Communication scientifique
Session of 23 mai 2006

Place de la chirurgie dans le traitement de l’otospongiose

MOTS-CLÉS : appareil correction auditive. chirurgie etrier. implant cochléaire.. otospongiose
Surgical treatment of otosclerosis
KEY-WORDS : cochlear implants.. hearing aids. otosclerosis. stapes surgery

François Legent, Marc Avenard, Jérôme Andrieu-Guitrancourt**, Philippe Bordure***, Jean-Paul Marie**

Résumé

La chirurgie de l’otospongiose a connu une étape majeure en 1956 avec la stapédectomie. Les progrès de cette chirurgie ont permis de diminuer les complications sans les faire disparaître et de donner un taux de satisfaction très élevé. L’alternative à la chirurgie pour les surdités modérées que sont les aides auditives a bénéficié de progrès considérables. L’implantation cochléaire permet d’améliorer l’audition dans les formes d’otospongiose évoluées lorsque l’association de la chirurgie stapédienne et d’une aide auditive s’avère inefficace. Ces progrès ont des répercussions sur les indications opératoires.

Summary

A significant step forward in otosclerosis surgery was made in 1956 with the advent of stapedectomy. This led to a significant reduction in surgical complications and to a high level of patient satisfaction. Hearing aids are the alternative to surgery, and have themselves undergone considerable technical improvements. In advanced otosclerosis, cochlear implants can improve hearing when stapes surgery and a conventional hearing aid are inadequate. These advances are modifying the surgical indications

La maladie otospongiose

L’otospongiose est une maladie de l’os qui entoure l’oreille interne ou capsule otique. Cette dystrophie osseuse localisée est définie par deux entités intriquées, des foyers otospongieux constitués par des zones de résorption et de déminéralisation s’accompagnant d’un tissu fibreux très cellulaire, et des foyers d’otosclérose correspondant à des zones de reconstruction osseuse. La co-existence des lésions otospongieuses et otoscléreuses explique les deux dénominations rencontrées pour cette maladie, otospongiose et otosclérose. Au niveau de la fenêtre vestibulaire, on peut observer tous les intermédiaires entre le simple blocage de la platine du stapès et le comblement de la niche de la fenêtre. La tomodensitométrie à haute résolution permet d’identifier ces foyers en montrant une déminéralisation correspondant à la phase otospongieuse et une hypodensité [1]. Dans une étude comparant les résultats de la tomodensitométrie chez des patients dont l’histoire clinique évoquait une otospongiose, les auteurs ont montré que l’examen avait une sensibilité de 74 % et qu’elle atteignait 85 % lorsque l’examen s’accompagnait d’une reconstruction [2].

Cet examen d’imagerie a donc un très grand intérêt pour la chirurgie en permettant de localiser les foyers, de voir leur extension notamment dans la niche de la fenêtre tympanique et dans le canal cochléaire, d’éliminer une malformation labyrinthique ou une ankylose de la tête du malléus.

L’atteinte neurosensorielle s’observe surtout lorsqu’il existe des lésions évoluées, multiples, touchant l’endoste. Elle provient d’enzymes libérées à partir du tissu péricochléaire s’accompagnant d’une hyalinisation du ligament spiral et d’une atrophie de la strie vasculaire [3]. Il n’y a pas de lésions spécifiques au niveau de l’épithélium neurosensoriel. L’otospongiose cochléaire pure est exceptionnelle.

Les formes anatomiques sont beaucoup plus fréquentes que les formes cliniques. La prévalence histologique est estimée de 2,5 % à 10 % de la population blanche alors qu’elle est beaucoup plus rare chez les sujets d’origine africaine et chez les asiatiques.

La prévalence clinique de la surdité liée à l’otospongiose est évaluée de 0,2 à 0,5 % de la population blanche avec un âge moyen autour de la trentaine ; 90 % des patients ont moins de 50 ans au moment du diagnostic. La symptomatologie clinique associe une surdité et des acouphènes. La surdité peut revêtir différents types : surdité de transmission pure, surdité mixte avec une atteinte neurosensorielle plus ou moins profonde. Il s’agit d’une surdité évolutive qui peut se dégrader rapidement en quelques années. Les formes d’otospongiose dites « évoluées » correspondent en audiométrie à des surdités sévères (surdité entre 70 dB et 90 dB) ou profondes (surdité de plus de 90 dB). Environ 10 % des otospongieux développent une telle surdité [4].

L’étiopathogénie conjugue des facteurs génétiques et des facteurs environnementaux

Le facteur génétique

Le mode de transmission de la maladie, autosomique dominant à pénétrance incomplète, est connu depuis longtemps. L’otospongiose familiale est évaluée de 25 % à 50 %. Le risque de transmission du phénotype à un enfant dont l’un des parents est atteint serait de l’ordre de 25 %. Cette distinction a un intérêt pratique car elle s’accompagne d’une différence dans l’expression phénotypique, y compris radiologique [5].

Les facteurs environnementaux

Le facteur endocrinien

La prédominance féminine évaluée à deux femmes pour un homme serait en relation avec des facteurs endocriniens agissant sur l’évolutivité des foyers et donc la péné- trance. Il est classique d’insister sur l’aggravation de la surdité lors de la grossesse.

Toutefois, une récente étude a montré que les grossesses n’auraient pas de retentissement sur l’évolution de la surdité [6].

Les incertitudes concernant le rôle de la rougeole

En 1989, Kenna [7] a émis l’hypothèse de la responsabilité de la rougeole dans le développement de l’otospongiose. Depuis, d’autres travaux ont confirmé cette hypothèse mais le virus n’a pu être identifié formellement [8]. Le seul argument formel viendra quand, du fait des vaccinations, l’incidence de l’otospongiose diminuera dans la population vaccinée. Vrabec a montré qu’aux USA, l’incidence de « l’otospongiose chirurgicale » décline progressivement depuis 30 ans [9]. Niedermeyer a démontré que l’incidence de l’otospongiose clinique avait régressé en Allemagne dans la génération qui avait bénéficié de la vaccination contre la rougeole [10].

Conclusion

La surdité dans l’otospongiose est essentiellement de type mixte, associant à des degrés divers l’atteinte transmissionnelle et l’atteinte neurosensorielle qui en fait le principal facteur de gravité fonctionnelle. À cette diversité clinique correspondent des possibilités de correction fonctionnelle différentes grâce à la chirurgie stapé- dienne, l’aide auditive parfois associée à la chirurgie stapédienne, jusqu’au recours à l’implantation cochléaire.

La chirurgie stapédienne

La baisse d’audition entraîne une gêne fonctionnelle lorsqu’elle franchit le seuil des 30 dB de perte sur la moyenne des fréquences conversationnelles (0,5, 1 et 2 KH) en audiométrie tonale, correspondant au seuil d’intelligibilité de même niveau en audiométrie vocale. Elle amène alors à envisager soit une intervention stapédienne, soit une adaptation prothétique.

La chirurgie stapédienne primaire

Son objectif est de faire disparaître la part transmissionnelle de la surdité liée à la fixation de la platine de l’étrier. Elle est proposée lorsque à une perte moyenne d’au moins 30 dB sur les fréquences conversationnelles, s’associe un Rinne [écart entre la conduction osseuse (CO) et la conduction aérienne (CA)] supérieur ou égal à 20 dB.

Certains auteurs ont proposé d’intervenir pour une atteinte transmissionnelle infé- rieure à 20 dB chez des patients qui refusaient une adaptation prothétique [11, 12].

Une telle attitude expose à intervenir sur une platine non ou peu fixée.

Les différentes techniques

La stapédectomie totale, réalisée pour la première fois en 1956 par John Shea, a transformé la chirurgie de l’otospongiose. Depuis cette première intervention, de nombreuses modifications techniques ont été proposées selon l’importance de la résection platinaire, l’absence ou le recours à une interposition de tissu entre le montage et l’oreille interne, le type de prothèse reliant l’incus et l’oreille interne, l’utilisation d’un laser pour effectuer l’ouverture platinaire. Les résultats audiomé- triques ne montrent pratiquement pas de différences entre les diverses techniques lorsque les séries proviennent d’un même opérateur et sont appréciées selon les mêmes critères.

L’étude rétrospective d’une série homogène de 165 interventions stapédiennes effectuée par l’un de nous arrive à la même conclusion [13]. Cette série provenant du même opérateur a été sélectionnée pour répondre à des critères rigoureux de comparaison sur environ 1 200 interventions réalisées de 1969 à 1999 dans le service ORL du CHU de Rouen. Les résultats à un an concernant le Rinne postopératoire donnent des résultats comparables pour les deux techniques, platinectomie totale ou subtotale et platinotomie calibrée. À long terme, au moins cinq ans, la comparaison du pourcentage de Rinne résiduel basé sur la conduction osseuse postopératoire, inférieur ou égal à 10 dB, donne des valeurs comparables quelle que soit la technique, confirmant le résultat d’autres travaux [14].

Depuis 1979, la chirurgie de l’étrier s’est enrichie d’un nouvel outil, le laser. Plusieurs types de laser ont été utilisés (laser CO2, laser Argon, laser KTP, laser erbium YAG).

Ils comportent tous des avantages et des inconvénients. De nombreux auteurs ont
souligné les avantages du laser car il simplifie le geste chirurgical. Il facilite l’apprentissage de la chirurgie de l’étrier, mais il ne dispense pas de la maîtrise des techniques classiques qui peuvent s’avérer indispensables au cours de toute intervention sur le stapès.

Les résultats auditifs

À un an après l’intervention

En prenant comme critère le Rinne résiduel basé sur la (CO) postopératoire, inférieur ou égal à 10 dB, l’étude montre 73 % de bons résultats, et de 91 %. avec un Rinne de 15 dB [13].

À long terme

Dix ans après l’intervention, le pourcentage du Rinne résiduel inférieur ou égal à 10 dB chute de plus de 15 % en 10 ans. Shea, fort d’une expérience de près de 15 000 stapédectomies durant quarante années, a obtenu 95 % de bons résultats à 1 an, 80 % entre 10 ans et 20 ans, et 74 % entre 20 et 30 ans après l’opération [17].

Le retentissement sur la fonction neurosensorielle à long terme

L’amélioration précoce de la (CO) ne fait que traduire un phénomène purement mécanique lié à la fixation du stapès, et non représentative de la valeur réelle de la fonction cochléaire. Il n’en va pas de même lorsque l’évolution de la (CO) s’apprécie sur le long terme. La comparaison de la valeur de la (CO) entre une oreille opérée et l’oreille controlatérale lorsqu’elle n’a pas été opérée permet alors de voir les répercussions de l’intervention sur la fonction cochléaire. Notre étude montre qu’à 5 ans, on constate une perte de 0,53 dB pour les oreilles opérées et de 0,56 dB pour les non opérées, et qu’à 10 ans, la perte annuelle est de respectivement 0,6 dB et 1,0 dB [13].

Elle confirme que l’intervention ralentit la dégradation de la fonction cochléaire. Ce rôle bénéfique sur l’évolution des effets de la maladie sur l’oreille interne est un des arguments, avancés par certains auteurs [12] pour intervenir sur des oreilles avec un Rinne inferieur à 20 dB, surtout chez des sujets jeunes, avec un contexte familial d’otospongiose, car la maladie y est souvent beaucoup plus agressive.

L’amélioration subjective de l’audition

Elle est de l’ordre de 95 % à 97 % [16,18,19]. Elle va toujours dans le sens de l’amélioration audiométrique mais pas toujours en étroite corrélation. Cette amé- lioration subjective ne signifie pas qu’elle soit socialement suffisante sans le recours à une aide auditive. Peu d’études associent aux résultats audiométriques le résultat d’une enquête de qualité de vie. Récemment, une importante étude [20] a analysé
simultanément les résultats audiométriques et une évaluation de la qualité de vie en fonction de l’âge. Elle a montré que les opérés entre 15 et 45 ans avaient dans l’ensemble un gain audiométrique moyen inférieur à celui des tranches 46-65 et plus de 65 ans, mais la meilleure qualité subjective d’audition.

Dans l’amélioration subjective joue aussi la bilatéralité de l’audition car elle permet une meilleure intelligibilité dans le bruit et une meilleure localisation. Cette notion soulève la discussion concernant l’éventualité d’une intervention portant sur la « deuxième oreille » lorsque l’atteinte est bilatérale. La prudence impose de ne pas opérer la deuxième oreille avant six à douze mois après la première intervention, et d’attendre la demande du patient.

Les acouphènes

Présents dans la moitié des observations de notre étude avant l’intervention, ils existaient encore dans 27 % des cas un mois après l’intervention [13]. Rondini signale leur présence dans 60 % avant l’opération et leur disparition dans la moitié des cas [16]. Pour Ayache, ils peuvent être aggravés dans 3 % des cas [21].

Les contraintes anatomiques

La chirurgie stapédienne peut s’avérer difficile, voir impossible selon les conditions anatomiques et l’importance des lésions dans la niche de la fenêtre vestibulaire. Elles concernent principalement une procidence du canal facial, une déhiscence du nerf facial ou une anomalie de trajet du nerf gênant l’abord de la platine, l’étroitesse de la niche de la fenêtre vestibulaire ou l’envahissement de cette niche par le processus osseux pathologique. Elles justifient l’imagerie préoparatoire. Ayache a trouvé une telle forme oblitérante dans 4,7 % de cas d’une étude rétrospective [22]. Les difficultés liées à des anomalies rencontrées au cours d’une intervention permettent dans une certaine mesure de prévoir la bilatéralité des anomalies. Daniels, dans une série de 1 800 stapédectomies, a rencontré dans 25 % des cas une anomalie qui s’était avérée bilatérale chez 7 % des patients [23]. Il importe de tenir compte de cette notion lors de la discussion d’une éventuelle intervention sur la deuxième oreille.

Les complications de la chirurgie stapédienne

Les complications majeures

Elles peuvent survenir en dehors de toute faute opératoire. Toutefois, si certaines complications ont disparu avec l’amélioration des techniques opératoires, l’imagerie devrait pouvoir faire disparaître les complications liées à une erreur diagnostique telle qu’une malformation labyrinthique qu’il faut toujours redouter chez un sujet jeune. Ces complications majeures comprennent avant tout la labyrinthisation
pouvant aller jusqu’à la cophose, la survenue de vertiges importants ou d’une paralysie faciale. Si un « geyser » de liquide céphalo-rachidien survenu lors de l’ouverture platinaire ou une infection propagée au labyrinthe expliquent certaines labyrinthisations, d’autres restent inexpliquées malgré l’imagerie. Le taux de survenue des cophoses postopératoires oscille entre 0,5 et 1 %. Ce risque est classiquement un facteur d’exclusion pour les « oreilles uniques », mais les possibilités offertes par l’implantation cochléaire tempèrent cette règle.

Des vertiges postopératoires de survenue immédiate doivent faire rechercher des signes de labyrinthite mettant en jeu le pronostic auditif. La persistance de vertiges importants évoque en premier une fistule périlymphatique liée à une mauvaise étanchéité du montage. Ils imposent une réintervention. Dubreuil ne signale que 1,3 % de vertiges, non invalidants, et qui ne semblent pas liés à une technique particulière [24].

Une paralysie faciale immédiate peut être en rapport avec une anesthésie locale ou relever d’un geste traumatisant au contact d’un nerf déhiscent. Mais elle peut s’observer quelques jours après l’intervention, comme après toute intervention d’oreille. Certains auteurs estiment son incidence de l’ordre de 0,5 % des interventions stapédiennes. Ces paralysies secondaires semblent en rapport avec une réactivation virale et sont habituellement de bon pronostic [25].

Les autres complications de la chirurgie stapédienne

Elles sont liées soit à la simple découverte opératoire de la région stapédienne, soit au rétablissement de la continuité entre la chaîne ossiculaire et l’oreille interne. Il s’agit notamment d’une intolérance aux bruits importants, de vertiges de position, de troubles du goût, hormis l’apparition ou de l’aggravation d’acouphènes. Ces symptômes s’atténuent pour la plupart. Parmi les études concernant les résultats, peu font état d’enquête de qualité de vie. Dans une enquête effectuée plusieurs années (moyenne de 56 mois) après l’intervention, Ramsay a noté que persistaient une intolérance aux bruits dans 1,9 % des cas, et un trouble du goût dans 1,1 % des cas [19]. Ces symptômes ont parfois été minimisés par les opérateurs, surtout lorsque le résultat auditif correspondait à l’attente de l’opéré. Mais ils peuvent être mal vécus. Aussi ne faut-il pas les oublier lors de l’information à l’éventuel futur opéré sans se cantonner aux complications majeures. Guyot a même posé la question de savoir s’il ne fallait pas informer les patients des conséquences d’une complication chirurgicale sur leur quotidien et leurs projets [26].

Conclusion

La chirurgie stapédienne donne dans l’ensemble d’excellents résultats. Elle ralentit la dégradation de la fonction cochléaire liée à l’otospongiose par rapport à une oreille non opérée. Elle fait disparaître ou diminuer les acouphènes dans plus de la moitié des cas. L’amélioration de la technique chirurgicale depuis la création de la
stapédectomie a permis d’améliorer les suites immédiates et de diminuer l’incidence des complications secondaires comme les fistules périlymphatiques [27]. Devant ce bénéfice apporté par l’intervention doivent être mis en regard les risques qui ne sont pas négligeables, même si certaines complications peuvent bénéficier d’une réintervention. D’autre part, l’intervention contre indique l’exposition à de brusques et importantes variations pressionnelles comme en provoquent la plongée sousmarine et certaines activités aéronautiques. Aussi l’information au patient dont le niveau de surdité devient socialement gênant doit-elle comporter non seulement des explications sur les risques mais aussi proposer l’alternative prothétique.

La chirurgie des reprises de stapédectomies

Les échecs et certaines complications peuvent bénéficier d’une réintervention. Cette chirurgie peut s’imposer en urgence devant une dégradation rapide de l’audition ou devant d’importants vertiges. L’étude des publications de ces reprises chirurgicales permet de comprendre les causes d’échecs précoces et des complications secondaires ou tardives. Ces causes sont multiples, et les situations de reprise variables selon le recrutement, souvent hospitalier. Dans une étude du service ORL du CHU de Nantes portant sur 130 reprises effectuées de 1976 à 1996 [28], le motif le plus fréquent concernait la surdité, soit réapparition ou dégradation après une période d’amélioration (64 %), soit persistance ou aggravation à la suite de l’intervention primaire (29) %. Tous les types de surdités ont été observés dont six cophoses, et une oreille unique avec audition fluctuante dont l’autre oreille était cophosée à la suite d’une stapédectomie. Le résultat d’ensemble sur le taux de succès avec un Rinne post-opératoire inférieur à 10 dB a été de 45 %. Une dégradation de la (CO) a été notée dans 12 % des cas. La chirurgie des reprises chirurgicales est donc périlleuse.

Le recours au laser est d’un grand intérêt dans ces reprises comme l’a montré une méta-analyse [29]. Si l’indication du scanner préopératoire systématique a pu être discuté, il n’en est pas de même pour les reprises chirurgicales où il s’impose toujours. Il permet d’évaluer la position de la prothèse et son éventuelle pénétration intralabyrinthique, de découvrir un diagnostic initial erroné. En cas de scanner non contributif, on a recours à un examen par IRM pour chercher une atteinte labyrinthique [30].

Les aides auditives

L’aide auditive représente une alternative à la chirurgie stapédienne pour les formes peu évoluées d’otospongiose. Elle doit toujours être proposée. Elle peut s’imposer lorsque existe une contre-indication médicale à l’intervention. Ces formes représentent une des classes de surdité donnant les meilleurs résultats en adaptation prothé- tique lorsque l’atteinte transmissionnelle est pure ou prédominante. L’excellente intelligibilité en audiométrie vocale est d’ailleurs un des éléments de diagnostic clinique. L’adaptation peut être beaucoup plus difficile en cas de surdité sévère avec
une forte composante neurosensorielle [31]. Ces surdités labyrinthisées bénéficient des progrès incessants des aides auditives. Liés au traitement numérique des signaux, ils proviennent de l’augmentation considérable de la puissance de calcul des processeurs, de leur miniaturisation, de l’augmentation des mémoires, et offrent un traitement séparé de la parole et du bruit. Ils permettent de relever les défis que sont le traitement de la boucle acoustique entre les transducteurs ou effet Larsen, et l’intelligibilité de la parole dans le bruit. Ils entraînent un meilleur confort et une meilleure qualité du son. Ces progrès donnent une grande flexibilité et une beaucoup plus grande finesse d’adaptation par l’audioprothésiste. Ils expliquent l’importante amélioration du taux de satisfaction. Des enquêtes menées aux USA ont montré que le pourcentage de satisfaction de porteurs d’aides récentes (moins de un an) était de 77,5 en 2004 contre 63,1 % en 2000 et 62,9 en 1997 [32]. Mais ces progrès ont un coût qui représente un frein à la diffusion des aides auditives. D’autre part, les contraintes de manipulation peuvent rebuter certains patients malhabiles. Enfin, le port d’une aide auditive est incompatible avec certaines activités professionnelles, notamment dans des emplois dits de sécurité.

L’association chirurgie stapédienne et aide auditive

Pour beaucoup d’otospongieux, la chirurgie va retarder le recours à l’aide auditive.

Pour Aarrnisalo, vingt après l’intervention, 37 % de ses opérés avaient besoin d’une aide auditive [33]. Shea a noté que sur 100 patients dont la moyenne d’âge était de 45 ans lors de l’intervention, un tiers avait un seuil d’audition supérieur à 35 dB 20 ans après, et devait recourir à une aide auditive [34]. Le gain obtenu par l’intervention facilite l’adaptation prothétique en permettant une puissance moins importante, et un meilleur confort. Certains de ces opérés ont une dégradation neurosensorielle d’origine otospongieuse associée à une presbyacousie plus ou moins prononcée, aboutissant à une surdité sévère ou même profonde. D’autres patients avec une surdité sévère ou profonde se trouvent déjà appareillés sans que le diagnostic d’otospongiose ait été fait. Dans tous les cas de surdité évoluée où l’audiométrie est incapable de mettre en évidence l’atteinte transmissionnelle, l’acoumétrie aux diapasons constitue une aide précieuse. En faveur du diagnostic d’otospongiose, on retient essentiellement la notion de maladie familiale retrouvée dans 40 % des cas, et des signes tomodensitométriques d’hypodensité péricochléaire [35].

Place des implants cochléaires dans l’otospongiose

L’intérêt de l’implant cochléaire est de court-circuiter l’organe neurosensoriel déficient et de stimuler directement les fibres du nerf auditif. Il peut alors procurer une meilleure intelligibilité tout en ayant une moins bonne dynamique qu’une aide auditive surpuissante. Les premières implantations cochléaires pour l’otospongiose évoluée datent de plus de vingt-cinq ans [36]. Elles donnèrent des résultats inférieurs à l’association chirurgie et aide auditive. Les très importants progrès de l’implantation cochléaire ont totalement modifié sa place pour les otospongioses évoluées. Elle
permet de prendre le relais lorsque l’association de la chirurgie platinaire et de l’aide auditive s’avère inefficace. Dans l’otospongiose, l’implantation cochléaire présente deux types de difficultés. D’une part, lors de l’intervention, l’envahissement du labyrinthe par les foyers néoformés peut compliquer la mise en place du porte électrodes. D’autre part, les réglages s’avèrent beaucoup plus complexes que pour les autres causes de surdité, et peuvent imposer de neutraliser des électrodes pour mauvaise tolérance ou pour stimulation du nerf facial. À distance, cette suppression ne semble pas pénaliser la compréhension de la parole. Malgré ces inconvénients, l’implant cochléaire permet de transformer la qualité de vie lorsque l’intelligibilité s’effondre.

Conclusion

La chirurgie stapédienne garde une place de choix dans le traitement fonctionnel de la surdité de l’otospongiose car elle fait disparaître la part transmissionnelle de la surdité et ralentit la dégradation neurosensorielle. Les aides auditives, en progrès constant, constituent une alternative et parfois un complément à la chirurgie stapédienne. Certains auteurs ont proposé de demander systématiquement un essai d’appareillage avant de poser une indication opératoire [37]. Peut-on imposer un essai d’appareillage à un patient, informé des risques, demandeur d’une intervention ? Pour poser les indications respectives, les discussions vont bien au-delà des seules considérations audiologiques mais doivent prendre en compte aussi le contexte personnel, professionnel, et économique. Quant aux implants cochléaires, ils constituent un recours efficace pour les formes évoluées et certaines complications de la chirurgie stapédienne.

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DISCUSSION

M. Henri LACCOURREYE

Les implants d’oreille moyenne jouent-ils un rôle dans le traitement chirurgical de l’otospongiose ?

A ma connaissance, il n’y a pas encore eu de publication sur l’utilisation d’implant d’oreille moyenne dans l’otospongiose, mais seulement des communications. L’implant d’oreille moyenne se comporte comme une aide auditive surpuissante avec, comme transducteur, non pas un écouteur mais un vibrateur qu’on fixe sur la chaîne ossiculaire au niveau de l’incus. Son indication serait à discuter pour certaines surdités fortement labyrinthisées soit en chirurgie primaire, soit lors d’une reprise chirurgicale. Il permet un gain important sans obturer le conduit, et donc sans larsen. Il est encore trop tôt pour se prononcer sur l’intérêt de ces implants d’oreille moyenne dans l’otospongiose.

M. René MORNEX

En dehors de la prééminence statistique, y a-t-il des données hormonologiques neuves et quelles sont les conséquences des contraceptifs ?

Plusieurs études ont déjà montré l’absence de répercussion des contraceptifs sur l’évolution de l’otospongiose. La seule nouveauté est apportée par une récente étude qui plaide pour l’absence de retentissement des grossesses sur l’évolution de la maladie alors qu’il est classique d’insister sur l’aggravation de la surdité lors de la grossesse.


* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine. ** Service ORL et chirurgie cervicofaciale, CHU Rouen. *** Service ORL et chirurgie cervicofaciale, CHU Nantes. Tirés à part : Professeur Philippe BORDURE, Service ORL et chirurgie cervicofaciale, Hôtel-Dieu, 1 pl. Alexis Ricordeau, 44093 Nantes cedex.

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, nos 4-5, 915-926, séance du 23 mai 2006