Résumé
Le diagnostic pré-implantatoire est autorisé depuis 1999 en France. Au terme de ces dix années d’expérience et de 1 056 cycles de DPI chez 832 patientes, le bilan technique est encourageant. Grâce au développement de nouvelles techniques d’identification des pathologies génétiques, notre centre est capable de prendre en charge des couples pour des translocations chromosomiques mais également pour 75 pathologies géniques. De nouvelles indications, telles que les maladies mitochondriales, la neuropathie amyloïde et l’hypertension artérielle pulmonaire ou encore la compatibilité HLA ont été mises au point. Les taux d’implantations après DPI sont à 29,6 % avec au 31 décembre 2009 déjà 151 enfants nés en bonne santé. Le constat humain est plus négatif avec, du fait du nombre croissant de demandes, un allongement des délais d’attente avant une prise en charge de l’ordre de dix-huit mois. Le manque de moyens restant le seul frein à son développement.
Summary
Preimplantation genetic diagnosis (PGD) has been authorized in France since 1999. Encouraging results have been obtained during the past 10 years in our Paris center, where 832 patients have undergone 1056 IVF-PGD procedures. With the advent of new techniques for the identification of genetic disease markers, our center can now offer PGD procedures for aneuploidy and 75 single-gene diseases. New indications for PGD have also been developed, such as mitochondrial DNA diseases, amyloid neuropathy, pulmonary arterial hypertension, and HLA typing. The implantation rate is currently 29,6 % and, by 31 December 2009, 151 healthy babies had been born. Unfortunately, demand for PGD procedures far outstrips available technical capacity, and the waiting period is longer than 18 months. Increased funding is urgently needed.
INTRODUCTION
Le diagnostic pré-implantatoire (DPI) est issu des progrès des technologies de procréation médicalement assistée (PMA), des développements de la biologie molé- culaire et des avancées des connaissances de la génétique. La première grossesse après DPI a été rapportée en 1990 [1]. En France, les lois de bioéthiques n’ont autorisé cette technologie qu’en 1999 puis ont étendu ses indications en 2004, mais seulement sur trois centres agréés : Clamart, Montpellier et Strasbourg. Le DPI a été conçu et développé comme alternative à l’interruption médicale de grossesse (IMG) chaque fois que c’est possible, c’est-à-dire chaque fois que l’anomalie génétique est prévisible avant même la grossesse. Il s’agit donc d’une véritable prévention de l’interruption médicale de grossesse [2]. Les règles d’acceptation du DPI sont les mêmes que celles qui prévalent pour le diagnostic prénatal (DPN). Il faut que la maladie transmise soit d’une particulière gravité et qu’elle soit incurable. Dans le cadre des pathologies géniques, cela concerne donc des couples qui ont le plus souvent déjà vécu la naissance d’un enfant malade ou une IMG pour un enfant désiré. L’autre indication du DPI concerne les anomalies cytogénétiques qui se traduisent par une infertilité, des fausses couches spontanées à répétitions ou des trisomies.
Cette procédure, débute par une demande émanant du généticien s’occupant du couple. Cette demande va être discutée au sein d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN) constitué de gynécologues-obstétriciens, de généticiens, de biologistes et de psychiatres. La prise en charge thérapeutique comporte une stimulation ovarienne multifolliculaire dans le cadre d’une fécondation in vitro .
La fécondation se fait par l’injection intracytoplasmique. Cette technique permet en effet d’éviter la contamination des cellules embryonnaires par de l’ADN paternel du fait de la présence de spermatozoïdes fixés à la zone pellucide. Les embryons obtenus sont évalués au troisième jour de développement, puisque ne pourront être biopsiés que les embryons ayant eu moins de 6 à 8 blastomères de taille homogène. La zone pellucide est alors ouverte grâce à un laser et un à deux blastomères sont alors prélevés sur l’embryon. L’analyse génétique devra alors être réalisée dans les 24 à 48 heures suivantes afin de pouvoir transférer les embryons indemnes de la maladie au stade de blastocyste.
Le parcours du DPI pour les couples toutefois est particulièrement long (dix-huit mois) du fait du faible nombre de places disponibles pour cette technique en France.
Depuis dix ans, nous avons traité dans notre centre 1 889 demandes avec une augmentation constante des demandes d’années en années (figure 1).
Fig. 1. — Nombre de demandes pour une prise en charge en DPL par an Résultats du DPI depuis dix ans
Sur 1 889 demandes, 378 ont été récusées sur une indication inadaptée, un âge maternel trop avancé, ou une réserve ovarienne altérée. 303 couples ont annulé leur prise en charge en DPI, ayant eu ou non leur première consultation multidisciplinaire du fait de l’obtention d’une grossesse spontanée avec un enfant sain.
1 208 couples ont donc été acceptés pour une prise en charge en DPI, toutefois le 31 décembre 2009, seulement 1 081 couples avaient pu être reçus en consultation multidisciplinaire après un délai d’attente moyen de plus de dix-huit mois. Cette durée d’attente extrêmement longue peut expliquer cette perte.
Parmi les 1 081 couples reçus en consultation, 852 couples ont déjà été stimulés 1 056 fois, et ont eu 34 cycles de DPI sur décongélation embryonnaire issu d’ICSI dans d’autres centres. Les indications étaient cytogénétiques : 514 cycles, moléculaires :
504 cycles, liées au sexe : 67 cycles et mixtes : 5 cycles. L’ensemble de ces cycles ont abouti à 278 annulations (26, 3 % des cycles) et 778 ponctions (73,6 % des cycles) (figure 2). La biopsie embryonnaire a pu être réalisée dans 682 cas (62, 5 % des cycles débutés) et a abouti à un transfert dans 528 cas (48, 4 % des cycles débutés).
Le nombre d’embryons transférés médian est de 1 (extrêmes 1-3). Ces transferts ont abouti à 155 grossesses cliniques (29, 3 % par transfert) dont 27 grossesses gémellaires
Tableau 1. — Pathologies génétiques moléculaires prises en charge dans notre centre dans le cadre du DPI Type de pathologie maladie
Gène
Neurologiques Amyotrophie spinale SMN1 Steinert DMPK
X Fragile FMR1
Adrénoleucodystrophie ABCD1
Myopathie de Duchenne DMD
Pelizaeus Merzbacher PLP1
Hydrocéphalie liée à l’X L1CAM
Double cortine DCX
Myopathie myotubulaire MTM1 Friedreich FXN Dystrophie musculaire congénitale à LAMA2 mérosine positive Syndrome de Joubert CEP290 Paralysie périodique hypokaliémique CACNA1 SCN4A alpha thalassemia/mental retardation ATRX syndrome X-linked Hémoglobinopathies Drépanocytose BETA GLOBINE
Beta thalassémie Mucoviscidose CFTR
Sd malformatifs Treacher Collins-Franceschetti TCOF1 Polykystose rénale autosomique récessive PKHD1 Résistance aux androgènes AR Hirschsprung RET Currarino MNX1
Rendu Osler ENDOGLINE
ACVRL1 (ALK1)
HTAP BMPR2
Surdité profonde CX30
Hyperplasie congénitale des surrénales CYP21
Métaboliques OTC OTC
Mitochondriopathie (NARP) MT-ATP6
Mitochondriopathie (MELAS) TRNA LEUMT-TL1
Mitochondriopathie (Leigh) MT-ND3
Mitochondriopathie POLG1
Pol gamma PRP synthase PRP
Sialidose NEURAMINIDASE SLC17A5
Amylose à transtyrétine TTR (TRANSTHYRÉ- TINE)
Hunter IDS (IDURONATE SULFATASE 2)
Lesch-Nyhan HPRT1
Afibrinogénémie FIBRINOGENE
Déficit en carnitine acylcarnitine SLC25A20 translocase Berardinelli seip BSCL2
Glycogénose de type IV GBE1
SanFilippo A MPSIII SGSH
FABRY ALPHA GALACTOSIDASE A
Smith lemli opitz DHCR7 Hyperglycinémie sans cétose (NKH) GLDC
Déficits immunitaires CMH 2 RFXANK
BRUTON agammaglobulinemie lie à l’X BTK
Maladies Hémophilie A F8 hématologiques Hemophilie B Allo immunistaion materno-fœtale Kell KEL
Oculaires Amaurose de Leber GUCY2D Dystrophie des cônes GUCA1A Aniridie PAX6
Atrophie optique dominante OPA1
Rétinite pigmentaire liée à l’X RPGR-RP3
Norrie ND
Choroideremie CHM
Osseuses Nanisme diastrophique SLC26A2 Osteogenèse imparfaite COL1A2
Osteogenèse imparfaite COL1A1
Brachydactylie ROR2
Achondroplasie/hypochondro FGFR3
Dermatologiques Slérose tubéreuse de Bourneville TSC1 TSC2
Epidermolyse bulleuse dystrophique INTEGRINE BETA4 ITGB4
Neurofibromatose NF1 NEUROFIBROMINE
Incontinentia pigmenti IKBKG
Pachyonychie congénitale KRT16
AUTRES Neoplasie endocrinienne multiple TYPE 1 MEN1
Neoplasie endocrinienne multiple TYPE 2
RET
HLA Complexe HLA
Shwachman Diamond SBDS
Leucodystrophie metachromatique ARSA
Ondine PHOX2B
Li Fraumeni TP53 granulomatose septique chronique CYBB
Fig. 2. — Évolution du nombre de cycles de DPL réalisés et leurs issue depuis 2000 dont une après réduction embryonnaire. Nous avons eu 29 fausses couches spontanées et 126 accouchements qui ont donné naissance à 151 enfants soit un taux d’implantation à 29,6 %. Aucune erreur diagnostiquée dans le cadre du DPI n’a été retrouvée.
Bilan de ces dix années de DPI
Les constats à tirer de ces dix premières années sont nombreux. Le premier constat est que cette technique est efficace et fiable. Avec la première naissance en 2000 dans le cadre d’un couple à risque de déficit en ornithine transcarbamylase, les autres grossesses obtenues pour différentes indications se succédant ensuite rapidement sur embryons frais ou congelés [4-8]. Cette technique est donc efficace car le taux d’implantation qui était rapporté en 2004 n’était que de 17 % [9, 10] avec aujourd’hui un taux à presque 30 %. Nous avons par ailleurs pu définir les spécificités des stimulations ovariennes chez les patientes atteintes de dystrophie myotonique de Steinert [11]. Fiable car tous les diagnostics génétiques effectués au cours du DPI sont systématiquement vérifiés par un DPN ou, sur la majorité des cas sur le sang du cordon à la naissance de l’enfant. Aucune erreur diagnostiquée n’a été retrouvée. Le DPI répond donc à sa mission première.
Le second constat concerne les progrès effectués dans le domaine de la génétique avec un approfondissement des indications du DPI puisque nous avions déjà rapporté les premières naissances après un DPI sur une pathologie mitochondriale [12, 13], nous avons également plus récemment, eu les premières naissances dans le cadre de l’HTAP ou de la neuropathie amyloïde. Les nouvelles mises au point ont également permis d’améliorer le DPI dans le cadre de l’X-fragile [14], de la polykystose rénale autosomique récessive [15], de différentes pathologies liées à l’X et de l’amyotrophie spinale [17]. Nous venons également de rapporter après plusieurs années de mise au point et d’essais [18], la première naissance de l’enfant du double espoir qui correspond à un double diagnostic génétique avec le diagnostic de la maladie et du typage HLA, afin de pouvoir réaliser une greffe de cellules souches au sein de la fratrie. Les indications s’élargissent et le nombre de couples pouvant espérer en bénéficier augmente. En effet, actuellement notre centre est en capacité de réaliser un DPI pour plus de 75 pathologies moléculaires (tableau 1) en plus des différentes translocations.
Le constat suivant est plus décevant, en effet malgré l’augmentation constante du nombre de cycles de DPI réalisés dans notre centre (figure 2), nous avons en parallèle une augmentation encore plus rapide des demandes des couples (figure 1). Aussi, les délais de prise en charge continuent à s’allonger puisqu’entre la demande émanant du généticien et la première consultation multidisiciplinaire, il y aura un délai d’environ un an et demi, puis encore six mois avant la première stimulation. Les couples pris en charge feront une à deux stimulations ovariennes par an ce qui fait que pour faire les trois tentatives de DPI il leur faudra une moyenne de deux ans.
Ainsi, la durée totale de la prise en charge est supérieure à quatre années. Un tel délai se traduit déjà par une perte de chance pour ces couples du fait du vieillissement ovarien, ce vieillissement se traduisant par une diminution du nombre d’ovocytes obtenus à la ponction et par une altération de la qualité embryonnaire limitant le nombre d’embryons biopsiables. Cela ajoute également pour ces couples au passé le plus souvent lourd ponctués de fausses couches spontanées, d’IMG ou de décès d’enfants, une anxiété importante. Cet impact psychologique ne doit pas être sous-estimé car il est déjà la première cause d’arrêt des prises en charge en FIV classique mais, chez ces couples, il se surajoute à un sentiment de culpabilité liée à la transmission d’une maladie dans leur descendance.
Le DPI a été décrié en raison de la crainte du spectre de l’eugénisme. Ces attaques à l’encontre du DPI sont injustifiées puisqu’il s’agit toujours d’une démarche volon- taire du couple (10 % des couples vus en consultation ne souhaitent plus poursuivre la démarche de DPI) et dans la mesure où sont transférés dans l’utérus de la patiente les embryons indemnes de la maladie (c’est à dire aussi les embryons porteurs sains), donc sans viser à l’éradication des mutations génétiques. Les trois centres français travaillent en toute transparence et publient régulièrement les indications de DPI à l’Agence de biomédecine. Conformément à la loi, le DPI en France est interdit pour le simple choix du sexe en dehors d’une maladie génétique liée au sexe éligible au DPI [19]. Les décisions de prise en charge en DPI, ou de refus, ne sont pas arbitraires puisque les indications doivent être validées par un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal à la demande des parents.
En conclusion, le DPI n’est pas une tendance eugénique de notre société car toujours proposé, et jamais imposé, mais il répond à une demande des couples à risque de ne pas transmettre une maladie génétique d’une particulière gravité. Le DPI est strictement encadré par les lois de bioéthiques et par l’agence de biomédecine, il se fait donc en toute transparence. L’évolution technique de cette prise en charge thérapeutique est en constante évolution depuis ses débuts [20]. Le manque de moyens dédiés à cette technique est aujourd’hui le frein essentiel à son développement et représente à nos yeux le principal problème éthique.
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DISCUSSION
M. Christian NEZELOF
La stimulation ovarienne intense comporte des risques. Certaines, la littérature le signale, sont suivies de mort. Quelle est votre observation ?
J’ai interrogé l’Agence de la Biomédecine qui n’a pas été informée d’un décès de patients en cours de traitement de Fécondation In Vitro.La littérature s’appuie essentiellement sur l’article récent [1] qui mentionne six décès directement reliés au traitement pour Fécondation In Vitro en Hollande (1984-2008). Ces accidents consistent en trois syndromes d’hyperstimulation ovarienne chez des patientes présentant une PCO et dont le tableau a entraîné une défaillance multi-organes, une thrombose cérébro-vasculaire et deux sepsis entraînant le décès 31 et 62 jours après la ponction. Ces données se situent entre 1990 et 1997 alors que l’étude va jusqu’en 2008. Les précautions actuelles concernent les risques OHSS et d’infection expliquent peut être cette évolution bénéfique (plus faible, stimulation et abandon des stimulations intenses, antibiothérapie, prophylaxie).
Ceci aboutit à un risque de 6 pour 100 000 femmes, chiffres identiques aux travaux de Venn et al. [2]. Les deux auteurs constatent que le risque mortel des patientes FIV est inférieur à celui de la population générale. Les auteurs expliquent ces observations par le fait que les patientes éligibles pour un traitement par FIV sont en bonne santé et ont un niveau socio-économique supérieur à l’ensemble de la population.
BIBLIOGRAPHIE [1] Braat DDM., Schutte JM., Bernardus RE., Mooij TM., Van Leuwen FE. — Maternal death related to IVF in the Netherlands 1984-2008. Hum. Reprod . 2010, 25(7) , 1782-1786.
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Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, nos 4 et 5, 1005-1014, séance du 24 mai 2011