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Séance du 15 décembre 2009

Quarante-quatre ans avant l’Académie Royale de Médecine, la Société Royale de Médecine

MOTS-CLÉS : société royale de médecine, 1776-1793. vicq d’azyr félix, 1748-1794.
Forty-four years before the Royal Academy of Medicine, the Royal Society of Medicine
KEY-WORDS : history, france xviiie. medicine. public health, france xviiie.. royal society of medicine, 1776-1793. vicq d’azyr felix, 1748-1794

Laurence Camous, Jacques-Louis Binet

Laurence CAMOUS*, Jacques-Louis BINET**

La Société royale de médecine est née de la volonté conjuguée de trois hommes Turgot, Contrôleur général des Finances, ancien intendant du Limousin, Lassonne, Premier médecin du Roi et Félix Vicq d’Azyr, docteur régent et membre de l’Académie des Sciences.

Leur but était de créer une structure gouvernementale capable d’établir une politique de santé publique fondée sur une étude statistique et épidémiologique des maladies qui affectaient le pays.

La Société royale de Médecine est créée en 1776 par un arrêt du conseil du roi avec la mission « d’entretenir avec les médecins du royaume une correspondance pour les épidémies, les épizooties et la médecine pratique ». Dissoute, comme toutes les Académies en 1793, elle fait figure d’aïeule pour notre Compagnie et, image tuté- laire, elle apparaît aujourd’hui comme une référence au passé mais aussi un modèle pour l’avenir.

Félix Vicq d’Azyr, médecin aujourd’hui méconnu, en conçoit l’organisation et l’anime comme secrétaire perpétuel pendant 17 ans.

Né à Valognes dans le Cotentin en 1748, il entreprend des études de philosophie à Caen puis reprend la tradition familiale en suivant des études de médecine. Déçu par la qualité de l’enseignement dispensé à la Faculté de Médecine de Paris, il se rapproche du Jardin du Roi et suit l’enseignement d’Antoine Petit et de Louis Marie *

Directrice de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine, e-mail : laurence.camous @academie-medecine.fr

Daubenton dont il épouse la nièce. Pressenti pour succéder à Antoine Petit à la chaire d’anatomie du Jardin du Roi, Buffon lui préfère Antoine Portal qui, en 1820, convaincra Louis XVIII de créer l’Académie royale de Médecine.

Il se fait connaître par ses publications d’anatomie comparée à la fois morphologique et fonctionnelle sur les oiseaux et les poissons, exposant une anatomie « sinon évolutive, du moins adaptative ». Son Traité d’anatomie et de physiologie , publié en 1786 reprendra ces travaux ainsi que ses

Mémoires sur l’anatomie du cerveau . Vicq d’Azyr occupe entre 1780 et 1788 la chaire d’anatomie comparée à l’École vétérinaire de Maisons-Alfort.

Il apparaît comme un savant du siècle des Lumières et, reprochant aux Gautier d’Agoty leur emportement coloré presque romantique qui masque souvent « l’imprécision anatomique », il souligne dans ses lithographies de quelques fins traits rouges la circulation de la dure-mère.

Ses premiers travaux lui valent d’être élu à l’Académie des Sciences en 1774.

Dès cette date, Vicq d’Azyr se fait connaître comme épidémiologiste. En effet, Turgot demande à l’Académie des Sciences de nommer un médecin pour lutter contre une épizootie, « sorte de peste bovine » venue d’Espagne, qui décime les troupeaux. Vicq d’Azyr est désigné et mène une gestion remarquable de cette épizootie. Il fait abattre le bétail contaminé et réunit pendant deux années, les médecins de Gascogne, de Guyenne, de Picardie, puis de Normandie, de Flandre, d’Artois. Il leur apprend à inoculer le bétail, à isoler les paroisses contaminées, désinfecter les étables, les cuirs des animaux touchés et surtout à prendre des observations quotidiennes sur l’épizootie. C’est la création d’un réseau, l’origine de la commission permanente pour les épidémies qui deviendra ensuite la Société royale de médecine. Par lettres patentes de septembre 1778, cette commission fusionne avec deux commissions antérieures créées par Louis XV : la Commission chargée d’examiner les remèdes nouveaux et la Commission des Eaux minérales.

Fort de cette expérience, Vicq d’Azyr lance des études sur la qualité de l’air et de l’eau, souligne le danger des inhumations au centre des villes, et démontre qu’une connaissance très précise de l’état de santé des animaux et des êtres humains par région est un prérequis indispensable pour mener une action de santé publique.

C’est donc très naturellement qu’il devient le Secrétaire perpétuel de la Société royale de Médecine.

Il atteint alors le sommet de son ascension sociale. Il est élu à l’Académie française au fauteuil de Buffon en juin 1788. Succédant à Lassone, il devient en 1789 médecin de la Reine.

Ces honneurs, sa proximité avec la famille royale, son rôle dans la SRM émanation du pouvoir royal l’inquièteront sur son sort à l’avènement de la Terreur, inquiétude accrue par le sort réservé à ses proches comme Lavoisier, Condorcet ou Bailly. Il se retire prudemment à Valognes mais finalement revient à Paris en pleine Terreur où Fourcroy, (l’élève devient le protecteur) lui confie pour le mettre à l’abri une mission au sein de la Commission de collecte du salpêtre. Vicq d’Azyr survivra en donnant des gages à la République.

Il meurt le 8 juin 1794, de la tuberculose dans l’entresol du Vieux Louvre, que ses anciennes fonctions lui permettaient d’occuper puisque la Société y siégeait.

La grande affaire de sa vie aura été la Société royale de Médecine, dont, il rédige les statuts et fixe les missions. Il l’anime pendant dix-sept ans.

La composition de la Société trouve sa forme définitive en 1778. C’est une institution d’Ancien Régime, très hiérarchisée, dominée par le Roi, dotée d’un Président et d’un Vice-Président, postes confiés à Lieutaud et Lassone Premiers médecins du Roi. Jussieu en est le Trésorier pendant toute la durée de vie de la SRM et Vicq d’Azyr l’unique secrétaire perpétuel.

La classe la plus nombreuse est celle des correspondants français et étrangers . Leur nombre n’était pas fixé, mais y étaient nommés tous ceux qui par la qualité de leurs travaux s’étaient rendus utiles, en premier lieu ceux qui avaient constitué le réseau des observateurs de l’épizootie. Il y en aura 469 pendant la durée de la Société : 394 médecins, 46 chirurgiens, 5 apothicaires, 3 vétérinaires, 7 physiciens, et 14 de provenance diverse.

Vicq d’Azyr n’a cessé de recruter des correspondants afin de donner une assise nationale à son entreprise — ce qui devrait être l’ambition de notre Compagnie actuelle. S’appuyant sur l’organisation administrative du Royaume, il utilise le réseau des Intendants comme courroie de transmission.

Les associés régnicoles , dont le nombre est fixé à 60 doivent être domiciliés dans les provinces. Ils sont presque tous médecins, à l’exception notable du Père Cotte, oratorien, en charge des questions météorologiques (il est souvent nommé père de la météorologie moderne), et de Guyton de Morveau ancien avocat devenu chimiste.

Les associés libres , au nombre de 12, sont des savants de l’Académie des Sciences mais aussi souvent membres du gouvernement (Vergennes, Necker, le duc de La Rochefoucauld, Lavoisier, Daubenton). Ils servent en réalité de lien entre la Société et le Roi.

Les associés étrangers (60) regroupent les plus grands savants de l’époque (Franklin et Haller, par exemple).

Les associés ordinaires , au nombre de 30, doivent être médecins et domiciliés à

Paris parmi lesquels on doit compter 20 docteurs-régents de la Faculté de Paris, le doyen d’âge de la faculté et le doyen en fonction.

La mission première de la Société est d’établir un bilan mensuel de l’état de santé des provinces françaises.

Ce bilan résulte du dépouillement des observations adressées à Paris avant le 4 de chaque mois par les correspondants : les informations sont consignées sur un double tableau que doivent remplir plusieurs fois par jour, les médecins correspondants et associés-régnicoles : y sont notés, au recto, précipitations, température, vents, pressions, hydrométrie, indications sur l’agriculture et, au verso, les maladies dominantes humaines et animales. Ce bilan mensuel est adressé au Roi par l’intermé- diaire de Turgot.

La Société distribue des prix qui récompensent les meilleurs mémoires sur des thèmes proposés, ou la qualité de la correspondance quotidienne. Cela permet éventuellement aux auteurs d’obtenir un titre d’associé ou de correspondant.

Elle publie aussi ses travaux, dans Histoire et Mémoires de la Société royale médecine. Y sont publiés également les éloges et les notices nécrologiques des membres :

plus de cinquante sont écrites et prononcées par Vicq d’Azyr. (« Un homme est mort… deux mondes ont pris le deuil » écrit-il à propos de Benjamin Franklin).

Sainte-Beuve ne manquera pas de souligner dans ses Causeries du Lundi les qualités d’orateur et l’éloquence de Vicq d’Azyr. Les dix tomes de cette

Histoire de la SRM parus de 1776 à 1789 sont bien évidemment conservés à la bibliothèque de notre

Compagnie ainsi que l’ensemble des archives, c’est-à-dire toutes les correspondances reçues, les tableaux nosologiques, les topographies médicales. Cela repré- sente un ensemble de 200 cartons d’archives.

La Société royale de Médecine se réunit les mardis et vendredis après-midi en des séances réservées à ses associés et correspondants.

La Société n’a pas seulement créé un véritable réseau national de « veille sanitaire » et « un annuaire météorologique ». Elle a conduit de nombreuses missions dans de nombreux domaines :

— L’hygiène : mesures de protection des fossoyeurs des caveaux, lutte contre la fièvre puerpérale dans les hôpitaux, recherches sur la rage.

— La pharmacopée : la commission des remèdes secrets analyse plus de huit cent remèdes, et n’en retient que deux.

— La lutte contre le charlatanisme : condamnation du magnétisme.

— L’alimentation : maladies des grains, ergot de seigle.

— L’aide aux enfants et aux femmes enceintes.

— Les maladies professionnelles.

En 1790, Vicq d’Azyr propose à l’Assemblée Constituante une réforme des études médicales regroupant médecine, chirurgie, art vétérinaire et pharmacie en une seule entité, avec double formation, l’une s’appuyant sur un enseignement pratique pour répondre aux besoins des campagnes, et l’autre à la fois théorique et pratique au lit du malade dans les hôpitaux. Ces études, d’une durée de six ans, seraient sanctionnées par trois séries d’examens : sciences fondamentales, pathologie, médecine pratique. Le recrutement des médecins se ferait par concours. Ce projet, que l’Assemblée n’eut jamais le temps d’étudier, avait cependant immédiatement provoqué l’opposition de la Faculté de Médecine.

 

Balayée par la Révolution, la Société royale laissera une empreinte profonde dans l’organisation de la médecine au xixe siècle. Sa composition, son fonctionnement, ses activités seront reprises presque intégralement en 1820 lors de la création de l’Académie royale de Médecine.

Aujourd’hui encore deux de ses qualités méritent de nous guider : son esprit d’ouverture et la qualité des relations qu’elle a su établir avec l’ensemble des correspondants, c’est-à-dire de très nombreux médecins du royaume, couvrant l’ensemble du territoire.

BIBLIOGRAPHIE [1] Alain Caubet,

La Société royale de médecine étudiée dans ses Mémoires 1776-1789 , mémoire de

DEA, Université de Rennes II, novembre 1990.

[2] André Parent, ‘‘ Félix Vicq d’Azyr : Anatomy, Medicine and Revolution ’’, in The Canadian

Journal of Neurological Sciences, 2007, 34 ; 30-37.

[3] Yves Pouliquen,

Félix Vicq d’Azyr , les lumières et la Révolution , Odile Jacob, 2009.

[4] Marie-Laure Simonetta-Barrault,

La Société royale de médecine, 1776-1793, mémoire de maitrise en Histoire, Université de Paris I, juin 1992.

 

<p>** Secrétaire perpétuel de l’Académie nationale de médecine.</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 9, 2131-2135, séance du 15 décembre 2009