Résumé
Le capital osseux maximal, la quantité d’os nous permettant de nous tenir debout dans des conditions de risque fracturaire minimal, est atteint à la fin de la deuxième décennie de vie. Ce capital est principalement déterminé par des facteurs génétiques. Divers autres facteurs peuvent influencer le niveau de ce capital, dont une phase d’accumulation rapide se déroule au cours de la puberté. Parmi ces facteurs, les apports nutritionnels, particulièrement ceux en calcium et en protéines, jouent un rôle favorable significatif. Les produits laitiers associent ces deux nutriments. Des enfants évitant les produits laitiers ont un risque fracturaire augmenté. Ce risque pourrait demeurer élevé à un âge plus avancé. Diverses études d’intervention ont démontré les effets bénéfiques des produits laitiers sur l’accumulation du capital osseux au cours de la croissance. En conclusion, dans une perspective de prévention primaire de l’ostéoporose et des fractures qui lui sont associées, il est impératif de promouvoir des apports de produits laitiers suffisants, pour assurer l’obtention d’un capital ossseux optimal.
Summary
Maximal bone capital — the amount of bone required to stand and walk with a minimal risk of fracture — is reached by the end of the second decade of life. This bone capital is primarily determined by genetic factors. However, other factors, and particularly dietary components such as calcium and protein, have a favorable influence. Dairy products contain both these nutrients. Children who do not consume dairy products are at a higher risk of fracture, which persists later in life. Various intervention studies have demonstrated beneficial effects of dairy products on bone capital. Sufficient intake of dairy products helps to ensure optimal bone capital, a major factor in primary prevention of osteoporosis and fragility fracture.
INTRODUCTION
Le squelette assure des fonctions de soutien et joue un rôle important dans les homéostasies minérale et acide-base. Une fonction de soutien efficace implique un système osseux solide, qu’assurent une masse suffisante et une structure adaptée. Le capital osseux maximal est atteint en fin de deuxième décennie de vie et, dans des conditions normales, permet de résister avec succès à une contrainte mécanique [1].
Entre 60 et 80 % de la variance du capital osseux de l’âge moyen sont déterminés par des facteurs génétiques, dont l’influence s’exerce dès la naissance, voire au cours de la vie fœtale[2, 3]. Des facteurs environnementaux peuvent modifier les influences génétiques, compromettre l’accumulation du capital osseux, augmenter la fragilité osseuse et, par conséquent, exposer à un risque accru de fracture. Dans la perspective d’une prévention primaire efficace, et afin d’affronter avec un capital osseux aussi optimal que possible les dégâts osseux liés à la carence hormonale de la ménopause et à l’âge avançant, il est primordial de tirer bénéfice du contrôle de ces facteurs environnementaux (Fig. 1). Ainsi, au cours de la croissance, dans l’enfance et l’adolescence, promouvoir une nutrition équilibrée et un exercice physique régulier, et éviter des facteurs de risque tels que tabac et alcool, sont des mesures préventives de l’ostéoporose à privilégier absolument [4].
Fig. 1. — Croissance osseuse et capital osseux de l’âge moyen. Les apports nutritionnels, particuliè- rement ceux en calcium et en protéines, peuvent moduler la croissance principalement déterminée de manière génétique.
NUTRITION ET CROISSANCE OSSEUSE
Tout au long de l’enfance et de l’adolescence, la croissance et l’augmentation de la masse minérale osseuse suivent une courbe, une voie déterminée génétiquement [2].
Toute carence nutritionnelle peut altérer la croissance et déplacer les sujets vers une courbe moins favorable, conduisant à un capital maximum insuffisant. Au contraire, des apports nutritionnels adéquats permettent de suivre la meilleure courbe de croissance osseuse possible et, partant, d’atteindre un capital osseux optimal. Après la ménopause, toute réduction de la densité minérale osseuse d’un écart-type (environ 10 %) est associée à un doublement du risque fracturaire [5]. Par conséquent, une augmentation de 10 % du capital osseux maximal devrait conduire à une diminution significative du risque de fracture dans la deuxième moitié de l’existence. Deux nutriments ont fait l’objet d’une attention particulière : le calcium et les protéines.
Apports calciques et croissance osseuse
Diverses études ont mis en évidence une association positive entre gain osseux et apports calciques. Ces associations semblent s’observer plus volontiers avant la puberté. Une relation causale ne peut cependant pas être établie avec certitude sur la base d’études d’association. Des études d’intervention contrôlées contre placebo offrent un degré d’évidence plus convaincant. Des suppléments de calcium, donnés sous forme d’ultrafiltrats du lait, augmentent la densité et la masse minérales osseuses, plus particulièrement au niveau du squelette périphérique, aussi bien chez la fillette que chez le garçon prépubères [6, 7]. Le bénéfice semble persister au moins une année après l’arrêt de la supplémentation. Ces effets positifs ont été attribués à une diminution du remodelage osseux et, par conséquent, à un comblement de l’espace de résorption. En revanche, lorsqu’un sel de phosphate de calcium ou un extrait de calcium laitier est administré, au lieu de carbonate ou de citrate-malate de calcium, un effet supplémentaire sur la taille des os, le modelage, a été suggéré.
On ne sait pas encore avec certitude si le gain osseux persiste après l’arrêt de la supplémentation. Une méta-analyse récente de tous les essais thérapeutiques publiés comparant un supplément de calcium à un placebo conclut à un effet durable, au niveau du membre supérieur tout au moins [8]. Dans un suivi à long terme, jusqu’à l’âge adulte, d’une cohorte de jeunes filles ayant participé à l’âge de huit ans à une étude d’intervention avec 850 mg de supplément calcique d’origine laitière par jour, on a constaté une persistance de l’effet sur le capital osseux maximal dans la moitié de l’effectif avec une ménarche plus précoce [9]. Cela pourrait suggérer qu’un effet prolongé du calcium sur le modelage s’observe pour autant que le supplément intervienne près de la ménarche.
Apports protéiques et croissance osseuse
Au cours d’études longitudinales, il apparaît que les gains osseux sont proportionnels à la quantité de protéines alimentaires ingérées, même après ajustement pour les apports calciques [10, 11]. Cette association positive est principalement observée avant la puberté. Il semble aussi que les apports protéiques modulent les effets du calcium sur le gain de masse osseuse de garçons prépubères [12]. En effet, le bénéfice osseux d’une supplémentation calcique n’intervient que chez les garçons avec apports protéiques spontanés inférieurs à la médiane. Au-dessus de celle-ci, la différence n’est pas significative, suggérant qu’à apports protéiques élevés, les besoins en calcium pour une croissance optimale pourraient être moindres.
Dans une étude prospective portant sur des enfants et adolescents entre six et dix-huit ans, les apports nutritionnels ont été enregistrés de manière annuelle, sur une période de quatre ans[13]. La taille et la masse des os de l’avant-bras, mesurées par scanner, de même qu’une évaluation indirecte de la résistance aux fractures, étaient positivement corrélées aux apports protéiques. Il n’existe pas à l’heure actuelle d’étude d’intervention avec un supplément protéique, afin de déterminer si la corrélation mentionnée ci-dessus est une association ou une relation causale. La production hépatique de l’hormone IGF-I est stimulée par les protéines alimentaires ingérées [11]. L’IGF-I augmente la croissance longitudinale et radiaire des os ;
de plus, en stimulant la réabsorption tubulaire du phosphore et la synthèse rénale de calcitriol, ce qui conduit donc à une absorption intestinale plus élevée de calcium et phosphore, l’IGF-I contribue à assurer un environnement minéral approprié pour la minéralisation du tissu osseux nouvellement formé (Fig. 2).
Fig. 2. — Effets des protéines alimentaires sur la production de l’IGF-1 et sur l’homéostasie du calcium et du phosphore.
IGF-I : Insulin-like growth factor 1.
Produits laitiers et croissance osseuse
En plus du calcium, du phosphore, des calories et des vitamines, un litre de lait apporte 32 à 35 g de protéines, principalement de la caséine, mais aussi les protéines du petit-lait qui contiennent de nombreux facteurs de croissance cellulaire (Tableau 1).
Nombre d’études transversales et longitudinales concluent à un effet favorable des produits laitiers sur la santé osseuse [14-18]. Une carence en produits laitiers au cours de l’enfance prédispose aux fractures [19]. Une association positive existe entre gain osseux, capital osseux maximal à l’âge adulte, dimensions osseuses, stature, et consommation de produits laitiers. On pourrait alors envisager que le calcium influence surtout le remodelage et, partant, la densité volumique, alors que les protéines auraient un effet sur le modelage, donc la taille des os. Les deux phénomènes contribueraient à assurer une meilleure solidité, une meilleure résistance mécanique et, partant, un moindre risque fracturaire.
Les premières études d’intervention avec des suppléments de lait se sont déroulées en Angleterre à la fin des années 1920. En fournissant environ 0,5 litre de lait par jour aux enfants dans les écoles, le gain de taille a été augmenté. Nombre d’essais ont confirmé par la suite les bénéfices osseux des produits laitiers sur la santé osseuse.
Dans une étude randomisée et contrôlée, des jeunes filles de douze ans ont reçu une pinte de lait, correspondant à 568 ml [20]. Comparées au groupe contrôle, ces jeunes filles ont eu un gain de masse minérale osseuse supérieur, particulièrement au niveau des membres inférieurs, associé à des taux sériques d’IGF-I plus élevés. Comparé à du calcium sous forme de comprimés, un supplément de fromage a augmenté la masse d’os cortical [21]. Un effet sur le modelage osseux est probable, vu que le diamètre des os métacarpiens était augmenté de manière significative chez des enfants chinois recevant un supplément de lait.
Tableau 1. — Teneurs moyennes en calcium, phosphore, protéines et énergie des produits laitiers Calcium
Phosphore
Protéines
Energie (mg/100 g) (mg/100 g) (g/100 g) (kcal/100 g)
Lait de vache 125 99 3.3 65 Petit-lait 105 97 3.5 36 Camembert 680 500 19.7 306 Emmental 1090 810 28.6 404 Parmesan 1220 770 36.3 400
CONCLUSION
La croissance osseuse est influencée par les apports nutritionnels, particulièrement le calcium et les protéines. Les produits laitiers, qui fournissent ces deux nutriments, pourraient améliorer le capital osseux de l’âge adulte, et contribuer ainsi à réduire le risque fracturaire plus tard dans la vie.
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Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 4, 731-737, séance du 2 avril 2008