Résumé
La polypose nasale représente 40 % des causes des maladies chroniques nasosinusiennes. Si, de l’avis unanime, le traitement médical reste la base du traitement, le nombre d’études dédiées à l’évaluation de son efficacité à moyen terme (et a fortiori à long terme) n’en demeure pas moins très restreint. La corticothérapie, utilisée dans le monde entier, n’a été évaluée à ce jour que sur des durées courtes. La place du traitement chirurgical (ethmoï- dectomie par vidéochirurgie endonasale) pourrait cependant paraître grandissante si l’on considère le nombre d’articles publiés sur ce sujet. Cette étude a pour objectif d’évaluer l’efficacité d’un traitement corticoïde mixte, à la fois local et général, avec un suivi de trois ans. Cent patients, au total, ont été traités selon un protocole thérapeutique strict associant des cures courtes de prednisolone administrée per os et des pulvérisations intranasales de béclométasone sur un mode quotidien et continu. Après un suivi de trois ans, cette double approche thérapeutique s’est révélée efficace chez 85 % des sujets. Son échec a fait recourir à la chirurgie pour les 15 % de cas restants. La diminution moyenne de l’intensité des symptômes s’est traduite par un taux d’amélioration variant de 58 à 80 % selon les symptômes considérés. Progressivement, les posologies de prednisolone et de beclométasone ont pu être diminuées sans compromettre les gains thérapeutiques obtenus en matière de confort nasal. Le traitement de la polypose naso-sinusienne devrait reposer essentiellement * Service d’ORL et de Chirurgie Cervico-Faciale, Hôpital Européen Georges Pompidou, Université René Descartes, Faculté Necker-Enfants Malades, 25 rue Leblanc — 75015 Paris, France. ** Service de Médecine Interne, Hôpital Raymond Poincaré — Garches, France. *** Service de Biostatistique et de Biophysique, Faculté de Médecine, Université d’Auvergne, Clermont Ferrand, France. Tirés-à-part : Professeur Jean-Marc NORÈS, Service de Médecine Interne, Hôpital Raymond Poincaré, 104 Bld Raymond Poincaré — 92380 Garches. E-mail : jean.marc.nores@rpc.ap-hop-paris.fr. Article reçu le 13 mai 2002, accepté le 30 septembre 2002. sur une approche médicale. Le recours à la chirurgie ne devrait être envisagé qu’après un essai de corticothérapie mixte, locale et générale, en veillant de façon étroite à une observance sans faille du traitement. Le caractère unique de ce long suivi et l’importance de la série de malades intégrés dans le protocole font toute l’originalité de ce travail qui démontre, pour la première fois, l’amélioration à long terme après traitement médical seul.
Summary
Nasal polyposis accounts for 40 % of chronic nasal disease. The part played by surgery seems to be steadily growing if the number of publications dedicated to this approach is any yardstick. The medical treatment remains however the undisputed therapeutic mainstay but trials dedicated to the assessment of its overall efficacy are rather scarce. The aim of this study is focused on the evaluation of a dual modality, topical and systemic, over a follow-up period of three years. A total of 100 subjects were treated according to a standardized therapeutic protocol combining a short-term oral administration of a corticosteroid (prednisolone) and a daily intranasal spray of an other steroid (beclomethasone). Over the follow-up period of three years, this dual modality proved to be successful in 85 % of the subjects ; only 15 % had to undergo surgery after its failure. The average symptom reduction reached an improvement rate varying from 58 to 80 %, according to the symptom type. The daily dosage of prednisolone and beclomethasone was progressively decreased while the gain in nasal comfort was being preserved. Management of nasal polyps should be primarily medical. Resorting to surgical procedures should not be envisaged before a trial of dual steroid therapy under strict compliance to treatment. The single character of this long follow-up and the importance of the series of patients included in the protocol make all the originality of this work which shows for the first time the long-term improvement after medical treatment . KEY-WORDS (Index Medicus) : PREDNISOLONE. BECLOMETHASONE. ADRENAL CORTEX HORMONES. NASAL POLYPS.
INTRODUCTION
La polypose nasale représente 40 % des causes des maladies chroniques naso sinusiennes. Elle constitue la pathologie des cavités nasales et des sinus paranasaux la plus invalidante et elle est associée à un asthme ou à une hyperactivité bronchique dans 40 % des cas [1]. Les polypes sont des excroissances œdémateuses, bénignes. Ils résultent d’une dégénérescence œdémateuse multifocale d’origine inflammatoire de la muqueuse des sinus paranasaux, principalement des cellules ethmoïdales [2, 3].
Les symptômes fonctionnels traduisant leur existence sont nombreux et intenses ; ils témoignent d’un sévère dysfonctionnement rhino-sinusien : obstruction nasale, perte ou altération de l’odorat et du goût, rhinorrhée antérieure et postérieure, sensation de nez bouché, douleurs faciales, crises sternutatoires.
Aucun moyen, médical ou chirurgical, ne permet de guérir le patient de cette maladie chronique. Cependant, la base du traitement est médicale et vise à soulager les symptômes rhino-sinusiens, à désobstruer les cavités nasales pour rétablir une voie respiratoire normale, à restituer les sens de l’odorat et du goût, et aussi à prévenir les rechutes [4-7]. Le traitement de la polypose nasale fait l’objet de multiples controverses depuis plusieurs décennies. Il a été prouvé que l’administration intranasale de corticoïdes était en mesure de réduire la taille des polypes, de soulager la symptomatologie fonctionnelle et de limiter le nombre des rechutes après intervention chirurgicale [5-7]. On peut utiliser les corticoïdes, soit seuls en pulvérisations locales et au long cours, soit associés à une corticothérapie orale, soit encore, dans les cas les plus sévères, en recourant de façon complémentaire ou radicale à la chirurgie. La chirurgie endosinusienne, traitement chirurgical largement prépondé- rant dans la polypose naso-sinusienne, repose alors sur l’ethmoïdectomie complète sous vidéo-chirurgie avec ses risques opératoires potentiellement graves (cécité, lésion de l’étage antérieur de la base du crâne) [8, 9]. Aux États-Unis, il s’agit de la première cause de plainte (post chirurgicale) devant les tribunaux, toutes interventions confondues. La place du traitement chirurgical pourrait cependant paraître grandissante si l’on considère le nombre d’articles publiés sur ce sujet. Si, de l’avis unanime, le traitement médical reste la base du traitement de cette maladie, le nombre d’études dédiées à l’évaluation de son efficacité à moyen terme (et a fortiori à long terme) n’en demeure pas moins très restreint. La corticothérapie, utilisée dans le monde entier, n’a été évaluée que sur des durées courtes, le plus souvent à l’occasion du lancement d’un nouveau médicament.
La présente étude vise à évaluer l’efficacité d’un protocole thérapeutique standard mixte, associant la prednisolone prise per os en cures courtes et des pulvérisations intranasales de béclométasone administrées sur un mode quotidien et continu. La population étudiée est une série de cent patients consécutifs suivis sur une durée de trois ans. Il s’agit de la première étude avec un suivi aussi long et intégrant autant de patients.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Matériel
Cent nouveaux patients consécutifs atteints de polypose nasale ont été suivis pendant une période de trois ans à partir de 1997 dans une consultation commune ORL-médecine interne. Les sujets ayant déjà bénéficié, soit d’intervention ethmoï- dale, soit d’un traitement médical antérieur n’ont pas été inclus. Ainsi, aucun patient préalablement opéré n’a été inclus dans cette étude. Le diagnostic de polypose nasale a été posé sur les critères suivants :
• l’existence de polypes bilatéraux dans les cavités nasales à l’examen endoscopique [3] ;
• la présence, sur des clichés tomodensitométriques, de zones opaques bilatérales situées dans les cellules ethmoïdales antérieures et postérieures [10]. Les examens ont été réalisés sans injection de produit de contraste, selon des coupes axiales et coronales.
La population étudiée (57 % d’hommes) avait un âge moyen de 49,3 ans (ES 1,5).
Trente-deux patients (32 %) souffraient d’asthme ; 22 (22 %) non touchés par cette affection présentaient une hyperréactivité bronchique au test de provocation bronchique à la métacholine [11]. Dix patients (10 %) avaient des manifestations d’intolérance à l’aspirine ou aux anti-inflammatoires non stéroïdiens. Des tests de dépistage d’allergie ont été conduits chez 85 % des patients ; ils se sont avérés positifs chez 15 d’entre eux (15/85 = 17,65 %) (Prick test ou technique biologique comme le Phadiatop) [12]. Aucun malade n’était atteint de granulomatose de Wegener, ni de syndrome de Churg-Strauss, ni de mucoviscidose.
Méthode
Tous les patients ont été examinés, suivis et traités par les deux mêmes médecins pendant la durée entière de l’étude. Ce travail en équipe était justifié par :
• la prise en charge conjointe ORL et pneumologique, • la surveillance d’une corticothérapie au long cours.
Les évaluations ont été faites avant traitement puis tous les trois mois. A chaque consultation, la fonction nasale a été évaluée sur la base de cinq critères : l’obstruction nasale (ON), la rhinorrhée antérieure (RA), la rhinorrhée postérieure (RP), les douleurs faciales (DF) et la perte de l’odorat (PO).
L’intensité de chaque symptôme était cotée selon une échelle à trois niveaux (« 0 » :
absence de symptômes ; « 1 » : symptômes modérés souvent gênants, mais pas suffisamment pour constituer un handicap dans l’accomplissement des activités journalières ou pour entraîner des insomnies ; « 3 » : symptômes sévères constituant une gêne réelle dans la réalisation des activités quotidiennes et des insomnies) [13].
Dans le cas particulier des troubles de l’odorat, l’anosmie était notée « 2 », l’hyposmie « 1 », et un sens intact « 0 » [7]. Cette classification des symptômes était effectuée à chaque consultation, avant tout examen clinique, endoscopique et tomodensitométrique.
L’examen endoscopique fait à l’aide d’une optique rigide 30° (Storz, Allemagne) pour évaluer la taille des polypes était réalisé à chaque consultation trimestrielle. Le score attribué au volume des polypes était porté sur une échelle à 4 niveaux (« 0 » :
absence de polype ; « 1 » : polypes de taille modérée ne dépassant pas le plan du cornet nasal moyen s’étendant entre les bords supérieurs et inférieurs du cornet inférieur « 2 » : polypes de taille moyenne ne dépassant pas le bord médial du cornet
nasal inférieur « 3 » : Polypes volumineux débordant le bord médial du cornet inférieur [14].
La prise en charge de la polypose comportait trois mesures thérapeutiques différentes :
— un lavage des cavités nasales, — une corticothérapie en spray nasal (béclométasone), — une corticothérapie par voie générale (prednisolone). Le lavage des cavités nasales à base de sérum physiologique était réalisé deux fois par jour.
Les malades porteurs d’une polypose stade « 1 » et « 2 » ont reçu initialement des pulvérisations corticoïdes (béclométasone) par voie intranasale à la dose quotidienne de 1 000 µg (500 µg deux fois/jour) dans chaque cavité nasale. Les patients ayant une polypose stade III ont reçu la dose de 1 500 µg par jour dans chaque cavité nasale. Le traitement corticoïde par voie générale (prednisolone) a été prescrit systématiquement à tous les malades à leur entrée dans l’étude, à l’exception de ceux pour lesquels un tel traitement était contre-indiqué ; la posologie était de 1mg/kg de poids corporel pendant une durée de cinq jours. À chaque consultation, le médecin notait précisément la consommation médicamenteuse du trimestre précédent.
À chaque visite, la posologie était adaptée aux besoins individuels du patient.
Chaque fois que cela était possible, c’est-à-dire chaque fois que les symptômes avaient diminué au point que le patient s’approchait d’un état quasi-normal compatible avec ses activités habituelles, les doses de spray étaient baissées. Cette réduction posologique était faite de façon progressive par paliers décroissants de 250 µg. À l’inverse, si l’état du malade menaçait d’empirer, le médecin traitant recourait à un nouveau cycle d’administration per os de corticoïde. Enfin, au cas où la prescription de plus de trois cures de prednisolone par voie générale s’avérait nécessaire, une solution chirurgicale était proposée. L’acte chirurgical comprenait une ethmoïdectomie complète, une sphénoïdotomie et une méatomie moyenne sous vidéochirurgie par voie endonasale. Aucun de ces actes chirurgicaux réalisés n’a comporté de complications postopératoires, notamment ophtalmologiques ou méningées.
ANALYSE STATISTIQUE
La sévérité de chaque symptôme a été notée pour chaque patient à l’entrée dans l’étude et à chaque examen trimestriel. À chacune de ces consultations, on enregistrait le score moyen (SM) représentant l’intensité globale moyenne des symptômes tirée de l’intensité relevée pour chacun des cinq symptômes étudiés : obstruction nasale, rhinorrhée antérieure, rhinorrhée postérieure, douleurs faciales, dysosmie.
Le volume des polypes était également enregistré à chaque examen. Les résultats
sont donnés ici à l’entrée dans l’étude, à un an (A1), à deux ans (A2) et à trois ans (A3).
À l’analyse finale, les quantités de corticoïdes consommés ont été ventilées en deux sous-groupes : d’un côté celles relevant du traitement oral (prednisolone, mg), de l’autre celle du traitement local (béclométasone, µg). La consommation moyenne de chaque sous-groupe de corticoïdes a été à son tour analysée individuellement pour chaque sujet avec la quantité consommée pendant chaque trimestre précédent. Les résultats sont donnés ici à un an (A1), deux ans, (A2), trois ans (A3).
À chaque consultation, les patients ont donné leur propre évaluation globale de l’efficacité du traitement sur une échelle à deux points (« 0 » : aggravation des symptômes ou état stationnaire ; « 1 » : amélioration substantielle ou complète de ceux-ci). Les patients étaient alors séparés en deux groupes. Le groupe 1 englobait les sujets chez lesquels le traitement avait été un succès ; le groupe 2 ceux chez qui le traitement avait été un échec. La comparaison de la moyenne de ces deux groupes était basée sur le calcul classique du Test- t appliqué à la différence de deux moyennes (µ). Le degré de signification choisi était de p <0,05.
RÉSULTATS
Analyse avant tout traitement (JO)
Les deux symptômes notés comme les plus gênants ont été la perte de l’odorat et l’obstruction nasale (Fig. 1). Le score moyen (SM) trouvé pour l’ensemble des sujets de l’étude avant traitement était de 1,03 (ES = 0,04), alors que le stade moyen de la polypose se situait à 1,61 (ES = 0,08).
Évolution des symptômes au cours du traitement (A1, A2, A3)
Pendant la première année, les patients ont fourni eux-mêmes une évaluation globale d’efficacité de leur traitement ; 91 sujets ont été inclus dans le groupe 1 (succès du traitement médical), et 9 ont été inclus dans le groupe 2 (échec du traitement médical ayant entraîné le recours à la chirurgie). Pendant les deuxième et troisième années, respectivement 4, puis 2 patients ont été inclus dans le groupe 2 et opérés. En fin d’étude, après trois ans, 15 patients (15 %, n = 100) ont été inclus dans le groupe 2 (échec du traitement médical et recours à la chirurgie).
Le score global moyen a été comparé, chez les patients non opérés, à A1 (0,24 ; ES 0,03, n=91), A2 (0,23 ; ES 0,02, n = 87) et A3 (0,23 ; ES 0,02, n = 85) aux données de base (1,03 ; ES = 0,04) en utilisant des données pairées et un t-test (avec la correction Bonferroni pour des comparaisons multiples).
Ce score a montré une différence significative par rapport à celui qui avait été noté à l’entrée dans l’étude ( p <10-3).
FIG. 1. — Intensité moyenne des symptômes avant traitement (J0) ON : obstruction nasale. RA : rhinorrhée antérieure. RP : rhinorrhée postérieure.
DF : douleurs faciales. PO : Perte de l’odorat. SP : stades des polypes. SM : score moyen.
S’agissant de l’obstruction nasale et des douleurs faciales, la diminution a dépassé 80 %. En ce qui concerne la rhinorrhée antérieure et postérieure, la diminution a été de 76 à 79 %. L’intensité de l’anosmie a été réduite de 58,7 % ( Fig. 2). Les stades caractérisant la taille des polypes, avant traitement, puis à A1, A2, A3 ont marqué une diminution significative ( p <10-3). (Tableau I). Il a été réduit de 56,4 % à A1.
Quantités de corticoïdes administrés
On peut voir sur la Figure 3 l’évolution de la consommation cumulée des comprimés de prednisolone (mg) et celle des posologies quotidiennes de pulvérisations de béclométasone (µg) à A1, A2, A3.
Du fait de la coexistence d’autres affections (ulcère gastrique en période de poussée), diabète non équilibré, etc., quatre malades n’ont eu initialement accès qu’au seul traitement local pendant les trois premiers mois. Après cicatrisation ulcéreuse, normalisation glycémique, etc., ces malades ont été passés au traitement associé standard, local et général.
La comparaison de la consommation médicamenteuse moyenne entre les deux catégories de patients (groupe 1 versus groupe 2) n’a été possible que pendant les 6 premiers mois de traitement (M6) car certains ont dû être opérés après six mois.
TABLEAU 1. — Stade moyen de la polypose et erreur standard (ES) avant le traitement, puis à A1, A2, A3.
Figure 2. — Évolution de l’intensité moyenne des différents symptômes (avec intervalle de confiance à 95 %) Obstruction nasale, rhinorrhée antérieure et postérieure, perte de l’odorat pendant les trois années de traitement (A # 1, A # 2, A # 3) J0 : début de traitement
FIG. 3. — Dose de prednisolone (en haut) et de béclométasone (en, bas) administrées durant les 3 années de traitement (A # 1, A # 2, A # 3).
TABLEAU 2. — Doses moyennes de prednisolone et de béclométasone administrées pendant les six premiers mois dans le groupe 1 (succès du seul traitement médical), et dans le groupe 2 (échec du traitement médical), et erreur standard (ES) À M6, les quantités de prednisolone administrées per os étaient plus élevées dans le groupe 2 (échec du traitement médical) que dans le groupe 1 (succès du traitement médical ( p <10-3). Toutefois, les quantités de béclométasone administrées en spray étaient similaires dans les deux groupes pendant les six premiers mois (Tableau 2).
DISCUSSION
Les caractéristiques de la population étudiée sont proches de celles que l’on trouve généralement dans la littérature [15-17], quant aux critères d’âge (moyenne = 49 ans), au ratio masculin/féminin (1,3), à la prévalence de l’asthme associé (32 %), et à l’intolérance à l’aspirine (10 %).
L’analyse des résultats de la présente étude montre qu’une corticothérapie orale et générale associée est douée d’efficacité dans le traitement de la polypose nasale ; elle y produit des améliorations significatives à long terme, à la fois sur la taille des polypes et sur la symptomatologie fonctionnelle. L’efficacité thérapeutique a été principalement évaluée sur la base de la modification des symptômes cliniques les plus fréquemment rencontrés dans la polypose nasale [2,13] : obstruction nasale, rhinorrhée antérieure et postérieure, douleurs faciales, troubles de l’odorat, en particulier l’anosmie.
Dans le cadre de ces résultats, deux symptômes dominaient le tableau. Avant le traitement, c’était les scores de l’anosmie et de l’obstruction nasale. En dépit de la difficulté à parvenir à un score moyen — puisqu’il est impossible d’obtenir la moyenne pondérée d’un symptôme — nous avons mis au point une méthode grâce à laquelle on peut obtenir l’évaluation d’une intensité globale moyenne, chaque symptôme étant considéré comme ayant la même importance. Une telle méthode, pour contestable qu’elle puisse être, constitue néanmoins un outil pratique pour déterminer un stade de gravité et appréhender l’inconfort nasal global de chaque sujet pris individuellement.
Le type de traitement à appliquer à la polypose nasale a été l’objet de débats aussi nombreux qu’animés ces dernières décennies. La plupart des auteurs s’accordent
cependant sur la primauté du traitement médical à instituer en première intention et à ne le faire suivre par une intervention chirurgicale qu’en cas d’échec [9, 18]. La base du traitement médical repose avant tout sur la corticothérapie. Il existe une abondante littérature sur cette approche, mais la plupart des études qui y ont été consacrées ne concernent qu’un seul corticoïde, qu’il ait été utilisé per os ou en spray.
Trois études [19-21] ont montré l’authentique efficacité sur tous les symptômes et notamment sur l’anosmie du traitement corticoïde par voie générale. L’amélioration de l’anosmie a généralement évolué parallèlement à celle de la réduction de taille des polypes. Une cure courte par voie générale semble avoir la même efficacité qu’une polypectomie, mais cette amélioration n’est que de courte durée, de l’ordre de quelques semaines [6, 20]. La thérapeutique corticoïde en administration locale a fait l’objet de nombreuses études à l’initiative de l’industrie pharmaceutique. Plus de douze études contrôlées avec placebo ont été publiées, mais dans la plupart des cas l’effet thérapeutique n’a été suivi que sur des périodes limitées à quelques semaines [5-7, 22], et non sur un suivi comparable au nôtre. Précisons qu’un traitement contre placebo était impossible dans cette étude. En effet, chaque médicament pris isolé- ment (corticothérapie locale ou générale) est actif, en particulier sur une courte période. Aucun patient n’accepterait dans ce contexte un traitement par placebo.
Aucun médecin ne pourrait, déontologiquement, proposer un placebo dans la polypose nasale, surtout pendant plusieurs années (notre suivi est de 3 ans). Enfin, aucun comité d’éthique ne donnerait son agrément à un tel protocole sur 3 ans.
Un traitement associé, comportant l’administration de corticoïdes par voie générale suivie par l’utilisation de spray au long cours est de pratique courante en France depuis de nombreuses années mais n’a jamais été évalué au cours d’une étude avec un long suivi supérieur à un an. Cette procédure séquentielle trouve simplement sa justification dans la constatation que la taille initiale des polypes empêche le traitement local de développer une efficacité rapide et significative, encore moins d’exercer son plein effet. Il s’agit là d’un point-clé qui pourrait expliquer dans une large mesure l’échec du seul traitement par spray [23]. Le traitement initial par voie générale qui entraîne une réduction rapide de la taille des polypes permet au traitement local de déployer sa pleine efficacité dans un deuxième temps [23]. Dans notre propre étude, entre l’entrée dans le traitement, puis A1, A2, A3, nous avons observé une différence significative sur tous les symptômes (p<102). S’agissant de l’obstruction nasale, des douleurs faciales, de la rhinorrhée antérieure et postérieure, la réduction a été de l’ordre de 80 %. La perte de l’odorat a été améliorée dans la proportion de 58,7 % (Fig. 2). Le volume moyen des polypes à l’entrée dans l’étude, puis à A1, A2, A3 a régressé (Tableau I) avec une taille moyenne réduite de 56,4 % à A1. L’intensité globale moyenne des symptômes à A1, A2 et A3 a été réduite de 77 %. Un tel protocole de traitement mixte, général et local, donne de meilleurs résultats qu’un traitement réduit à la simple administration de spray intranasal.
Dans notre étude, les quantités cumulées totales de corticoïdes administrés par voie orale ont été plus importantes pendant la première année ; par la suite, elles ont pu
être progressivement diminuées au cours des deuxième et troisième années. Cette diminution posologique témoigne de l’amélioration de l’état clinique puisqu’on ne recourait à la voie générale que s’il persistait une gêne fonctionnelle. Les doses moyennes administrées n’étaient pas très élevées : 650 mg de prednisolone pendant la première année, soit en pratique l’équivalent de deux cures de cinq jours à la posologie quotidienne de 1 mg/kg de poids corporel pour un sujet de 70 kg. La corticothérapie locale a été également diminuée dès que les signes fonctionnels ont été convenablement réduits, après trois mois dans la majorité des cas. La dose moyenne de béclométasone par patient et par jour est passée de 2 119 µg la première année à 934 µg durant la troisième. De plus, l’inocuité de la corticothérapie inhalée et administrée de façon répétitive pendant 3 ans a déjà été étudiée. Elle ne semble pas perturber significativement l’axe corticotrope et le risque d’insuffisance surrénalienne aiguë reste très faible [24].
Dans 15 % des cas, le recours à la chirurgie n’a pas pu être évité. Dans ce groupe, au cours des six premiers mois de traitement, la consommation totale de corticoïde donné par voie orale s’est révélée plus élevée que dans le groupe strictement médical ( p <10-3). Ces résultats suggèrent un certain degré de corticorésistance, ou tout au moins une moindre corticosensibilité chez les patients relevant de la chirurgie.
La base de ce traitement chirurgical de la polypose naso-sinusienne est l’ethmoïdectomie complète réalisée sous vidéochirurgie par voie endonasale. L’intérêt de la chirurgie est double : diminuer considérablement la surface de la muqueuse ethmoï- dale à traiter et augmenter l’accès des thérapeutiques endonasales notamment des lavages des fosses nasales et de la corticothérapie locale par suppression de toutes les cloisons du massif ethmoïdal. Parfois, des gestes complémentaires sont réalisés pour faciliter l’accès des thérapeutiques locales vers l’ethmoïde, notamment une septoplastie.
CONCLUSION
Le but de l’étude visait à évaluer les possibilités et les limites d’une thérapeutique purement médicale de la polypose nasale. L’association de cures courtes de corticothérapie générale et d’un traitement au long cours de corticoïdes administrés en spray permet d’obtenir des résultats satisfaisants dans 85 % des cas. Dans 15 % des cas, le seul traitement médical n’a pas atteint le but recherché et l’indication d’une ethmoïdectomie a dû être proposée. Le recours à la chirurgie ne devrait être envisagé qu’après un essai de corticothérapie mixte pendant une durée assez longue : au moins 4 à 6 mois avant d’envisager l’indication chirurgicale.
Notre étude est la première à comporter un aussi long suivi (3 ans) et une série aussi importante de malades inclus dans le protocole. Elle démontre l’efficacité du traitement médical et souligne que le traitement chirurgical ne doit pas être envisagé avant 6 mois de traitement médical bien conduit. Ceci fait toute l’originalité de ce travail.
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[22] LILDHOLDT T., DAHL R., MYGIND N. — Effect of corticosteroids on nasal polyps. Evidence from controlled trials. In : Mygind N, Lilholdt T, ed. Nasal polyposis, an inflammatory disease and its treatment. Copenhagen : Munksgaard 1997, 160-169.
[23] SLAVIN R.G. — Medical management of nasal polyps and sinusitis. J Allergy Clin Immunol , 1991, 88 , 141-146.
[24] AMANOU L., AVAN P., VALCKE J.C., BONFILS P. — Evaluation de l’axe hypothalamohypophysaire après corticothérapie inhalée de longue durée pour polypose naso-sinusienne.
Presse Méd , 2000, 29 , 1214-1216.
DISCUSSION
M. Claude MOLINA
Existait-il chez vos patients un terrain atopique (attesté par tests cutanés ou IgE) ? Lors de l’échec de la corticothérapie et avant l’intervention chirurgicale d’exérèse, avez-vous tenté l’utilisation d’antileucotriènes (qui sont parfois utiles chez les sujets intolérants à l’Aspirine) ? Ces polypes sont souvent récidivants après intervention chirurgicale. Combien de vos patients ont dû subir des réinterventions ?
Il existait un terrain atopique chez 17 % des patients, comme dans la population générale.
Nous n’avons pas utilisé d’antileucotriènes, qui n’étaient pas encore sur le marché au moment de l’étude. L’expérience des auteurs (sur plus de 300 ethmoïdectomies effectuées à ce jour) suggère que les réinterventions sont peu nombreuses après une large ethmoï- dectomie.
M. François-Bernard MICHEL
Le pneumologue est contraint de s’intéresser à la polypose naso-sinusienne car elle affecte un grand nombre de ses malades dont il ne guérit les bronches et les poumons qu’après guérison de la PNS. Vous semblez un peu trop optimiste lorsque vous indiquez la nécessité de la chirurgie dans seulement 15 % des cas. De plus en plus souvent, en effet, hormis la chirurgie « étendue » de la polypose, les malades bénéficient, outre la corticothérapie locale ou générale, de « microchirurgie » locale (méatotomie, reposition de cloison, résection muqueuse, etc)..
Certes ce chiffre est bas, mais il a pu être obtenu par la rigueur d’un traitement médical adapté. Trop souvent une chirurgie est proposée alors que les possibilités du traitement médical n’ont pas été totalement explorées. Un grand nombre de patients de cette série
nous ont consultés pour second avis d’une indication d’ethmoïdectomie. Ils ont été pris en charge par le service et n’ont finalement pas été opérés dès lors que la prise en charge médicale (éducation, traitement rigoureux et bien suivi) a été correcte. Il n’existe pas d’indication reconnue de méatotomie isolée ni de résection sous muqueuse de cornet dans cette maladie. Les septoplasties sont effectuées devant un échec du traitement médical : leurs indications sont en fait exceptionnelles.
M. Henri LACCOURREYE
Pouvez-vous préciser les résultats après trois ans et l’évolution des manifestations pulmonaires ?
Nous n’avons pas exploité les résultats à plus de trois ans. Les manifestations pulmonaires sont en cours d’étude. Un nombre considérable de patients ayant un asthme instable ont été stabilisé. lorsque le contrôle clinique de la polypose a été réalisé. Quelques patients ayant un asthme corticodépendant ont pu arrêter la corticothérapie générale.
M. Louis AUQUIER
Avez-vous observé des accidents infectieux, locaux ou généraux, au cours de votre traitement de la polypose nasosinusienne ?
Nous n’avons eu aucun accident infectieux dans cette série ni d’ailleurs chez aucun des 700 patients suivis actuellement au long cours.
M. Michel BOUREL
Quelle quantification volumétrique a été faite relative aux polypes étudiés ? Quel risque de surconsommation en corticoïdes en raison de l’accoutumance (euphorisante) à la corticothérapie ? Quelle durée des rémissions (totales ou partielles) ?
Nous avons quantifié le volume des polypes en utilisant la classification clinique internationale en 3 stades. Il n’existe pas de surconsommation de corticoïdes dans notre série.
La plupart des patients ont été soulagés par une seule cure de corticoïdes par voie générale à 1mg/kg/j sur 5 jours par an. A cette dose, il n’y a pas de risque d’accoutumance.
Quant à la corticothérapie locale, elle n’est pas connue pour comporter le risque d’accoutumance (doses de quelques centaines de microgrammes par jour). La rémission peut être évaluée en étudiant le bien être clinique des patients. Dans notre étude, 85 % des patients disaient avoir une qualité de vie correcte traduisant un confort nasal satisfaisant.
M. Jean-Luc de GENNES
Y a-t-il une pénétration dans le sang du corticoïde donné en pulvérisations nasales pluri quotidiennes ? Avez-vous étudié sur un plan objectif les conséquences de la corticothérapie à long terme, sur le poids tout d’abord, sur la fonction corticosurrénale ensuite en dosant
simplement par exemple le cortisol plasmatique du matin ou en étudiant après trois ans la perte du tissu osseux par tomodensitométrie osseuse ?
Il existe en effet une pénétration dans le sang des corticoïdes par voie locale. Cette pénétration sanguine est mal évaluée. Elle peut être indirectement appréciée par les manifestations cliniques observées après plusieurs années de traitement, notamment dans l’asthme (troubles trophiques cutanés, déminéralisation osseuse modérée). Nous avons étudié la fonction surrénalienne d’une vingtaine de patients ayant reçu sur plusieurs années des corticoïdes locaux à forte dose. La cortisolémie de base était normale ainsi que les tests au synacthène immédiat ( Presse Médicale, 2000, 29, 1214-6).
Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, n° 9, 1643-1658, séance du 10 décembre 2002