Rapport
Session of 25 juin 2002

Réflexions sur le rôle, les missions et les attentes des médecins généralistes

MOTS-CLÉS : 1. ambroise-thomas, armengaud, arthuis, banzet, cier, crémer, dubois g., glorion, hollender, michel, queneau, sénécal, steg.. constitué de mm. formation continue. médecin famille. relation médecin-malade. rôle médecin. suivi soins patient
Role duties and expectations of the generalists physicians. A French medical Academy group assessment
KEY-WORDS : continuity of patient-care. education, continuing.. physician-patient relations. physician’s role. physicians, family

P. Ambroise-Thomas

Résumé

Soucieuse de l’importance de la médecine générale dans la santé publique française, l’Académie nationale de médecine a créé un groupe de travail sur le rôle, les missions et les attentes des médecins généralistes. Ce groupe de travail a procédé à des auditions de plusieurs médecins de famille et de représentants d’associations de malades et a interrogé par lettre les syndicats médicaux. Il ressort de cette étude que, mises à part les questions relevant spécifiquement de l’action syndicale, les principales attentes des médecins généralistes concernent une meilleure reconnaissance de l’importance de leur rôle ; une formation professionnelle initiale et continue mieux adaptée ; des relations améliorées avec les hôpitaux et avec les organismes de protection sociale et une possibilité d’évolution professionnelle et de prise en compte de leurs diverses tâches, notamment dans la participation à des campagnes de prévention. Pour répondre à ces attentes, le groupe de travail avance diverses suggestions, concernant notamment l’organisation prochaine de véritables assises nationales de la médecine générale. Il annonce qu’il poursuivra sa réflexion pour approfondir ses propositions et examiner les conditions de leur mise en œuvre.

Summary

Considering the importance of the general medicine in the French public health sector, National Academy of Medecine has created a workgroup specifically devoted to this problem (the role, the missions and the expectations of the general practisioners (GP). Several hearings of GP and of members of patients associations were organized and all the medical unions were also asked by letter. The conclusions of the workgroup mainly concern : 1) the need of better GP-patients relationships 2) the need of a more appropriate professional education 3) better Hospital-GP or health insurance-GP relationships 4) improvement of the GP ‘‘statuts’’ with the possibility of a better participation to national health campaigns. Among several proposals, the members of the workgroup suggest the organisation of a national meeting devoted to the place and attempts of GP in the French public health. They consider their report as a preliminary one and they have announced that they will continue trying to make more specific suggestions.

L’Académie nationale de médecine, soucieuse des éventuelles conséquences sur la santé publique française du climat général d’insatisfaction et de revendications se développant chez les médecins généralistes, a créé un groupe de réflexion chargé de préciser les causes de ce malaise et de formuler des suggestions susceptibles d’améliorer la situation.

Cette réflexion s’est évidemment située sur un plan strictement général, sans interférer avec les domaines de responsabilités ordinales ou syndicales.

Pour compléter les informations personnelles dont il pouvait disposer, le groupe de réflexion a organisé des auditions de médecins généralistes, exerçant dans diverses régions de France, en milieu urbain ou rural, certains de ces médecins étant installés depuis 15 ans ou plus, d’autres, au contraire, depuis moins de 2 ans. Quelques-uns de ces confrères exerçaient ou avaient exercé des fonctions plus ou moins importantes, dans les Conseils de l’Ordre, à la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie, dans l’hospitalisation à domicile, dans des réseaux de soins ou dans la formation médicale continue.

En outre, tous les syndicats de médecins généralistes ont été interrogés par lettre. Il leur était demandé de faire parvenir au groupe de réflexion une courte synthèse résumant, selon eux, les principaux aspects de la situation actuelle.

Enfin, le groupe de réflexion a auditionné des représentants de plusieurs associations de malades.

LE CONSTAT

Des éléments ainsi recueillis, il ressort que les demandes des médecins généralistes concernent, en dehors des questions tarifaires, quatre domaines principaux :

— missions médicales et sociales du médecin généraliste et reconnaissance de son importance, — sélection et formation professionnelle, initiale et continue, — relations avec le secteur hospitalier et avec les organismes de protection sociale, — « statuts » et perspectives d’avenir.

MISSION DU MÉDECIN GÉNÉRALISTE ET RECONNAISSANCE DE SON IMPORTANCE

Le « malaise » des médecins généralistes est surtout lié au sentiment d’être méconnus, voire mésestimés.

Leurs missions sont cependant multiples puisqu’ils assurent :

• une médecine curative de premier recours qui apporte une solution à plus de 70 % des motifs de consultations, • une médecine « globale », autant médicale que psychologique et sociale, d’importance croissante, • pour les cas les plus difficiles, une médecine d’orientation vers les spécialistes concernés, puis de synthèse et de suivi, • enfin, une médecine de dépistage et d’éducation pour la santé.

L’importance du rôle médical du médecin de famille est souvent méconnue des autorités sanitaires, des confrères et des malades eux-mêmes, souvent mal informés par les médias qui privilégient les avancées techniques prestigieuses.

Plus méconnue encore est l’activité, pourtant essentielle, de prévention, de conseil, d’aide sociale. Les généralistes lui consacrent beaucoup de temps et souhaiteraient qu’elle soit reconnue et spécifiquement honorée.

FORMATION ET SÉLECTION DES MÉDECINS GÉNÉRALISTES

Le médecin généraliste est trop souvent considéré — ou se considère quelquefois lui-même — comme un « généraliste par défaut ».

Les Facultés de médecine devraient trouver un meilleur équilibre entre « école professionnelle » et « université », en accordant une part plus importante à un enseignement professionnel pratique, adapté aux conditions d’exercice de la
médecine libérale. Pour les futurs praticiens, savoir comment exercer la médecine est aussi important que connaître la médecine.

La même inadéquation s’observe à propos des programmes. L’enseignement est en effet trop souvent un enseignement de spécialités juxtaposées et non pas de médecine générale libérale, dont les enseignants n’ont d’ailleurs pas d’expérience personnelle. Par ailleurs, sont insuffisamment enseignées les spécialités les plus fréquemment rencontrées par des médecins généralistes :

la gérontologie et la pédiatrie (respectivement 30 % et 35 % des motifs de consultations). De même, les Facultés ne dispensent aucune formation à la communication et, plus généralement, aux diverses activités médico-sociales des médecins de famille.

La formation médicale continue (FMC) n’est pas assez adaptée aux besoins des généralistes qui n’ont guère la possibilité d’en inspirer les programmes et n’en retirent pas assez de bénéfice pratique. Il en résulte que, obligatoire selon le code de déontologie, la FMC n’est suivie que par une trop faible proportion de médecins.

RELATIONS AVEC LE SECTEUR HOSPITALIER ET AVEC LES ORGANISMES DE PROTECTION SOCIALE

Les médecins généralistes se trouvent de plus en plus écartelés entre des spécialités de plus en plus nombreuses (une dizaine en 1945, près de 100 aujourd’hui), et les contraintes d’une médecine de proximité dont les relations avec les hôpitaux et avec les organismes de prise en charge sont souvent difficiles.

L’une des plaintes unanimes des médecins généralistes est l’insuffisance, sinon l’absence, de relations régulières et suivies avec l’hôpital. Ceci est particulièrement grave pour ce qui concerne les informations lorsqu’un malade sort de l’hôpital. La lettre de sortie ne parvient souvent au médecin de famille qu’avec un grand retard sinon jamais, ce qui peut, notamment, conduire à répéter inutilement des examens biologiques ou radiologiques. Cette situation relève sans doute de causes multiples et, notamment, du raccourcissement de la durée moyenne des hospitalisations et de l’insuffisance des moyens des secrétariats hospitaliers. Elle n’en est pas moins ressentie par les médecins généralistes comme une marque d’indifférence et contribue à distendre les relations entre médecine hospitalière et médecine de ville, alors que, dans l’ensemble, ces relations semblent meilleures et plus confraternelles avec les établissements privés.

Les rapports avec les caisses d’assurance maladie sont compliqués par le fait que les médecins conseils n’ont plus nécessairement d’expérience professionnelle, surtout libérale. Ils sont donc parfois considérés comme des censeurs
administratifs, étrangers de fait au corps médical et « soucieux davantage du contrôle des médecins que de l’intérêt des malades ».

Sur un plan matériel, les tâches administratives du médecin généraliste ne cessent d’augmenter. L’informatisation des cabinets médicaux devrait théoriquement les alléger mais, dans l’immédiat, la télétransmission des feuilles de soins représente surtout une charge supplémentaire de travail.

Plus généralement, il existe une très large insuffisance de communication avec les organismes de tutelle et une perte de confiance envers l’État. Les vicissitudes de la loi sur la FMC, annoncée, reportée, votée et non appliquée, semblent avoir eu, en la matière, un effet particulièrement négatif.

« STATUT » ET PERSPECTIVES D’AVENIR

La médecine change parce que la science progresse mais aussi parce que la société évolue. Or les médecins généralistes voient mal quelles perspectives d’évolution professionnelle leur sont offertes. La crise prévue de la démographie médicale et la féminisation de la profession risquent d’accroître leurs charges de travail. La récente loi sur les 35 heures de travail hebdomadaire (appliquée notamment aux praticiens hospitaliers) a brutalement mis en lumière les contraintes professionnelles de la médecine libérale. Les médecins généralistes ne souhaitent évidemment pas bénéficier des mêmes avantages, ce qu’ils savent impossible ; ils aspireraient néanmoins à pouvoir maintenir leurs horaires de travail dans des limites plus acceptables, mais ils n’entrevoient pas les moyens d’y parvenir.

Le statut actuel des médecins est certes libéral juridiquement mais il ne l’est pas économiquement, puisque les honoraires médicaux font l’objet d’une relation conventionnelle avec l’assurance maladie. En outre, cette convention ne tient pas compte de certaines tâches, dont l’importance ne cesse pourtant de croître, et que l’actuel système de rémunération ne permet pas d’honorer.

Par ailleurs, si leur statut impose des contraintes aux médecins, aucun « contrat » ne lie par ailleurs les malades aux organismes de protection sociale.

Cet état de fait entraîne un risque évident de « surconsommation » médicale, dont les médecins généralistes ne sont pas responsables.

Notamment favorisée par le système français d’assurance maladie et par certaines dispositions récentes (CMU), l’attitude d’un nombre croissant de patients est en train d’évoluer d’un comportement de malades à une mentalité d’ « usagers », de « consommateurs ». À cela, s’ajoute la menace croissante de poursuites judiciaires. Plus que ses éventuelles conséquences matérielles, ce risque peut progressivement dénaturer profondément les relations médecinmalade, qui doivent être évidemment basées sur une confiance réciproque.

LES SUGGESTIONS — organiser, au plus haut niveau, des Assises Nationales de la Médecine Générale : les médecins généralistes ont d’abord besoin d’être écoutés et reconnus, — améliorer l’information du public sur les missions et sur l’importance du rôle des médecins généralistes, ainsi que sur les contraintes de leur exercice professionnel, — associer largement ces médecins aux campagnes nationales de dépistage et de prévention ou aux enquêtes épidémiologiques locales, régionales et nationales, ainsi qu’à l’organisation de la permanence des soins, en rapport avec les structures hospitalières d’urgence, — assurer une meilleure intégration des médecins de famille dans le système sanitaire français, notamment par l’intermédiaire de réseaux (en veillant cependant à ne pas multiplier les échelons intermédiaires compliquant les relations avec l’hôpital et avec la faculté) et en développant en partenariat l’hospitalisation à domicile.

II — dans les Facultés et les Hôpitaux, poursuivre et amplifier les réformes tendant à individualiser une filière spécifique pour la Médecine Générale et à mieux adapter les programmes d’enseignement à la pratique médicale, — dans l’élaboration des programmes, plus largement profiter des avis de médecins généralistes, et en particulier des attachés hospitaliers, dont le nombre doit être impérativement maintenu ou même augmenté, — organiser l’enseignement du 3ème cycle dans l’esprit d’une véritable école professionnelle, — donner tous les moyens nécessaires à une formation médicale continue mieux adaptée et en assurer le caractère effectivement obligatoire.

III — mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour établir des relations confiantes entre les médecins généralistes et l’assurance maladie, notamment avec les médecins conseils qui, au-delà de leurs compétences administratives, doivent posséder une expérience professionnelle de terrain, — tenir compte des éventuels particularismes régionaux et, pour toute nouvelle décision, utiliser au mieux l’expérience des Unions Régionales des Médecins Libéraux (URML),
— améliorer les échanges réciproques d’informations entre les médecins généralistes et les hôpitaux, en profitant, notamment, des nouvelles possibilités offertes par l’informatique.

IV — rétablir la démographie médicale au niveau souhaitable et, par des mesures incitatives appropriées, favoriser une implantation médicale plus harmonieuse sur l’ensemble du territoire national, — mieux informer le public de ses devoirs et de ses responsabilités en matière de santé publique et de dépenses de santé, — valoriser les activités médicales de conseil, d’aide psychologique et sociale, ou de prévention. Individualiser le paiement de ces activités, peut-être par un système forfaitaire particulier, en évitant toutefois le risque d’une totale fonctionnarisation de la médecine libérale.

CONCLUSION

Ces réflexions ne constituent bien évidemment qu’une première étape. Sur les différents points abordés, en particulier la formation professionnelle et les activités de prévention des médecins de famille, le groupe de travail de l’Académie nationale de médecine organisera, dès l’automne prochain, une série de consultations, de façon à approfondir ses suggestions et à examiner les conditions de leur mise en œuvre.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 25 juin 2002, a adopté ce rapport (une abstention)

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 6, 1103-1109, séance du 25 juin 2002