Communication scientifique
Session of 10 mai 2005

Prédispositions génétiques aux cancers

MOTS-CLÉS : génétique. prédisposition génétique.. tumeurs
Hereditary predisposition to cancer
KEY-WORDS : genetic predisposition to disease.. genetics. neoplasms

Jean Feunten

Résumé

Le cancer est une maladie résultant de la transformation maligne des cellules portant des altérations complexes de leur génome. À cet égard c’est une maladie génétiquement déterminée. La grande majorité de cancers sont des conditions sporadiques non héritables, les changements génétiques étant acquis par des cellules somatiques lors de l’exposition aux agents génotoxiques. Il existe des formes héréditaires de la plupart des types de cancer qui se manifestent par des agrégations familiales de cas. Ces formes qui représentent 2 à 5 % de l’ensemble des cancers résultent de la transmission de mutations germinales qui augmentent considérablement le risque de cancer pour des individus porteurs. Au cours des quinze dernières années les cancers héréditaires ont soulevé un intérêt considérable au sein des communautés scientifiques et médicales.

Summary

Cancer is a disease resulting from complex patterns of genetic alterations that lead to malignant transformation. As such, cancer is a genetically determined disease. The vast majority of cancers are sporadic and non-heritable : genetic alterations are acquired during life, notably by exposure to genotoxic agents. However, most cancer types also have hereditary forms, reflected in extreme situations by family clusters. These forms, which represent 2 to 5 % of all cancers, result from transmission of germline mutations which considerably increase the risk of cancer. Over the past fifteen years, hereditary cancers have raised much interest in the scientific and medical communities.

Le cancer est la manifestation clinique de la transformation maligne de cellules caractérisée par des combinatoires complexes de mutations gains et pertes de
fonctions résultant d’altérations quantitatives et qualitatives du génome et confé- rant aux cellules de nouvelles propriétés de prolifération et de dissémination. À ce titre le cancer est une maladie du génome.

Dans la très grande majorité des cas les mutations, acquises accidentellement lors de l’exposition aux agents génotoxiques, affectent les cellules somatiques et les cancers qui en résultent sont dits sporadiques (non héréditaires). On peut néanmoins reconnaître des formes héréditaires de la plupart des cancers (2 à 5 % de la totalité des cancers). Ceux-ci affectent alors des individus chez lesquels toutes les cellules de l’organisme portent une mutation germinale. La présence d’une telle mutation qui n’a pas à elle seule un potentiel malin, représente un état de prédisposition se traduisant par une augmentation très marquée du risque de déclenchement de la cascade des autres mutations qui vont finalement conduire au phénotype malin. Le caractère héréditaire du cancer est fortement suspecté dans quelques situations caractéristiques résumées dans la Table 1. Il se manifeste dans des situations extrêmes, par l’observation d’excès de cas de cancer dans certaines familles (agré- gations familiales). À ce titre le cancer est une maladie génétique.

La quasi totalité des mutations conférant une prédisposition au cancer affectent des gènes de la famille des suppresseurs de tumeurs (Table 1). Les exceptions notables sont les prédispositions héréditaires au néoplasies endocriniennes multiples de type 1 (NEM2A) et aux cancers papillaires du rein dûs à l’activation oncogénique gènes RET et MET respectivement.

La dualité de niveaux auxquels peuvent intervenir les altérations génétiques dans la genèse du cancer (sporadiques ou héréditaires), représente le fondement de deux axes de recherche et de développements cliniques dans le domaine de la génétique du cancer qui conduisent à la caractérisation des altérations intervenant :

— Dans les formes sporadiques avec pour objectif l’établissement d’une anatomie moléculaire des cellules cancéreuses dans la perspective de rationalisation des approches thérapeutiques.

— Dans les formes héréditaires dans la perspective de reconnaissance des individus porteurs des prédispositions héréditaires, d’évaluation de leur risque de cancer et de développement de stratégies de prévention.

Au cours des quinze dernières années les cancers héréditaires ont soulevé un intérêt considérable au sein des communautés scientifiques et médicales en particulier grâce aux travaux du Professeur Henry Lynch (Omaha USA) qui a frayé un chemin pionnier en identifiant la plupart des conditions connues aujourd’hui comme syndromes héréditaires de cancer [1].

Trois considérations au moins justifient l’intérêt porté aux cancers héréditaires :

* Les cancers étant des maladies très fréquentes, les fractions même modestes de cas héréditaires représentent de grands effectifs et soulèvent des problèmes de santé publique spécifiques. Ainsi approximativement 1/200 femmes dans la population
générale développera un cancer du sein lié à une prédisposition génétiquement déterminée. La fréquence des sujets à risque de cancer du colon est du même ordre de grandeur. Ainsi les cancers sont, par au moins un ordre de grandeur, les maladies génétiques les plus fréquentes .

* On suspecte que les processus complexes de la transformation maligne mis en jeu dans les cancers ne sont pas fondamentalement différents dans les formes sporadiques et dans les formes héréditaires. Cependant les formes héréditaires repré- sentent un terrain privilégié d’investigation. En effet dans ces situations, le processus de transformation maligne est initié par un évènement unique connu représenté par la mutation germinale héréditairement transmise. On conçoit que la démarche d’investigation est facilitée par la connaissance de cet évènement initiateur. Ainsi les formes héréditaires de cancer constituent des modèles d’étude privilégiés de la transformation maligne .

* Les groupes de sujets porteurs de prédisposition au cancer constituent des ensembles de taille restreinte présentant un risque élevé de cancers. À ce titre ils représentent des modèles appropriés pour développer et valider des stratégies de dépistage et de prévention des cancers.

On discutera le bilan de ces quinze dernières années de recherche en génétique des cancers qui conduit aux conclusions suivantes :

— de grandes percées ont été réalisées dans la connaissance biologique des cellules cancéreuses.

— l’impact de ces connaissances sur la prise en charge des cancers sporadiques est encore très modeste.

— paradoxalement cet impact est bien plus visible sur la prise en charge des formes quantitativement mineures que sont les cancers héréditaires.

TABLE 1. — Présomptions de cancer héréditaire.

— Deux tumeurs rares chez le même individu ou apparenté direct.

— Tumeur bilatérale.

— Tumeur précoce.

— Excès de cancer dans une famille.

BIBLIOGRAPHIE [1] LYNCH H.T., SHAW T.G., LYNCH JF. — Inherited predisposition to cancer : a historical overview. Am. J. Med. Genet. C Semin. Med. Genet . 2004, 129, 5-22.

TABLE 2. — Les principaux syndromes de cancers héréditaires.

SYNDROMES

GÉNES IMPLIQUÉS

PROPRIÉTÉS

Cancer du sein BRCA1, BRCA2, TP53, PTEN, Suppresseur de tumeur

CHEK2, STK11

Cancer de l’ovaire BRCA2, MSH6

Suppresseur de tumeur Cancer du colon APC

Suppresseur de tumeur avec polypose Cancer du colon MSH6, MLH1, MSH2, PMS2

Suppresseur de tumeur sans polypose Mélanome CDKN2 (p16), CDK4

Suppresseur de tumeur Cancer basocellulaire PTCH

Suppresseur de tumeur Cancers de l’enfant TP53, CHEK2

Suppresseur de tumeur Syndrome de Li-Fraumeni Neurofibromatose Type 1 NF1

Suppresseur de tumeur Neurofibromatose Type 2 NF2 Suppresseur de tumeur Cancer du rein VHL, BHD Suppresseur de tumeur Néoplasie endocrinienne MEN1 Suppresseur de tumeur multiple Type 2 Cancer du rein MET Oncogène activé Néoplasie endocrinienne RET Oncogène activé multiple Type 1

* Laboratoire de Génétique Oncologique UMR 8125. Institut Gustave Roussy, 94805 Villejuif cedex. Tirés-à-part : Professeur Jean FEUNTEUN, même adresse.

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 5, 797-800, séance du 10 mai 2005