Communiqué
Session of 29 mars 2011

Avis sur le projet de loi relatif à la bioéthique adopté à l’Assemblée Nationale en première lecture le 15 février 2011

MOTS-CLÉS : bioéthique. éthique professionnelle. législation. recherche génétique.

Pierre JOUANNET *, Raymond ARDAILLOU * et Yves CHAPUIS *

Communiquébioéthique, éthique professionnelle, législation, recherche génétique, recherche sur l’embryon., techniques de reproduction assistéePierre Jouannet, Raymond Ardaillou sur, Yves Chapuis

Pierre JOUANNET *, Raymond ARDAILLOU * et Yves CHAPUIS *

Après avoir adopté un rapport intitulé « Réflexions relatives au rapport 2235 de la mission parlementaire sur la révision des lois de bioéthique » [1], document qui comportait de nombreux commentaires et propositions de modifications, l’Académie nationale de médecine avait formulé en décembre 2010 des « Remarques sur le projet de loi No 2911 relatif à la bioéthique présenté au conseil des ministres le 20 octobre 2010 » [2].

L’Académie nationale de médecine est conduite à faire part des nouveaux commentaires et réflexions que lui inspire le projet de loi adopté en première lecture le 15 février 2011 tout en rappelant les anciens.

L’Académie nationale de médecine souligne à nouveau qu’un juste équilibre doit être trouvé en matière de bioéthique entre ce qui relève du domaine législatif ou réglementaire et ce qui est de la responsabilité des professionnels au plan des questions techniques et de l’éthique qui s’y rattache. Il en est notamment ainsi des guides de bonne pratique et des listes d’examens ou des procédures dont l’autorisation par arrêté ministériel ne s’impose pas.

Passant en revue les neuf titres de chapitres qui se succèdent dans ce projet de Loi, elle a porté son attention sur plusieurs de leurs articles et suggère d’y apporter des modifications ou des précisions complémentaires. Elle rappelle qu’elle a adopté le rapport de Jean-Yves Le Gall et Raymond Ardaillou sur « C ellules souches et perspectives thérapeutiques » [3] avec des conclusions rappelées en annexe.

Les différents titres du projet de loi font ainsi l’objet des remarques qui vont suivre.

 

Titre 1 : examen des caractéristiques génétiques

Article 2 : les règles de bonne pratique doivent-elles être définies avec précision par arrêté ministériel alors qu’elles sont susceptibles d’évoluer rapidement avec les progrès des techniques ? Une mise à jour régulière par l’Agence de la Biomédecine apparaît préférable.

Article 4 quater : l’abrogation de l’ordonnance no 2010-49 n’a aucune relation avec l’examen des caractéristiques génétiques ni avec la bioéthique. L’Acadé- mie nationale de médecine sera amenée à se prononcer par ailleurs sur ce texte qui a surtout pour objet d’instituer la biologie médicale comme spécialité à part entière et de préciser les conditions de son exercice.

Titre 2 : organes et cellules

Article 5 : l’Académie nationale de médecine approuve la disposition autorisant qu’un prélèvement d’organe puisse être réalisé chez toute personne ayant un lien affectif étroit, stable et avéré avec le receveur ainsi que le don croisé d’organe.

Article 5 quater : La reconnaissance symbolique de la Nation devrait être étendue aux donneurs de tissus et de cellules destinés à autrui.

Article 7 : L’ANM apprécie que les dispositions de cet article qui concernent les cellules du sang de cordon et du sang placentaire aient été étendues aux cellules du cordon et du placenta comme cela était recommandé dans un rapport antérieur de l’Académie [4].

Titre 3 : diagnostic prénatal, diagnostic préimplantatoire et échographie obstétricale et fœtale

Article 9 : La liste des examens prévue à l’ article L 2131-1 -V.-, dont la nature est susceptible de pouvoir évoluer rapidement en fonction des connaissances et des évolutions techniques, devrait être établie plutôt par l’Agence de la Biomédecine que par arrêté ministériel.

L’Académie nationale de médecine continue à s’interroger sur le sens des termes « à intérêt collectif » caractérisant les établissements cités dans l’ article L 2131-1 -VII. — et hébergeant les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal. S’agit-il d’établissements de santé « à but non lucratif » comme le prévoit la législation actuelle ?

Article 12 bis : Il conviendrait que le rapport soit étendu à toute forme de trisomie et d’anomalie cytogénétique

Titre 5 : anonymat du don de gamètes

Articles 14 à 18 : L’Académie nationale de médecine approuve la suppression des articles 14 à 18 et apprécie que ses recommandations aient été prises en compte.

Article 18 bis (nouveau) : Le respect du principe de l’anonymat devrait impliquer que toutes données relatives aux donneurs et permettant de les identifier ne soient pas conservées dans les dossiers médicaux au-delà de la naissance des enfants issus du don. Ceci ne devrait pas empêcher que tout élément du donneur (par exemple l’ADN) pouvant présenter un intérêt médical ultérieur éventuel puisse être conservé sans référence au donneur permettant de l’identifier.

Titre 6 : assistance médicale à la procréation

Article 19 A (nouveau) : Prendre des mesures pour favoriser le recrutement des donneurs de gamètes, en autorisant la conservation de gamètes en vue d’utilisation personnelle ultérieure en dehors de tout contexte pathologique, est une intention louable. La complexité des questions éthiques, médicales et pratiques suscitées par les nouvelles dispositions législatives relatives au don d’ovocyte, apparemment séduisantes et intéressantes à première vue, ne permet pas à l’ANM de se prononcer sur leur bien fondé dans un délai aussi court. Néanmoins l’ANM ne peut que formuler ses réserves face à des dispositions qui pourraient être comprises par les femmes comme un « encouragement » à procréer de plus en plus tard.

Afin d’améliorer la pratique du don d’ovocyte en France, il serait préférable d’allouer aux centres autorisés les moyens nécessaires à un accueil et une prise en charge satisfaisante des donneurs de gamètes et à développer des campagnes plus vigoureuses d’informations et de sensibilisation au don de gamète.

Article 19 : La nouvelle rédaction de l’article L 2141-1 du CSP définissant l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) introduit une modification majeure en incluant la conservation des gamètes et des tissus germinaux parmi les actes étant de son ressort. Dans la loi actuelle, ces actes de conservation, considérés comme étant « en vue de la réalisation d’une AMP », sont inscrits dans un article séparé (L2141-11).

Assimiler la conservation des gamètes et des tissus germinaux à une AMP donne lieu à confusion car ces actes ont pour but de préserver la fertilité et non de procréer. Dans certains cas, la conservation n’est pas suivie d’une AMP.

C’est le cas par exemple quand du tissu ovarien conservé fait l’objet d’une autogreffe pour que la fertilité puisse s’exprimer naturellement.

 

De plus et surtout, la nouvelle rédaction de la loi devrait conduire à appliquer à la conservation des gamètes et des tissus germinaux toutes les dispositions concernant l’AMP, ce qui est impossible. En effet ces conservations sont très fréquemment entreprises pour des personnes ne vivant pas en couple ou n’étant pas en âge de procréer.

Par ailleurs le projet d’article L 2141-1 prévoit que « la liste des procédures biologiques utilisés en AMP est fixée par arrêté du ministre… ». Cette disposition, qui n’a aucun lieu d’être, risque de constituer un frein et un handicap majeur pour une prise en charge thérapeutique efficace des patients basée sur les évolutions techniques et scientifiques validées.

Plutôt que de privilégier une approche réglementaire particulièrement complexe, l’autorisation de procédures biologiques dont l’évolution est du ressort de l’expertise médicale et des bonnes pratiques, pourrait être confiée à l’Agence de la Biomédecine. Il conviendrait par ailleurs que le 2° de l’article L 1418-1 de la loi, qui donne mission à l’ABM de proposer toute orientation et mesure adaptée au développement des connaissances et des techniques, soit mis en œuvre.

La technique de congélation ultra-rapide des ovocytes a un intérêt potentiel indéniable. Il est cependant surprenant qu’une technique biomédicale (qui de plus n’est qu’une technique parmi d’autres) soit autorisée par voie législative.

Une nouvelle procédure de ce type devrait être autorisée par l’Agence de la Biomédecine sur la base d’une expertise médicale et scientifique rigoureuse et après validation par son conseil d’orientation dans le respect des principes fondamentaux de la bioéthique.

L’Académie nationale de médecine recommande donc la suppression des points 1 à 6 de l’article 19 du projet de loi.

Article 20 bis (nouveau) : Les spermatozoïdes pouvant être aussi utilisés par fécondation in vitro , il est proposé d’ajouter « et à la fécondation in-vitro » après insémination dans les points 2 et 3 .

Il est proposé d’ajouter « A titre exceptionnel » au début de la première phrase du point 4

Titre 7 : recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires

Article 23 : Comme elle l’a déjà recommandé, l’Académie nationale de médecine souhaite que les recherches sur les embryons surnuméraires sans projet parental puissent être conduites à des fins médicales et scientifiques.

Faut-il rappeler que les applications médicales découlent souvent de découvertes fondamentales ? De même la notion de l’absence d’alternative est impossible à apprécier et freine dangereusement la créativité en recherche médicale. Elle doit être supprimée.

 

L’ANM réaffirme que l’interdiction de la recherche sur l’embryon ne peut être maintenue par principe.

Bien que de nouvelles dispositions aient été introduites autorisant des « études », elles restent source d’ambiguïté. Quelles sont les limites des études et des recherches ? Peut-il y avoir des études qui ne répondent pas aux normes et aux exigences de toute recherche biomédicale ? Ne vaudrait-il pas mieux distinguer les recherches sans bénéfice pour l’embryon (comme les recherches qui utilisent des cellules souches embryonnaires) et les recherches bénéficiant à la connaissance et à la prise en charge de la période embryonnaire ? Ces dernières pourraient être réparties en deux catégories, les recherches avec bénéfice direct pour l’embryon (similaires aux recherches cliniques réalisées à d’autres époques de la vie et pouvant être suivies d’un transfert de l’embryon dans l’utérus) et les recherches sans bénéfice direct pour l’embryon dont l’objet serait uniquement d’améliorer les connaissances sur les états et les fonctions embryonnaires normales et pathologiques. Ces dernières ne pourraient conduire au transfert de l’embryon dans l’utérus. L’Académie nationale de médecine regrette que l’embryon, et ses cellules, continuent à n’être essentiellement considérés que comme un « matériau » pour des recherches à d’autres finalités que celles liées à son intérêt propre.

La procédure d’autorisation des protocoles d’étude par l’Agence de la Biomé- decine est adéquate La possibilité offerte aux ministres chargés de la santé et de la recherche d’ « interdire ou de suspendre la réalisation d’un protocole lorsque sa pertinence scientifique n’est pas établie ou lorsque le respect des principes éthiques n’est pas assuré » est incompréhensible. En effet, c’est bien en fonction de la « pertinence scientifique » du projet d’étude et en s’étant assurée de ses « conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques » que l’Agence de la Biomédecine accordera son autorisation Selon quels autres critères les ministres prendront-ils leur décision ? Si cette disposition était maintenue, l’interdiction ou la suspension ministérielle devrait être au moins motivée.

Les recherches mentionnées au point 9 de l’article devraient pouvoir être réalisées à partir de toute cellule embryonnaire et non seulement à partir de cellules souches embryonnaires.

Enfin la loi ne prévoit aucune disposition organisant la conservation et la distribution d’embryons et de cellules embryonnaires pour la recherche.

Actuellement, plus de 10 000 embryons sans projet parental et donnés à la recherche par leurs géniteurs, sont conservés congelés dans la centaine de laboratoires français autorisés. En l’absence de toute organisation, ces embryons ne sont pratiquement pas utilisables. Aussi serait-il nécessaire de prévoir des structures spécialisées équivalentes aux centres de ressource biologique qui seraient autorisés à conserver et à distribuer des embryons pour la recherche et qui pourraient assurer cette activité dans les meilleures conditions techniques, sanitaires et éthiques.

Titre III bis : Neurosciences et imagerie cérébrale

Les règles de bonne pratique prévues à l’A rt L 1134-1 devraient être définies par l’Agence de la Biomédecine et non par arrêté ministériel pour les mêmes raisons que celles évoquées plus haut.

Titre VII ter : Application et évaluation de la loi relative à la bioéthique

Article 24 quater (nouveau) : Il sera probablement impossible d’élaborer un référentiel capable d’évaluer la qualité des tests génétiques proposés sur internet. Il serait préférable de prévoir une information du public pour le mettre en garde contre des techniques incertaines, non validées et non contrôlées Points présents dans les 95 propositions du rapport 2235 de la mission parlementaire sur la révision des lois de bioéthique [5] et négligés dans le présent projet de loi 1. — Les centres de ressource biologique

Il nous semble important selon les recommandations formulées dans un précédent rapport de l’Académie [6] de faciliter les prélèvements post-mortem et pour cela d’alléger les procédures régissant le transport des cadavres du lieu du décès au centre où l’autopsie scientifique et les prélèvements pourront être effectués. De même, la création d’un métier de « technicien d’autopsie et de biothèque » paraît devoir s’imposer pour pallier ce manque à l’instar de ce qui existe dans de nombreux pays, par exemple le Canada où ils sont dénommés « prosecteurs ». En effet, les médecins spécialisés en anatomie pathologique trop peu nombreux dans notre pays ne peuvent se charger de cette tâche.

Il convient aussi d’assouplir les conditions d’étude à partir des prélèvements effectués chez des donneurs vivants. Si le donneur vient à décéder, l’utilisation des prélèvements dans des recherches non prévues initialement doit pouvoir s’effectuer librement. Si le donneur est toujours en vie et qu’il a reçu une information complète et donne son consentement, les études secondaires doivent être autorisées sous réserve que les données obtenues soient rendues anonymes pour l’étude concernée.

La création de collections d’échantillons à partir de prélèvements effectués à des fins diagnostiques ne doit pas nécessiter l’autorisation d’un comité de protection des personnes dont les missions doivent être uniquement de protéger des personnes se prêtant à des travaux de recherche. La seule autorisation administrative doit suffire après avis du Comité consultatif sur les ressources biologiques dépendant du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

2. — Les analyses génétiques

Les autorisations d’analyse du génome par des laboratoires agréés doivent être permises en matière civile lorsque les familles souhaitent identifier des ossements de parents à la suite d’accidents ou de la découverte de charniers, et cela afin de les transférer dans une nouvelle sépulture.

3. — La brevetabilité des éléments et produits du corps humain.

Il convient de préciser que, si les cellules souches humaines ne sont pas brevetables, les procédés permettant de les obtenir de façon industrielle et leur utilisation le sont.

4. — Les techniques d’imagerie cérébrale

L’utilisation des techniques d’imagerie cérébrales à des fins de recherche scientifique et, non seulement médicales, en particulier chez le sujet sain doit être autorisée après examen du protocole de recherche par un comité de protection des personnes. Quand ces recherches impliquent des enfants, les protocoles devraient être soumis à l’approbation du conseil d’orientation de l’Agence de la Biomédecine.

BIBLIOGRAPHIE [1] CHAPUIS Y., JOUANNET P. et ARDAILLOU R. — Réflexions relatives au rapport d’information no 2235 de la mission parlementaire sur la révision des lois de bioéthique. Rapport adopté le 22 juin 2010. En ligne dans : www.academie-medecine.fr [2] CHAPUIS Y., JOUANNET P. et ARDAILLOU R. — Remarques sur le projet de loi No 2911 relatif à la bioéthique présenté au conseil des ministres le 20 octobre 2010. En ligne dans :

www.academie-medecine.fr [3] LE GALL J.Y. et ARDAILLOU R. — Cellules souches et perspectives thérapeutiques. En ligne dans : www.academie-medecine.fr [4] CAEN J. — Les cellules souches du cordon et du placenta : de la recherche aux applications thérapeutiques. Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, 141-152.

[5] Jean LEONETTI. Rapport d’information No 2235 de la mission parlementaire sur la révision des lois de bioéthique. En ligne dans : www.assemblee-nationale.fr [6] Jean-Jacques HAUW, Raymond ARDAILLOU. Modifications à apporter à la législation sur les centres de ressources biologiques. Bull. Acad. Natle Méd ., 2009 , 193, 729-738.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 29 mars 2011, a adopté le texte de ce communiqué par 80 voix pour, 2 voix contre et 8 abstentions.

 

Annexe

Recommandations figurant en fin du Rapport de

Jean-Yves Le Gall et Raymond Ardaillou [3] « L’Académie nationale de médecine tient à rappeler et préciser ses prises de position antérieures dans le domaine des cellules souches embryonnaires provenant d’embryons surnuméraires, non transférables ou soumis à DPI :

— Supprimer le principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon et donc ne pas maintenir le régime dérogatoire prévu dans la loi de bioéthique ;

autoriser l’utilisation des cellules souches embryonnaires à des fins de recherche sous le contrôle de l’Agence de la biomédecine en remplaçant le terme « finalité thérapeutique » par « finalité médicale ou scientifique » et en supprimant la référence à l’absence d’alternative.

— Supprimer les entraves à l’importation et à l’exportation des lignées en dérivant.

— Élargir le domaine des recherches pour lesquelles les couples devraient pouvoir donner leur consentement en l’absence de projet parental :

recherches pour lutter contre la stérilité et améliorer les méthodes d’assistance médicale à la procréation, recherches pour améliorer les connaissances sur le développement embryonnaire, recherches sur les cellules souches embryonnaires et leurs dérivés.

— Créer un nombre restreint de centres de ressource biologique dédiés à la collecte des embryons surnuméraires, au stockage des embryons et des cellules embryonnaires, à la préparation des cellules embryonnaires et à leur distribution. Ces centres qui devraient être soumis à un strict contrôle seraient organisés sous forme de réseau de banques locales ou de structure centralisée telle le « UK stem cell bank » — Interdire la création d’embryons transgéniques ou chimériques.

— Promouvoir les recherches sur les cellules souches mésenchymateuses du cordon et du placenta tant dans le domaine fondamental que pré-clinique ».

 

* Membre de l’Académie nationale de médecine

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 3, 733-740, séance du 29 mars 2011