Communication scientifique
Session of 4 avril 2006

Pharmacocinétique des médicaments cardiovasculaires chez la personne âgée

Pharmacokinetics of cardiovascular drugs in the elderly

Jean-Louis Imbs, Marie Welsch, Silviana Lates

owing to their age and their psychomotor, nutritional and social stratus, are particularly at risk. Two pharmacokinetic factors appear to be of major concern, namely the age-related decrease renal function and changes in drug metabolism and distribution. Renal function is probably the single factor most responsible for altered drug levels in the elderly. The normal age-related decrease in creatinine clearance can lead to the accumulation of drugs that are normally excreted by the kidneys without being inactivated. Dose adjustment of such drugs is usually based on the Cockcroft-Gault formula of creatinine clearance. Changes in hepatic metabolism and drug distribution are less commonly taken into account. The avoidance of drug toxicity requires familiarity with the medications prescribed and particular vigilance for signs of adverse effects.

Le risque de survenue d’effet indésirable médicamenteux augmente avec l’âge [1].

Les modifications de la pharmacocinétique liées au vieillissement en sont l’une des raisons, mais cela résulte aussi d’un ensemble de situations particulières à chaque patient : le nombre de pathologies traitées, le nombre de médicaments prescrits et pris, le degré de dépendance physique ou mentale, l’isolement familial ou social.

Même si le seuil définissant la « personne âgée en bonne santé » a été élevé à 75 ans pour tenir compte de l’augmentation de l’espérance et de la qualité de vie, plus que de l’âge calendaire, ce sera cet ensemble qui marquera la sénescence, caractérisée par une perte d’importance variable selon les personnes des réserves fonctionnelles physiologiques.

Les variations de la pharmacocinétique avec l’âge résultent des modifications physiologiques du vieillissement : diminution de la masse maigre en raison d’une fonte musculaire, augmentation des graisses, diminution de l’eau totale, diminution de la synthèse protéique hépatique pouvant entraîner une baisse du taux de l’albumine plasmatique. Il est habituel de les décrire en suivant le cheminement du médicament dans l’organisme, depuis sa résorption digestive jusqu’à son élimination, en passant par la distribution dans les compartiments liquidiens et le métabolisme. Il est ici plus simple d’insister sur les deux paramètres le plus souvent en cause : l’élimination rénale et le métabolisme hépatique.

PRINCIPAUX EFFETS DU VIEILLISSEMENT SUR LA PHARMACOCINETIQUE

En dehors de toute pathologie, le vieillissement et les changements des paramètres anatomiques et physiologiques qui l’accompagnent vont modifier la cinétique des médicaments [2-4]. Cela doit être pris en compte dans le choix des thérapeutiques.

L’adaptation des posologies essentielles au bon maniement des médicaments sera rendue difficile par la variabilité interindividuelle : le vieillissement n’est ni univoque ni homogène et va se traduire par une diminution progressive et éventuellement dissociée des performances des différentes fonctions. Des personnes même très âgées pourront conserver certaines fonctions proches de celles de l’adulte, sans que les raisons en soient comprises, du moins actuellement.

Fonction rénale

 partir de 40 ans, le débit de filtration glomérulaire et le flux plasmatique rénal diminuent de 2 à 10 % par décade. Ainsi, même en l’absence de pathologie rénale, il est attendu de constater une réduction de la clearance de la créatinine endogène (marqueur habituel de la fonction rénale) d’environ 40 %. Cette baisse varie avec les habitudes alimentaires comme par exemple l’apport en protéine et sera aggravée par l’association de facteurs de risque tels une hypertension artérielle ou un diabète sucré. Le plus souvent silencieuse, elle peut s’exprimer lors d’une déshydratation à l’occasion d’une fièvre ou lors de la prise de médicaments interférant avec la régulation de la filtration glomérulaire tels que les anti-inflammatoires nonstéroïdiens ou les inhibiteurs du système rénine-angiotensine [5]. L’altération de la fonction rénale réduit l’élimination des médicaments ou de leurs métabolites éliminés sous forme active par le rein, majore leur demi-vie d’élimination et risque de mener à des concentrations mal tolérées ou toxiques.

Si leur index thérapeutique est étroit, la posologie des médicaments éliminés dans les urines sous forme active doit donc être adaptée à la fonction rénale [5, 6]. Le taux de créatinine plasmatique, indice fiable de la fonction rénale chez l’adulte, ne peut être utilisé directement chez la personne âgée. Chez celle-ci, la réduction de la masse musculaire fait que la production endogène de créatinine baisse. Cette réduction est particulièrement forte chez des sujets grabataires ou dénutris. En pratique, la concentration plasmatique de la créatinine doit être interprétée en fonction de l’âge, du sexe et du poids selon la formule de Cockcroft et Gault [7]. Cette formule évaluant la clearance de la créatinine endogène n’est pas validée chez les personnes très âgées ou très amaigries. La formule utilisée dans l’étude MDRD (Modification of Diet in Renal Diseases) est préférable dans ces conditions extrêmes [8] ; elle a d’autre part l’avantage de ne pas faire intervenir le poids, échappant ainsi aux erreurs liées à l’importance des œdèmes et à leur variation. Son résultat est souvent exprimé en ml/min/1,73 m2 à partir de tables donnant la surface corporelle en fonction du poids et de la taille.

Métabolisme hépatique

La famille des cytochromes P450 (CYP) joue un rôle prépondérant dans le métabolisme oxydatif des médicaments, rendant plus polaires et donc hydrosolubles les produits exogènes liposolubles qui peuvent alors être éliminés en solution aqueuse dans les urines ou d’autres émonctoires Ces enzymes mitochondriaux existent en dehors du foie, tel le CYP 3A4 dans la paroi intestinale et le CYP 2D6 dans le cerveau.

L’imagerie met en évidence chez des sujets âgés en bonne santé une réduction parfois impressionnante du volume du foie, variant selon les publications de 17 à 46 % et s’accompagnant d’une diminution du débit sanguin hépatique. La clearance
hépatique des médicaments semble diminuée en proportion. Des études longitudinales seraient nécessaires pour confirmer ces résultats obtenus lors d’analyses transversales. L’ensemble des ces données est retrouvé lors d’expérimentations chez l’animal.

Les réactions d’oxydoréduction et d’hydrolyse caractérisant la phase 1 du métabolisme hépatique des médicaments est facilement explorée par la cinétique de l’élimination de l’antipyrine : la démonstration d’une réduction de la clearance de l’antipyrine, parallèle à la réduction du volume du foie, est classique [9]. Elle atteignait 20 % dans un groupe de sujets sains âgés de plus de 75 ans par rapport à des témoins de 20 à 29 ans.

Les informations plus spécifiques sur l’activité, l’induction ou l’inhibition des cytochromes P450 hépatiques en fonction de l’âge sont encore parcellaires et souvent discordantes. Ainsi, George et al. [10] constatent une diminution avec l’âge des concentrations hépatiques de CYP 2E1 et 3A4 chez des patients atteints d’hépatopathie chronique, cependant que Hunt et al. [11] ne détectent pas de baisse de l’activité du CYP 3A4 en l’absence de pathologie hépatique. Moins de travaux encore ont exploré l’influence de l’âge sur le polymorphisme des cytochromes P450.

Il ne semble pas que la fréquence des métaboliseurs lents soit majorée chez les personnes âgées. Cependant, Kinirons et al . [12] ont observé une réduction notable de la clearance du propranolol chez des sujets âgés déficients en CYP 2D6 par rapport à une même déficience phénotypique chez des sujets jeunes. Enfin, l’effet du vieillissement sur les protéines de transport et en particulier la P-glycoprotéine, reste pratiquement inconnu.

Divers travaux ont souligné la notion de vulnérabilité de certains patients âgés et ses conséquences sur la variabilité du métabolisme des médicaments. Cette « fragilité », associant à un âge avancé une motricité limitée et une dépendance pour les activités de la vie quotidienne, s’accompagne par exemple d’une baisse de l’activité de certaines estérases ou d’une réduction de la conjugaison du paracétamol [11].

Aucun examen clinique ou biologique simple ne permet de prévoir l’efficacité du foie à capter les médicaments liposolubles et les métaboliser en dérivés hydrosolubles actifs ou inactifs. En fait, l’ensemble de ces données se traduit par une plus grande variabilité inter-individuelle du métabolisme des médicaments. L’influence de carences nutritionnelles va s’y ajouter, telle qu’un déficit en glutathion hépatique susceptible de limiter la détoxification des xenobiotiques.

Autres paramètres

Absorption digestive

Chez la personne âgée, la sécrétion gastrique acide est diminuée et parfois inexistante, le débit sanguin intestinal baisse de façon importante, l’épithélium digestif involue lentement mais progressivement, la vidange gastrique est ralentie et la mobilité intestinale amoindrie. Bien que clairement documentées, ces altérations
ont peu de répercussions en pratique clinique. Globalement, l’absorption des médicaments n’est pas diminuée mais seulement ralentie. Toutefois, leurs conséquences peuvent être majorées par des facteurs associés tels que l’immobilisation, la réduction du bol alimentaire et de l’apport en eau, ou encore l’existence d’une dysautonomie par exemple chez le diabétique.

En réduisant un effet de premier passage hépatique, la diminution du flux sanguin hépatique peut améliorer la biodisponibilité d’un médicament à fort coefficient d’extraction hépatique. Dans le cas d’un promédicament, cette diminution du premier passage hépatique réduira la vitesse d’apparition et la concentration maximale du métabolite actif. En pratique, il n’est pas possible de systématiser une attitude univoque à partir de ces situations particulières.

Distribution

La liaison aux protéines plasmatiques, les débits sanguins viscéraux et les compartiments liquidiens de l’organisme sont les principaux déterminants de la distribution d’un médicament, indépendamment de ses caractéristiques physico-chimiques.

Tous trois sont modifiés par le vieillissement : la concentration d’albumine est abaissée et la diminution de la fixation protéique qui en résulte aura pour consé- quence d’augmenter la diffusion tissulaire de la fraction libre du médicament pouvant majorer les effets pharmacologiques de façon dangereuse si l’index thérapeutique est étroit. La baisse des débits tissulaires ralentit les transferts et prolonge la phase de distribution. Le volume de distribution du médicament est susceptible d’être modifié par la réduction du volume de l’eau intracellulaire, l’augmentation des graisses pouvant favoriser la constitution d’un compartiment profond d’un médicament liposoluble. Les conséquences pratiques de ces données théoriques sont généralement inapparentes, car elles sont susceptibles de se compenser mutuellement.

En résumé

Dans leur ensemble, les effets du vieillissement sur les différentes étapes de la pharmacocinétique vont dans le sens d’une majoration des concentrations du médicament dans l’organisme et de la prolongation de leur durée de vie. Il semble que la réponse pharmacodynamique soit diminuée par l’âge, avec une réduction du nombre de récepteurs disponibles et des altérations dans la transduction des signaux. L’addition de ces effets opposés devrait mener au maintien d’une réponse sans changement. En pratique, c’est une plus forte variabilité dans l’importance des effets thérapeutiques qui est constatée. Elle oblige à un suivi le plus individualisé possible des réponses thérapeutiques.

PHARMACOCINETIQUE ET EFFETS INDÉSIRABLES DES MÉDICAMENTS CARDIO-VASCULAIRES CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE

Vulnérabilité liée à l’âge

L’analyse [13] de près de 200 000 notifications d’effets indésirables médicamenteux concernant une cohorte de patients d’un âge médian de 54 ans et répertoriés de 1986 à 2001 dans la banque de données du système français de pharmacovigilance, retient que les effets mettant en cause des médicaments cardiovasculaires sont les deuxiè- mes plus fréquents (19 %) après les médicaments du système nerveux (23 %) et avant les anti-infectieux (17 %). Dans une étude prospective, Queneau et al. [14] ont évalué le nombre des hospitalisations associées à un effet indésirable médicamenteux à 21 % sur environ 1 500 admissions ; les médicaments le plus souvent incriminés furent les spécialités utilisées en pathologie cardiovasculaire (anticoagulants, diuré- tiques et autres spécialités représentant 36,4 % des effets indésirables). Auparavant, analysant un échantillon de plus de 2 000 patients représentatif des malades hospitalisés dans les hôpitaux publics français, le réseau des Centres Régionaux de Pharmacovigilance avait évalué le taux de prévalence des effets indésirables médicamenteux à 10,3 % (IC95 : 8,7 — 11,9), dont 12 % liés à des médicaments utilisés en cardiologie et angiologie [15]. Le même réseau a ensuite estimé l’incidence des hospitalisations en hôpital public français pour effet indésirable médicamenteux à partir d’un échantillon représentatif de plus de 3 000 patients [16]. Cette incidence augmente avec l’âge passant de 2,62 % (IC 95 : 1,6 — 3,7) de 16 à 64 ans à 4,1 % des hospitalisations (IC94 2,7 — 5,5) pour plus de 65 ans. Les traitements à visée cardiovasculaire furent le plus souvent en cause (9,3 % de traitements cardiaques, 7,8 % d’antithrombotiques, 7,8 % d’antihypertenseurs, 5,2 % de diurétiques, soit environ un tiers des médicaments en cause).

En Angleterre, une étude prospective [17] a montré que 6,5 % de 18 820 admissions dans deux hôpitaux généraux étaient motivées par un effet indésirable médicamenteux ; le plus fréquemment, il s’agissait d’une hémorragie gastro-intestinale. Après les AINS incluant l’aspirine (29,6 % des cas) les médicaments les plus souvent en cause étaient les diurétiques (27,3 %), la warfarine (10,5 %), les antagonistes du système rénine-angiotensine (7,7 %), les bêta-bloquants (6,8 %), la digoxine (2,9 %) et le clopidogrel (2,4 %). Les patients admis pour effet indésirable médicamenteux étaient plus âgés (médiane : 76 ans, intervalle interquartile : 65 — 83) que les autres (médiane 66 ans, 45 — 79 ; p. < 0,0001).

Exemples d’effets indésirables

Diurétiques

Les effets indésirables les plus fréquents, favorisés par le vieillissement et surtout la vulnérabilité créée par l’amaigrissement, l’isolement et une alimentation déficiente,
sont la déshydratation, l’hyponatrémie ou les dyskaliémies [18]. Il s’agit d’une iatrogénèse médicamenteuse potentiellement grave, pouvant engager le pronostic vital par ses complications (syndrome confusionnel, troubles du rythme cardiaque).

Ces effets ne résultent pas directement de l’altération de la fonction rénale liée à l’âge mais plutôt d’un syndrome de fragilisation où les traitements associés inhibant les mécanismes homéostasiques susceptibles de les compenser (inhibiteurs du système rénine-angiotensine ; moindre perception de la soif) prennent une place importante.

La réduction du volume de l’eau totale est sans doute un élément favorisant.

Héparines

Le vieillissement ne modifie pas, à lui seul, la pharmacocinétique de l’héparine non fractionnée, inactivée par le métabolisme hépatique. En revanche, la réduction de la fonction rénale avec l’âge nécessite une adaptation des posologies d’héparine de bas poids moléculaire selon la valeur de la clearance de la créatinine (généralement calculée par la formule de Cockcroft en disposant d’un poids récent du patient) :

l’héparine fractionnée est en effet éliminée par le rein sans être métabolisée et donc sous forme active.

Le risque hémorragique favorisé par les difficultés de cette adaptation posologique, évalué par une enquête récente du réseau français de pharmacovigilance, a été jugé excessif en cas d’insuffisance rénale sévère (clearance de la créatinine à environ 30 ml/min) et a mené à sa contre-indication à dose curative chez ces patients malgré le bénéfice de l’héparine de bas poids moléculaire, plus maniable que l’héparine non fractionnée grâce à son excellente biodisponibilité.

Digoxine

L’efficacité des glucosides tonicardiaques en cardiologie est démontrée par un recul de plus de 200 ans. Le développement de l’arsenal moderne disponible pour le traitement a cependant logiquement rendu nécessaire le positionnement de la digoxine en raison de son index thérapeutique étroit. Depuis l’étude DIG [19] plusieurs essais ont confirmé l’étroitesse du créneau thérapeutique tel qu’il peut être saisi par les concentrations plasmatiques de digoxine.

K.F. ADAMS et al. [20] viennent de le vérifier dans une étude rétrospective comparant la morbidité et la mortalité sous placebo (plus de 3300 patients) et sous digoxine (près de 1 600 patients) en cas d’insuffisance cardiaque systolique. Après quatre semaines de traitement, les concentrations plasmatiques de digoxine, mesurées de six à trente heures après la dernière prise sont associées à une réduction de la mortalité ou de l’aggravation de l’insuffisance cardiaque si elles sont comprises entre 0,5 et 0,9 ng/ml de plasma. En revanche, des concentrations allant de 1,2 à 2 ng/ml sont associées à un risque de décès majoré par rapport au groupe placebo. La gravité des effets indésirables potentiels de la digoxine fait que ses indications sont souvent limitées au ralentissement de la fréquence ventriculaire en cas de fibrillation auricu-
laire plutôt qu’au traitement de l’insuffisance cardiaque. A concentrations plasmatiques égales, les effets pharmacologiques de la digoxine chez la personne âgée ne diffèrent pas de ceux d’un sujet adulte. Il est cependant indispensable d’adapter la posologie de digoxine à la fonction rénale, car le glucoside est éliminé par le rein sous forme active.

Anticoagulants antivitamine K

Lors de l’étude de l’incidence des hospitalisations pour effets indésirables médicamenteux par le réseau des Centres Régionaux de Pharmacovigilance [16], les hémorragies sous antivitamine K et/ou AINS représentaient 21 % des effets observés. Le taux d’incidence des hémorragies liées aux anticoagulants atteignait 0,41 % pour l’échantillon représentatif des patients admis dans les hôpitaux publics français.

Ce risque s’exprime de façon majeure chez la personne âgée malgré l’existence d’un marqueur validé pour ajuster les posologies, l’INR. Pourtant rien ne permet d’incriminer l’un ou l’autre des facteurs de risque pharmacocinétique déjà évoqué. Ce sont les facteurs de la vulnérabilité de la personne âgée qui s’expriment : polypathologies entraînant inévitablement une polymédication, variabilité des apports alimentaires en vitamine K en particulier en cas de troubles digestifs avec anorexie et/ou diarrhée, incompréhension des modalités du suivi favorisée par l’isolement.

A ceci, s’ajoutent une cinquantaine d’interactions médicamenteuses, le plus souvent d’origine métabolique, répertoriées dans les monographies du dictionnaire Vidal.

Fixé pour plus de 95 % aux protéines du plasma, les antivitamines K sont inactivés par le système des CYP450 avant d’être éliminés par le rein. Les dérivés coumariniques sont utilisés sous forme racémique, la forme S (trois à cinq fois plus puissante) étant principalement métabolisée par le CYP 2C9 et la forme R par le CYP 1A2, le CYP 3A4 et de façon moins importante par le CYP 2C19 ; Certaines de ces actions enzymatiques sont associées à un polymorphisme génétique. Certaines interactions sont difficilement décelables face à une telle complexité. Par exemple, l’induction métabolique provoquée par le millepertuis, plante utilisée pour son action antidé- pressive, peut annuler l’effet anticoagulant d’une antivitamine K en induisant son métabolisme. Dans le cadre des phytothérapies prises en automédication et promues par une publicité dangereuse sur Internet, une consommation de millepertuis est rarement rapportée par le patient [21].

Une conséquence délétère de la difficulté du suivi d’un traitement anticoagulant chez une personne âgée, serait de l’exclure d’office devant un risque ressenti comme ingérable. Malgré les démonstrations évidentes de l’efficacité du traitement antithrombotique, cette attitude existe trop souvent. De nombreuses études observationnelles ont montré que moins de la moitié des patients atteint de fibrillation auriculaire en bénéficient. De plus, lorsque l’antivitamine K est utilisée, il est dans environ 50 % des cas sous dosé avec un INR < 2 [22].

CONSÉQUENCES POUR LA PRESCRIPTION

L’altération progressive et jusqu’à présent jugée inévitable de la fonction rénale est l’élément le plus déterminant des modifications de la pharmacocinétique induites par le vieillissement. Quantifiée de façon grossière mais utilisable en pratique par la formule de Cockcroft et Gault à partir du taux de créatinine plasmatique, elle permet d’adapter la posologie des médicaments ou de leurs métabolites éliminés sous forme active par le rein, notamment si leur index thérapeutique est étroit. Ces deux informations, élimination rénale sous forme active et proximité des concentrations toxiques et thérapeutiques, sont disponibles dans les résumés des caractéristiques des médicaments (p.ex. dans le Dictionnaire Vidal). Elles doivent être vérifiées lors de la prescription d’une nouvelle thérapeutique.

Les modifications des volumes de distribution ou du métabolisme hépatique ne peuvent être prises en charge de façon aussi directe. Elles doivent être analysées avec l’ensemble constitué par les facteurs de fragilisation de la personne âgée et selon les risques d’interactions pharmacodynamiques des polymédications souvent inévitables devant l’intrication des pathologies [23]. Le prescripteur devra être attentif à tout nouveau symptôme : par exemple l’hypotension orthostatique survenue avec l’adjonction d’un alpha-bloquant pour prostatisme à un traitement antihypertenseur, les troubles du rythme apparaissant sous digoxine lors d’une hypokaliémie favorisée par un thiazidique ou d’une hyperkaliémie due à une association à la spironolactone, ou encore le trouble de la conduction auriculo-ventriculaire lors de l’ajout d’un collyre bêtabloquant à la prise d’un médicament de la même classe déjà présent pour traiter une cardiomyopathie ischémique.

Les recommandations publiées par des instances réglementaires préoccupées du bon usage des médicaments chez la personne âgée rassemblent les précautions à prendre [24, 25]. Des tables répertoriant les médicaments les plus difficiles à manier chez la personne âgée ont été publiées par plusieurs équipes anglo-saxonnes [26, 27, 28]. Ces précautions participent sans doute à l’évolution de la santé de la population dite du quatrième âge. L’espérance de vie sans incapacité augmente plus vite que la longévité : les français vivent plus vieux, mais vivent aussi plus longtemps en bonne santé. Les médicaments interviennent sans doute dans ce progrès. La difficulté dans la gestion du risque médicamenteux chez la personne âgée ne doit pas mener à l’abstention thérapeutique, telle qu’elle fut constatée dans une étude récente chez des coronariens de plus de 70 ans [29]. Cette difficulté implique une vigilance constante après toute prescription BIBLIOGRAPHIE [1] MOORE N., IMBS J.L. — Effets indésirables des médicaments chez la personne âgée : une analyse de la banque nationale de cas en pharmacovigilance. Rev. Prat ., 1996, 46 , 396-399.

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DISCUSSION

Mme Monique ADOLPHE

Dans la pharmacovariabilité dont vous nous avez parlé, existe-t-il une différence de sensibilité comme pour les bloquants, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion par exemple ?

Des études in vitro sur cellules sanguines mononuclées, suggèrent que l’affinité des ligands pour les récepteurs bêta-adrénergiques diminue chez la personne âgée. Cette cause potentielle de diminution de la réponse adrénergique est très largement contrebalancée par des autres facteurs de variation de la réponse aux médicaments bêtabloquants : l’altération de la conduction auriculo-ventriculaire qui, en s’accentuant avec l’âge, favorise la survenue de bradycardies ; la réduction de la fonction rénale majorant la demi-vie plasmatique des bêta-bloquants hydrosolubles éliminés sous forme active par les reins. Une situation analogue existe pour les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) : ils sont tous éliminés sous forme active par le rein et leur action pharmacologique sera prolongée par la baisse progressive de la fonction rénale. Le fait que la sécrétion de rénine baisse avec l’âge, peut être en proportion de l’évaluation de la pression artériellen’intervient sans doute pas dans la réponse aux IEC.

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, nos 4-5, 843-853, séance du 4 avril 2006