Séance dédiée :
« Les grands singes … des cousins inquiétants ? »
PRÉSENTATION
André-Laurent PARODI *
Je remercie notre Rédacteur en chef, Jean Cambier, d’avoir accepté très spontané- ment cette séance qui peut paraître quelque peu insolite pour notre Compagnie.
Insolite et composite.
Insolite puisque cette séance est toute entière organisée autour de ces espèces de primates que nous nommons les « grands singes » — pour lesquels les anglo-saxons ont créé le terme spécifique de « Great Apes » — et que sont les gorilles, chimpanzés et orang-outans. Ils ont en commun d’être nos plus proches cousins puisque nous appartenons avec eux au groupe des Hominoïdes et partageons avec eux un ancêtre commun qui aurait vécu il y a — seulement — sept à huit millions d’années [1].
Séance composite, puisqu’elle est faite à la fois de considérations d’ordres zoologique et comportementale, et de données sanitaires.
Considérations d’ordres zoologique et comportementale
Chacun sait la proximité génétique qui existe entre notre espèce,
Homo Sapiens , et ces grands primates anthropoïdes, puisque nous partageons 98,8 % de notre code génétique avec eux. Zoologistes, comportementalistes, anthropologues se sont efforcés d’identifier les critères susceptibles de baliser la frontière entre ces grands singes et nous. Successivement, les primatologues ont évoqué [2] le comportement social, l’usage de l’outil, l’apprentissage et la transmission du savoir, l’aptitude à la communication et, plus récemment, le rire, ce « propre de l’homme » et même le sens de la justice et la faculté d’échanges [3]. Successivement, ces balises ont toutes été renversées.
Demeure ce que notre regretté confrère, Raymond Houdard, qualifiait dans son lumineux traité sur le « Le Cerveau de l’hominisation » [4], la « conscience supé- rieure de l’homme », laquelle comporte « … outre l’identification du moi par rap* Vice-président de l’Académie nationale de médecine, e-mail : a.parodi@academie-medecine.fr port à l’environnement et à autrui, sa propre identification dans le temps… ». C’est, concluait-il joliment « la conscience de la conscience » !
Restait cependant à explorer un domaine qui nous intéresse au premier titre aujourd’hui : s’il est évident que les grands singes ressentent une altération de leur santé (de leur bien-être), ont-ils la notion de pouvoir y porter remède ? Et, si la réponse est oui, sont-ils capables d’identifier des remèdes naturels ? En d’autres termes, et pour paraphraser le fabuliste Florian, auteur du « Singe savant et la lanterne magique » peut-on parler du « Singe Médecin » ?
Sabrina Krief, Docteur Vétérinaire, Maître de conférences au Muséum d’Histoire Naturelle, tentera de répondre à cette question au travers d’observations personnelles.
Le second volet de cette séance, plus classique, est d’ordre strictement épidémiologique. Ces dernières décennies ont révélé la transmission à l’homme, par des grands singes, de virus souvent redoutables à travers une barrière d’espèce bien perméable.
Les virus des maladies hémorragiques (Ébola) avaient ouvert la voie. Remarquablement, c’est dans le groupe des Rétroviridae que les exemples sont nombreux et particulièrement redoutables ou inquiétants: virus de l’immunodéficience (SIV et HIV), virus de Kaposi (HHV-8) identifié chez le gorille et le chimpanzé, virus T-lymphotropiques des grands singes de l’Afrique Centrale, PTLV-1 et 2, proches des HTLV-1 et 2, voire de HTLV-3, découverts récemment chez des consommateurs de viande de brousse de Centrafrique ; Spumavirus simien (SFV) enfin, reconnu capable, dernièrement, d’infecter l’homme puisque retrouvé chez des chasseurs du Cameroun ayant été mordus par des chimpanzés ou des gorilles. Notons toutefois, qu’il s’agit là de zoonoses occasionnelles comme l’a tristement démontré l’épidémie à virus du SIDA dont la transmission est exclusivement inter-humaine.
Le Docteur Georges Snounou, parasitologue, Directeur de Recherches au CNRS, étendra ce spectre zoonotique au rôle possible des gorilles et des chimpanzés en tant que réservoirs de Plasmodium falciparum , l’un des parasites responsables du paludisme chez l’homme.
Jacques Guillot enfin, Professeur de Parasitologie à l’Ecole vétérinaire d’Alfort et membre correspondant de notre Compagnie, abordera le cas d’une parasitose intestinale, l’Oesophagostomose, commune au chimpanzé et à l’homme et dont l’épidémiologie suggére, au moins dans certains territoires, la transmission interspécifique.
Alors, les « grands singes … des cousins inquiétants ?
De manière toute relative, nous diront certainement nos intervenants.
Cousins éloignés à propos desquels cette proposition en forme d’interrogation pourrait bien être inversée. En effet, sans cesse menacés par l’extension des zones exploitées par l’homme, chassés de leur habitat si strictement défini, notre plus grande inquiétude vis-à-vis de ces « cousins » est celle de leur disparition, tant leur origine, leur comportement, leurs pathologies mêmes, sont riches d’enseignements et le seront encore pour nous.
BIBLIOGRAPHIE [1] de Bonis L. — Quand les grands singes dominent l’Ancien Monde in Aux origines de l’humanité. Yves Coppens et Pascal Picq éd., Paris, 2001, Tome I, pp 120-643.
[2] Tattersall Y. — L’émergence de l’homme. Essai sur l’évolution et l’unicité humaine. NRF essais, Gallimard, Paris, 1998.
[3] Pelée M. — Étude comparative des facultés d’échange chez les Primates non humains. Thèse Université de Strasbourg, 2010.
[4] Houdard R. — Le Cerveau de l’hominisation. Du Primate à l’Homme. Naissance du langage, de la pensée et de la conscience. Collection « l’homme » Naïade éd, La Nouaille, 19160.
Lamazière-Basse, 2002.
[5] Calattini S., Betsem E., Bassot S. — Multiple retroviral infection by HTLV type 1, 2, 3 and simian foamy virus in a family of Pigmies from Cameroon. Virology , 2011, 410 (1), pp 48-55.
Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 8, 1923-1925, séance du 29 novembre 2011