Autre
Session of 22 mars 2011

Rénovation de la prévention des épidémies au XIXe siècle. Rôle majeur de ses pionniers et novateurs de l’Académie de médecine, injustement oubliés

MOTS-CLÉS : académies et instituts/histoire. diffusion des innovations. épidémies/prevention et contrôle. hygiène. législation médicale. planification sanitaire

Bernard Hillemand

Résumé

C’est à un devoir de mémoire vis-à-vis de l’Académie nationale de médecine que s’efforce de répondre cette chronique d’histoire en s’intéressant à des académiciens qui rénovèrent du tout au tout la conception de la prévention des épidémies de ‘‘ maladies pestilentielles exotiques ’’. Ils la firent passer d’une vision purement défensive de barrages aux frontières, celle de la loi de 1822 [1] très contraignante avec ses quarantaines et ses ‘‘ séquestrations ’’ en lazaret, à une stratégie offensive conduite au plus près du berceau des foyers épidémiques avec l’espoir éventuel de les détruire. Ainsi furent diminuées des dispositions contraignantes néfastes pour l’économie, et réalisée une coopération internationale aboutissant à poser les bases des pré- mices lointains de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). En raison de leurs liens privilégiés avec l’Orient, Prus, Fauvel puis son élève Proust eurent sur cette évolution une action majeure qui s’exerça avec une remarquable continuité sur trois générations de 1847 à 1903 [2] mais d’autres encore apportèrent leur contribution, Mélier, Brouardel …

 

LES LIEUX

L’élaboration et la médiatisation de ce renouveau dans la prévention des épidémies se firent essentiellement à l’ Académie de Médecine et dans les grandes Conférences

Sanitaires Internationales [3] où les académiciens ici considérés, à l’exception de Prus décédé prématurément, tous délégués de la France firent figure de ténors. L’idée de ces conférences avait été émise par Gautier Consul de France à Malte. Elle avait été reprise par le Comte Molé, Ministre des Affaires Étrangères de Louis-Philippe.

L’ouverture de la première conférence eut lieu à Paris en 1851 [4]. Onze de ces conférences furent tenues de 1851 à 1903 et une douzième en 1926. Elles associaient médecins et diplomates. Leur finalité était d’établir les bases d’un système sanitaire

Tableau — Conférences sanitaires internationales de 1851 à 1926 dont 11 antérieures à la création d’institutions sanitaires internationales permanentes LIEU ET DATE

SIGNATUDE

DES

THÈMES

D’UNE

CONFÉRENCES

CONVENTION 1ère Conf. Paris : 1851 Constatation par les médecins sanitaires d’Orient, dont il convient d’augmenter le nombre, de la disparition de la peste dans l’Empire OTTOMAN — +

D’où plaidoyer pour la libre pratique des patentes nettes du LEVANT Rédaction d’une Convention Internationale : 11 articles Rédaction d’un règlement sanitaire international : 137 articles Fonde en fait l’Hygiène Internationale 2e Conf. Paris : 1859 Échec des diplomates à aménager pour signature les textes de 1851 0 3e Conf. Constantinople : Bilan des connaissances de l’époque sur le choléra (attaque en Europe en 1866 1865) Mesures préventives d’autant plus efficaces que plus près du foyer originel avec action sur les foyers d’origine du choléra aux Indes et mesures d’arrêt au Moyen-Orient sur la route des Indes vers l’Europe (rôle de Fauvel) 4e Conf. Vienne : 1874 Double but : actualiser les travaux de Constantinople sur le choléra promouvoir une instance sanitaire internationale perma- 0 nente Double échec 5e Conf. Washington : 1881 Étude sur la protection des U.S.A. contre la fièvre jaune en provenance de 0

CUBA 6e Conf. Rome : 1885 Échec total en particulier sur les mesures à prendre contre le choléra au 0 niveau du Canal de Suez ouvert en 1869 7e Conf. Venise : 1892 Grande victoire de Proust sur les Anglais aux revendications dangereuses +

Il obtient des mesures sanitaires sur le Canal de Suez valables visant pour la surtout le choléra première

Réorganisation du Conseil Sanitaire d’Alexandrie fois 8e Conf. Dresde : 1893 Déclaration obligatoire des maladies infectieuses dans chaque état avec prise des mesures indispensables pour éteindre le choléra sur son propre territoire +

Mesures préventives applicables à la seule circonscription contaminée et non plus à l’État Surveillance sanitaire ambulatoire remplace observation en lazaret 9e Conf. 3e de Paris : 1894 Dispositions préventives contre le choléra au pèlerinage de La Mecque Protection du Golfe Persique contre le choléra d’où difficultés diplo- + — matiques avec la Turquie dans l’application des mesures 10e Conf. 2e de Venise : 1897 Aménagement à la peste des prescriptions sanitaires déjà en usage pour le choléra +

Échec d’une proposition de Proust visant la création d’une structure sanitaire internationale permanente.

11e Conf. 4e de Paris : 1903 Conférence de synthèse des réunions précédentes Principe de la création d’un Office International de Santé adopté au + lendemain de la mort brutale de Proust 12e Conf. 4e de Paris : 1926 Entérine la dualité de structures sanitaires permanentes l’une à Paris, l’autre à Genève +

Ratifie une nouvelle convention sanitaire uniforme garanti par la signature d’une convention diplomatique internationale. Ce n’est qu’à la septième conférence qu’une première convention fut signée par la majorité des états participants (Venise 1892). La conférence de Washington de 1881 fut la seule à s’occuper essentiellement de la fièvre jaune, les autres s’intéressèrent à la peste, au choléra ou aux deux.

LES RÉSULTATS ISSUS DES IDÉES NOUVELLES PEUVENT ÊTRE RÉPARTIS EN DEUX CATÉGORIES

Tantôt des réalisations concrètes, par exemple la conception, œuvre de Prus, du corps des médecins sanitaires d’Orient [5, 6], tantôt la rédaction de nombreux textes officiels dont les décrets capitaux comme ceux promulguant des règlements successifs de police sanitaire maritime, celui de 1876 du à Fauvel [7] et celui de 1896 dû à Proust [8 b]. Ces décrets avaient pour but d’aménager la loi de 1822 sur la police sanitaire maritime devenue progressivement totalement inadaptée.

La loi du 3 mars 1822 [9] et son ordonnance d’exécution du 7 août 1822 [10]

Ces textes tendaient à préserver le territoire de l’invasion des ‘‘ maladies pestilentielles ’’. Non citées étaient ainsi cependant visées sans équivoque : la peste, le choléra, la fièvre jaune.

La loi de 1822 était visiblement inspirée en le simplifiant du règlement de

Marseille institué à la suite de la grande épidémie de peste de 1720 [11]. Elle codifiait en droit français la pratique multiséculaire des quarantaines et des séquestrations en lazaret. À l’arrivée des navires, en fonction de leur état sanitaire et des renseignements fournis par la ‘‘ patente de santé ’’ délivrée par les consuls de France, véritable passeport sanitaire témoignant de leurs provenances, étaient prescrites, correspondant à la situation, des dispositions issues d’une réglementation très complexe des quarantaines et des séquestrations en lazaret.

Cette pratique des quarantaines avait été créée à Venise en 1348 pour les uns, à

Raguse (Dubrovnic) en 1377 pour les autres, dates à rapprocher de celles de la dramatique épidémie de peste noire du Moyen-Âge qui ravagea l’Europe » *

[12]. Les quarantaines eurent pour corollaire la ‘‘ séquestration ’’ en lazaret, dont le premier fut construit dans la lagune de Venise en 1403. Quarantaines et lazarets essaimèrent dans les grands ports méditerranéens. Marseille vers 1526, Toulon en 1657 furent dotés d’un lazaret [13, 14] — La réglementation des quarantaines et des lazarets était propre à chaque port car établie par leur ‘‘ bureau de santé ’’ émanation de la municipalité. Il y avait donc * Épidémie provoquée par l’acte de bioterrorisme d’un chef Tartare le Khan Djanibek en 1347. Son armée décimée par la peste au siège de Kaffa comptoir Gênois de Crimée sur la Mer Noire, il fit en levant le siège catapulter dans la ville des cadavres de pestiférés d’où contamination des navires qui sortis du port répandirent la maladie sur le littoral méditerranéen et de là dans toute l’Europe.

une disparité totale dans les pratiques quasi inexistantes d’ailleurs sur le littoral atlantique malgré quelques textes du pouvoir central, restés sans effet.

— La loi de 1822 avait donc un immense intérêt :

Coordinatrice, elle apportait une homogénéisation totale de la réglementation sur l’ensemble du littoral français, créatrice, elle formait pour veiller à son application toute une administration hiérarchisée de police sanitaire maritime.

— Elle avait aussi des défauts : la lourdeur des mesures contraignantes et la gravité exceptionnelle des sanctions pénales en cas d’infraction. Elles pouvaient aller jusqu’aux travaux forcés à temps et jusqu’à la peine de mort.

— La caractéristique majeure de la loi de 1822 était sa finalité purement défensive.

Elle visait à protéger le territoire national en rendant ses frontières tant maritimes que terrestres imperméables à l’arrivée des épidémies, sur le littoral par les quarantaines et les lazarets, sur les frontières terrestres par des cordons sanitaires. Elle ne faisait ainsi qu’entériner des pratiques multi-séculaires.

— La loi de 1822 se heurta à deux types de difficultés : dans l’immédiat elle rencontra l’opposition de groupes de pression et plus tardivement se produisit un décalage avec les progrès de la connaissance.

Les groupes de pression se livrèrent à deux types d’attaques des attaques d’ordre théorique par les non contagionistes [15, 16]. Ces derniers niaient la transmission par l’homme des maladies épidémiques et voyaient l’origine du mal dans les ‘‘ miasmes ’’ apportés par l’air et piégés dans l’atmosphère des lieux contaminés d’où l’inutilité des contraintes d’isolement.

Leur tête de file Chervin dans une pétition à la Chambre des Pairs et à la Chambre des Députés demandait même en 1843 ‘‘ la suppression immédiate des mesures sanitaires relatives à la fièvre jaune et à quelques autres maladies, la réduction des quarantaines contre la peste et qu’on se livre sans délai à des recherches approfondies sur le mode de propagation de ce dernier fléau ’’ [16].

des attaques d’ordre économique par la pression des milieux maritimes et commer- ciaux . Si des quarantaines prolongées apparaissaient comme tolérables et presque comme un repos à l’époque de la navigation à voile aux longues et pénibles traversées avec surmenage de l’équipage du fait des manœuvres quasi constantes dans des conditions hygièno-diététiques déplorables (8/d), elles devenaient insupportables avec la navigation à vapeur surtout à partir de la décennie 1840 où elle se généralisa avec l’apparition de l’hélice à pales inventée par Augustin Normand [17]. Les quarantaines s’avéraient parfois de durée très supérieure aux traversées devenues rapides d’où un ralentissement fort coûteux de la rotation des navires.

De ces attaques initiales résultèrent dans la décennie 1840 quelques dispositions ponctuelles pour alléger la dureté de la loi. Elle n’en modifièrent pas la nature.

 

Le décalage avec les progrès de la connaissance fut progressif et lié à l’apparition dans la première moitié du siècle d’une méthodologie réellement scientifique de la médecine. Il en résulta d’abord des études épidémiologiques sérieuses puis une trentaine d’années plus tard le début de la révolution pastorienne en 1877, d’où l’inadaptation croissante de cette loi à philosophie purement statique et défensive. En 1847, pour la première fois depuis cinq siècles, Prus apporta du nouveau dans la prévention des épidémies. Il apparaîtra comme l’initiateur d’une réflexion prolongée ultérieure.

Rendue nécessaire par les progrès de la connaissance et par les difficultés économiques liées aux pratiques anciennes elle aboutira à un renouveau conceptuel et d’action dont nous vivons encore aujourd’hui.

LES ACTEURS PRINCIPAUX

Prus Clovis, René :

L’initiateur 1793-1850 [4-6, 18-20]

Prus était né à Noyon le 28 avril 1793, il avait fait ses études à Sainte Barbe puis avait suivi les cours de l’École de Droit avant de passer à l’École de Médecine. De la sorte à l’époque de la conscription sa famille n’ayant pas la possibilité financière de lui fournir un remplaçant, usage alors légal et courant, il put entrer dans l’armée en qualité de sous-aide. Il fit ainsi la campagne de 1813, assista à la bataille de Leipsick et fut remarqué par Larrey qui fit de lui un de ses aides de camp. Démobilisé, il exerça la médecine à Gournay et ne revint à Paris qu’en 1826 où il se fit recevoir Docteur en 1827 seulement. Il ne tarda pas à entrer dans le service des hôpitaux ou plutôt des hospices passant successivement de Bicêtre à la Salpêtrière. Parmi ses principales publications on peut citer son ‘‘ Traité du Cancer de l’estomac ’’ 1828, ses ‘‘ Recherches sur les Maladies de la Vieillesse ’’ 1838, ses études sur la curabilité des tubercules pulmonaires de 1834 à 1839, son mémoire sur ‘‘ les deux maladies connues sous le nom d’apoplexie méningée ’’ etc. Le cours de ses activités et de ses préoccupations fut changé par son élection à l’Académie Royale de Médecine le 6 février 1844. Il y fut en effet chargé du rapport et des conclusions d’une grande discussion sur la peste d’Orient. S’y affrontèrent en 1846 les contagionistes défenseurs des quarantaines et des lazarets et les non contagionistes. Plutôt non contagioniste Prus donne toutefois des conclusions très nuancées si bien que ni les quarantaines ni les lazarets ne seront remis en cause par l’Académie de Médecine.

En 1847 il publie au nom d’une commission de notre Compagnie * un second et remarquable rapport. Il était demandé par le Gouvernement pour un ‘‘ projet d’instruction ’’ à l’usage des ‘‘ médecins sanitaires du Levant ’’, corps de médecins fonctionnaires français créé la même année. C’est ce rapport qui sera le point de départ de la longue action sanitaire relatée dans la seconde partie de ce travail. Pour donner du lustre à l’institution des Médecins Sanitaires en Orient, Prus demanda à * Commissaires : MM. Bégin, Fr. Dubois, Gérardin, Kéraudren, Londe, Mélier, Rochoux, Ferrus, Bally, Dupuy, Poiseuille, Royer-Collard, et Prus, rapporteur .

y être incorporé et on lui donna en quelque sorte le poste d’honneur à Alexandrie.

Là, il devint très rapidement le médecin et l’ami personnel du grand homme d’état égyptien Méhémet-Ali âgé et malade qui avait été informé de ses travaux sur la pathologie du vieillard. Ayant toute sa confiance il ‘‘ en usa non seulement dans l’intérêt de Méhémet-Ali mais aussi dans l’intérêt de la science et de la civilisation ’’ et il continua son action avec ses successeurs. Prus mourut à 57 ans, début 1850 d’une ‘‘ phtisie qu’il appelait catarrhale ’’ à évolution rapide dont les premiers symptômes survinrent lors d’une mission officielle d’inspection en Basse-Égypte.

Fauvel, Sulpice, Antoine : L’observateur fécond 1813-1884 [21-27]

Fauvel naît à Paris le 7 novembre 1813, vingt ans après Prus. Interne des Hôpitaux de Paris à 22 ans en 1835 il va devenir Chef de Clinique de Chomel à l’Hôtel Dieu.

En 1843 il apporte une contribution à la description des signes auscultatoires du rétrécissement mitral. En 1847 quand le Gouvernement Français crée le corps des médecins sanitaires en Orient il est désigné pour le poste de Constantinople. Un an plus tard il fut nommé membre du Conseil de Santé de l’Empire Ottoman et en 1849 il devint Professeur de pathologie médicale de l’École de Médecine de Constantinople avant d’y être promu Professeur de Clinique Médicale en 1859. À la Conférence Sanitaire Internationale de Paris en 1851, Fauvel exposa son enquête sur la peste dans l’empire Ottoman. Pendant la guerre de Crimée 1854-1856, il collabora avec le grand hygiéniste militaire Michel Levi et il inspecta le service de santé des troupes ottomanes. Il laissera une histoire médicale de ce conflit durant lequel il protesta avec vigueur contre l’ordre du commandement de faire passer par Varna infectée les troupes françaises dirigées sur le Dobrudja (ou Dobroudscha) où elles furent décimées par le choléra. En 1856 il fonde la ‘‘ Gazette Médicale d’Orient ’’ et organise la Société Impériale de Médecine de Constantinople. En 1859 puis en 1863-64 deux épidémies de typhus apportées dans l’empire Ottoman par la migration de tribus musulmanes fuyant le territoire russe n’y firent qu’un minimum de victimes grâce à la sagesse des mesures prises par Fauvel. Mais c’est principalement au choléra que Fauvel s’est confronté dès son arrivée à Constantinople en 1847. Il comprit très vite ‘‘ que l’homme atteint de la maladie en est le principal agent d’importation et de propagation ’’. Outre son action déjà évoquée contre cette maladie pendant la guerre de Crimée il joua un rôle éminent à la conférence Sanitaire Internationale de Constantinople de 1866 réunie à la suite de la réapparition du choléra en Europe en 1865. Il consacra à l’affection d’importants travaux de synthèse. Enfin il participera sur le même thème à la Conférence Sanitaire Internationale de Vienne en 1874. En 1867 il rentre en France après vingt ans de séjour en Orient pour occuper le poste d’Inspecteur général des Services Sanitaires devenu vacant par la mort de Mélier. Il devient Médecin Consultant de l’Empereur et Inspecteur des eaux minérales de France. Il est élu membre de notre Compagnie en 1889. Il intervient de façon brillante au Comité Consultatif d’Hygiène publique. Il fut considéré comme le véritable initiateur de l’Hygiène Internationale. Fauvel mourut à Paris le 8 novembre 1884 manifestant officiellement une vive amertume par le refus de discours à ses obsèques. Malade et quelques mois avant son décès il avait en effet, sollicité par ses confrères de l’Académie de Médecine, donné un avis totalement erroné et faussement rassurant sur des cas de choléra survenus à Toulon en juin 1884 lui qui était considéré comme le grand spécialiste de la question.

Proust Adrien : Le négociateur 1834-1903 [28-32]

Adrien Proust est né à Illiers (maintenant Illiers-Combray) aux confins de la Beauce et du Perche le 18 mars 1834, vingt et un ans après Fauvel. Fils d’épiciers c’est comme boursier qu’il fait sa scolarité au collège de Chartres. À 19 ans il vient à Paris où, isolé, il devient par son travail acharné interne en 1858 à 24 ans, docteur en médecine en 1862, chef de clinique en 1863, agrégé l’année du choléra de 1866 à 32 ans et médecin des hôpitaux en 1867. Il fit en 1869 une mission en Russie et en Perse pour étudier la prophylaxie du choléra. C’était alors une véritable expédition nécessitant chevaux et chameaux. Il est reçu à Téhéran avec de grands égards par le Shah et au retour à Constantinople par le Grand Vizir. Le succès de cette mission lui valut d’être décoré de la Croix de chevalier de la Légion d’honneur des mains mêmes de l’Impératrice Eugénie en 1870 pendant sa brève régence. Par son travail, son activité, l’intérêt de ses publications Adrien Proust va accumuler responsabilités et honneurs. Il sera auditeur du Comité d’Hygiène Publique de France, avant d’en être nommé en 1879 membre titulaire et il en fut le Secrétaire adjoint. En juin 1879 à la suite du décès de l’hygiéniste Tardieu il est élu à l’Académie de Médecine dont il deviendra secrétaire annuel de 1883 à 1888. En 1884 à la mort de Fauvel il lui succède comme Inspecteur Général des Services Sanitaires. En 1885 il succède à Bouchardat dans la chaire d’Hygiène de la Faculté de Médecine de Paris et est promu officier de la Légion d’honneur. En 1887 il quitte sa chefferie de service de Lariboisière pour prendre un service à l’Hôtel Dieu. En 1892 comme Commissaire du Gouvernement il défend devant la Chambre des Députés un projet de loi concernant l’installation du tout à l’égout à Paris. Fin janvier 1893 il reçoit les insignes de commandeur de la Légion d’honneur. Son décès en 1903 l’empêcha de renouveler deux candidatures restées sans succès à l’Académie des Sciences Morales et Politiques. Il avait été membre et souvent Président de diverses sociétés savantes dont la Société de Médecine Publique et d’Hygiène Professionnelle créée en 1877.

Adrien Proust publia initialement sur des sujets de médecine interne comme le pneumothorax essentiel, les différentes formes de ramollissement du cerveau, la paralysie labio-glosso-laryngée (1870), l’aphasie (1872), les localisations cérébrales, l’athétose, les troubles de la nutrition consécutifs aux affections des nerfs, le lathyrisme médullaire spasmodique, les polypes de l’estomac. À partir de 1870 il s’intéressa de plus en plus à l’hygiène tant en ce qui concerne l’hygiène industrielle et les maladies professionnelles que l’hygiène privée et la lutte contre les épidémies et leur prévention.

 

Les principaux ouvrages de Proust sur l’hygiène sont en 1877 un remarquable ‘‘ Traité d’Hygiène Publique et Privée ’’ mais aussi ‘‘ Mission sanitaire en Russie et en

Perse ’’ (1869) ; ‘‘ Essai sur l’hygiène internationale, ses applications contre la peste, la fièvre jaune et le choléra asiatique ’’ , avec une carte indiquant la marche des épidé- mies de choléra par les routes de terre, et la voie maritime (1883) ; ‘‘

La défense de l’Europe contre le choléra ’’ (1893) ; on lui doit en outre un certain nombre de mémoires, de rapports et de communications aux académies, ainsi que des ouvrages d’enseignement. Parmi ces derniers, il faut placer au premier rang une réactualisation de son ‘‘ Traité d’Hygiène ’’ réédité pour la dernière fois en 1902, avec le concours des Docteurs Netter et Bourges et la ‘‘

Bibliothèque d’hygiène thérapeutique ’’ (quinze volumes). Adjoint de Fauvel à la conférence sanitaire internationale de Vienne en 1874 il sera dès lors délégué du Gouvernement français à pratiquement toutes les grandes réunions internationales qui se suivent jusqu’en 1903 en vue de préserver l’Europe contre l’invasion des maladies exotiques. Il les précéda parfois d’une mission préparatoire comme celle dans la région de Suez avant la conférence de Venise en 1892. Il poursuivit entre autres la création d’ une Union Sanitaire Internationale. C’est une telle institution qu’il avait en vue en écrivant en 1896 son livre intitulé ’’l’Orientation nouvelle de la politique sanitaire ’’ . Bref il s’inscrivit dans la continuité de Prus et de Fauvel.

Adrien Proust mourut en pleine activité des suites d’un ictus brutal le 26 novembre 1903. Ses obsèques furent imposantes et les honneurs militaires lui furent rendus. Il est impossible d’évoquer ici l’intéressante famille d’Adrien Proust. Son mariage avec une femme remarquable et hautement cultivée de quinze ans sa cadette l’avait rendu plus qu’à l’aise et lui avait ouvert beaucoup de portes. Anti-dreyfusard alors qu’il avait épousé une jeune fille d’origine juive il connut des tensions transitoires avec ses deux fils défenseurs de Dreyfus. Le cadet Robert lui donnait toute satisfaction [33]. Il le vit interne des Hôpitaux de Paris, troisième de sa promotion à 21 ans et prosecteur à 26 ans. Avant de disparaître il pouvait déjà préjuger du futur et brillant chirurgien des hôpitaux et du futur professeur. L’aîné Marcel l’inquiétait par sa vie d’oisif mondain.

En effet celui-ci ne publia l’essentiel de son œuvre que 15 à 20 ans après la mort de son père évoqué dans ‘‘ Jean Santeuil ’’ et dans ‘‘ À l’ombre des jeunes filles en fleurs ’’ faisant par son génie connaître au monde entier Illiers sous le nom de Combray.

LA CONTINUITÉ DE LA PENSÉE ET DE L’ACTION

Trois grandes perspectives communes peuvent se distinguer dans la pensée et l’action de ces trois auteurs qui s’intéressèrent essentiellement à la peste et au choléra.

La première perspective

Rapprocher le plus près possible les mesures et précautions sanitaires des foyers épidémiques ou du berceau des maladies exotiques.

 

Prus en fut l’initiateur essentiel.

En 1847-1848 [5, 34] il souligne le besoin pour les administrations sanitaires de l’Europe Occidentale de connaître exactement l’état de la Santé Publique en Orient avec pour finalité lointaine d’y éradiquer la peste.

Émanation de notre Académie son projet d’instruction à l’usage des médecins sanitaires du Levant [5] créés par ordonnance d’avril 1847 répondait à ces buts en leur donnant une double mission :

une mission de service sanitaire proprement dite qui comporte : la constatation de l’état sanitaire du pays de départ, la visite du bâtiment, de l’équipage et des passagers se rendant en France, la délivrance du certificat devant servir de base à la patente de santé, la tenue des registres sanitaires et la correspondance avec le ministre de l’agriculture et du commerce :

une mission de recherche , appelée plan d’étude, afin d’obtenir des notions plus positives et plus complètes que celles existant alors. Le médecin sanitaire d’Orient prendra donc en considération le sol, les eaux, l’atmosphère, les végé- taux, les animaux de la contrée, en même temps qu’il se livrera à l’étude des habitants et de leurs maladies ordinaires ou accidentelles. Partant de l’idée qu’il existe en Égypte, en Syrie, en Turquie des lieux qui produisent la peste et d’autres qui ne l’engendrent pa, le médecin sanitaire du Levant s’efforcera d’objectiver les différences existant entre les uns et les autres, différences des temps, des climats, des populations.

Ainsi seront rassemblées des connaissances positives permettant de mieux comprendre les phénomènes d’où l’espoir de la ‘‘ destruction de la peste en Orient ’’, comme l’expliquera un peu plus tard Prus dans une lettre officielle au Secrétaire perpétuel de notre Académie [34]. Dans ces instructions se reflète une période charnière de la médecine. On y voit pointer le tout début de la médecine scientifique avec le souci de l’observation valable dégagée de toute idée préconçue et detoute pré- occupation théorique tandis que subsistent visiblement des relents de la vision non contagioniste des miasmes piégés dans l’atmosphère comme origine des épidémies.

L’apport scientifique des médecins sanitaires d’Orient fut très important. Le nombre de ces médecins d’initialement six [8-d] passa en 1853 à la suite de la conférence sanitaire internationale de Paris 1851 à vingt-six, répartis en quatre arrondissements, dont les chefs-lieux, étaient Smyrne, Beyrouth, Alexandrie et Constantinople, mais il existait aussi des postes à Damas, au Caire. Dans chacun de ces chefs-lieux résidait un médecin central, qui, sans avoir de suprématie réelle sur les collègues de son arrondissement, réunissait et coordonnait leurs rapports, et les transmettait à Paris au Ministre concerné ainsi qu’à l’Académie de Médecine, au Corps consulaire local et au Conseil supérieur de santé siégeant à Contantinople.

Ainsi était réalisée une sorte de veille sanitaire avant la lettre. On peut rappeler que le Conseil Sanitaire de Constantinople avait été créé en 1838 par le Sultan. Il avait la particularité de posséder un double collège, l’un d’autochtones, l’autre d’occiden- taux particulièrement compétents. Il ne s’intéressait qu’à l’Empire Ottoman et fut imité dans divers pays d’Orient et du Maghreb. La plupart des médecins sanitaires d’Orient étaient français, mais un recrutement de ressortissants de nations étrangè- res signataires de conventions sanitaires internationales devint possible. À noter que l’Angleterre entretenait pour son propre compte, dans le delta du Gange, un service sanitaire chargé de surveiller le choléra, endémique dans ces régions [35].

Fauvel s’inscrivit dans la continuité de la pensée de Prus en particulier lors de la conférence sanitaire internationale de Constantinople de 1866 contre le choléra. Il y fut en effet montré que les quarantaines avaient une efficacité d’autant plus grande qu’elles étaient appliquées plus près du lieu d’origine de la maladie [8-d], Bergeron [23] rappelait cette citation de Fauvel concernant le choléra ‘‘ il ne s’agit plus comme autrefois d’attendre que l’ennemi soit à nos portes pour nous en occuper… notre prévoyance va plus loin, nous allons au-devant du danger jusqu’au foyer primitif de la maladie et nous essayons d’opposer à la marche envahissante du fléau venant d’Orient, des barrières infranchissables sur les routes qu’il a suivies pour pénétrer en Europe ’’. Pour ce faire Fauvel avait longuement étudié leurs divers itinéraires [26].

Il envisageait donc tout un programme de stations sanitaires situées en des lieux stratégiques pour empêcher les communications directes des régions contaminées de l’Inde et de l’Extrême-Orient avec l’Égypte, la Méditerranée et l’Europe [23].

Le pèlerinage de La Mecque grand vecteur de choléra et l’ouverture en 1869 du Canal de Suez justifiaient pleinement cette position.

Proust resta dans la même continuité de pensée.

Il l’expliqua en affirmant : ‘‘ La tendance de la politique sanitaire que nous recommandons est de substituer, autant que possible, aux mesures de prophylaxie prises à l’arrivée, les mesures prises au point de départ et pendant la traversée ; les précautions sanitaires ont un effet d’autant plus d’efficacité qu’elles sont prescrites le plus près possible des foyers épidémiques ou des berceaux des maladies exotiques ’’ [8-d].

Il la concrétisa de deux manières, d’une part par la rédaction, intégrant les données de la révolution pastorienne débutée en 1877, du règlement de police sanitaire de 1896 qui comporte de nombreuses précautions sanitaires au départ, durant la traversée et dans les ports d’escales contaminées. L’apparition d’une désinfection devenue efficace (étuves à vapeur sous pression entre autres) s’y situait au premier plan ; d’autre part par son action diplomatique habile et efficace à la Conférence Sanitaire Internationale de Venise en 1892 où ses conceptions sur la réglementation sanitaire du Canal de Suez ouvert en 1869, inspirées par la pensée de son maître Fauvel, furent retenues après d’âpres discussions poursuivies avec les Anglais dont les propositions jugées dangereuses furent finalement repoussées [8-d]. Il fut certes appuyé par Brouardel et par le diplomate Camille Barrère mais sa mission préparatoire très approfondie sur les lieux même pour fixer au mieux les emplacements stratégiques de stations sanitaires ne fut pas étrangère à ce succès.

 

La deuxième perspective

Adoucir les mesures contraignantes, quarantaines, tout en maintenant ou en améliorant la sécurité sanitaire.

Prus adhérait au système de réforme sanitaire adopté par l’Académie Royale de Médecine et sanctionné par l’ordonnance d’avril 1847 qui consistait à réduire les quarantaines autant que la prudence le permettait à condition d’une surveillance exacte par des médecins responsables aux ports de départ, pendant la traversée et à l’arrivée en France [5]. Une coordination parfaite était jugée indispensable entre les médecins sanitaires d’Orient dont la création était promulguée par le même texte, les médecins sanitaires à bord des paquebots à vapeur du commerce et enfin les médecins sanitaires des ports français de Méditerranée et du lazaret de Marseille [5, 36].

Fauvel certes défenseur des quarantaines à la conférence sanitaire internationale de Constantinople en 1866 [28] contribua cependant à adoucir les mesures les concernant. Sa première enquête au début de son séjour en Turquie, eut pour objet la peste, or Fauvel établit que cette affection était complètement éteinte sur tous les points de l’empire Ottoman. Comme conséquence, le Gouvernement français mit fin aux quarantaines permanentes contre les provenances d’Orient, qui n’avaient plus de raison d’être et n’étaient qu’une entrave pour nos relations commerciales. La conférence sanitaire internationale réunie à Paris en 1851 consacra cette réforme [25]. Le règlement de police sanitaire maritime de 1876 promulgué juste avant la révolution pastorienne et dû à Fauvel [23] intégra largement les données de la Conférence de Paris de 1851 [37] souvent déjà utilisées dans des dispositions préliminaires antérieures.

Proust continua dans la même lignée. Inspirateur du règlement de police sanitaire maritime de 1896 il s’efforça de diminuer autant qu’il est possible les entraves inutiles imposées au commerce et à la navigation tout en sauvegardant les intérêts supérieurs de la santé publique [8-d]. S’inspirant des résolutions des Conférences Sanitaires Internationales de Venise (1892), Dresde (1893), Paris (1894), la quarantaine d’observation était remplacée par une mesure ambulatoire la ‘‘ surveillance sanitaire ’’, les indications non plus de ‘‘ quarantaine de rigueur ’’ mais ‘‘ d’isolement ’’ étaient rendues exceptionnelles. La survenue à partir de 1877, de la révolution pastorienne entraînant l’apparition, on l’a vu, de procédés efficaces de désinfection puis aussi de protection avec la vaccination, permit à Proust d’évoluer de plus en plus vers l’espoir de faire ‘‘ disparaître pour toujours les exagérations, les folies quarantenaires qui tout en étant une cause de ruine pour le commerce et la navigation, ne donnent pas à la santé publique des garanties en rapport avec le préjudice causé ’’ [8-d] ce qu’il s’efforça d’intégrer dans son décret de 1896.

 

La troisième perspective

Développer la coopération internationale dans l’action sanitaire.

Dès le début, l’Académie se préoccupa de l’‘‘ International ’’. Par exemple elle envoya une mission où figurait Pariset étudier à Barcelone l’épidémie de 1821 de fièvre jaune. Un des membres de la mission Mazet en mourût [15].

Prus développa la coopération internationale de façon majeure avec la création des médecins sanitaires d’Orient, mais il s’agissait d’une coopération de culture essentiellement française limitée aux pays du Levant.

Fauvel fut à sa mort, considéré par Bergeron en 1884 comme le ‘‘ véritable initiateur de l’Hygiène Internationale ’’. Il avait pris une part prépondérante à l’organisation et à la tenue à Constantinople en 1866 de la troisième conférence sanitaire internationale [23] où sa présence s’imposa [38]. Il avait participé à la conférence internationale de Vienne en 1874 où le Gouvernement austro-hongrois avait proposé l’institution d’une commission internationale permanente ayant pour but l’étude et la prophylaxie des maladies épidémiques, proposition qui ne fut pas retenue [8-d].

Proust, jadis présent à Vienne en second de Fauvel reprenait en 1896 dans la continuité cette idée de 1874 en écrivant dans ‘‘ L’Orientation nouvelle de la politique sanitaire ’’ : ‘‘ Il faudrait créer une ‘‘ Union Internationale Sanitaire ’’ qui devrait être permanente ’’ [28]. Il la reprit avec un nouvel échec à la conférence de Venise de 1897. À la conférence de Paris en 1903 il défendit encore cette création mais il ne pût avoir la joie de voir son projet ‘‘ d’Office International d’Hygiène ’’ entériné par la Conférence grâce au grand diplomate Camille Barrère car il décéda brutalement fin novembre alors que celle-ci ne présenta ses conclusions avec Brouardel qu’en décembre [28]. Il ne put voir non plus son établissement à Paris en 1908 sous le nom d’ Office International d’Hygiène Publique , calqué sur le modèle de fonctionnement du bureau international des poids et mesures.

Une nouvelle phase de la coopération internationale était née et elle était due pour beaucoup à ces trois membres de notre Compagnie surtout à Proust. Ultérieurement la Société des Nations (SDN) fondée après le Traité de Versailles voulut rapidement avoir sa propre politique sanitaire. Elle fonda à son siège de Genève dès 1923 l’ Organisation Internationale Permanente d’Hygiène, qui ne se substitua pas à l’organisme de Paris, mais collabora avec lui et la douzième conférence sanitaire internationale la dernière et la seule qui se réunit alors qu’existaient des instances sanitaires internationales permanentes, entérina cette dualité [4]. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale l’Organisation des Nations Unies (ONU) créée en 1946 remplaça la SDN Comme elle, elle eut une institution sanitaire spécialisée. Ce fut l’ Organisation Mondiale de la Santé (OMS) créée en 1948. Elle absorba les différents organismes cités supra et elle adoptera en 1951 la première version du règlement sanitaire international (RSI) et sa rénovation en 2005 [39, 40]. Son action basée sur la veille sanitaire, l’information, l’intervention à la source de l’épidémie et la coordination dans la lutte contre sa diffusion doit être marquée du sceau de la rapidité rendue particulièrement nécessaire par la navigation aérienne [41].

L’exposé de son action ne relève pas du propos de cette étude mais on peut remarquer que ses principes généraux sont dans la lignée de ceux développés par Prus, Fauvel et Proust. Certes les trois auteurs étudiés ne furent pas les seuls à s’intéresser à la prévention des épidémies et à agir contre elles. Au moins Mélier et Brouardel doivent être évoqués même s’ils ne connurent pas des contacts étroits avec l’Orient comme les trois précédents.

AUTRES ACTEURS

Mélier François 1796-1866 Il fut élu dans notre Compagnie en 1843, il en fut le secrétaire annuel de 1846 à 1848 et le Président en 1852. Inspecteur général des services sanitaires en 1854 il fut membre du Comité Consultatif d’Hygiène Publique de France et médecin consultant de l’Empereur Napoléon III. Au vu d’un cas mortel d’abcès de la fosse iliaque droite par perforation appendiculaire il émit le premier l’idée de l’appendicectomie [42]. Il fut un des grands organisateurs de la première conférence sanitaire internationale (Paris 1851). Il en fut aussi un des ténors par la clarté de ses interventions impromptues dans lesquelles il savait synthétiser une discussion parfois confuse et recentrer le problème en cause [37]. Pour accélérer la rotation des navires il proposa au lieu du déchargement des navires à la fin de la quarantaine, le déchargement dit sanitaire fait aussitôt après le débarquement des personnes en lazaret et réalisé selon un protocole précis utilisant des désinfectants (chlorure de chaux). Il géra admirablement l’épidémie de fièvre jaune de Saint-Nazaire en 1861 [15]. Il en laissa un rapport remarquable [43] modèle du genre pour l’américain Coleman en 1984 [44].

Pour ce dernier le rapport donnait une leçon décisive en montrant qu’une nouvelle science l’épidémiologie était nécessaire voire présumée suffisante pour dégager des mesures à visées préventives même en l’absence d’étiologie connue.

Brouardel Paul 1837-1906 Il fut élu dans notre Compagnie en 1880. Il peut être considéré comme le sauveur de Notre Dame car médecin de l’Hôtel Dieu et avec l’aide d’internes il y éteignît en 1871 l’incendie provoqué par les communards [45]. Professeur de Médecine légale en 1879, il fut Doyen de la Faculté de Médecine de Paris de 1887 à 1901. Grand défenseur de Pasteur et des ses idées il fut à la tête du Comité Consultatif d’Hygiène Publique de France. Il s’occupa de la création d’un corps de médecins navigants et visa à l’extinction des quarantaines. Dans cet esprit il participa avec Proust aux conférences sanitaires internationales de Rome 1885, Venise 1892 et 1897, de Dresde 1893, de Paris 1903 [45] avec le plus souvent précession protocolaire sur lui [28].

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Ainsi en 1822 la France s’était dotée, inspiré de celui local de Marseille d’un règlement sanitaire homogène mais très contraignant à base de quarantaines. Purement défensif il visait à éviter l’invasion du territoire par les épidémies en les arrêtant aux frontières par des moyens multiséculaires, quarantaines, séquestrations en lazarets, cordons sanitaires. Prus eut l’idée, émanation de notre Académie, d’essayer d’attaquer les épidémies à leur lieu d’émergence, voir de les détruire et il conçut en 1847 l’outil nécessaire à savoir le service des médecins sanitaires d’Orient aux sites même de leur apparition [2]. Ainsi l’Académie de Médecine est à l’origine de la rénovation de la stratégie dans la prévention des épidémies qui de purement défensive va prendre un caractère progressivement offensif et ce sont des académiciens qui vont poursuivre cette réflexion rendue d’autant plus nécessaire que vers les années 1850 la généralisation de la marine à vapeur à hélices, aux traversées rapides rendit économiquement difficilement supportable les quarantaines parfois plus longues que les traversées. Ce sont aussi des académiciens qui joueront un rôle important dans les grandes conférences sanitaires internationales dont la première eut lieu à Paris en 1851. Le rôle de Mélier doit y être souligné. Dans ces grandes conférences sanitaires internationales Fauvel puis Proust et aussi Brouardel poursuivirent la pensée de Prus. Ils stimulèrent au Moyen-Orient la création de barrières au choléra en provenance des Indes et cheminant vers l’Europe.

Les règlements de police sanitaire maritime, celui de 1876 dû à Fauvel et celui de 1896 dû à Proust, se situaient dans le sillage de ces conférences et intégraient les dernières données de la science, données accélérées à partir de 1877 par la révolution pastorienne qui transforma, du tout au tout, les données du problème permettant des désinfections efficaces, la vaccination… Il en résulta un adoucissement des mesures contraignantes puis finalement l’extinction des quarantaines et le report progressif des mesures sanitaires du port d’arrivée au port de provenance et au plus près de la source des épidémies. Il y avait donc un meilleur respect des impératifs économiques, sans atteinte à la sécurité sanitaire. Au xxe siècle l’apparition de la navigation aérienne acheva de faire éclater l’ancien système de 1822.

Ce sont encore des académiciens qui sont au xixe siècle, parmi les principaux promoteurs de la coopération sanitaire internationale en visant dans les grandes conférences du xixe à la signature, initialement avec échec, d’une convention sanitaire internationale générale mais enfin avec succès à Venise en 1892. Ce furent encore Fauvel puis Proust qui se battirent de 1874 à 1903 pour obtenir le principe d’une structure sanitaire internationale permanente de coopération sanitaire concrétisée par la création à Paris en 1908 de l’Office International d’Hygiène Publique véritable prémice de l’OMS et il n’est peut-être pas abusif de les considérer ainsi que Brouardel comme deux lointains mais authentiques promoteurs de celleci, auxquels il convient d’associer le diplomate Camille Barrère.

Il semble important de remarquer en terminant que tous les principes généraux dégagés au xixe siècle reste inchangées de nos jours. Seules ont été bouleversées les modalités d’application. Par exemple la lente transmission des informations des médecins sanitaires d’Orient s’est transformée en la diffusion quasi immédiate des données émanant de réseaux mondiaux complexes de veille sanitaire. Ce qui compte c’est en raison de la navigation aérienne la rapidité de la prise de mesures de prévention visant à circonscrire voir à étouffer l’épidémie avant en cas d’échec de freiner sa diffusion. Alors que les techniques d’application ont progressé ou se sont transformées, codification des règles d’hygiène désinfection, destruction d’éventuels vecteurs, vaccination etc. … les principes généraux restent inchangés.

C’est dire l’hommage qui doit être rendu à ces grands prédécesseurs injustement méconnus et oubliés.

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Histoire des

Sciences Médicales (à paraître ).

[2] Hillemand B. — Trois hygiénistes Prus C., Fauvel H., Proust A. — Leurs rapports à l’ORIENT. Continuité de pensée et d’action dans la prévention des épidémies. Histoire des Sciences Médicales (à paraître).

[3] Hillemand B. — Les Conférences Sanitaires Internationales de 1851 à 1926, prémices de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Histoire des Sciences Médicales (à paraître).

[4] Panzac D. —

Quarantaines et Lazarets. L’Europe de la peste d’Orient. Edisud Aix-en-Provence 1986, 219 pages.

[5] Prus C. — Rapport au nom d’une commission. Projet d’instruction à l’usage des Médecins Sanitaires du LEVANT. Bulletin de l’Académie Royale de Médecine , 1847-1848, 1re partie XIII (7) , 233-248.

[6] Prus C. — Lettre du 21 août 1848 à Monsieur le Secrétaire perpétuel de l’Académie nationale de médecine. Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, 1847-1848, 2e partie, XIII (51) 1418-1421.

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[8] République Française Ministère de l’Intérieur —

Règlement Général de Police Sanitaire

Maritime . Décret du 4 janvier 1896 . Imprimerie Administrative Melun 1896. a) Bourgeois L. :

Rapport au Président de la république 5-7. b) Le Décret 9-50. c) Annexes 51-67. d) Proust A. :

Rapport sur le Règlement de Police Sanitaire Maritime de 1896, 69-146.

[9] Louis — par le Roi le Ministre Secrétaire d’État au Département de l’Intérieur Corbière (no 12,211). Loi relative à la Police Sanitaire le 3 mars 1822. Bulletin des Lois 1822 VIIe série.

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[10] Louis — par le Roi le Ministre Secrétaire d’État de l’Intérieur Corbière (no 13, 201). Ordonnance du Roi qui en exécution de la loi du 3 mars 1822 détermine des mesures relatives au Régime et à la Police Sanitaire le 7 août 1822. Bulletin des Lois 1822 VIIe série, no 548, 169-188.

[11] Fodéré — Quarantaine in : Société de médecins et de chirurgiens. Dictionnaire des Sciences

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[12] Ruffié J., Sournia J.C. —

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[13] Mafart B., Perret J.L. — Histoire du Concept de quarantaine. Médecine Tropicale, 1998, 58 (2.S) 14-28.

[14] Laget P.L. — Les lazarets et l’émergence de nouvelles maladies pestilentielles au xixe siècle et au début du xxe. L’Accueil revue . In Situ . 2002 (2) 1-12.

[15] Hillemand B. — L’épidémie de fièvre jaune de Saint-Nazaire en 1861.

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Médicales, 2006, XL (1) 23-36.

[16] Chervin N. —

Pétition présentée à la Chambre des Pairs et la Chambre des Députés pour demander la suppression immédiate des mesures sanitaires relatives à la fièvre jaune et à quelques autres maladies, la réduction des quarantaines contre la peste et qu’on se livre sans délai à des recherches approfondies sur le mode de propagation de ce dernier fléau, suivi des rapports faits à l’une et l’autre Chambre. J.B. Baillière, Paris, 1843, 180 p. in 8.

[17] De La Varende J. —

La Navigation sentimentale p. 305. Flammarion Paris 1952.

[18] Dubois F. — M. Prus, Éloge funèbre.

Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, 1849-1850 — XV (8) 346-351.

[19] Prus C. — De la peste et des quarantaines. a) Rapport :

Bulletin de l’Académie Royale de

Médecine 1845-1846 XI (15) 641 (alias 545) — 870. b) Discussions : Bulletin de l’Académie

Royale de Médecine 1845-1846 XI (16) in sequentia 1473 : Bulletin de l’Académie Royale de

Médecine 1847 XII (1) (2) (3 ) in : 10 à 143.

[20] Prus C. — Au nom d’une commission

Rapport à l’Académie Royale de Médecine sur la peste et les quarantaines. Pièces et Documents. J.B. Baillière, Paris 1846, 663 pages.

[21] Dupont M. — Fauvel Antoine Sulpice — 238-239 in :

Dictionnaire Historique des médecins dans et hors la Médecine. Larousse Bordas 1999 Paris 628 pages.

[22] Editorials — Sulpice Antoine Fauvel (1813-1884)

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[23] Bergeron J.E. — Décès de M. Fauvel. Notice nécrologique.

Bulletin de l’Académie de Méde- cine 1884, 2e série XIII (47) 1607-1617.

[24] Fauvel A. —

Histoire Médicale de la Guerre d’Orient. Rapports au Ministre de l’Agriculture du

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[25] Proust A. — Rapport Général sur les prix.

Bulletin de l’Académie de Médecine 1885, 2e série

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[26] Fauvel A. —

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[27] Guérin A. (Président) — Décès de M. Fauvel.

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[28] Panzac D. — Le Docteur Adrien PROUST, père méconnu, précurseur oublié. L’Harmattan, Paris 2003.

[29] Bariety M. — Éloge de Adrien Proust (1834-1903). Bulletin de l’Académie Nationale de

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[30] Poirier Ph. — Nécrologie, Proust Achille, André.

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[31] Proust A. — Rapport sur le règlement de police sanitaire maritime de 1896 in R.F. Ministère de l’Intérieur. Direction de l’assistance et de l’hygiène publique. In Règlement général de police sanitaire maritime. Décret du 4 janvier 1896, 69-146. Imprimerie Administrative 1896. Melun, 1896.

[32] Lanceraux E. (Président) — Décès de M. Proust. Bulletin de l’Académie de Médecine. 1903, 3e série L (39). 345-348.

[33] Laugier A. — Robert Proust, radio chirurgien. Centre des tumeurs de l’Hôpital Tenon 1921-1926. Colloque ‘‘ Proust et la Médecine ’’, Hôpital Tenon 28. XI. 1992. La Gazette du CHU 4 (8) 191-194.

[34] Prus C. — Lettre du 21 août 1848 à Monsieur le Secrétaire Perpétuel de l’Académie Nationale de Médecine. Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, 1847-1848. 2e partie XIII (51) 1418-1421.

[35] Dechambre A. — Médecins sanitaires d’Orient, 592-593 in

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[36] Meyer H. —

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[37] Ministère des affaires étrangères —

Procès Verbaux de la Conférence Sanitaire Internationale ouverte à Paris le 27 juillet 1851 . Tome 1 : 382 pages. Tome II : 478 pages a) Projet de Convention

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[38] Anonyme — Procès Verbaux de la Conférence Sanitaire Internationale ouverte à Constan- tinople le 13 février 1866 . Tome I. Tome II : dont Annexe du Procès Verbal no 44. Relevé des conclusions, adoptées par la Conférence en réponse aux questions de son programme , 1 à 34.

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[39] Salmon J. — Rapport Introductif. Quatorzièmes Rencontres Internationales d’Aix-en-Provence, 13-46 in : Maljean-Dubois S., Mehdi R.

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Colloque des 8 et 9 décembre 2006. Éditions A. Pédone , Paris 2007.

[40] Poulain M. — Révision du Règlement Sanitaire International Réseau ‘‘ Alerte et Action ’’.

L’efficacité des outils de réaction de l’O.M.S. à l’épreuve du SRAS et de la grippe aviaire.

Quatorzièmes Rencontres Internationales d’Aix-en-Provence, 101-118 in Maljean-Dubois S.,

Mehdi R . La Société Internationale et les Grandes Pandémies. Colloque des 8 et 9 décembre 2006. Éditions A. Pédone. Paris 2007.

[41] Cupa M. — Influences du transport aérien sur la santé. Bull. Acad. Natle Méd. , 2009, 193 , no 7, 1619-1631.

[42] Vaire P., Hillemand B. — François Mélier (1798-1866). Un limousin pionnier de santé publique et d’épidémiologie au xixe siècle à Paris. Histoire des Sciences Médicales, 2007 XLI (4) 385-390.

[43] Mélier F. —

Relation de la fièvre jaune à Saint-Nazaire en 1861 (lue à l’Académie Impériale de

Médecine dans les séances du 7, 14, 21, 28 avril 1863, suivie d’une réponse aux discours prononcés dans le cours de la discussion et de la loi anglaise sur les quarantaines). J.B. Baillière et fils. Paris.

1863, 276 p.

[44] Coleman W. — Epidemiological method in the 1860 s : Yellow fever at Saint-Nazaire. Bulletin of the history of Medecine (Baltimore), 1984, 58, 145-163.

[45] Thoinot L. — Paul Brouardel.

Mémoires de l’Académie de Médecine 42, 1-18. Masson Paris 1910.

 

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine</p>