Les séances de l’Académie*
* Par Catherine Barthélémy, Pierre Brissot, Martin Danis, Vincent Delmas, Francis Michot
Séance dédiée du mardi 19 octobre 2021 : « Comment utiliser le péritoine comme véritable organe excréteur et régulant le milieu intérieur : exemple de la dialyse péritonéale »
Introduction des organisateurs
Pr Bernard Charpentier : 2.106 glomérules filtrent et réabsorbent l’eau du milieu intérieur. Ce rôle du rein est apparu avec le passage de la vie aquatique à la vie terrestre. En cas d’insuffisance rénale, le péritoine peut remplacer le rein. Cette alternative est d’autant plus importante à connaître qu’à l’âge de 100 ans, la fonction rénale sera de 50% seulement.
Pr Séverine Beaudreuil, Service de Néphrologie Dialyse Transplantation du CHU Bicêtre, Paris. On estime à 3.106 le nombre de Maladies Rénales Chroniques (MRC)/an dans le monde dont 90.000 MRC de Stade 5. En stade terminal, le traitement de suppléance est soit 1) la transplantation rénale : meilleurs qualité de vie et coût, soit 2) la dialyse en centre (hémodialyse-HD) ou à domicile (Dialyse péritonéale-DP ou HD). La DP est basée sur un échange dans la cavité péritonéale avec un cathéter (KT) dans le Douglas, relié à une simple ou double poche de jour DPCA ou de nuit DPA
D’après le site France REIN : Il existe deux formes de traitement par DP : la Dialyse Péritonéale Continue Ambulatoire (DPCA) et la Dialyse Péritonéale Automatisée (DPA). Les deux méthodes peuvent se pratiquer à domicile. Le choix de la modalité dépend du mode de vie, de la préférence et de l’état de santé du patient. Dans tous les cas, une formation est dispensée à la personne pour qu’elle soit capable d’effectuer seule ou avec de l’aide (proche, infirmière libérale par exemple) les gestes nécessaires à son traitement.
La dialyse péritonéale continue ambulatoire (DPCA) Le patient connecte manuellement deux poches (une vide et une pleine) à son cathéter. Le liquide resté dans l’abdomen est drainé dans la poche vide, le liquide frais (2 litres en moyenne) est ensuite injecté dans le péritoine et reste dans l’abdomen jusqu’au changement de poche suivant. La manipulation dure 20 à 30 minutes. Elle est à renouveler trois fois par jour toutes les 4 h environ.
La Dialyse Péritonéale Automatisée (DPA) repose sur l’emploi d’un appareil, le « cycleur », qui calcule les quantités de solution injectées puis de dialysat drainé, synchronise les échanges et contrôle la durée et le déroulement du traitement. Le patient se connecte le soir avant de se coucher puis se déconnecte le matin venu (après 8 à 12h de séance). Le traitement se fait pendant le sommeil, libérant du temps en journée et favorisant le maintien des activités socioprofessionnelles et familiales.
La dialyse péritonéale représente une alternative à l’hémodialyse pour un nombre important de personnes. De plus, elle est moins coûteuse pour la collectivité. Pourtant, seulement 10 % des patients dialysés l’utilisent. Une information plus large et plus précoce pourrait sans doute impliquer davantage les personnes dans le choix du traitement de dialyse.
Histoire de la dialyse péritonéale
Dr Christian Verger, Registre de Dialyse Péritonéale de Langue Française (RDPLF), Pontoise, France
Les premiers essais de traitement par dialyse péritonéale remontent au début du XX siècle. La méthode était d’abord réservée à l’insuffisance rénale aigüe et ce n’est que dans la seconde moitié du XXe siècle qu’un traitement à domicile devient possible grâce aux travaux effectués par l’équipe de Belding Scribner à Seattle et, en France, de Charles Mion au retour de son séjour à Seattle. Les progrès nécessaires ont concerné la conception d’un abord péritonéal fiable implanté à demeure avec un cathéter en silicone, la mise au point de solutions de dialyse stériles non toxiques pour la membrane péritonéale et la conception de machine autorisant le renouvellement automatique du dialysa dans la cavité péritonéale. Les années 80 ont vu le jour de la dialyse péritonéale quotidienne à domicile (DPCA) qui permet aux patients de jouir d’une plus grande autonomie et de conserver une activité sociale et professionnelle.
Les risques infectieux du début sont devenus négligeables et la technique permet d’économiser le capital vasculaire en attente de transplantation. Les résultats en 2021 sont le fruit d’une meilleure connaissance des propriétés membranaires et sont semblables à ceux de l’hémodialyse. Les deux techniques hémodialyse et dialyse péritonéale sont complémentaires et peuvent permettre à chaque moment de la vie du patient de prescrire la meilleure méthode en tenant compte de ses besoins propres.
La Dialyse Péritonéale DP en France et dans le monde
Pr Belkacem Issad, Néphrologie, Hôpital Pitié-Salpétrière, Paris
En cas d’IRC, la DP est sûre et fiable. Sur les 21ans d’une MRC de stade 5 : « 7ans en HD, 7ans en DP, 7 ans en transplantation… »
Dans de nombreux pays, la prévalence de la dialyse péritonéale reste marginale malgré des arguments en faveur de son utilisation ; en effet il s’agit d’une technique à domicile, avec des bénéfices cliniques (meilleure préservation de la fonction rénale résiduelle, préservation du capital vasculaire, préservation de la fonction cardiaque…) : la DP représente une option préférentielle pour les sujets jeunes en attente de transplantation rénale ou pour certains sujets âgés (âge moyen en France pour la DP 72 ans (59-75 ans)), diabétiques (44%) ou polyartériels. Il convient de choisir pour chaque patient la meilleure modalité de traitement en fonction de son profil clinique, psychologique, socio-familial et de son choix lors de l’information pré-dialyse, proposée à tous dès le stade 4 de la maladie rénale chronique (MRC4). Enfin, les bénéfices économiques potentiels de cette modalité de traitement pour la Sécurité Sociale pourraient inciter à son développement. Dans ce contexte, les objectifs du Schéma Régional d’organisation des Soins (SROSS,) annoncés déjà dès l’horizon 2010 et comportant 15% des malades dialysés traités par DP, n’ont pas été atteints. Pourtant des obstacles importants concernant un tel projet avaient été cernés. Certains étaient d’ordre clinique, psychologique, sociétal, financier ou en rapport avec des réticences du corps médical ou à des défauts organisationnels dans la mise en place de réseaux de soins néphrologiques. Un certain nombre de ces freins ont été levés, mais force est de constater que le taux de pénétration de la DP dans le monde est très variable (Hong Kong 70% Mexique 60-70%) ; il est plus élevé en Europe du Nord (Suède, Hollande et Royaume Uni) qu’en Espagne et en France (11% versus 6% respectivement). En France, pour 50.000 patients en HD, 3.000 sont en DP (6%) ; il existe des disparités au niveau national de la prise en charge de patients en dialyse péritonéale (plus développée dans le Grand Est, la Basse-Normandie, l’Auvergne, la Franche-Comté qu’en Ile-de-France par exemple).
Le péritoine : une membrane filtrante
Pr François Vrtovsnik, Service de Néphrologie, Hôpital Bichat, Paris
Le péritoine est une membrane filtrante et vivante.
1) une membrane filtrante : La dialyse péritonéale est la première méthode de dialyse à domicile, utilisée par plus de 250.000 patients dans le monde. Son efficacité repose sur les propriétés de transport et de perméabilité de la membrane péritonéale, elles-mêmes liées à son organisation (3 interfaces mésothélium/interstitium/endothélium capillaire) Les échanges trans-péritonéaux se font suivant trois flux essentiels : diffusion des substances urémiques et du potassium, ultrafiltration avec transfert d’eau et des substances dissoutes suivant le gradient osmotique des solutions cristalloïdes ou colloïdes, absorption d’eau et de substances dissoutes de la cavité péritonéale vers les capillaires sanguins et les lymphatiques. La modélisation tient compte de la taille des pores membranaires (endothélium). Plusieurs aquaporines dont l’aquaporine1 sont exprimées dans les cellules endothéliales et mésothéliales péritonéales ; elles permettent le passage transcellulaire sélectif d’eau, et rendent compte du transport péritonéal « d’eau libre ». La compréhension des mécanismes de transport péritonéal et du remodelage de cette membrane est nécessaire à une prescription la plus adéquate des protocoles de dialyse
2) une membrane vivante : le péritoine se modifie et se remodèle au cours de la dialyse : disparition du mésothélium disparaît, apparition d’une fibrose importante de l’interstitium (restriction des échanges), d’une vasculopathie avec angiogénèse importante qui augmente la surface d’échange mais avec une modification de l’aquaporine1 conduisant à une perte d’efficacité de la dialyse. La protection de la membrane péritonéale repose sur l’ utilisation de solutions biocompatibles avec moins de plastiques des poches, pH au tampon physiologique, avec limitation des produits de dégradation du glucose, avec prévention des infections. La surveillance de la membrane péritonéale permet d’anticiper ces modifications. Le péritoine se modifie avec l’âge : remaniement lié à la fibrose et à l’inflammation chronique, ainsi que le rôle de l’obésité.
Les enjeux de la pose du cathéter de dialyse péritonéale : Trucs et astuces pour optimiser le succès.
Pr Jean-François Hermieu, Service d’Urologie, Hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris
Le succès de la dialyse péritonéale dépend du bon fonctionnement du cathéter de dialyse. Il repose sur 3 étapes : consultation de faisabilité ; prise en charge chirurgicale ; le temps chirurgical. La faisabilité repose sur les antécédents chirurgicaux, médicaux, l’examen clinique et les informations préalables des patients. Cette évaluation préopératoire est faite par l’équipe de dialyse et l’équipe de pose, elle permet de choisir les bons candidats et d’adapter le type de cathéter correspondant à chaque patient. Il est recommandé d’utiliser les cathéters en silicone à deux manchons. Quelle que soit la voie d’abord choisie, deux principes seront à respecter : la position pelvienne de l’extrémité du cathéter et le site de sortie accessible au patient. Il est préférable de reporter le début de la dialyse à au moins deux semaines après la pose. Les soins et les rinçages seront réalisés par une équipe dédiée selon un protocole précisé par chaque centre. Certaines complications chirurgicales doivent être connues comme l’infection cutanée, les fuites le long du cathéter, le non-fonctionnement du cathéter, l’extériorisation d’une hernie, et, beaucoup plus rarement, péritonite, éventration, occlusion.
Pourquoi défendre et promouvoir le développement de la dialyse péritonéale en France ?
Pr Séverine Beaudreuil, Service de Néphrologie Dialyse Transplantation du CHU Bicêtre, Paris.
La DP est sous-employée en France. 6% contre 11% dans le monde.
Pourtant elle a des avantages : 1) médicaux : la survie est meilleure qu’avec l’hémodialyse, peu de contrindications, pas de fistule artério-veineuse avec son sacrifice vasculaire et son débit cardiaque élevé, technique de choix avant transplantation car elle protége la fonction rénale résiduelle et améliore le syndrome cardio-rénal ;2) autonomie du patient et qualité de vie (meilleure perception d’une procédure à domicile, responsabilisation du patient, horaire nocturne, pas de transport au centre d’HD). La perception peut être en négatif : vision du KT percutané, espace requis pour stocker les poches, sensation d’abdomen plein. Sur le plan économique, les MRC5 représentent, en 2020, 2,5% du budget de l’AM dont 80% en dialyse.
Pourquoi la défendre ? il faut lever les freins médicaux, une information plus précoce du patient, (50% des patients informés la choisissent), une formation des différents acteurs, une accessibilité sur tout le territoire, pour une économie financière. Dix propositions concrètes ont été formulées rappelant ses avantages : à domicile, autonomie, intérêt médico-économique. La DP révolutionne la prise en charge des MRC 5.