Publié le 11 mai 2021

Mardi 11 mai 2021

  

La sinistralité en médecine : des recommandations sont-elles utiles ? par Brigitte MAUROY (PU-PH Anatomie-Urologie. Expert agréé par la Cour de cassation. Membre de la CNAMéd)

Au fil de l’évolution de la jurisprudence et de la législation, les malades sont progressivement devenus des « consommateurs » de santé. Le corollaire en est que les professionnels de santé se savent exposés maintenant au risque d’une procédure, amiable ou judiciaire. De ce fait, les pratiques, les relations aux patients et les budgets d’assurance se sont sensiblement modifiés.

Dans le système français, la loi du 4 mars 2002, l’aide juridictionnelle gratuite ou partielle

et la judiciarisation constituent une véritable incitation à rechercher la responsabilité d’un médecin dès qu’une complication survient. Cette évolution n’est pas que négative, puisque la loi précitée a permis l’organisation des consultations d’annonce et, d’une façon générale, une meilleure délivrance de l’information. Mais l’analyse des chiffres de la sinistralité médicale montre qu’il est indispensable d’aider le praticien à mieux prévenir et mieux gérer les accidents médicaux, de façon à diminuer cette sinistralité dont souffrent les patients, mais aussi les médecins et les assureurs.

Dans cette perspective, il est proposé de :

– promouvoir un guide de bonnes pratiques opposables (car les recommandations de la HAS se voient actuellement opposer les recommandations anglo-saxonnes) ;

– travailler en commun avec la Cour de Cassation à la création d’une base de données accessible aux Juges, aux assureurs et aux sociétés savantes ;

– diffuser auprès des médecins des informations pratiques pour prévenir une procédure ultérieure (lettres de consultation-type, courriers de sortie d’hospitalisation-type) et quelques exemples pratiques tirés des rapports d’expertise et des jugements.

 

Publicité des médecins et code de déontologie : Évolution juridique par Lionel COLLET (Conseiller d’État. Ancien Professeur des universités-Praticien hospitalier) Membre de l’Académie nationale Médecine

 

Le code de déontologie des médecins a été modifié par le décret du 22 décembre 2020 afin de lever l’interdiction générale et absolue de toute publicité. Ces modifications sont consécutives à un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) du 4 mai 2017, saisie par un chirurgien-dentiste établi en Belgique, qui a considéré que la directive 2000/31CE du Parlement européen et du Conseil s’oppose à une législation nationale « qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires, en tant que celle-ci interdit toute forme de communications commerciales par voie électronique, y compris au moyen d’un site Internet créé par un dentiste ».

Cet arrêt suivi par une mise en demeure de la France par la Commission européenne a conduit à modifier les dispositions correspondantes des codes de déontologie de six professions de santé. Les nouvelles dispositions maintiennent l’interdiction de pratiquer une profession de santé comme un commerce, suppriment les dispositions interdisant la publicité et d’une manière générale le mot « publicité » et ses dérivés, affirment le principe de libre communication des informations et prohibent le référencement numérique payant.

Toutefois, dans un arrêt récent du 1er octobre 2020, la CJUE a considéré l’interdiction de référencement payant, non pour les professionnels de santé visés par les six codes de déontologie modifiés, mais pour la vente en ligne par des pharmaciens de médicaments non soumis à prescription médicale, comme une « restriction à la libre prestation des services de la société de l’information ». Cette jurisprudence peut conduire à des recours futurs contre l’interdiction du référencement payant des professions de santé pratiquant la téléconsultation.

 

Évolution et impact du numérique dans la relation médecin généraliste-patient. Cas du patient atteint de cancer par Jérôme BÉRANGER (CERPOP (Centre d’Epidémiologie et de Recherche en santé des POPulations) – Université de Toulouse – Inserm – UPS Toulouse), Marie-Eve ROUGÉ-BUGAT (Département Universitaire de Médecine Générale Toulouse – Université Paul Sabatier Toulouse III / Toulouse)

Avec l’intégration du numérique en médecine, la dualité médecin-patient a laissé progressivement la place à un triptyque médecin-patient-digital, modifiant la nature des rapports et des échanges entre le médecin et le patient. Cette médecine numérique devient alors un des outils clé de construction de cette relation médecin-patient, qui doit rester avant tout une co-construction, sans rompre le lien humain et le dialogue, et qui ne se substitue pas au savoir-faire médical. Avec une vigilance éthique accrue, le numérique peut devenir un trait d’union bénéfique et de confiance dans le lien « ville-hôpital » en aidant les professionnels de santé sans les remplacer.

Il est donc essentiel que cette médecine digitale réponde à la fois aux attentes des usagers de santé mais également aux exigences des professionnels de santé Le développement d’une complémentarité entre la technicité et l’humanité devient alors déterminante afin que la fracture sociale qui limite l’accès aux soins ne soit pas aggravée par une fracture numérique qui réduirait l’usage de certains patients aux nouveaux outils technologiques de la médecine.

Ces applications numériques, afin d’être efficientes, doivent se reposer sur quatre principes de base qui sont : la simplicité, l’utilité, l’hybridation et l’applicabilité.

L’intégration du numérique dans le quotidien des médecins a fait évoluer les responsabilités médicales multiformes associées à différents enjeux éthiques. Une sensibilisation autour de cette nouvelle responsabilité médicale protéiforme relative au numérique s’impose.

Ces mutations de la pratique médicale ne pourront se faire sans une évolution de la formation initiale et continue. Elles exigent d’anticiper la vision de la place respective qu’occuperont les médecins en général, les médecins généralistes en particulier, les autres professions de santé et les nouveaux outils médicotechniques. Il apparait donc primordial d’actualiser les enseignements dédiés ou transversaux sur la relation médecin-patient dans ces nouvelles configurations et sur l’éthique médicale auprès des professionnels de santé actuels et en devenir.

 

Jeunes enfants en pouponnière.  Histoire de l’hospitalisme et de la reconnaissance de l’attachement par Antoine GUEDENEY (Université de Paris ; CESP Inserm U 1178 ‘Développement et affect’, Policlinique Jenny Aubry, Paris)Ce travail explore le début du diagnostic de l’hospitalisme et de ses causes, dans la littérature médicale, en Angleterre et en Allemagne, au début du vingtième siècle, puis aux Etats-Unis et en France. Il retrace la lente reconnaissance des effets sur la psychologie et sur le développement du séjour prolongé de jeunes enfants en pouponnière depuis le début du siècle dernier jusqu’à aujourd’hui. A Vienne, dans l’entre-deux guerres, le concept est reformulé par un groupe de psychologues et de psychanalystes s’intéressant au développement de l’enfant, avec l’apparition des premiers ‘Baby tests’ et de l’observation du jeune enfant. Aux Etats-Unis, les films de Spitz sur l’hospitalisme et sur la dépression anaclitique ont un grand retentissement. En Angleterre, John Bowlby et les Robertson observent les effets dévastateurs de la séparation précoce entre les jeunes enfants et leur famille, et montrent la nécessité de respecter les besoins d’attachement des jeunes enfants. Leur film « John, neuf jours à la nurserie » va révolutionner l’attitude des hôpitaux et des professionnels vis-à-vis de la séparation des jeunes enfants de leurs parents. Dans les années 70-80, la question de l’impact des facteurs relationnels dans le bien-être des jeunes enfants se déplace sur la question des causes du retard de croissance, qu’il soit ou non de cause organique, dans les pays développés, mais aussi dans les pays en voie de développement. La reconnaissance de la place de l’attachement dans le développement a conduit à des changement de pratiques quant aux séjours prolongés de jeunes enfants en institution, à la présence des parents auprès de leurs enfants dans les services hospitaliers, et au suivi des enfants placés en familles d’accueil. Ces changements ont pris place en France plus tardivement qu’ailleurs. L’histoire de la reconnaissance de l’hospitalisme montre qu’aucune pouponnière ne remplace une famille. Cela renforce le besoin d’accompagnement, de supervision et d’indemnisation suffisante des familles d’accueil. Une vigilance particulière est donc à maintenir pour une formation de tous les acteurs de l’accueil, de la santé et de l’éducation dans ce domaine transversal de la médecine du jeune enfant.