Publié le 2 novembre 2021

Les séances de l’Académie*

* Par Catherine Barthélémy, Pierre Brissot, Martin Danis, Vincent Delmas, Francis Michot

 

Séance des membres correspondants de la 3e Division

Organisateur : Alain Bonnin

 

Modélisation de la toxicité médicamenteuse dans des cultures cellulaires et des organoïdes de foie pour l’évaluation préclinique des produits de santé. Bruno Clément, Institut de Nutrition Métabolismes et Cancer (NuMeCan), Inserm, Inrae, Université de Rennes 1, Rennes.

La prise de médicaments n’est pas dénuée de risques (82000 évènements indésirables déclarés en 2017), en particulier dans un contexte de maladie chronique sous-jacente, de spécificités génétiques ou épigénétiques, de mésusage de médicaments, ou en raison d’un défaut d’observance des prescriptions médicales. Le foie, organe central du métabolisme des xénobiotiques dont les médicaments, est une cible privilégiée de la toxicité médicamenteuse. Celle-ci se traduit par des lésions du parenchyme hépatique, associées à une importante morbidité, pouvant conduire à une insuffisance hépatocellulaire aigüe ; les lésions hépatiques induites par les médicaments sont la principale cause d’arrêt de leur développement. Il est cependant difficile de prédire la toxicité hépatique des médicaments en raison de l’inadéquation des études toxicologiques précliniques réalisées dans des modèles animaux, ou encore des sensibilités individuelles de réponse aux traitements médicamenteux. De nombreux modèles ont été proposés pour évaluer la toxicité médicamenteuse sans permettre une évaluation correcte de leur hépatotoxicité : tranches de tissus hépatiques, cultures primaires d’hépatocytes humains ou co-culture d’hépatocytes avec des cellules biliaires, lignées cellulaires notamment la lignée HepaRG, cellules souches, cultures tridimensionnelles et organoïdes, utilisant hépatocytes, cellules étoilées, cholangiocytes, macrophages. Des modèles alternatifs sont donc activement recherchés, en particulier des systèmes cellulaires capables de récapituler les voies métaboliques de biotransformation et de toxicité des médicaments. La modélisation par intelligence artificielle permettra d’améliorer la qualité de la prédiction de la toxicité médicamenteuse et d’identifier des sous-groupes de sujets à risque.

 

Jusqu’où les techniques de simulation peuvent-elles être envisagées en médecine ?

Pierre Brousset, Département de pathologie, Institut Universitaire du Cancer de Toulouse Oncopole, Toulouse.

 

En formation professionnelle, l’utilisation d’un simulateur fait le pari de l’apprentissage par l’erreur. Depuis de nombreuses années les pratiques et gestes médicaux ont eu recours à ces technologies. Les apprentissages concernés par la simulation sont larges : maîtrise de gestes techniques, maîtrise des compétences de travail en équipe, entrainement à la communication autour de la relation médecin-malade, entrainement par utilisation de logiciels pour apprendre l’anatomie, les actes médicaux et chirurgicaux avec des solutions de réalité virtuelle. Ces outils sont en plein développement notamment dans la réforme des études de santé mais la question qui se pose aujourd’hui, à l’ère des données massives et de l’intelligence artificielle, est celle du rôle que peuvent jouer des dispositifs de simulation dans une vision finaliste de la prise en charge des patients. Ces approches sont en décalage avec les systèmes d’apprentissage informatiques parce qu’ils ne reposent classiquement pas sur un apprentissage mais sur la constitution de scénarii préétablis susceptibles d’anticiper tous les cas de figure. Prédire les comportements de systèmes biologiques nécessite de prendre en compte de très nombreux éléments moléculaires et génétiques pour lesquels des informations sont souvent limitées et peu exhaustives. Cette vision intégrative et finaliste du comportement normal ou pathologique du vivant est-elle réaliste ? A quel niveau de résolution peut-on se positionner ? La connaissance d’une pathologie prend en compte des considérations macroscopiques (patient et son environnement), des considérations microscopiques (cellules et groupes de cellules) et des considérations physico-chimiques et moléculaires d’une grande complexité. Il est cependant possible d’envisager de simuler les conséquences cliniques d’anomalies biologiques telles que les mutations génétiques. Il sera aussi possible d’envisager de simuler le parcours patient afin de tester les conséquences possibles de toute décision médicale. Comme cela est le cas dans les transports, il est envisageable de créer des modèles réalistes fragmentaires simulant le comportement du vivant. Le développement de jumeaux numériques, miroirs du patient permettrait de gérer de grandes quantités de données, d’effectuer des simulations, de prédire l’évolution de la maladie, de simuler les effets des diverses hypothèses thérapeutiques dans l’objectif d’une prise en charge plus personnalisée et efficace.

 

Les variants du SARS-CoV-2 face au dépistage et aux vaccins. Christine Rouzioux, Paris.

 

A l’automne 2021, il est bien difficile de prédire l’évolution, en France et dans le Monde, de la pandémie de SARS-CoV-2.

Les variants sont classés en deux groupes par l’OMS : les variants d’intérêt qui se sont peu répandus et les variants préoccupants car responsables d’infections graves et d’un risque. Le Sars-CoV-2 est un virus mosaïque comprenant de nombreux fragments existant dans la nature. L’origine animale du virus (chauve-souris) reste la plus plausible sans occulter les doutes sur l’échappement d’un virus des laboratoires chinois.

Les enjeux du dépistage sont majeurs : surveillance de la circulation virale, surveillance de l’épidémie, recherche de mutations, classement des virus circulants permettant la détection en temps réel de l’émergence des variants, partage des données avec les chercheurs en modélisation mathématique et phylogénétique virale ; l’absence de moyens diagnostiques dans les pays à faibles ressources ne permet pas d’envisager le contrôle de la pandémie à court et moyen termes.

La vaccination est une véritable révolution : vaccins puissants et efficaces issus de nouvelles technologies, nécessité de la fabrication de milliards de doses, nécessité prévisible de vaccins de deuxième génération à diffusion rapide (vaccins à ARNm autorépliquants, multiples spikes), de vaccins intégrant les séquences virales dominantes. De nombreuses inconnues subsistent : la durée de la réponse vaccinale, le rythme de la vaccination, l’immunité résiduelle protectrice de la transmission face à de nouveaux épisodes de circulation virale.

La construction d’un nouveau plan pandémie devra intégrer le diagnostic et la surveillance de la circulation des virus, de nouveaux réseaux de surveillance virologique à l’échelle mondiale, une coopération internationale forte scientifique, sanitaire et politique.

 

Les progrès de la génétique de la maladie de Parkinson : quelles leçons en tirer pour la pratique clinique ? Alexis Brice, Institut du Cerveau et de la Moelle épinière, Paris.

Au cours des dernières décennies, des avancées considérables ont été réalisées pour comprendre les bases génétiques de la maladie de Parkinson (MP) grâce à l’identification de 17 gènes avec une transmission mendélienne (6 autosomiques dominants, 10 récessifs et 1 lié à l’X) et la localisation de près de cent facteurs de susceptibilité génétique. Les applications commencent à émerger en pratique clinique.

Applications diagnostiques : les formes monogéniques de MP sont beaucoup plus fréquentes et variées qu’attendu. Leur fréquence varie selon les populations et elles peuvent se présenter comme des cas isolés sans aucune histoire familiale. Par exemple, la mutation G2019S du gène LRRK2 représente près de 40% de toutes les MP (isolées ou familiales) en Afrique du nord, un peu moins chez les Juifs Ashkénazes mais pas plus d’1% en Europe. Les mutations du gène GBA, facteur de susceptibilité génétique majeur, sont beaucoup plus fréquentes chez les juifs ashkénazes qu’en Europe ou en Afrique du Nord. Parmi les formes de début précoce (<40 ans), le gène PRKN est prédominant en Europe alors que PINK1 est le plus fréquent en

Afrique du Nord. Ainsi, l’âge de début, l’histoire familiale et l’origine ethnique/géographique sont importants à considérer pour orienter le diagnostic étiologique.

Applications pronostiques : la progression de la MP dépend du gène en cause. Les formes AR causées par les gènes PRKN et PINK1 débutent précocement mais évoluent très lentement, présentent peu de troubles non-moteurs et répondent de façon prolongée au traitement. En revanche, les mutations du gène GBA entrainent une progression sévère avec démence avec corps de Lewy.

Applications thérapeutiques : la MP n’est pas une entité physiopathologique unique car les dysfonctions observées dans les formes génétiques impliquent différents processus cellulaires

Les variants pathogènes identifiés dans le gène LRRK2 entrainent une augmentation de son activité kinase (gain de fonction) légitimant les essais actuels avec des inhibiteurs spécifiques. A l’inverse pour GBA (glucocérébrosidase A), il s’agit d’une perte de fonction qui est corrigée avec des molécules de SNCA qui codent pour l’alpha-synucléine, composant principal des corps de Lewy ; la surexpression de cette protéine dans sa forme normale est suffisante pour générer une maladie de Parkinson. Des approches par ASO (oligonucléotides antisens) ou par anticorps dirigés contre l’alpha-synucléine afin de réduire son expression sont en préparation pour traiter les formes idiopathiques de MP dans lesquelles l’alpha-synucléine qui s’accumule dans les corps de Lewy.

Les études génétiques menées dans la MP ont fait progresser les connaissances sur son origine et ses mécanismes et conduisent à des applications grandissantes dans la pratique clinique ouvrant la voie à une médecine personnalisée.

En conclusion, Alain Bonnin souligne le fil directeur de la séance : une médecine de l’avenir personnalisée, précise, s’appuyant sur l’intelligence artificielle et la connaissance des mécanismes moléculaires des maladies.