Remarques relatives aux exposés de MM. René FRYDMAN et Alex MAURON par Claude SUREAU *
Une première remarque concerne la présentation de René Frydman, et je tiens à le féliciter pour la clarté de son exposé, comme pour l’importance de sa contribution, véritablement essentielle, à la médecine de la procréation ; je profite de cette occasion pour souligner l’intérêt de son récent ouvrage : « Convictions », récemment paru chez Bayard.
Certes, on comprendra aisément que certains membres de notre Compagnie puissent ne pas partager toutes les opinions exprimées dans cet ouvrage ; ce fut le cas, il y a quelques mois, ici même, on s’en souvient, lors de la discussion relative à la maternité de substitution ; mais c’est bien cette assemblée qui représente le lieu idéal pour l’expression des opinions diverses traduisant la pluralité des sensibilités.
Permettez-moi maintenant d’anticiper sur la présentation qui va suivre, celle de Alex Mauron, personnalité éminente du monde de la réflexion philosophique et éthique, présentation relative à la nature de l’être prénatal et aux attitudes médicales qui peuvent en découler ; la bienveillance du bureau de l’Académie m’ayant permis d’en prendre connaissance avant la présentation qui va suivre et ne sera pas suivie de débat , je tiens simplement à donner mon accord total quant à la présentation de ce texte et à sa publication dans les documents de l’Académie Je comprends parfaitement que certains puissent être tentés d’exprimer des opinions divergentes, fondées essentiellement sur leurs convictions philosophiques ou religieuses, dont le respect s’impose à tous, en toutes circonstances ; mais ce respect comporte lui-même en corollaire le respect des opinions également divergentes, fondées sur d’autres interprétations de cette « Loi morale » qui, depuis bien longtemps, dirige nos sentiments, nos attitudes et nos décisions.
Le texte de Alex Mauron concerne donc le DPI ; il souligne d’emblée le paradoxe de la réflexion bioéthique dont les enjeux sont si différents quant à l’ampleur de leurs impacts concrets sur la vie des individus et des collectivités ; Alex Mauron, citoyen à la fois helvétique et français, souligne également les différences entre les deux législations en matière de DPI et l’éventualité d’une évolution, dans ce domaine, du droit suisse.
Mais il insiste surtout sur trois aspects de la nécessaire réflexion sur cette question délicate :
— le statut de l’embryon humain aux premiers stades de son développement, — l’éventualité d’une attitude eugéniste que pourrait comporter le DPI, — celle de l’instrumentalisation de ce que l’on a appelé le « bébé du double espoir ».
En ce qui concerne la nature ou le statut, de l’embryon humain au tout début de sa vie, Alex Mauron souligne le syllogisme ou, comme il le dit, le « tour de passepasse » qui vise à associer fortement les concepts d’être humain et de personne humaine ; il souligne à juste titre que le critère de l’ « identité numérique », c’est-à- dire la faculté d’être « une même entité à différents moments de son existence », est pris en défaut tant que la gémellité est encore possible, au début de la grossesse.
Comme le souligne Alex Mauron dans un autre paragraphe de sa présentation, il est clair que l’embryon de quelques jours, être humain certes, « ne possède pas pour autant le statut de personne ».
La référence à une éventuelle démarche eugénique suscite par ailleurs une réponse claire et négative : le DPI « est une réponse individualisée à des problèmes de santé n’intéressant qu’une minorité de couples » et non une démarche eugénique d’ « assainissement des génomes ». Comme le souligne Alex Mauron, pour autant que l’indication du DPI soit clairement médicale, l’objection « anti-eugéniste » au DPI est auto-réfutante.
Reste le problème, si actuel, remarquablement exposé par René Frydman, il y a quelques instants, du DPI à double finalité, visant à obtenir un embryon à la fois indemne de la maladie génétique recherchée et susceptible d’être un donneur HLA-compatible de cellules souches hématopoiétiques pour un frère ou une sœur aînée, d’ores et déjà malade ; on retrouve ici la discussion kantienne du moyen et de la fin, et les réserves liées à une telle situation négligent le fait qu’une fois né « l’enfant issu du DPI-HLA est une personne comme les autres » ; comme l’exprime fort justement Alex Mauron, « la nature du contexte familial est à prendre en compte dans chaque situation particulière ». C’est bien là que se situent le mérite et la responsabilité médicaux. A juste titre, Alex Mauron souligne-t-il que l’interdit Kantien ne concerne l’instrumentalisation de la personne que lorsque celle-ci est exclusive ; or présumer que la dimension instrumentale du projet procréatif exclut toute autre motivation, est une conjecture gratuite « qui ne saurait fonder une évaluation éthique équitable, et encore moins une interdiction légale ».
Je terminerai cette analyse en soulignant deux remarques particulièrement pertinentes de Alex Mauron :
— l’une vise spécifiquement le DPI-HLA : « comparée aux motivations traditionnelles d’avoir des enfants, le projet des couples recourant au DPI-HLA paraît particulièrement noble et honorable », — et cette autre, de portée plus générale, non exempte de considérations politicosociétales : « quand il est question de légiférer, l’éthique ouvre parfois, ou souvent, la discussion ; elle ne la clôture pas ».
Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, nos 4 et 5, 1033-1035, séance du 24 mai 2011