Éloge
Session of 29 novembre 2011

Éloge de M. Didier-Jacques Duché (1916-2010)

Gilbert Lelord *

Summary

Éloge de Didier-Jacques Duché (1916-2010)

Gilbert LELORD *

L’Académie a perdu un grand médecin.

Nous avons perdu un grand ami.

Didier-Jacques Duché est né à Paris, rue Jouffroy, le ler novembre 1916.

Il aura peu connu son père, revenu de la guerre après l’armistice et décédé brutalement alors que l’enfant était âgé de huit ans. Sa mère était romancière, elle était aussi douée pour le dessin, tenant ce don de ses ascendants, du sculpteur Franceschi dont on trouve des dizaines d’œuvres dans des sites parisiens et provinciaux, et d’une grand-mère miniaturiste. Sa mère était sculpteur. Aussi cette maman, veuve, percera comme dessinatrice et élèvera seule ses trois enfants.

L’enfant Didier comprend qu’il ne lui reste qu’à déployer une énergie farouche, d’autant plus qu’il souffre de dyslexie, diagnostic rétrospectif, car cette difficulté était ignorée à l’époque. En l’absence du père, l’enfant est apprécié par un oncle, Pierre Roland-Marcel, chef de cabinet de Léon Bérard, alors Ministre de l’Éducation nationale.

Surmontant ses difficultés, le jeune Duché est admis à Janson de Sailly où il obtient un premier prix en mathématiques, qui étaient sa matière faible… Parallèlement, il entre dans le scoutisme comme louveteau et finira comme chef de groupe. Il s’occupe alors d’une troupe scoute à Saint-Jean-de-Dieu à Paris, établissement qui regroupait des enfants handicapés de toute nature.

Après le baccalauréat, il choisit la médecine, est nommé externe en 1937. Mobilisé en 1939, il est fait prisonnier le 20 juin 1940 et s’évade le 27 Juin. Il occupe alors un poste d’externe aux Enfants Malades dans le service de Georges Heuyer, et cette rencontre décidera de sa carrière.

En 1941, l’externat se poursuit chez Louis-Joseph Pasteur-Valléry-Radot, avec comme interne Paul Milliez. C’est là que Didier Duché rencontre un autre externe Pierre Deniker. Des réunions s’organisent on y retrouve Paul Milliez, mais aussi Maurice Guéniot. Sous l’impulsion de Didier Duché et Pierre Deniker se crée là, « un groupe d’instruction des secouristes et moniteurs de la Direction Générale de la Croix-Rouge Française ». Pierre Deniker, éclaireur protestant et Didier Duché, scout catholique sont des meneurs d’hommes. Ils recrutent de jeunes instructeurs parmi les externes, Jean Natali est de ceux-là. II s’agit de former des équipes de secouristes, de prévoir des postes de secours et des dépôts de matériel. En fait, ce groupe est à l’origine du service de santé de la résistance. Parallèlement, dès 1942, Didier Duché s’engage comme bénévole du réseau Samson sous le pseudonyme de Duc, il assure la réception de parachutistes ainsi que les soins médicaux aux résistants.

C’est au cours de ses activités dans le scoutisme qu’il rencontre Marguerite-Marie, elle-même très impliquée dans le mouvement scout. Justin Besançon, ami de longue date, sera témoin au mariage, le 11 Juillet 1942. Dix enfants vont naître de cette union, tous brillants, dont un prêtre et un médecin psychiatre. Parmi les vingt-cinq petits-enfants, ironie du sort, une petite fille très jolie et très solitaire a relevé de la spécialité de son grand-père. Elle est aujourd’hui bien socialisée. Sa sœur Mathilde prépare en ce moment l’internat.

En 1944, engagé volontaire, Didier Duché part en Alsace, puis en Allemagne. Il s’occupe des camps de concentration libérés où il rencontre Lucien Brumpt, qui l’initie à l’hémodiagnostic. C’est au cours d’une manipulation qu’il contracte le typhus et rentre à Paris gravement malade. Cet épisode lui vaudra la médaille des épidémies.

En 1944, Didier Duché est nommé interne de la Seine, en 1946, interne de Paris. Il débute à l’hôpital Ambroise Paré chez Jenny Roudinesco, devenue Mme Aubry. Elle l’encourage à entreprendre une formation psychanalytique avec Jacques Lacan. Au terme de l’analyse, Jacques Lacan lui dit « Reconnaissez que j’ai été prudent avec vous, à cause de votre foi. » Effectivement, Didier Duché a trouvé là l’occasion d’enrichir sa culture sans que soit déformé son esprit. L’article qu’il donne à ce moment à la Semaine des Hôpitaux annonce la couleur : « Le test d’hypocalcémie appliqué aux enfants instables. » Il retrouve alors Justin Besançon à l’hôpital Bichat. Ce maître lui confiera plus tard la responsabilité de la psychiatrie aux Entretiens de Bichat et soutiendra son élection à l’Académie de nationale de médecine. Puis, c’est le service de Raymond Turpin à qui l’on doit, avec Jérôme Lejeune et Odile Réthoré, la découverte de la trisomie 21.

II entre ensuite dans le service de Robert Laplane qu’il admire beaucoup et qu’il retrouvera par la suite. Il ne fut pas l’interne de Clément Launay, mais entretint avec lui une amitié féconde et sans faille.

Enfin, il termine son internat dans le service de Léon Michaux, dont il apprécie la vaste culture et l’humour.

Clinicat et assistanat ne font que confirmer des choix très éclectiques.

En 1950, chef de clinique des maladies infectieuses, dans le service de Pierre Mollaret, en 1952, chef de clinique de psychiatrie infantile, dans le service de Georges Heuyer. Pour Didier Duché, qui avait peu connu son père, ce patron fut un véritable père spirituel. C’est dans son service que nous nous sommes rencontrés.

Bleuler, psychiatre Suisse renommé, parlait de « spiritus loci » l’esprit des lieux. Cet esprit était présent aux Enfants Malades. Il était bien nécessaire dans des locaux très pauvres où les cellules de consultation étaient délimitées par des draps de lit, qui faisaient fonction de cloisons.

Cependant, les enfants étaient tous examinés dans une ambiance chaleureuse.

La sympathie avec Didier Duché fut immédiate, il était impossible de ne pas sympathiser avec lui. En 1953, assistanat dans le service de Robert Laplane. En 1955, assistanat dans le service de Léon Michaux. En 1958, agrégé dans ce même service, à un âge exceptionnellement jeune à cette époque. Cette collaboration fut exemplaire. En effet Léon Michaux s’intéressait surtout aux adultes. Didier Duché prenait en main le domaine de l’enfance. Il rénovait les conceptions et les usages, accueillant de nouveaux psychologues, orthophonistes, psychomotriciennes… C’est à lui que l’on doit l’abolition de la prise de température matin et soir et du port de la tenue de nuit, 24 heures sur 24 chez des enfants, somme toute, bien portants. Il profitait du samedi pour donner un enseignement complémentaire aux externes.

Cela ne l’empêchait pas de préparer en même temps le médicat avec Pierre Canlorbe et d’être nommé à ce concours polyvalent et difficile en 1961. En 1970, il succédait à Léon Michaux et devenait le troisième et dernier titulaire de la chaire de neuropsychiatrie de l’enfant, puisque les chaires ont ensuite disparu.

On relève dans son exposé de titres 456 publications, 14 ouvrages didactiques et plus de 40 congrès internationaux où il assurait souvent les fonctions de président, de vice-président ou de secrétaire général.

Mentionnons quelques exemples : 1960 — Congrès européen de pédopsychiatrie (Paris), 1967 — 1er congrès de l’association internationale pour l’étude scientifique de la débilité mentale (Montpellier), 1970 — 7e congrès de l’association internationale de psychiatrie de l’enfant (Jérusalem).

Au cours de ces réunions, il est remarqué pour ses positions claires et originales.

C’est ainsi qu’à Lisbonne, en 1958, il décrit : « Les erreurs et catastrophes de la psychanalyse sans éclairage médical ». Ce texte n’a pas pris une ride.

En 1965, il est nommé directeur du groupe de recherches d’hygiène mentale de l’enfance et de l’adolescence inadaptée, à l’Inseam (U 69). Il donne à ce groupe une orientation résolument médicale, tout en confiant des responsabilités importantes à Stanislas Tomkiewicz.

Autre caractéristique de pointe, il est l’un des premiers psychiatres à utiliser le cinéma dans un but didactique. Son film « Le monde du schizophrène », paru en 1961, reste un classique. Un film plus poétique nous est offert avec « La comtesse de Ségur ». Enfin l’humour est présent dans le film « Autostop » où Jacques Dufilho joue des rôles successifs et imagés, illustrant de grands syndromes psychiatriques. Il était aussi un grand lecteur et a légué à l’Académie une belle bibliothèque qui lui venait en partie de Georges Heuyer et où figurent des ouvrages originaux datant notamment de 1814 et 1815.

Enfin, comme son Maître Georges Heuyer, il privilégie le rôle social du pédopsychiatre. En plus de son service, il assure la chefferie de l’Hôpital de la Roche-Guyon pour grands handicapés mentaux, devenu un établissement modèle que l’on vient visiter de loin.

Il fonde l’établissement de Champrosay pour les enfants gravement handicapés, avec une collaboratrice éminente, Sœur Marie Cyril de Coccola.

En 1985, il est nommé président national de la Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence, qui regroupe plus de six cents établissements.

Il a conservé longtemps la présidence de l’Afem (Aide aux Familles et Entraide Médicale), s’intéressant personnellement aux orphelins des médecins décédés accidentellement. A cette même association, l’Académie nationale de médecine a apporté son soutien moral et matériel.

Didier Duché est commandeur de la Légion d’honneur, commandeur de l’Ordre national du Mérite. Tous les pédopsychiatres de France et de Navarre ayant été ses élèves sont présents aujourd’hui. Seront seulement cités, ici, ceux qui lui ont succédé à la Salpêtrière, Michel Basquin, Philippe Mazet et Jean-François Allilaire, avec toutefois, une mention particulière pour ses deux « filles » spirituelles : Catherine Barthélémy et Marie-Christine Mouren.

Son œuvre scientifique est considérable : il a abordé tous les domaines de la pédopsychiatrie médicale et médico-sociale. Il ne les a pas survolés, il les a approfondis, et souvent rénovés.

Dès 1950, sa thèse de médecine éclaire le problème de l’énurésie, auquel il consacrera plus tard un livre dans une collection dirigée par Georges Heuyer. Pédiatre, il étudie le développement psychomoteur de l’enfant, il s’intéresse tout spécialement au maternage et conseille aux mères, non pas d’imposer leur propre rythme, mais de l’adapter au rythme de chacun de leurs enfants.

La méthode des tests, si décriée et pourtant si utile, fait l’objet de sa première publication en 1946. Dès ce moment, il remarque que le quotient intellectuel n’est pas indélébile et qu’il doit toujours être confronté à l’examen clinique.

Aucun des sujets majeurs, même brûlants, n’échappe à sa curiosité bienveillante.

Elle s’étend des enfants arriérés profonds aux enfants surdoués dont il déplore la tonalité passionnelle qui les accompagne, en passant par les enfants trisomiques pour lesquels il demande d’éviter le forçage scolaire.

La dyslexie, qui lui rappelle des souvenirs, n’est pas oubliée, ni les troubles du langage.

Il analyse finement les névroses, estimant que dans certains cas particuliers, elles relèvent d’une cure psychanalytique.

Mais sa grande originalité préside à sa façon d’envisager l’autisme de l’enfant. En 1969, il établit, avec Stanislas Tomkiewicz, une liste objective de 31 signes précis, devançant ainsi de plusieurs années le DSM III, manuel statistique américain de diagnostic. Au hasard d’une lecture, il découvre la description d’un cas d’autisme infantile par Mme d’Harbouvière, cent ans avant les observations de Kanner. Il était très intéressé par l’histoire de la psychiatrie de l’enfant à laquelle il a consacré un ouvrage. Il y rappelle les origines, en particulier Victor de l’Aveyron, présenté récemment au cours d’une Journée du Livre de l’Académie.

Enfin, évoquant les parents, si souvent accusés, il parle de « suppositions et simplifications abusives ».

De la même façon, il aborde les troubles de l’affectivité : la réaction d’opposition, les faux retards intellectuels, les fausses perversités, sans oublier l’anorexie mentale. Il s’intéresse aux troubles du sommeil. Il explore également la sexualité et préconise l’éducation sexuelle.

Il n’oublie pas les problèmes médicopsychologiques, les difficultés scolaires, les problèmes médicosociaux : délinquance, gang d’enfant, enfants de bidonvilles, enfants venus d’ailleurs.

Sa première lecture à l’Académie sur « Les conduites suicidaires de l’enfant », reste d’une brûlante actualité.

Comme son maître Georges Heuyer, il s’intéresse beaucoup à l’adolescence : la crise de l’adolescence, mais aussi la dépression des adolescents.

Et puis, de temps en temps, on retrouve le regard du pédiatre : convulsions, œdème cérébral, encéphalites, lipidoses… Il observe même une cirrhose alcoolique chez un enfant de deux ans qui buvait un demi litre de vin par jour.

Une place de choix est réservée à la thérapeutique : éducation avant tout et rééducation, spécialement psychomotrice, orthophonique, et de toutes les déficiences qui accompagnent les troubles du langage, de la lecture et de l’écriture. Toute cette éducation implique nécessairement les conseils aux parents.

Bien sûr il souligne l’intérêt des thérapeutiques médicamenteuses et n’omet pas, dans certaines indications, la psychanalyse.

Si l’on revient sur les domaines où son esprit novateur s’est le mieux exercé, on peut retenir :

L’activité électrique cérébrale

À une époque où ses collègues ne voyaient vraiment pas ce que l’électrœncéphalogramme pouvait apporter à la psychiatrie, il montrait, avec ses collaborateurs, que l’électroencéphalographie fonctionnelle permettait notamment de distinguer névrose obsessionnelle ou schizophrénie chez un enfant de douze ans.

Les effets des médias audiovisuels sur le spectateur

Il a lui-même participé à l’aventure des enregistrements de l’imitation au cinéma.

Dès 1960, il présente au Congrès international de Filmologie de Milan, un travail sur « Maturation et information visuelle ». En 1961, il aborde le problème de «

L’information visuelle dans la genèse et la prévention de la délinquance des jeunes ».

Enfin, en 1980, tranchant sur le discours feutré de ses collègues psychiatres, il publie dans la revue « Autrement », un article intitulé : « la télévision et la violence des jeunes »

L’alliance thérapeutique avec les parents

Robert Debré, grand ami de Georges Heuyer, disait à ses élèves « Ecoutez les mères ». Toute sa vie Didier Duché aura appliqué intuitivement cette recommandation. Il a même été bien au-delà. En 1985, I’Arapi, Association de Recherches sur l’Autisme et la Prévention des Inadaptations, qui regroupait parents et professionnels, connaît une crise grave. À la suite d’un conflit portant, en fait, sur des principes thérapeutiques, les pédopsychiatres, c’est-à-dire ses élèves et ses amis, désertent l’association. Resté droit dans ses bottes, il accepte d’assurer la présidence d’un microgroupe où les parents se retrouvent très majoritaires. Vingt-cinq ans plus tard, sous la houlette de la même Arapi, Catherine Barthélémy, son élève de Tours, réunissait près de cinq cents chercheurs pédopsychiatres venus du monde entier pour parler de l’autisme. Elle démontrait ainsi que le bourgeon avait pris.

Aux facettes du pédopsychiatre s’en ajoutent bien d’autres.

Citons l’une d’entre elles qui lui tenait à cœur : le dessin. Il avait hérité de sa mère un talent de dessinateur. Artiste plein d’humour, il a exposé ses œuvres en 1997 dans la galerie de la rue Saint-Benoît à Paris.

Fin et cultivé, il aimait la poésie et la littérature : Balzac, Flaubert, Proust, Zola et bien d’autres… Il avait un faible pour Baudelaire.

Enfin il savait aussi faire preuve d’abnégation. En 2004, il commençait à sentir venir la fatigue. Mais il m’avait promis de présenter à l’Académie un livre que je lui avais confié. Il s’est donc hissé avec peine jusqu’au podium, où il a parlé d’une voix lente mais forte et bien articulée. A la fin de l’exposé, il a reçu une standing ovation de tous ses collègues qui admiraient non pas le commentaire du livre, mais la leçon de courage et d’amitié.

De tels souvenirs restent si vivants, qu’à l’exposé émouvant du Secrétaire perpétuel Jacques-Louis Binet, sur les relations de l’Académie avec la mort, il paraît opportun d’ajouter aujourd’hui un mot d’enfant. Il s’agit d’un petit Mexicain de dix ans environ qui vient de perdre ses parents dans une catastrophe dite « naturelle ». A Pierre Schöendoerffer, qui l’interroge sur cet évènement, l’enfant répond : « La mort n’a jamais tué personne ».

Le professeur Didier-Jacques Duché, pédopsychiatre, ne l’aurait sûrement pas démenti.

<p>* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine</p>