Publié le 6 juin 2019

Séance des membres correspondants de la 2e division

« Ruptures et innovations en chirurgie »

Organisateur : Jacques CATON

 

Introduction par Jacques CATON (Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine. Chirurgie orthopédique et traumatologie, Lyon)

 

Les différentes démarches scientifiques permettant l’innovation en chirurgie ont, pour moteurs, ruptures et transgressions. Ces innovations sont principalement de deux ordres: innovation de rupture qui bouleverse un système antérieur, et innovation incrémentale qui améliore simplement l’offre ou les procédés déjà existants. Il faut y ajouter le concept de « sérendipité » caractérisant le côté inattendu de ces évolutions. Grâce à cette analyse, des innovations en chirurgie orthopédique, vasculaire ou viscérale ont été replacées dans leur contexte.

 

Communications

Ruptures et innovations en orthopédie-traumatologie par Alain-Charles MASQUELET (Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine. Chirurgie orthopédique et traumatologie, Hôpital Saint Antoine, Paris)

À l’occasion de la célébration du centenaire de son existence, la Société Française de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique (SOFCOT) a recensé les innovations chirurgicales issues de travaux français et ayant une diffusion mondiale. Quatre procédés emblématiques ont été retenus : i) L’instrumentation rachidienne d’Yves Cotrel et Jean Dubousset pour les scolioses. L’innovation essentielle résida dans le fait que le pré-cintrage de la tige exerçait un effet bénéfique sur la composante de rotation des vertèbres ; ii) La prothèse totale inversée d’épaule de Paul Grammont. L’apport décisif fut basé sur la médialisation du centre de rotation et l’abaissement de l’humérus, permettant la pose d’une prothèse dite « trompette » qui augmentait le bras de levier du deltoïde ; iii) Le cotyle prothétique de hanche à double mobilité de Gilles Bousquet permettant de diminuer l’usure de la prothèse avec réduction du taux de luxation ; iv) La technique de la membrane induite pour les reconstructions osseuses d’Alain Masquelet. Dans la lutte contre les pertes osseuses étendues, du ciment était utilisé afin de garder de l’espace pour la greffe. Or il s’avéra, dans un second temps, que la membrane induite par ce ciment possédait des propriétés biologiques prévenant la résorption de la greffe et favorisant l’intégration osseuse. Cette présentation s’est attachée à retracer le cheminement de la pensée de chacun de ces auteurs ayant abouti à la description d’une technique de référence mondiale. L’idée princeps est que toutes ces innovations ont participé d’une démarche ascendante, partant du patient pour susciter des recherches fondamentales ciblées.

  

Innovations en chirurgie vasculaire : comment les endoprothèses ont bouleversé le traitement des anévrysmes aortiques par Jean-Baptiste RICCO (Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine. Chirurgie vasculaire, CHU de Poitiers)

L’anévrysme de l’aorte abdominale est une pathologie redoutable. Sans intervention, l’anévrysme augmente de volume et finit par se rompre, avec une issue fatale dans la majorité des cas. La mise à plat-greffe chirurgicale fut le traitement de choix pendant plusieurs années ; mais, depuis une quinzaine d’années, le traitement endovasculaire par endoprothèse a gagné du terrain de façon spectaculaire et a été validé par plusieurs études randomisées. Moins invasif et associé à une moindre morbidité post-opératoire, ce traitement a fait d’énormes progrès ces dernières années et a bouleversé la pratique chirurgicale. Comme pour toutes les innovations, il y a eu des excès, car la pose des endoprothèses aortiques sous-rénales doit répondre à des critères anatomiques stricts. Pour les endoprothèses aortiques intéressant l’aorte thoracique et thoraco-abdominale, une expertise spécifique est indispensable. De plus, ces centres doivent avoir le recrutement nécessaire pour maintenir cette expertise, d’où la notion de centralisation qui est venue compléter la sophistication de ces techniques. Les étapes nécessaires à la formation endovasculaire des chirurgiens doivent être connues ainsi que les limites des techniques concernées.

  

Chirurgie de cytoréduction péritonéale : de l’incurable vers le curable par Olivier GLEHEN (Service de chirurgie générale, oncologique et endocrinienne, Hospices Civils de Lyon, Centre hospitalier Lyon-Sud)

Les tumeurs primitives malignes du péritoine et les métastases ou carcinoses péritonéales ont été longtemps considérées comme un stade métastatique terminal. Le développement de nouvelles techniques de chirurgie de cytoréduction et péritonectomies, de chimiothérapie intrapéritonéale associée ou non à l’hyperthermie, la mise en place de centres spécialisés dans la prise en charge de ces pathologies ont considérablement modifié le pronostic de ces pathologies. Autrefois condamnés à court terme, certains patients sélectionnés sur leur état général, l’origine, l’extension et la résécabilité de leur carcinose péritonéale peuvent bénéficier d’un traitement curatif. Le facteur pronostique principal, quelle que soit l’étiologie de la carcinose péritonéale, est représenté par la possibilité de pouvoir réaliser une chirurgie de cytoréduction complète associant résection d’organes et péritonectomies. En moins de trois décennies, la médiane de survie des patients avec métastases péritonéales est passée de 5 à 40 mois pour celles d’origine colorectale et de 3 à 25 mois pour celles d’origine gastrique. Cette médiane de survie n’est pas atteinte pour les pseudomyxomes péritonéaux mais est supérieure à 50 mois pour les mésothéliomes péritonéaux malins. Ces traitements chirurgicaux, lourds et complexes, nécessitent une prise en charge multidisciplinaire spécialisée et doivent être réalisés dans des centres experts afin de mieux sélectionner les candidats à une prise en charge curative, de limiter la mortalité et morbidité des procédures chirurgicales et d’optimiser la prise en charge péri-opératoire et la qualité de vie.

 

Conclusion par Michel HUGUIER, membre de l’Académie nationale de médecine.

 

Sans innovation il n’y a pas de progrès possible. Mais toute innovation doit être évaluée. Une illustration de cette nécessité a été apportée, en pathologie digestive, par l’infirmation, grâce à des études randomisées, de tout bénéfice pronostique des inhibiteurs de la trypsine dans les pancréatites aiguës. La connaissance des méthodes d’évaluation doit permettre de se forger une opinion critique vis-à-vis des sollicitations d’améliorations techniques qui nous submergent. Tout étudiant en médecine doit acquérir cette connaissance dans le cadre d’un enseignement pragmatique adapté à cette finalité.