Communication scientifique
Séance du 7 juin 2011

Présentation

Jean-Paul Bounhoure *

 

Séance dédiée aux facteurs de risques cardiovasculaires dans les pays en développement :

évolution et enjeux

Présentation

Jean-Paul BOUNHOURE *

Au début du xxe siècle, les maladies cardiovasculaires étaient responsables de moins de 10 % de la mortalité globale dans le monde. Aujourd’hui ce taux dépasse 30 % et la majorité des décès survient dans les pays en voie de développement. Ces maladies ont été classiquement vues comme une pathologie des sociétés riches, industrialisées. Elles causent près de dix-sept millions de morts chaque année et malgré une baisse récente dans les pays à niveau de vie élevé, elles demeurent dans le monde entier, un véritable fléau.

Fait majeur, elles progressent régulièrement dans les pays en voie de développement où chaque année elles causent neuf millions de morts, frappant électivement une population active, de moins de soixante ans, ayant donc un impact négatif sur la productivité et le niveau de vie [1, 2]. Les décès dans les pays à revenus élevés frappent dans 80 % des cas, une population âgée de plus de soixante-dix ans contre 32 % dans les pays en développement.

Entre 1990 et 2020 des projections prévoient une augmentation de 120 % pour les femmes et de 137 % pour les hommes des maladies coronaires dans les pays à revenus faibles et intermédiaires. Ce chiffre est appelé à augmenter avec le vieillissement de la population, l’urbanisation, les transformations profondes du mode de vie et des comportements alimentaires, l’augmentation du tabagisme, de l’hypertension et du diabète dans ces pays émergents.

Les maladies cardiovasculaires représentent aujourd’hui la première cause de décès dans ces pays, à l’exception de l’Afrique subsaharienne. Les pays asiatiques, l’Amé- rique latine, l’Asie du Sud-Est, le Moyen-Orient, ne sont pas épargnés par cette évolution. Le taux de prévalence de la maladie coronaire et des accidents vasculaires cérébraux rejoint maintenant ceux des maladies infectieuses et nutritionnelles.

 

Approximativement 70 % des dix-sept millions de décès d’origine cardiovasculaire sont attribuables aux maladies non transmissibles dans les pays en voie de développement [3]. Les quatre stades de la transition épidémiologique allant de la dénutrition et du risque infectieux (stade 1) aux maladies de surcharge, traduisent bien l’évolution des pathologies en fonction des degrés d’urbanisation et des changements du mode de vie. Alors que l’Afrique sub-saharienne demeure encore au premier stade, à la première étape de la transition, celle du péril infectieux et de la dénutrition, de nombreux pays émergents ont atteints les stades 3 et 4, même pour les pays les moins industrialisés. Les maladies transmissibles, telles le SIDA, la tuberculose, la malaria, continuent à entraîner une forte mortalité dans certains pays défavorisés, mais pour d’autres, l’exposition croissante avec l’urbanisation aux facteurs de risque athérogènes, facilitent la survenue des maladies coronaires.

L’InterheartStudy a bien précisé que le risque d’infarctus du myocarde était en rapport avec neuf facteurs de risque modifiables, le tabagisme, le diabète, l’hypertension artérielle, l’obésité abdominale, le rapport apoB/apoA1, la sédentarité, les stress psychologiques, la consommation d’alcool. La distribution de ces facteurs varie en fonction de la transition épidémiologique, mais l’hypertension artérielle, le diabète et le tabagisme sont des risques majeurs, dans neuf pays émergents.

L’hypertension artérielle demeure préoccupante en Afrique, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est. Elle touche une population jeune, vivant en zone suburbaine, sa prise en charge thérapeutique est insuffisante, le pourcentage d’hypertensions contrôlées demeurant très faible. Les patients sont vus et traités tardivement, insuffisamment, l’hypertension étant détectée au stade des lésions viscérales.

Laurent Fourcade dans son exposé situera le problème et envisage les mesures à prendre pour enrayer ce fléau.

Le diabète est en continuelle progression et sa prévalence augmente dans les pays émergents, conséquence de la sédentarité, des modifications du comportement alimentaire. En 2020 des estimations considèrent qu’il y aura près de trois cent millions de diabétiques dans le monde, la majorité d’entre eux étant situés dans les pays en voie de développement. L’obésité abdominale est un important facteur de risque pour le diabète de type 2 et les cardiopathies ischémiques sont particulièrement prévalentes dans certains groupes ethniques des pays émergents (Amérique latine, Afrique du Sud, Inde, Moyen-Orient, pays du Magrheb). 31 % des hommes et 32 ,9 % des femmes dans la population des régions industrielles de l’Inde ont une obésité abdominale et des troubles du métabolisme des hydrates de carbone. Claude Jaffiol exposera les conséquences et les dangers de l’essor de cette maladie métabolique.

Le tabagisme est la première cause de mortalité évitable dans le monde actuel et actuellement autour de 80 % des fumeurs vivent dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires. Entre 1970 et 2 000 la consommation de cigarettes a chuté de 14 % dans les pays développés et a augmenté de 46 % dans les pays en voie de développement. Des projections de l’OMS suggèrent qu’en 2020, le tabagisme deviendra la première cause de décès rendant compte de plus de 13 % des morts dans le monde.

 

La dangerosité du tabac est mal connue dans ces pays, cibles actuelles de l’industrie du tabac, pour développer au maximum ce marché. Daniel Thomas fera un exposé sur ce sujet d’une brulante actualité.

Finalement la maladie coronaire, longtemps considérée comme rare dans les pays émergents et particulièrement en Afrique noire, voit son incidence et sa prévalence augmenter avec la propagation des facteurs de risque cardiovasculaires et l’occidentalisation du mode de vie dans les pays à revenus faibles ou moyens. Les facteurs responsables sont génétiques (sensibilité au sel, insulino résistance, malnutrition), des facteurs liés à un environnement dit hostile ou défavorable (sédentarité, alimentation riche en graisses saturées etc.) ajoutés aux facteurs de risque classiques.

Un rapport de l’OMS estimait en 2 000 que 70 % des charges représentées par la pathologie coronaire provenaient des pays émergents. La prévalence de l’athérosclé- rose augmente, le gradient social s’inverse, la population pauvre devient la victime privilégiée, la plus vulnérable. Les populations d’Afrique subsahariennes soumises encore à l’expansion des maladies infectieuses sont victimes du double risque des maladies transmissibles et des maladies cardiovasculaires. Jean-Pierre Touze fera une mise au point sur ce sujet.

En matière de prévention, la tâche est difficile et il n’y a pas de solution globale à un problème mondial, l’épidémie des maladies cardiovasculaires progressant à vitesse variable, étant à des stades différents d’un pays à l’autre, en fonction du niveau de développement, de l’industrialisation et de la richesse.

Le premier obstacle se situe au niveau du coût : les mesures mises en œuvre avec succès dans les pays occidentaux ne sont pas applicables dans la plupart des pays à revenus faibles et intermédiaires. L’insuffisance des ressources, le sous-équipement hospitalier, le manque de médecins, l’absence d’une protection sociale, rendent difficile l’institution d’une prévention large et efficace. Les approches majeures recommandées sont en premier l’éradication des facteurs de risque :

Comme le précise Daniel Thomas, la lutte contre le tabagisme est une mesure de prévention efficace, souhaitable, possible avec l’appui des gouvernements : taxation du tabac, interdiction des campagnes publicitaires, information du risque dans les populations. La Convention-cadre pour la lutte anti tabac de l’OMS doit servir de trame à ces mesures de prévention.

En prévention primaire l’information répétée des populations sur les risques de l’hypertension artérielle, la mise à disposition dans des centres de santé, d’appareillages fiables pour le contrôle tensionnel, la formation d’un personnel paramédical sont indispensables. L’intérêt de la réduction des apports alimentaires en sel, d’une meilleure hygiène alimentaire doit être largement diffusé.

En prévention secondaire, après infarctus du myocarde ou un AVC on doit favoriser la prescription des thérapeutiques validées, peut être sous la forme d’une pilule unique, la « poly pill, » comportant les médicaments recommandés. Son emploi se répand avec succès dans certains pays émergents.

 

Des travaux de recherche sur la progression des facteurs de risque dans ces pays, sur la susceptibilité génétique et phénotypique, sur l’efficacité des mesures de prévention, méritent d’être encouragés.

L’épidémie des maladies cardiovasculaires, avec une morbidité et une mortalité croissantes dans des pays jusqu’à maintenant épargnés, a un impact négatif sur le développement humain et social réduisant la productivité et facilitant la pauvreté.

Les mesures de prévention insuffisantes dans les pays émergents, doivent être encouragées et largement développées.

BIBLIOGRAPHIE [1] Gaziano T. A., Bitton A., Anand S., Abraham-Gessel C., Murphy A. — Growing Epidemic of Coronary heart disease in low and middle income countries. Curr. Problem Cardiol. , 2010, 35 , 72-115.

[2] Gersh BJ, Sliva K., Mayosi BM., Yusuf S. — The epidemic of cardiovascular disease in the developing world : global implications. European Heart J ., 2010, 31 , 642-8.

[3] Reddy K.S., Yusuf S. — Emerging Epidemic of Cardiovascular diseases in emerging countries.

Circulation, 1 998, 97, 596-601.

[4] Aje TO., Miller M. — Cardiovascular disease : a global problem extending into the developing world. World J of Cardiology , 2009, 1 , 3-10.

 

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine ; e-mail : jean-paul.bounhoure@wanadoo.fr</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 6, 1235-1238, séance du 7 juin 2011