stimulé des recherches dans d’autres domaines de la cancérologie.

Elle décrit ensuite la politique européenne pour la lutte contre le cancer, première cause de mort en France, la deuxième en Europe.

Ainsi, la Commission européenne actuelle a mis en place dès son arrivée deux initiatives complémentaires, le plan cancer Europe en février 2020 et la mission cancer d’Horizon Europe en septembre 2021. Ces deux outils en phase préparatoire commune depuis 2019 se sont appuyés sur de nombreux groupes d’experts, et rapports dont ceux du comité spécial cancer du Parlement européen, et des consultations menées auprès des patients et leurs aidants. Le déroulement de ces programmes s’appuie sur des financements dédiés EU4Health et Horizon Europe, mais également d’autres programmes innovants de la Commission européenne tels ceux pour l’innovation et le digital.

Enfin, plusieurs recommandations ou axes d’intervention souhaitent une amélioration de l’équité des soins au sein d’un pays, mais surtout au travers de tous les états membres.