Résumé
En France, l’instance chargée de définir, de quantifier et de valoriser le progrès thérapeutique médicamenteux est la Haute Autorité de Santé par l’intermédiaire de la Commission de la Transparence (CT). Il revient donc à la CT de reconnaître le progrès dans ses différentes modalités et tout d’abord de bien distinguer la notion d’innovation pharmacologique de celle de progrès thérapeutique. La CT ne retient comme innovations susceptibles d’induire un progrès thérapeutique que celles qui répondent aux trois conditions suivantes : constituer une nouvelle modalité de prise en charge d’une maladie, être susceptible d’apporter un progrès cliniquement pertinent et répondre à un besoin non couvert. La démonstration du progrès doit avoir été faite sur des critères cliniques pertinents. Les différentes modalités de progrès reconnu sont d’ordre quantitatif ou qualitatif ou encore en termes de tolérance, d’observance et de maintenance thérapeutique. La CT quantifie le progrès par l’amélioration du service médical rendu (ASMR) résultant de l’utilisation du nouveau médicament. La détermination de l’ASMR prend en compte les données issues des essais ayant comparé le nouveau produit aux produits existants. Dans la réalité, de telles comparaisons directes sont rarement disponibles. La commission doit donc, trop souvent, faire appel aux résultats de comparaisons indirectes. Les textes réglementaires prévoient cinq classes d’ASMR allant du type I (progrès majeur) au type V (absence de progrès). Une ASMR peut n’être attribuée que dans le cadre d’une population cible restreinte, sous-ensemble de la population correspondant à l’indication de l’AMM. Les ASMR attribuées ne sont jamais que des progrès espérés ou attendus dont il importera, par la suite, en particulier dans les cas de médicaments « sensibles », de confirmer ou non les performances dans la vie réelle par des études dites de post-inscription. Outre la mention d’une ASMR, les avis de la CT, publiés et diffusés, comportent un certain nombre de rubriques permettant de valoriser les médicaments facteurs de progrès. La valorisation économique des médicaments passe par la CT puisque ses évaluations sont prises en compte par le comité économique des produits de santé chargé de fixer leurs prix. Parmi les problèmes mal résolus se pose celui des « me too ». En effet, s’il n’appartient pas à une commission d’experts de « faire » le marché à l’intérieur d’une classe thérapeutique, on doit se poser la question de savoir à partir de combien de produits d’une classe présents sur le marché, il serait souhaitable d’alerter décideurs et payeurs sur le fait que le besoin thérapeutique est largement couvert. Un autre problème est celui du contournement des génériques, en particulier dans le cadre de l’introduction sur le marché d’associations à doses fixes contenant un produit susceptible de donner lieu à un générique. Bien que l’appréciation du progrès thérapeutique repose sur des critères objectifs, vérifiables et reproductibles, elle ne se conçoit qu’à l’intérieur d’une instance collégiale et indépendante des firmes pharmaceutiques, des organismes payeurs et des associations d’usagers.
Summary
The French National Health Authority has delegated to the Transparency Commission (TC) responsibility for defining and quantifying therapeutic progress and for certifying the therapeutic added value of new drugs. It is essential to distinguish between pharmacologic innovation and therapeutic progress. The TC considers that a new product offers therapeutic progress if it : 1) improves patient management, 2) represents a significant clinical breakthrough, and/or 3) meets a previously uncovered need. Therapeutic progress must be supported by quantitative or qualitative clinical evidence of improved therapeutic tolerance, compliance or maintenance. The TC measures progress in terms of the enhancement of therapeutic value (ETV) relative to existing products. Ideally, ETV should be evaluated in head-to-head comparisons, but companies often prefer placebo-controlled studies, meaning that indirect comparisons are unavoidable. ETV is graded in five levels, ranging from I (major progress) to V (no progress), and is attributed for a specific target population. The ETV only measures expected therapeutic progress, to be confirmed in post-registration studies. TC decisions are taken into account by the commission that determines drug prices. One pending economic issue involves ‘‘ me-too ’’ products. Indeed, scientific committees cannot be expected to regulate market competition —- for example, to decide when to inform decision-makers that the number of statins or betablockers on the market is sufficient to cover requirements. Another delicate problem concerns efforts by brand-name drug companies to circumvent generic drugs, notably by introducing fixed-dose combinations. Although the assessment of therapeutic progress is based on objective, verifiable and reproducible criteria, it can only be carried out fairly within a collaborative framework independent of pharmaceutical companies, healthcare insurers and consumer associations.
En France, l’instance chargée de définir et de quantifier le progrès thérapeutique comme d’en justifier médicalement la valorisation est la Haute Autorité de Santé (HAS) par l’intermédiaire de sa commission d’évaluation des médicaments, appelée commission de la transparence (CT) [1, 2]. La CT est une commission consultative de vingt experts médecins, pharmaciens et épidémiologistes, ayant pour mission de se prononcer sur le bien-fondé de la prise en charge des médicaments par la
solidarité nationale (par l’estimation de leur service médical rendu) et pour appré- cier l’éventuelle amélioration du service médical rendu — autrement dit le progrès thérapeutique — que leur utilisation est susceptible d’induire. Cette double mission s’explique par le fait que l’octroi préalable d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) à un nouveau médicament par les autorités d’enregistrement n’implique ni que ce nouveau médicament présente un intérêt thérapeutique suffisant pour être pris en charge par la solidarité nationale, ni qu’il constitue un progrès thérapeutique par rapport aux médicaments déjà disponibles. Une autorisation de mise sur le marché exige seulement que le produit candidat présente un rapport bénéfice/risque globalement favorable pour les malades dans des conditions d’utilisation bien définies et qu’il ne soit pas « moins bon » que les médicaments existants.
Progrès thérapeutique : le point de vue de la commission de la transparence
Il revient donc à la CT de reconnaître le progrès thérapeutique médicamenteux dans ses différentes modalités. Et tout d’abord, de bien distinguer la notion d’innovation pharmacologique de celle de progrès thérapeutique, car il n’est pas constant qu’une innovation pharmacologique produise un progrès thérapeutique cliniquement mesurable [3] ni qu’elle soit synonyme de meilleure tolérance, en particulier à long terme [4]. C’est pourquoi la CT ne retient comme innovation susceptible d’induire un progrès thérapeutique que celle qui répond simultanément aux trois conditions suivantes [5] :
— constituer une nouvelle modalité de prise en charge d’une maladie par la nouveauté de la classe thérapeutique, ou de son mécanisme d’action, ou de sa population cible ou par ses modalités d’administration ;
— être susceptible d’apporter un progrès cliniquement pertinent par rapport aux moyens disponibles, en termes d’efficacité ou de tolérance ou d’accès à la thérapeutique ;
— répondre, dans ses indications, à un besoin non ou insuffisamment couvert, ou encore à l’absence d’alternative.
Le respect de ces trois conditions est la garantie pour les patients comme pour la solidarité nationale, que les innovations proposées par les firmes pharmaceutiques vont au-delà du simple nouveau concept. Dans le même ordre d’idées, la commission, face à la revendication d’un progrès thérapeutique par les firmes, impose que la démonstration de ce progrès ait été faite, dans les essais thérapeutiques, sur des critères cliniques de morbidité, de mortalité et de qualité de vie, les seuls à être pertinents pour les patients. La commission ne se satisfait donc pas d’un argumentaire qui ne serait fondé que sur des critères intermédiaires, par exemple biologiques ou d’imagerie, sauf dans des situations très particulières — par exemple certaines maladies orphelines — où le besoin thérapeutique est très insuffisamment couvert et où l’allongement des délais d’accession aux nouveaux médicaments, même si ces
médicaments ne représentent pas des progrès majeurs, pourrait constituer une perte de chance pour les patients. Car on sait bien que la justification de recourir à des critères intermédiaires [6] pour évaluer les nouveaux produits tient à ce que leur emploi permet de raccourcir la durée des essais et le délai de mise sur le marché des produits. Il n’en demeure pas moins que la doctrine de la commission est que l’observation d’une baisse du taux sanguin du LDL-cholestérol plus marquée sous l’influence d’un nouveau produit qu’avec les traitements déjà disponibles, ou qu’une élévation plus marquée de la densité minérale osseuse avec un nouvel antiostéoporotique qu’avec les produits de référence ne vaut pas démonstration de progrès. En revanche, une plus grande réduction de la mortalité cardiovasculaire par une nouvelle statine ou la diminution du risque fracturaire chez des femmes ménopausées ostéoporotiques du fait d’un nouveau traitement de l’ostéoporose sera prise en considération. Encore faut-il que les améliorations observées représentent, du point de vue de la communauté médicale, un progrès dont la taille soit cliniquement « signifiante » et non pas seulement l’expression d’une différence statistiquement significative. Car on sait combien il est relativement facile, pourvu que les effectifs des malades inclus dans les essais soient importants — de l’ordre de quelques milliers — de mettre en évidence une différence statistiquement significative mais souvent cliniquement « insignifiante » entre les résultats de deux produits comparés.
Dans le domaine de l’efficacité, la CT reconnaît différentes modalités de progrès thérapeutique :
— des progrès d’ordre quantitatif : un nouveau médicament est, par exemple, deux fois plus efficace que son comparateur ;
— des progrès d’ordre qualitatif : un nouveau médicament permet de guérir ou d’améliorer un certain pourcentage de patients non répondeurs ou présentant des contre-indications aux produits disponibles.
Elle apprécie aussi les progrès en termes de tolérance et, éventuellement, car la démonstration en est plus difficile à faire par les firmes, en termes d’observance et de taux de maintenance thérapeutique qui sont gages d’efficacité thérapeutique, particulièrement dans les maladies au long cours, à plus forte raison dans la prise en charge d’une affection longtemps asymptomatique. L’appréciation du progrès thé- rapeutique prend encore en compte l’éventuel intérêt de santé publique du nouveau médicament, non seulement en termes de besoin thérapeutique et de transposabilité à la vie réelle des résultats des essais cliniques, mais aussi d’impact attendu sur l’organisation du système de soins.
Quantification du progrès thérapeutique
La CT quantifie le progrès thérapeutique apporté par un nouveau médicament en appréciant l’amélioration du service médical rendu (ASMR) résultant de son utilisation. Si le concept d’ASMR semble robuste, son intitulé résulte d’un certain abus de langage, puisqu’à ce stade précoce de l’évaluation, les performances du médicament en vie réelle ne sont pas encore connues. Il est donc préférable de parler d’amélioration du service médical attendu plutôt que d’amélioration du service médical rendu. La détermination de l’ASMR résulte en effet de la prise en compte de l’ensemble des éléments disponibles, en particulier des données issues des essais qui ont comparé le nouveau produit aux produits existants. Or, dans la réalité, de telles comparaisons directes entre le nouveau médicament et des produits plus anciens considérés comme des références – seules comparaisons susceptibles de déterminer de manière non ambiguë si le nouveau produit est supérieur à ses concurrents — sont rarement réalisées [7] et la commission doit trop souvent se contenter de comparaisons indirectes, en utilisant d’une part les résultats des essais du nouveau médicament versus placebo et, d’autre part, les résultats d’essais plus anciens dans lesquels les médicaments de référence ont été comparés naguère, eux aussi, au placebo. Mais cette évaluation indirecte est moins fiable [8] que celle résultant d’une comparaison directe, dans la mesure où les caractéristiques des patients des essais comparés, les critères d’évaluation des produits et les contextes de réalisation de ces essais n’ont généralement pas été similaires. A plus forte raison si la comparaison entre le nouveau produit et le (ou les) produit(s) de référence se fonde sur un pourcentage de répondeurs (souvent définis par des seuils différents de réponse au traitement dans les différents essais) plutôt que sur une variable quantitative reconnue par la communauté médicale internationale. Il peut donc arriver que la CT, faute d’un « repère » comparatif fiable, ne puisse apprécier, en toute rigueur, le progrès thérapeutique induit par l’usage du nouveau médicament par rapport aux performances des médicaments plus anciens. Elle se voit alors contrainte, en cas de progrès présumé, de formuler une ASMR en termes assez imprécis du genre « le nouveau produit X apporte une ASMR dans la prise en charge habituelle de telle maladie », faute de pouvoir adopter une formulation factuelle du type : « le nouveau produit X apporte une ASMR par rapport au produit de référence Y », plus informative et opérationnelle pour les décideurs, les organismes payeurs et les praticiens à qui sont destinés les avis de la commission. De même, la comparaison est loin d’être méthodologiquement optimale (même si elle est pertinente) lorsque la commission, en observation de la loi [1], rend un avis par rapport aux autres méthodes thérapeutiques non médicamenteuses disponibles, y compris chirurgicales.
La seule situation dispensant les firmes de procéder à une comparaison directe est celle de deux produits dont le développement a été concomitant. On ne saurait en effet reprocher à une firme de n’avoir pas comparé son nouveau produit B à un médicament concurrent A si ce dernier, quoique plus avancé dans son développe-
ment, n’est pas encore commercialisé. Aussi, dans une telle situation, lorsque la CT est amenée à se prononcer sur B quelques mois après avoir examiné A et si la comparaison indirecte entre les performances des deux médicaments ne permet pas d’en distinguer un meilleur que l’autre, la commission préfère déclarer que B partage l’ASMR de A plutôt que de considérer que B n’apporte pas de progrès par rapport à A, affirmation qui serait injustement dévalorisante pour B [5].
La CT apprécie le progrès en termes d’efficacité et/ou de meilleure tolérance. Les textes réglementaires prévoient cinq classes d’ASMR [5] :
— une ASMR de type I constitue un progrès thérapeutique majeur : c’est une révolution thérapeutique dont la traduction est, par exemple, une réduction notable de la mortalité dans la maladie traitée ou sa guérison ;
— une ASMR de type II représente un progrès important en efficacité et/ou en tolérance ;
— une ASMR de type III traduit un progrès modéré ;
— une ASMR de type IV traduit un progrès minime ;
— une ASMR de type V caractérise l’absence de progrès.
Une amélioration des modalités d’utilisation d’un médicament susceptibles d’entraîner une meilleure prise en charge des patients avec bénéfice clinique, permet d’envisager une ASMR.
Une ASMR est parfois attribuée à un nouveau médicament dans le cadre d’une population cible restreinte bien définie qui n’est qu’un sous-ensemble de la population globale correspondant à l’indication de l’AMM. Il s’agit alors d’une population parfaitement repérable que la commission considère comme la plus susceptible de tirer profit du nouveau produit, soit parce que c’est chez ce type particulier de patients que le rapport efficacité/tolérance est attendu comme le plus favorable, soit parce que c’est dans cette sous-population que le progrès thérapeutique a été le mieux démontré ou s’est manifesté avec la plus grande ampleur. Des ASMR de type V sont généralement attribuées à ce qu’il est convenu d’appeler des « me too », c’est-à-dire des médicaments qui ne viennent qu’augmenter le nombre des produits disponibles dans une classe pharmacothérapeutique déjà pléthorique, sans apporter ni originalité ni progrès, comme un énième bêtabloqueur ou une énième statine, dont le profil de tolérance ne différerait pas de ceux des autres médicaments de leur classe.
Les ASMR attribuées par la commission ne sont jamais que des progrès attendus dont il importera, par la suite, en particulier dans les cas de médicaments coûteux ou développés sur des critères intermédiaires, de confirmer ou non les performances dans la vie réelle par des études de post-inscription. On trouvera au tableau I le nombre des ASMR attribuées par la commission au cours des années 2000 à 2005 parmi l’ensemble des produits examinés lors d’une demande de première inscription ou d’extension d’indication. Les médicaments constituant un véritable progrès thérapeutique représentent de l’ordre de 10 à 20 % des produits [9]. Mais les
TABLEAU I [9]. — Statistique des ASMR au cours des années 2000 à 2005 parmi l’ensemble des demandes de 1ère inscription et d’extension d’indication.
ASMR1
ASMRII
ASMRIII
ASMR IV
ASMRV
Total
Avancée
Apport important
Modéré faible
Sans ASMR I-V majeure 2000 6 6 8 15 138 173 2001 12 20 11 24 146 213 2002 18 13 14 20 127 192 2003 10 10 16 5 97 138 2004 4 14 27 27 103 175 2005 5 11 22 18 98 144 Total 45 74 98 109 709 1035 2000/05 4,4 % 7,1 % 9,5 % 10,5 % 68,5 % 100 % véritables révolutions thérapeutiques sont exceptionnelles, les progrès dits « incré- mentaux » étant les plus fréquents.
Valorisation du progrès thérapeutique
Valorisation médicale et scientifique
Outre la mention et la justification d’une ASMR, les avis de la CT, publiés et diffusés [10], comportent un certain nombre d’autres rubriques permettant de valoriser les médicaments facteurs de progrès. Tout d’abord dans le paragraphe « Originalité » qui fait état des mécanismes d’action des médicaments. A efficacité comparable, un nouveau produit à nouveau mécanisme d’action est susceptible de traiter des patients résistants ou insuffisamment sensibles aux traitements disponibles [11, 12].
La détermination de l’intérêt de santé publique du médicament permet aussi de valoriser des produits constituant un progrès notable dans la prise en charge de maladies rares dont les besoins thérapeutiques sont encore insuffisamment couverts.
Certains nouveaux produits se sont ainsi vu attribuer un intérêt thérapeutique important, davantage en rapport avec la gravité de la maladie à traiter ou du fait de leur irruption dans un désert thérapeutique que du fait de leurs performances intrinsèques. C’est le cas dans la maladie d’Alzheimer et dans nombre de maladies orphelines. Dans le paragraphe « Place du nouveau médicament dans la stratégie thérapeutique » la CT, s’adressant prioritairement aux professionnels de santé, situe le nouveau produit par rapport à l’ensemble des moyens thérapeutiques disponibles, le place en première, deuxième ou troisième ligne et précise les conditions de son meilleur usage.
En outre, la CT examine en priorité les dossiers des médicaments présumés les plus innovants afin de permettre leur accès le plus précocement possible et de limiter les pertes de chances qu’un délai prolongé de mise à disposition pourrait entraîner.
Valorisation économique
La commission est impliquée dans la valorisation économique des médicaments puisque ses évaluations sont prises en compte par le comité économique des produits de santé (CEPS) chargé de fixer leurs prix. Le code de la sécurité sociale [13] stipule que, pour être inscrit sur la liste des médicaments remboursables, tout nouveau médicament doit soit apporter un progrès thérapeutique reconnu par la CT, soit induire des économies pour l’assurance maladie. Les médicaments n’induisant pas de progrès thérapeutique (ASMR de type V) doivent donc être moins coûteux que leurs concurrents plus anciens. En revanche, les médicaments ayant obtenu des ASMR I, II ou III ont un accès plus rapide au marché grâce à une procédure de dépôt de prix européen en lieu et place de la négociation habituelle entre le CEPS et la firme, et un niveau de prix conforme à celui des autres pays européens. Enfin, en déterminant les effectifs des populations cibles des médicaments, la commission a une influence directe sur le contenu d’éventuels accords prix/volume passés entre le CEPS et les firmes pharmaceutiques avant la commercialisation de leurs produits.
Les études de post-inscription
Les résultats des essais cliniques, obtenus en conditions expérimentales, ne sont pas toujours transposables aux patients suivis par les praticiens dans la « vraie vie » [14].
C’est pourquoi la CT peut être amenée à demander la réalisation d’études de post-inscription, pour vérifier si les performances observées dans les études pré- AMM seront confirmées ou non en vie réelle. Cette exigence de la CT se manifeste en particulier lorsque les motifs qui lui font attribuer une ASMR à un nouveau médicament tiennent davantage à un souci de ne pas ignorer une véritable innovation utile aux patients qu’à récompenser un progrès démontré au vu des seuls éléments du dossier. Il arrive même que l’attribution d’une ASMR soit conditionnelle à la réalisation de telles études. Dans le même ordre d’idées, la CT peut, à tout moment, se ressaisir des dossiers des médicaments déjà inscrits sur la liste des médicaments remboursables pour les réévaluer à la hausse ou à la baisse, avec les effets possibles que l’on imagine sur leur promotion par les firmes et sur leurs prix.
C’est ainsi qu’au cours des années 2004-2005, compte tenu de l’évolution du contexte médical et de la publication de nouvelles données scientifiques, les ASMR des anti-inflammatoires non stéroïdiens anti-cox 2 ont été rétrogradées, tandis que celles des anti-TNF alpha dans le traitement des rhumatismes inflammatoires ont été revues à la hausse [10].
Quelques thèmes de réflexion
Il n’est pas toujours possible de quantifier avec la précision souhaitable le progrès thérapeutique présumé du fait de l’emploi d’un nouveau médicament, ni même de pouvoir affirmer son existence. C’est le cas face à des comparaisons de stratégies thérapeutiques associant plusieurs médicaments dans le traitement du cancer ou encore en cas « d’empilement » de médicaments, par exemple dans la prise en charge de l’hypertension artérielle. Dans ces conditions particulières, il est difficile d’imputer telle majoration souvent minime de l’effet thérapeutique observé à la responsabilité d’un nouveau produit pris isolément. L’effet intrinsèque de ce produit se trouve noyé dans le concert des effets des traitements qui lui ont été associés au cours des études.
La revendication par une firme pharmaceutique de la reconnaissance d’un progrès thérapeutique du fait d’un de ses produits, par exemple en troisième ligne dans le traitement de certaines formes de cancers alors que les essais de son médicament n’ont pas directement concerné les patients résistants aux médicaments utilisés en première et deuxième lignes, ne va pas non plus de soi. Cette revendication ne peut être satisfaite en l’absence de démonstration formelle de l’efficacité du nouveau médicament chez les patients identifiés comme non répondeurs aux produits disponibles. Dans de telles situations, la commission peut seulement faire état, à propos du nouveau produit, de la mise à disposition d’un « moyen thérapeutique supplé- mentaire » dans la prise en charge des patients.
Un autre problème est celui des avis de la commission à propos des « me too » [15, 16]. S’il n’appartient pas à une commission d’experts scientifiques de « faire » le marché et, en donnant des avis systématiquement défavorables au remboursement de ce type de produits, de fausser le jeu de la concurrence, on doit cependant se poser la question de savoir à partir de combien de statines ou de bêtabloqueurs déjà présents sur le marché il serait souhaitable d’alerter les pouvoirs publics et les organismes payeurs sur le fait que, le besoin thérapeutique étant largement couvert, il n’est pas nécessaire d’inscrire les nouveaux venus à des prix supérieurs à ceux des génériques des premiers produits de la classe. D’autant que l’arrivée de chaque nouveau médicament d’une classe pharmacothérapeutique pléthorique risque d’être la cause d’un accroissement injustifié des ventes, d’éventuelles dérives de prescription et, probablement, de dépassements de la population cible attribuée à cette classe [15, 16]. A l’inverse, on pourrait aussi arguer que toute nouvelle statine, pour une efficacité égale à celle de ses concurrentes, est susceptible d’avoir un profil de tolérance « intéressant » qui lui soit propre à l’intérieur du profil général de tolérance de la classe [16]. Elle constituerait dès lors un moyen thérapeutique supplémentaire et non pas superfétatoire.
Un dernier problème délicat auquel la commission est de plus en plus souvent confrontée est celui du contournement des génériques. Il s’agit, par exemple, pour les firmes dont les produits princeps ne sont plus protégés par leurs brevets et
tombent dans le domaine public, de mettre sur le marché des associations à doses fixes dont l’un des principes actifs est l’un de leurs médicaments généricables (exemples : bisphophonate + vitamine D ; statine + aspirine…). Or certaines de ces associations présentées comme utiles à l’observance — avantage virtuel jamais démontré ni dans les essais ni ultérieurement — pourraient être délétères à des patients justifiant de fréquentes adaptations posologiques. Ces associations ne peuvent en effet convenir qu’à un nombre restreint de patients stables, parfaitement équilibrés par les posologies correspondant strictement à celles de l’association, dans le cadre d’une indication de deuxième intention. En outre, il est pratiquement impossible à la commission de préciser le nombre de patients justiciables de ces associations, dans le cadre du calcul des populations cibles.
Reconnaître, mesurer, valoriser le progrès thérapeutique et permettre aux usagers d’en bénéficier sans retard sont au cœur de la mission de la Haute Autorité de Santé :
améliorer la qualité de notre système de soins [17]. Bien que l’appréciation du progrès thérapeutique repose sur des critères objectifs, vérifiables et reproductibles, elle ne se conçoit que par l’intermédiaire d’une instance indépendante — des firmes pharmaceutiques, soucieuses de promouvoir leurs produits et d’obtenir le meilleur retour sur investissement — des organismes payeurs qui, dans la crainte de surpayer un simple espoir de progrès, sont réticents à faire le pari que l’amélioration du service rendu par les nouveaux médicaments correspondra bien à ce qui en était attendu — et des associations d’usagers, sensibles aux sirènes de l’innovation et désireuses d’y accéder sans délai. Dans ce contexte, les avis de la CT constituent pour les décideurs, les payeurs et les professionnels de santé, un premier stade pour une évaluation médico-économique.
A la différence des modalités d’appréciation destinées à décider s’il est justifié ou non que les nouveaux médicaments soient pris en charge par les solidarités nationales des états, les critères d’évaluation du progrès thérapeutique devraient, par delà les particularismes des cultures thérapeutiques et des systèmes de soins, constituer un socle commun de réflexion pour l’ensemble de la communauté internationale de santé.
REMERCIEMENTS
L’auteur remercie le professeur Laurent Degos président de la HAS, Monsieur Étienne Caniard membre du Collège de la HAS, le Dr François Meyer, directeur de l’évaluation des actes et produits de santé à la HAS et le Dr Julien Bouvenot, Laboratoire de santé publique de la Faculté de médecine de Marseille, pour leur relecture contributive du manuscrit.
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[10] Haute Autorité de santé. www.has-sante.fr. Commission de la transparence. Avis de la commission de la transparence.
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DISCUSSION
M. Gérard MILHAUD
Si on se réfère aux critères que vous avez énoncés pour évaluer le progrès thérapeutique, qui ne peut se fonder sur l’augmentation de la densité osseuse ou l’élévation du HDL-cholestérol — critères secondaires — mais sur les progrès réalisés sur la morbi-mortalité à cinq ou dix ans, comment évalueriez-vous le progrès thérapeutique apporté par l’insuline, qui à l’époque en 1922, n’était connue que pour faire baisser l’hyperglycémie ?
Les critères restrictifs actuels de la Commission de la Transparence pour définir le progrès thérapeutique sont fondés sur l’idée que les révolutions thérapeutiques sont
rares, au regard du nombre des nouveaux produits qui n’apportent que des progrès thérapeutiques très modestes. Lors des premières utilisations de l’insuline pour traiter le diabète sucré de l’homme, on ne disposait pas d’autre moyen médicamenteux. L’insuline représentait donc le traitement d’une maladie dont le besoin thérapeutique médicamenteux n’était pas couvert. Par ailleurs, la baisse de l’hyperglycémie sous insuline entraîne des conséquences notables sur les signes cliniques du diabète. Le critère « baisse de l’hyperglycémie » pouvait donc être considéré, à juste titre, comme un critère cliniquement pertinent.
M. Pierre JOLY
Le terme ‘‘ médical ’’ dans les expressions des S.M.R. et A.S.M.R. est inadapté et devrait être remplacé par ‘‘ thérapeutique ’’.
Les termes de service médical et d’amélioration du service médical sont discutables.
L’évaluation de l’intérêt des médicaments et du progrès thérapeutique par la Commission de la Transparence prend en compte l’intérêt de santé publique et pas seulement l’intérêt « médical » des produits à évaluer. On devrait donc parler plutôt de service rendu que de service médical rendu. Par ailleurs, à ce stade de l’évaluation d’un nouveau médicament, le service rendu est seulement prévisible, mais pas encore démontré. Il serait donc préférable de parler de service attendu plutôt que de service rendu. Un nouveau décret concernant le fonctionnement et les critères de la Commission de la Transparence devrait tenir compte de ces éléments de réflexion.
M. Pierre DELAVEAU
Un champ de produits à la limite des médicaments et des aliments se développe, celui des ‘‘ compléments alimentaires ’’ qui avancent souvent une argumentation discutable (‘‘ allé- gations ’’). La Commission de la Transparence a-t-elle un regard sur ce champ en extension ?
La mission d’évaluation de la Commission de la Transparence ne concerne que les médicaments au sens strict du terme, et parmi eux, seulement les médicaments dont les firmes exploitantes ont demandé l’inscription sur la liste des médicaments remboursables. La Commission n’a donc pas à connaître les alicaments.
* Membre du Collège de la Haute Autorité de Santé. Président de la Commission de la Transparence. Tirés-à-part : Professeur Gilles BOUVENOT, Haute Autorité de Santé. 2, avenue du Stade de France — 93218 Saint Denis La Plaine Cedex.
Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, nos 4-5, 893-904, séance du 23 mai 2006