Publié le 18 novembre 2022

Résumés des séances de l’Académie*

* Par Brigitte Dréno, François Guilhot, Pierre Miossec, Jean-Baptiste Ricco, Dominique Vuitton

 

Séance des membres correspondants de la 4e division

Mardi 15 novembre 2022

Organisateur : Olivier JARDÉ

« Quelles conséquences de la pandémie COVID-19 sur la santé publique ? »

Communications

 

Impact de la première année de la pandémie de COVID-19 sur l’épidémiologie des infections invasives (bactériémies) dans les hôpitaux de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (APHP), par Rishma AMARSY, Jérôme ROBERT et Vincent JARLIER*, Groupe hospitalo-universitaire APHP Nord, CIMI Paris, Inserm U1135, et Sorbonne Université, Paris

*Membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine, 4e division.

 

La pandémie d’infections par le SARS-Cov-2a entraîné un afflux massif, dans les hôpitaux, de patients atteints de formes sévères de COVID-19, nécessitant souvent des soins intensifs (cathéters vasculaires, ventilation…) qui exposent à des risques élevés d’infections nosocomiales en particulier d’infections invasives (bactériémies). L’impact de la pandémie de COVID-19 sur l’épidémiologie des bactériémies en 2020 a été analysé dans 25 hôpitaux de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (près de 20.000 lits, couvrant la région Île-de-France). Jusqu’à un quart des patients admis à l’AP-HP durant la période mars-avril (pic de la première vague) étaient atteints de COVID-19. L’incidence des bactériémies pour cent admissions a globalement augmenté par rapport aux années précédentes : de 24 % en mars et de 115 % en avril 2020. L’évolution de l’incidence des bactériémies n’a cependant pas été la même pour 2 groupes de microorganismes d’écologies bien différentes.

Pour les microorganismes de type « hospitalier » classiquement responsables d’infections nosocomiales, l’incidence a beaucoup augmenté en mars et surtout avril 2020 : Klebsiella pneumoniae (x2,3), Pseudomonas aeruginosa (x2,4), Staphylococcus aureus (x2,4), entérocoques (x3,4) et levures (x2,7).  Les deux tiers des bactériémies causées par ces microorganismes ont été considérées comme acquises lors de l’hospitalisation. Fait important, on a aussi constaté une forte augmentation de l’incidence des bactériémies causées par des souches résistantes aux antibiotiques. Les antibiotiques utilisés comme indicateurs dans ce travail étaient les céphalosporines de 3e génération (3GC), antibiotiques majeurs du traitement des infections graves, utilisées comme indicateurs pour la surveillance des résistances bactériennes en Europe et dans le monde (OMS). À titre d’exemple, l’incidence des bactériémies à souches résistantes aux C3G a été multipliée par 3 en avril 2020 pour K. pneumoniae et S.aureus (avec une résistance croisée aux 3GC et à la méticilline dans cette espèce). Durant la même période, la consommation de 3GC a fortement augmenté dans les mêmes hôpitaux (+131% en mars et + 148% en avril).

Pour Streptococcus pneumoniae (pneumocoque) et Streptococcus pyogenes (streptocoque hémolytique du groupe A), deux pathogènes responsables d’infections essentiellement communautaires et de transmission respiratoire, la pandémie a eu l’effet inverse. L’analyse de séries temporelles a montré une diminution de 34% et 28% respectivement de leur incidence en 2020, en particulier au printemps, quand des mesures strictes de confinement, de distanciation physique et de port du masque ont été édictées. Une légère réémergence des infections à ces deux espèces s’est produite pendant l’été 2020 après l’assouplissement des mesures de prévention. Par contraste avec ce qui a été vu plus haut, les 4/5 des bactériémies causées par ces deux espèces étaient effectivement considérées comme d’origine communautaire.

La pandémie de COVID-19 qui a eu un fort impact sur la gestion hospitalière, l’organisation des soins et l’organisation sociale dans la population générale a donc eu des impacts opposés sur l’incidence des bactériémies selon les pathogènes et leur mode de transmission.

 

Pénurie de médicaments et stocks de sécurité en France : fondement juridique, par Lionel COLLET, conseiller d’État ; membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine, 4e Division.

La pandémie à la COVID-19 a montré l’exposition de la France à des difficultés d’approvisionnement en médicaments et a ainsi mis en lumière l’enjeu de santé publique que représentent les tensions et ruptures d’approvisionnement de médicaments en situation épidémique. Cet exposé ne concerne pas la délocalisation de la production de la matière première, ni les problèmes inhérents au stockage en soi (mesures d’aval), ou le problème de la constitution de stocks pour des situations exceptionnelles (rôle des ex-EPRUS/Santé Publique France), mais envisage le cadre juridique de la constitution de tels stocks.

L’exposition de la France à l’indisponibilité de médicaments a fait l’objet de plusieurs rapports, dont ceux de l’Académie Nationale de Médecine, et de dispositions législatives et réglementaires. Si la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a introduit des dispositions particulière, devant l’accroissement rapide de la fréquence des ruptures d’approvisionnement en produits de santé, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020  a renforcé le dispositif de lutte contre les pénuries de médicaments en instaurant une obligation pour les titulaires d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de constituer jusqu’à quatre mois de stock pour tous les médicaments. Le décret d’application du 30 mars 2021 relatif au stock de sécurité destiné au marché national a différencié les quantités de stock selon les médicaments pour une durée d’une semaine à deux mois de couverture des besoins, cette durée pouvant être diminuée ou augmentée « sans excéder quatre mois ».

Si on analyse les quantités en deçà ou au-delà de ce que la loi autorise au regard du principe de libre circulation des marchandises prévu par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, il est possible de déceler des contradictions apparentes, car le principe même de stocks peut contrevenir aux décisions de libre circulation des marchandises contenues dans le traité de Rome. En effet, le ‘stock’ envisagé par le gouvernement français peut se faire aux dépens des autres états membres : il s’agit de facto d’une réduction des courants d’exportation, donc d’un obstacle à la concurrence. Il semble que la législation française évite subtilement cet écueil en définissant la notion de « médicaments d’intérêt thérapeutique majeurs », et une restriction dans le temps de la constitution de stocks. Elle s’appuie pour ce faire sur le traité de Rome lui-même qui considère que la protection de la santé puisse être une cause de restriction de la libre circulation des biens. Par ailleurs, la jurisprudence est claire : la santé occupe le premier rang parmi les biens et les intérêts. Il n’en demeure pas moins qu’une harmonisation européenne des pratiques en matière de stock, en particulier pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, serait hautement souhaitable.

 

Certificats médico-légaux pour les demandeurs d’asile au CHU d’Amiens en 2021. Impact de la pandémie, par Olivier JARDÉ, Département de médecine légale, CHU et université d’Amiens ; membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine, 4e Division.

Des certificats descriptifs sont rédigés pour les demandeurs d’asile afin de leur permettre de témoigner de leurs sévices auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Dans une étude rétrospective sur 2021, le Département de médecine légale d’Amiens, centre de référence pour l’évaluation médicale des demandeurs d’asile, a étudié les caractéristiques socio-démographiques de ces demandeurs et des violences qu’ils rapportaient au cours de la première année de la pandémie de COVID-19. Ces données ont été comparées à celles publiées par l’OFPRA.

L’étude a porté sur 299 consultations réalisées en 2021. Il a été constaté une importante diminution de la demande de certificats pour demande d’asile pendant la période de la pandémie de COVID-19, et le niveau national atteint en 2021 (environ 100 000) n’a pas encore retrouvé celui de 2018-2019 (environ 135 000). De façon assez similaire avec les statistiques nationales, les demandeurs d’asile vus à Amiens étaient surtout des hommes (2/3) ; l’examen clinique et radiologique permettait d’identifier des traumatismes directs, d’origine militaire ou des autorités de police pour les hommes, et d’origine plutôt familiales, ou des proches pour les femmes ; ces lésions étaient similaires dans les deux sexes, en dehors des lésions génitales, spécifiques aux femmes, et il n’y avait pas de différences significatives en fonction des pays d’origine. Les lésions constatées étaient compatibles avec les faits dénoncés dans 95% des cas. Il existait un retentissement psychologique chez trois quarts des femmes et la moitié des hommes. On notait cependant des différences avec les statistiques nationales, en ce qui concerne l’origine géographique, avec une surreprésentation de demandeurs venus de Guinée et de République Démocratique du Congo par rapport à ceux venus d’Afghanistan.

On constate donc que la pandémie a limité la mobilité mondiale, entraînant une baisse très importante des demandes de protection en France de l’ordre de 30% en 2020. Cette baisse est multifactorielle : restrictions de voyager, diminution des moyens financiers des familles pour payer les passeurs et fermeture de l’OFPRA pendant presque toute la durée de la pandémie. Par ailleurs, le certificat issu d’un service de médecine légale est pleinement reconnu et permet à la victime de pouvoir plus facilement bénéficier du statut de réfugié.

 

Impact de la COVID-19 sur la santé publique en Afrique subsaharienne, par Jean-Philippe CHIPPAUX, Université Paris Cité, IRD, MERIT, Paris ; membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine, 4e Division.

La pandémie de COVID-19 a relativement épargné le continent africain si on exclut le Maghreb et l’Afrique du Sud, l’incidence de la COVID-19 et surtout des COVID-19 graves étant très inférieure à celles observées en Europe et en Amérique. Les raisons en sont multiples et pas toutes élucidées, mais la pandémie n’a cependant pas manqué d’avoir un impact sur les systèmes de santé africains. Ce travail visait à évaluer l’impact de la COVID-19 sur l’offre de soins en Afrique subsaharienne, en excluant l’Afrique du Sud.

Une recherche dans PubMed® entre avril 2020 et août 2022 a sélectionné 135 articles. Les conséquences de la COVID-19 ont été évaluées à partir de comparaisons avec les mois précédant l’apparition de la pandémie ou une saison identique au cours des années antérieures.

La baisse des prestations de santé, associée à une réduction de leur qualité, a été rapportée. De nombreux programmes de lutte et interventions en santé publique (vaccination, diagnostic et prise en charge du sida, lutte contre le paludisme) ont été interrompus, entraînant le risque d’une recrudescence des maladies correspondantes. La désorganisation sociale a généré des troubles de la santé mentale parmi la population et le personnel de santé. L’impact a cependant été hétérogène dans l’espace et le temps. Il a été plus important dans les hôpitaux de grande taille que dans ceux de petite taille et, généralement, les unités de santé communautaire ont été relativement épargnées.

Il existe des causes circonstancielles (mesures de confinement avec restriction des déplacements), des causes structurelles (fermeture de services spécialisés, réduction des ressources humaines et matérielles, augmentation des coûts, s’ajoutant à l’appauvrissement de la population) et des causes individuelles (peur d’être contaminé ou stigmatisé, désinformation, rumeurs…) à la désorganisation des systèmes de soins et de prévention en Afrique subsaharienne lors de la pandémie de COVID-19. Mais il faut noter que l’impact sur les soins et sur les activités de prévention a été limité aux premiers mois de la pandémie (essentiellement les deux premières vagues de l’infection à SARS-Cov-2) et que la situation s’est rétablie dès la fin de l’année 2020. Plusieurs articles qui ont servi de base à cette analyse formulent des recommandations visant à atténuer l’impact des épidémies futures : soutien des agents communautaires, qui se sont révélés les plus résilients dans la crise, formation des agents de santé et réorganisation des services pour améliorer l’accueil et la prise en charge des patients, innovations technologiques (utilisation du téléphone, de drones, etc.) et contrôle de l’information.