Communication scientifique
Séance du 5 novembre 2002

Pathologie respiratoire liée au pneumocoque

MOTS-CLÉS : antibiotique. pneumonie. pneumopathie à pneumocoque. résistance aux médicaments.. streptococcus pneumoniae, infection
Respiratory pathology of pneumococcus
KEY-WORDS : antibiotics. drug resistance.. pneumococcal infections. pneumonia. pneumonia, pneumococcal

P. Léophonte

Résumé

La pneumonie à pneumocoque est la première cause de décès par maladie infectieuse dans les pays industrialisés. Les facteurs de risque sont principalement l’âge et les comorbidités. Le développement croissant depuis deux décennies d’une multirésistance aux antibiotiques fait peser une hypothèque majeure en santé publique. La pneumonie franche lobaire aiguë demeure le tableau radio-clinique le plus habituel quoique moins fréquent qu’à l’ère pré- antibiotique, et non spécifique de l’étiologie pneumococcique. La séméiologie pulmonaire n’est pas significativement différente au cours des formes bactériémiques, s’accompagnant cependant de localisations extra-thoraciques plus fréquentes, ou au cours de l’infection à VIH, dont l’infection pneumococcique est une complication et un mode de révélation fréquents. Aucune donnée radio-clinique n’est non plus prédictive d’une infection par une souche résistante, certains facteurs de risque doivent cependant être pris en compte : jeune âge et séjour en crêche, prise de bêta-lactamines dans les mois précédents, hospitalisation récente, acquisition nosocomiale. Les méthodes de diagnostic biologique (hémoculture, examen bactériologique de l’expectoration) se sont enrichies récemment d’une technique de diagnostic par antigénurie. Malgré le pourcentage élevé de souches de sensibilité diminuée en France le niveau de résistance n’est pas tel que le traitement de référence par une bêta-lactamine parmi les plus actives (pénicilline G, amoxicilline, céfotaxime ou ceftriaxone) doive être modifié. Le pronostic global des pneumonies à pneumocoque demeure sévère avec une mortalité moyenne de 12 à 15 % des cas ayant nécessité une hospitalisation, 95 % des décès survenant au-delà de 60 ans. La mortalité n’est à ce jour pas plus élevée en cas d’infection par une souche résistante. La prévention par la vaccination pneumococcique est essentielle chez les sujets ayant des comorbidités et les personnes âgées. La France est l’un des pays industrialisés où elle est le moins pratiquée.

Summary

Pneumococcal pneumonia is the leading cause of death due to infectious diseases in industrialized countries. Risk factors are mainly elderly and comorbidities. Increasing prevalence of multiresistant strains to antibiotics is a major problem for public health.Lobar consolidation remains the most frequent pattern, nevertheless less frequent than in the pre-antibiotic era ; it’s not significantly predictive of pneumococcal etiology. Extrarespiratory complications are more frequent in bacteremic pneumonia. Signs and symptoms are not different in HIV positive patients. There are no clinical predictive signs of penicillinresistant pneumococcal pneumonia ; nevertheless some risk factors have been identified : young age(particularly children in day-care centers), elderly patients, previous eéta-lactam treatment, nosocomial acquisition, prior hospitalization. Biologic diagnosis tools (blood cultures, sputum culture) are now completed by antigen-detection tests, particularly urinary antigen test. Most active béta-lactams on in vitro resistant strains (penicillin, amoxicillin, céfotaxime, ceftriaxone) remain the first line treatment. Mortality is near 12-15 % cases among hospitalized patients, 95 % of deaths concerning more than 60 years patients. Outcome is not signicantly affected by drug resistance. Pneumococcal vaccination is a very important prevention among elderly and patients with underlying chronic medical conditions.Pneumococcal vaccine in France is largely ignored by general practitioners.

Le pneumocoque ( Streptococcus pneumoniae ) est au premier rang des agents pathogènes responsables des infections respiratoires hautes (otites moyennes et sinusites aiguës) et basses (pneumonies aiguës communautaires). Il est aussi la principale cause de méningite purulente communautaire. Ces situations pathologiques, quelquefois intriquées, évoluent le plus souvent dans un contexte clinique bien distinct, soulevant des problèmes spécifiques. Une donnée préoccupante majeure leur est désormais commune : la résistance croissante de ce micro-organisme aux antibiotiques.

Dans une optique ciblée pneumologique le sujet sera limité aux pneumonies aiguës communautaires (PAC). L’infection pneumococcique est peu fréquente en effet au cours des bronchites aiguës d’origine principalement virale ; d’autre part le partage entre un rôle infectant ou colonisant du pneumocoque au cours des exacerbations des bronchopathies chroniques est une matière à conjectures impliquant des développements hors du cadre du sujet.

Peu après que le pneumocoque eut été découvert par Pasteur en 1881 sous la forme d’un diplocoque Gram+, il fut identifié comme le pathogène majeur des pneumonies ( Diplococcus pneumoniae ). Pneumonie franche lobaire aiguë et pneumocoque devinrent quasi synonymes. Qualifié par Osler en 1901 de « capitaine des hommes de la mort » [1] le pneumocoque fut durant l’ère pré-antibiotique la principale cause de mortalité par infection respiratoire aiguë. La découverte de nombreux autres agents microbiens infectieux respiratoires (bactériens, viraux, parasitaires, fongiques), les
préoccupations qui s’attachèrent aux situations pathologiques au cours desquelles ces agents étaient isolés (infection nosocomiale, greffe d’organe, sida…), et la sensibilité initiale du pneumocoque à la pénicilline G ont sur une assez longue période occulté la fréquence et la gravité de l’infection pulmonaire due à cette bactérie. En fait Streptococcus pneumoniae demeure au début du XXIe siècle le premier et le plus meurtrier des agents des pneumonies aiguës communautaires. De surcroît ce germe fait peser une hypothèque majeure en termes de santé publique si l’on considère la progression de sa multirésistance aux antibiotiques.

ÉPIDÉMIOLOGIE

Données générales

L’infection pneumococcique est dans le monde une cause majeure de morbidité et de mortalité, principalement des enfants en bas âge dans les pays en développement, et des personnes âgées, quel que soit le niveau économique du pays. Selon l’OMS l’infection pneumococcique serait la cause de plus d’un million de décès par an chez des enfants de moins de cinq ans [2] ; et le décès surviendrait dans environ 20 % des cas chez les plus de 65 ans, 40 % chez les plus de 85 ans [3]. On estime, aux États-Unis, que la pneumonie à pneumocoque représente 500 000 cas annuels (soit approximativement 10 à 25 % de tous les cas de pneumonies), à l’origine de 40 000 décès [4, 5].

En France, le chiffre moyen est de 132 000 cas annuels, représentant 220 cas pour I00 000 habitants (dont 5 à 30 % de formes invasives) [6], (chiffre équivalent aux données nord-américaines et à la plupart des pays industrialisés). Cette incidence est relativement stable [7]. La prévalence croît nettement à partir de 60 ans. Les trois quarts des sujets hospitalisés ont plus de 70 ans. L’évaluation de la mortalité demeure approximative, elle oscille entre 5 900 et 15 800 décès annuels (95 % survenant au-delà de 60 ans). La mortalité s’établit en moyenne entre 10 et 15 % des formes graves hospitalisées, dépassant 20 % dans les séries concernant des personnes très âgées et/ou des sujets ayant des comorbidités.

Selon ces données, la pneumonie à pneumocoque est la première cause de décès par maladie infectieuse.

Facteurs de risque

Contrairement à une affirmation répandue, la pneumonie à pneumocoque survient rarement chez un sujet en bonne santé apparente, quel que soit son âge. La prévalence élevée chez les personnes âgées est liée plus à la progression des comorbidités [8] qu’au vieillissement qui s’accompagne en lui même d’altérations modé- rées des défenses anti-infectieuses [9]. Une étude cas-témoins sur 3 074 sujets [10] a objectivé un risque relatif d’acquisition d’une pneumonie à pneumocoque signifi-
cativement plus élevé avec l’âge, la vie en institution, les hospitalisations et diverses maladies chroniques, en particulier broncho-pulmonaires, cardio-vasculaires et neurologiques ; ainsi qu’un traitement corticoïde au long cours. Des études plus focalisées sur certains facteurs de risque tels que le tabagisme actif et passif [11] ou l’alcoolisme [12] ont confirmé le rôle majeur de ces facteurs de risque qui n’apparaissaient pas dans l’étude précédente. Ces facteurs de risque liés au terrain sont en nombre absolu de patients, compte tenu de leur fréquence, les facteurs principaux de prédisposition au développement d’une pneumonie à pneumocoque ; mais en termes de risque relatif certains états d’immunodépression représentent un risque majeur. Il s’agit principalement de maladies affectant les B-lymphocytes, qui s’accompagnent d’un défaut de synthèse ou d’une fuite urinaire des anti-corps opsonisants et du complément (syndromes lymphoprolifératifs, hypogammaglobulinémie acquise et congénitale, traitement immunosuppresseur, syndrome néphrotique). L’asplénie, qu’elle soit la conséquence d’une splénectomie ou fonctionnelle (drépanocytose), représente un risque relatif de décès par infection multiplié par 300 (68 % dans les premières heures) : le pneumocoque est en cause dans plus de la moitié des cas (dont un cas sur deux rapidement mortel) [13]. L’infection à VIH représente un risque relatif multiplié par 100 et un risque de récidive de 8 à 25 % : le risque d’infection pneumococcique est précoce après la contamination, il est d’autant plus élevé que le taux de CD4 est bas [14].

Chez les sujets en bonne santé apparente, certains facteurs d’environnement constituent un risque démontré d’acquisition d’une pneumonie à pneumocoque : la profession (peintre, mineur, soudeur) [15, 16] ; la météorologie (‘‘ le coup de froid ’’) ; une infection virale saisonnière [17]. Des épidémies ont été décrites en milieu carcéral [18] et dans des établissements de soins ou de retraite pour personnes âgées, avec un taux d’attaque et une mortalité élevés, dus en particulier à des souches multi-résistantes aux antibiotiques [19-20].

Épidémiologie de la résistance aux antibiotiques

Les pneumocoques sont naturellement très sensibles à divers antibiotiques, en particulier aux bêta-lactamines avec des concentrations minimales inhibitrices (CMI) très basses : 0, 004 à 0, 06 mg/L pour la pénicilline G [21] ; mais des souches résistantes ont été successivement isolées : pour les sulfamides (1943), les tétracyclines (1963), l’érythromycine (1967), la pénicilline G (1967), le chloramphénicol (1970), la pénicilline et le chloramphénicol sur la même souche (I977). Les premières souches de sensibilité diminuée à la pénicilline ont été isolées en Australie, puis en Nouvelle Zélande et en Afrique du sud où pour la première fois des souches avec des CMI à la pénicilline élevée et multirésistantes ont été décrites, responsables d’échecs thérapeutiques au cours de méningites traitées par de fortes doses de pénicilline G [22] puis plus tard au cours de pneumonies communautaires [23].

En France les premières souches de pneumocoques de sensibilité diminuée à la pénicilline (PSDP) ont été décrites en 1979 [21]. Le Centre national de référence du
pneumocoque (CNRP) a suivi l’évolution de la résistance de ce germe de 1984 à 1997 [24]. Les données les plus récentes ont été colligées dans le cadre des observatoires régionaux du pneumocoque entre 1997 et 1999 [25].

La résistance à la pénicilline, dont ce n’est pas le sujet de décrire en détail ici les mécanismes, survient à la suite de mutations sur les cibles cellulaires des bêtalactamines, les protéines de liaison à la pénicilline (PLP). Il faut rappeler que la catégorisation clinique des souches de S. Pneumoniae est basée sur les concentrations critiques déterminées par le Comité de l’antibiogramme de la Société Française de Microbiologie (CA-SFM). Les souches catégorisées intermédiaires sont accessibles à un traitement à dose élevée par les bêta-lactamines testées. Les concentrations critiques proposées aux États-Unis par le National Committee for Clinical Laboratory Standards (NCCLS) sont un peu différentes [21] (Tableau I).

TABLEAU 1. — Comparaison des concentrations critiques des bêta-lactamines pour le pneumocoque : Comité de l’antibiogramme de la Société Française de Microbiologie (CA-SFM) 2000-2001 et National Committee for Clinical Laboratory standards (NCCLS) 2001.

Concentrations critiques (mg/L)

Antibiotiques

CA-SFM NCCLS S*

R S*

R Pénicilline 0,06 >1 0,06 >1 Amoxicilline 0,5 >2 2 >4 Céfotaxime 0,5 >2 0,5 >1 Ceftriaxone 0,5 >2 0,5 >1 Céfépime 0,5 >2 0,5 >1 Cefpirome <0,5 >2 Imipénème <0,5 >2 0,12 >0,5 La Figure 1 rend compte de l’évolution du pourcentage de souches CMI à la pénicilline 0,1mg/L. Alors que 87, 2 % étaient de sensibilité intermédiaire en 1988 (CMI 1mg/L), 58, 5 % étaient dans la catégorie résistante en 1997 (CMI>1mg/L) ;

mais 90 % d’entre elles ne dépassaient pas 2 mg/L. Un tiers des souches isolées en hémoculture chez des patients hospitalisés étaient des PSDP (dont deux tiers multirésistants). D’après les observatoires régionaux le pourcentage de PSDP est passé de 40, 5 % en 1997 (légèrement inférieur à celui du CNRP) à 44 % en 1999 dont 12 % de résistants (14 % en 2001) (communication personnelle). Les disparités régionales signalées entre le nord et le sud [26] tendent à se réduire. Les taux de résistance les plus élevés sont observés en Ile-de-France. Le niveau de résistance est variable selon les bêta-lactamines : 26 % ne sont pas sensibles à l’amoxicilline (dont 1, 8 % de souches résistantes) et 17, 1 % ne sont pas sensibles au céfotaxime (dont 0,4 % de souches résistantes) (Tableau 2). Sur les 90 sérotypes de pneumocoques connus, les sérotypes de PSDP les plus fréquents étaient les sérotypes 6, 9, 14, 15,

FIG. 1. — Évolution du pourcentage de souches CMI à la pénicilline > 0,06 mg/l (24).

TABLEAU 2. — Niveau de sensibilité à la pénicilline G, à l’amoxicilline et au céfotaxime de pneumocoques isolés en situation pathogène chez l’enfant et chez l’adulte en France en 1999 [25].

GROUPE

Pénicilline G %

Amoxicilline %

Céfotaxime %

Enfants n=5192 Souches intermédiaires 36,9 28,8 21,3 Souches résistantes 15,8 2,8 0,7 Total I + R 52,7 31,6 22 Adultes n = 11564 Souches intermédiaires 29,1 22 14,7 Souches résistantes 10,7 1,3 0,3 Total I + R 39,8 23,3 15 TABLEAU 3. — Résistance (1 + R) à cinq antibiotiques de pneumocoques isolés en situation pathogène chez l’enfant et chez l’adulte en France en 1999 [25].

GROUPE

Erythr. %

Cotrim. %

Tétra. %

Rifamp. %

Chloramph. %

Enfants n = 5192 65 50,4 36,1 0,7 29,1 Adultes n = 11564 47,8 37,9 29,9 0,4 22,7
19, 23. Il y a une forte disparité des pourcentages de souches résistantes selon les pays d’Europe [27] ou les états aux États-Unis [28]. Les données actualisées par les observatoires régionaux sur la résistance aux autres antibiotiques figurent sur le Tableau 3. Il a été décrit récemment l’acquisition d’une résistance au cours du traitement par un nouveau macrolide (l’azithromycine), la souche étant initialement sensible [29]. D’autre part, jusqu’à il y a peu, les souches de pneumocoques devenues résistantes à la pénicilline et/ou multirésistantes étaient sensibles aux fluoroquinolones de dernière génération, dites anti-pneumococciques. L’apparition de souches résistantes a été décrite à Hong-Kong [30] et au Canada [31]. Des échecs thérapeutiques ont été récemment signalés avec l’une d’entre elles, la lévofloxacine [32].

CLINIQUE

Dans sa forme commune la pneumonie à pneumocoque revêt le tableau de la pneumonie franche lobaire aiguë (on l’observait dans 85 % des cas à l’ère pré- antibiotique) [33] : début brutal (horaire) ou précédé d’un ou deux jours d’indisposition, associant un frisson intense (solennel) durant 10 à 30 minutes, une fièvre qui atteint rapidement 40° C, un malaise général intense, un point de côté bloquant la respiration, une toux sèche, une dyspnée. L’examen clinique, pauvre dans les premières heures, est riche au 2e ou 3e jour : le malade est couché sur le côté douloureux, le souffle court, les pommettes empourprées, les conjonctives bistres, un bouquet d’herpès aux ailes du nez et aux commissures des lèvres. La fièvre est en plateau, la toux ramène une expectoration rouillée puis purulente. L’examen pulmonaire objective un syndrome de condensation localisé. La radiographie thoracique met en évidence une opacité dense et homogène, lobaire, traversée par un bronchogramme aérique. Il y a une leucocytose à polynucléaires neutrophiles à l’hémogramme (une leucopénie parfois en particulier dans les formes graves), des signes biologiques d’inflammation, des perturbations associées des tests hépatiques.

L’évolution avant les antibiotiques se faisait selon un mode cyclique. Dans les formes non compliquées, l’état du patient demeurait stationnaire pendant 7 à 9 jours, puis survenait une majoration des signes généraux (pré-crise) suivie d’une défervescence avec apyrexie, euphorie, crise sudorale et polyurique précédant une brève post-crise marquée par un accès fébrile avant la guérison ; les signes d’examen se normalisant en une huitaine de jours et la radiographie thoracique en un mois.

On observe aujourd’hui ce tableau clinique avec une moindre fréquence, en grande partie parce que la séméiologie est décapitée par une antibiothérapie précoce et des anti-pyrétiques. Les données de la littérature les plus récentes ne portent que sur les formes les plus graves, hospitalisées, et s’attachent davantage à l’analyse des facteurs de risque qu’à la séméiologie. Les pneumonies bactériémiques, les plus étudiées, représentent entre 7 et 25 % des pneumonies à pneumocoque hospitalisées ; elles ne seraient représentatives que de 1 à 3 % des pneumonies communautaires non hospitalisées (dont un à deux tiers de l’ensemble sont, selon les séries publiées, d’étiologie pneumococcique) [34, 35]. Il n’y a pas de différence significative du
tableau clinique selon que la pneumonie est bactériémique ou non [35]. Une localisation extra-thoracique associée (arthrite septique, méningite) est rare et s’observe quasi exclusivement au cours de formes bactériémiques [36]. La méningite est à rechercher systématiquement en particulier chez l’enfant.

La pneumonie peut se traduire par une alvéolite focalisée non systématisée ou une forme bronchopneumonique [37, 38]. Elle peut se caractériser par un syndrome de détresse respiratoire aiguë [39]. Des formes fulminantes sont toujours à redouter.

Dans une série multicentrique française portant sur 363 cas (70 % de formes bactériémiques) une pneumonie franche lobaire était observée dans 51 % des cas, les formes alvéolaires non systématisées représentant 43 % des cas restants ; 20 % des patients avaient un épanchement pleural associé [34]. Dans une autre série portant sur 366 patients présentant une infection invasive à pneumocoque une pneumonie franche lobaire était notée dans 74 % des cas, une pleurésie présente dans 46 % chez les adultes, 21 % chez les enfants avec une évolution vers l’empyème dans 4 % chez les adultes et 10,5 % chez les enfants [40]. Une série récente comparant des patients bactériémiques ou non et des patients infectés par le VIH ne met pas en évidence de différence significative. La majorité des patients avaient une pneumonie unilobaire (48 %) ou multilobaire (33 %) [41]. Les pleurésies parapneumoniques pneumococciques sont caractérisées par un cloisonnement fibrineux et une pachypleurite de constitution rapide. Streptococcus pneumoniae représente environ 10 % des causes d’empyèmes [42]. D’après une série récente

Streptococcus pneumoniae serait la cause la plus fréquente d’empyème parapneumonique chez l’enfant [43].

En bref, la pneumonie à pneumocoque se caractérise dans la majorité des cas par une symptomatologie radio-clinique de pneumonie alvéolaire systématisée accompagnée quelquefois d’un épanchement parapneumonique ; mais une pneumonie alvéolaire en milieu communautaire est inconstamment prédictive d’une étiologie pneumococcique. Plusieurs études dont la méthodologie consistait à soumettre à un expert non informé du diagnostic microbiologique des dossiers radio-cliniques de patients atteints de pneumonie communautaire ont bien établi qu’il n’y avait pas de prédiction possible du germe en cause sur les seules données radio-cliniques [44-47].

En d’autres termes, Legionella pneumophila , Mycoplasma pneumoniae et Chlamydia pneumoniae qui sont parmi les micro-organismes le plus souvent en cause au cours des pneumonies communautaires peuvent être responsables, comme

Streptococcus pneumoniae, d’une pneumonie alvéolaire uni ou multilobaire. L’association d’un début aigu, d’un point de côté, d’une leucocytose à polynucléaires neutrophiles et la présence de bactéries à Gram+ à l’examen direct microscopique de l’expectoration serait néanmoins prédictive d’une pneumonie à pneumocoque dans 80 % des cas [48].

Aucune donnée radio-clinique n’est prédictive d’une pneumonie à PSDP. Plusieurs études ont mis en évidence des facteurs de risque significativement plus fréquents : le jeune âge (moins de 5 ans) et le séjour en crèche, la prise d’antibiotiques dans les mois précédents (bêta-lactamines notamment), une hospitalisation antérieure, une acquisition nosocomiale ; dans certaines études, un âge supérieur à 65 ans,
une infection par le VIH ou toute autre forme de maladie immunosuppressive [49-51].

DIAGNOSTIC

En pratique il est rare qu’une confirmation diagnostique puisse être apportée dans les formes de gravité moyenne prises en charge au domicile. L’efficacité d’un traitement antibiotique empirique actif sur le pneumocoque est le seul critère de présomption. Dans les formes sévères hospitalisées il est indiqué de faire avant la mise en route d’un traitement probabiliste plusieurs hémocultures et une analyse microbiologique de l’expectoration : sur des crachats et/ou sur un prélèvement protégé recueilli en général par fibroscopie bronchique (et en cas de présomption de méningite par ponction lombaire) [52]. Un examen direct sous le microscope par coloration de Gram est souvent contributif [48, 53, 54]. La recherche des antigènes solubles du pneumocoque (contre-immunoélectrophorèse, techniques immunoenzymatiques, agglutination de particules de latex) sur l’urine, le liquide pleural ou le sang implique un laboratoire spécialisé et représente un gain diagnostique limité [55, 56]. Récemment des techniques d’identification de l’antigène urinaire polysaccharidique C ont été mises au point, plus commodes en routine, avec des résultats appréciables (une sensibilité voisine de 80 % et une spécificité supérieure à 95 % au cours des pneumonies bactériémiques, mais une sensibilité inférieure à 50 % au cours des pneumonies non bactériémiques) [57].

MODALITÉS DU TRAITEMENT ANTIBIOTIQUE

Si le diagnostic n’est que de présomption

C’est la situation la plus commune. Le traitement est empirique et implique de couvrir en priorité le pneumocoque en présence d’une pneumonie communautaire de l’adulte avec syndrome alvéolaire. D’après les recommandations récemment réactualisées de la SPILF (Société de pathologie Infectieuse de Langue française) [58] le traitement de référence chez l’adulte sans comorbidité est l’amoxicilline à la posologie de 3 grammes par jour (sur une dizaine de jours) ; d’administration plus commode que la pénicilline G. Cette posologie relativement élevée est justifiée par le fort pourcentage de souches circulantes de PSDP en France. En revanche rien ne justifie, d’après la CMI la plus élevée des souches circulantes (excédant rarement 2 mg/L), qu’on abandonne l’amoxicilline. Plusieurs études ont confirmé l’efficacité conservée de l’amoxicilline à bonne dose dans cette indication (au même titre du reste que la pénicilline G à forte dose) [59-63]. Les céphalosporines orales sont proscrites en raison des faibles concentrations sériques et tissulaires. L’augmentation de leur posologie est impossible pour des raisons de tolérance. Dans l’éventualité où il y a des facteurs de risque, le spectre de l’antibiotique en situation probabi-
liste doit être élargi afin de couvrir d’autres agents infectieux du milieu communautaire. Dans cette éventualité, la SPILF recommande la ceftriaxone à la posologie de 1 gramme/jour ou le céfotaxime à la posologie de 3 grammes/jour ou l’amoxicilline acide clavulanique (avec une posologie minimale de 3 grammes par jour d’amoxicilline). L’adjonction d’acide clavulanique sans bénéfice aucun sur les pneumocoques résistants a pour objet l’élargissement du spectre à d’autres germes sécréteurs de bêta-lactamases à prendre en compte à défaut d’un diagnostic microbiologique. Parmi les alternatives possibles aux bêta-lactamines, il y a les synergistines, les kétolides, les oxazolidinones, les fluoroquinolones antipneumococciques et les glycopeptides. Il est important d’évaluer les prescriptions antérieures inductrices éventuelles de résistance (en particulier bêta-lactamines et fluoroquinolones) [32].

Si le diagnostic est confirmé (généralement au cours d’une hospitalisation)

D’une manière générale, la posologie sera adaptée selon la gravité symptomatique et selon la résistante de la souche. D’après les recommandations de la SPILF :

• si la souche est sensible à la pénicilline G, la posologie sera adaptée selon la gravité symptomatique : pénicilline G 1 million d’unités toutes les 4 à 6 heures ou amoxicilline 1 à 2 grammes toutes les 8 heures ; avec pour alternatives en cas d’allergie, un kétolide, la pristinamycine, une fluoroquinolone antipneumococcique ;

• si la souche est de sensibilité diminuée (CMI entre 0,1mg/L et 2mg/L) : soit amoxicilline 2 grammes toutes les 6 ou 8 heures ; soit pénicilline G 2 millions toutes les 4 heures ; soit ceftriaxone 1 à 2 grammes par jour ou céfotaxime 1 à 2 grammes toutes les 8 heures (jusqu’à 100-200 mg/kg) ;

• si la souche est hautement résistante (CMI >2mg/L) l’échec avec l’amoxicilline, le céfotaxime ou la ceftriaxone n’est pas aussi fréquent au cours des pneumonies qu’au cours des méningites et on continuera le traitement empirique de ce type si la réponse clinique est satisfaisante. Dans le cas contraire, il peut être fait appel à l’imipénème ou à la vancomycine.

PRONOSTIC

Le pronostic de la pneumonie à pneumocoque est principalement lié à la gravité symptomatique initiale (choc septique, dissémination extra-thoracique, atteinte multilobaire, empyème), à une contamination nosocomiale éventuelle, à l’âge et aux comorbidités [59, 64]. À gravité symptomatique égale des disparités considérables sont observées d’un pays à un autre [65]. La précocité du traitement antibiotique est aussi un facteur pronostique essentiel.

Plusieurs études concordantes n’ont pas mis en évidence de surmortalité en cas de pneumonie à PSDP sous réserve d’un traitement à posologie correcte par une bêta-lactamine de type pénicilline, amoxicilline ou céphalosporine de type céfo-
taxime ou ceftriaxone [59, 60, 63, 64]. Dans une étude il était noté exclusivement des complications suppuratives plus fréquentes en cas d’infection à PSDP [65]. Deux études néanmoins, l’une d’elles effectuée chez des patients infectés par le VIH [66] suggèrent que la résistance pourrait majorer la mortalité, en particulier tardive, pour des souches de haut niveau de résistance à la pénicilline G. La plus significative [67] porte sur une cohorte de 5 837 cas de pneumonies bactériémiques (12 % de décès). Lorsqu’on exclut les décès des 4 premiers jours, indépendants de la résistance et liés à la gravité symptomatique en particulier au choc septique, le risque relatif de décès est élevé quand la CMI pour la pénicilline G est à 4 mg/L. Toutefois l’absence de toute information sur les modalités des traitements antibiotiques administrés fragilise les conclusions de cette étude [68].

PRÉVENTION

La vaccination pneumococcique, au contraire de la vaccination grippale, est peu prescrite en France par rapport aux États-Unis et à plusieurs pays d’Europe [69]. Le vaccin à 23 valences, disponible dans tous les pays industrialisés, couvre 85 % des souches de pneumocoques circulant en France. L’efficacité dans la prévention des pneumonies bactériémiques est démontrée, y compris chez les personnes âgées. Le bénéfice chez l’immunodéprimé n’est en revanche pas établi [70-72]. Les essais portant sur les pneumonies non bactériémiques n’étaient pas jusqu’ici concluants ;

mais les résultats préliminaires d’une importante étude de cohorte chez des sujets de plus de 65 ans démontrent une réduction des pneumonies pneumococciques de 36 %, des pneumococcémies de 52 % et des décès de 57 % [73]. D’autre part il a été établi chez les personnes âgées atteintes de BPCO un effet additif de la vaccination grippale et pneumococcique [74]. Le vaccin pneumococcique conjugué (à 7 valences) récemment commercialisé pour des indications chez l’enfant en bas âge n’a pas été évalué chez l’adulte. Il pourrait contribuer à réduire le portage de souches résistantes (en particulier chez les enfants en crèche). D’une manière plus générale, une réduction de la pression antibiotique dans la population générale est nécessaire.

Elle implique une diminution du volume de prescription des antibiotiques, en particulier dans des indications où l’infection est le plus souvent d’origine virale :

rhino-pharyngite, bronchite aiguë, angine ; dans cette dernière éventualité grâce au test de diagnostic rapide du streptocoque. Des indications plus précises de l’antibiothérapie devraient conduire à en réduire les indications au cours des exacerbations de bronchite chronique et de BPCO.

CONCLUSION

Le développement croissant de souches de pneumocoques multirésistantes aux antibiotiques, en particulier à la pénicilline, a réactualisé la pathologie du pneumocoque, premier agent infectieux des pneumonies aiguës communautaires et première
cause de mortalité par maladie infectieuse. À ce jour les bêta-lactamines les plus actives (pénicilline G, amoxicilline, ceftriaxone, céfotaxime) demeurent à forte posologie le traitement de référence. La progression du niveau de résistance et la multiplication de souches multirésistantes sont susceptibles, à terme, de poser un grave problème de santé publique impliquant d’urgence une réduction du volume de prescription des antibiotiques. La France, d’autre part, a un important retard à combler en termes de recommandations et de compliance individuelle chez les sujets à risque vis-à-vis de la vaccination pneumococcique.

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DISCUSSION et COMMENTAIRES

M. Maurice TUBIANA

Quelles sont les perspectives en ce qui concerne les nouvelles molécules d’antibiotiques ?

Aucune nouvelle famille d’antibiotiques n’a été mise à la disposition du corps médical ces dernières années. Toutefois des molécules plus performantes en termes de spectre et/ou de tolérance ont été mises à la disposition du corps médical, en particulier de nouvelles fluoroquinolones actives sur le pneumocoque (mais plusieurs d’entre-elles ont dû être retirées du marché pour des raisons d’intolérance), des kétolides qui ont restauré l’activité des macrolides sur le pneumocoque, de nouvelles bêta-lactamines (céphalosporines de spectre étendu).

M. Alain LARCAN

Deux affections associées à une pneumopathie à pneumocoques peuvent contribuer à élever la mortalité : les accidents vasculaires cérébraux liés à une thrombose elle-même favorisée par une intensité du syndrome inflammatoire et que les anciens auteurs connaissaient bien sous le nom « d’ictus pneumonique » ; les équivalents humains du syndrome de Schwartzman-Sanarelli associant choc septique, coagulation intravasculaire disséminée (nez noir, polygangrène, nécrose cutanée) d’une certaine gravité survenant dans la règle chez les splénectomisés (causes évidentes), ou des aspléniques (en général ignorés). On peut se demander pourquoi cette sensibilité retrouvée des splénectomisés à l’égard d‘un germe capsulaire polyosidique : on incrimine le déficit d’opsonines.

Les infections du splénectomisé ou des sujets en asplénie sont majoritairement dues à des bactéries capsulées, en particulier le pneumocoque. La rate est un lieu important d’activation lymphocytaire, de synthèse d’opsonines et de stimulation antigénique avec production d’anticorps notamment vis-à-vis des antigènes polysaccharidiques. Elle joue le
rôle d’un filtre ralentissant le débit sanguin optimisant la phagocytose macrophagique.

Cette phagocytose associée à l’effet filtrant entrave efficacement le passage des bactéries.

Il s’ensuit, en cas d’asplénie, le passage en quantité dans le sang de bactéries faiblement opsonisées. Votre explication physiopathologique demeure donc tout à fait d’actualité.

M. Philippe VICHARD

C’est chez l’enfant qu’on a décrit des pneumopathies gravissimes après splénectomie (notamment pour traumatisme). Par la suite, on a procédé à une assimilation de l’adulte à l’enfant. D’où deux questions : les pneumopathies à pneumocoque de l’adulte sont-elles aussi fréquentes que celles de l’enfant ? Dans ces conditions, l’absence de vaccination chez un splénectomisé adulte (pour traumatisme) peut-elle être considérée comme une faute ?

Les blessés de plus de 65 ans sont exclus de la question posée.

Les premiers tableaux de sepsis graves ont été décrits dans la population pédiatrique avec des taux d’infection et de mortalité d’autant plus élevés que les patients étaient plus jeunes. Chez l’adulte, d’autant qu’il est plus âgé, s’ajoutent des facteurs de comorbidité.

Lorsque ces derniers sont exclus, il semble que le risque de bactériémie, de méningite et de mortalité demeure plus élevé chez l’enfant, en particulier si la splénectomie a été réalisée précocement au cours de la vie. D’une manière plus générale, il est souhaitable de vacciner les individus quel que soit l’âge avant la splénectomie lorsqu’elle est programmée et si tel n’est pas le cas, le plus tôt possible. L’efficacité vaccinale demeure modeste avec, dans les évaluations, un écart type important attestant de l’inégalité de la protection post vaccinale selon les sujets. Certainement une meilleure immunisation devrait pouvoir être obtenue en associant le nouveau vaccin conjugué et le vaccin polysaccharidique à 23 valences, mais il n’y a pas de données de la littérature validant cette hypothèse.

M. Pierre BÉGUÉ

On a démontré qu’il existait une relation entre la résistance du pneumocoque aux antibiotiques et des échecs thérapeutiques de maladies sévères à pneumocoque. A-t-on fait la constatation similaire d’échec thérapeutique pour des pneumonies dans les pays où la résistance du pneumocoque aux antibiotiques est élevée ?

Il y a en effet une corrélation très étroite entre la résistance du pneumocoque aux antibiotiques, en particulier aux β-lactamines, et l’échec thérapeutique au cours des méningites à pneumocoque. Jusqu’à ces dernières années, il n’a pas été établi de corrélation entre diminution de la sensibilité des pneumocoques aux β-lactamines et échec thérapeutique au cours des pneumonies, sous réserve d’une prescription de l’antibiotique à une dose plus élevée. C’est la raison pour laquelle la recommandation française est de prescrire 3 g d’amoxicilline par jour chez l’adulte au cours d’une pneumonie franche présumée à pneumocoque et éventuellement d’accroître la posologie selon la gravité symptomatique. Trois études ont démontré récemment une corrélation entre le taux de résistance et la mortalité, deux d’entre-elles avaient un effectif limité (et l’une d’elles a concerné des patients séropositifs pour le VIH), mais une étude portant sur plus de 5 000 pneumonies bactériémiques à pneumocoque a démontré, après exclusion des décès par choc septique durant les trois premiers jours, un risque relatif de mortalité élevé à partir du 4ème jour lorsque la CMI du pneumocoque pour la pénicilline G était supérieure à 4 mg/l. Actuellement, en France, les souches de pneumocoques à ce niveau de résistance
demeurent exceptionnelles. En revanche, les souches ayant une CMI à 2 mg/l représentent environ 50 % des souches de sensibilité diminuée circulante. On peut redouter par conséquent, si le niveau de la résistance continuait de croître, d’observer au cours des pneumonies des situations d’échec clinique liées à la résistance.

M. Jacques ROCHEMAURE

On lit actuellement des messages télévisés répétés dénonçant l’usage immodéré des antibiotiques. On conçoit les motifs économiques et médicaux qui les justifient. Toutefois, la raréfaction des pleurésies purulentes ne doit-elle pas être mise en regard de cet usage large ?

Chez les patients immunodéprimés pris au sens large, compte tenu des difficultés du diagnostic bactériologique et des autres infections pulmonaires à redouter (légionelloses), n’est-on pas autorisé à ajouter rapidement un macrolide ou une fluoroquinolone en cas de non réponse en 48 heures aux β -lactamines ?

Il n’y a pas lieu de remettre en question le bien-fondé de l’antibiothérapie et ses bénéfices lorsqu’elle est correctement administrée (précocement et à bonne dose) au cours d’une infection bactérienne ou présumée telle. On a vu notamment se raréfier certaines complications locorégionales au cours des pneumonies, en particulier la survenue de pleuré- sies purulentes. Il a même été établi qu’un retard à la mise en route du traitement antibiotique au-delà de 8 heures avait des conséquences pronostiques. Néanmoins, d’un autre point de vue, il y a une corrélation entre la consommation en antibiotiques d’un pays, et le niveau des résistances microbiennes en milieu communautaire. C’est surtout le cas pour le pneumocoque et Haemophilus influenzae . La France est en Europe le pays où ces deux micro-organismes ont développé le plus de résistance. Elle est aussi le pays le plus fortement consommateur d’antibiotiques, environ 4 fois plus qu’en Allemagne et 8 fois plus que dans les pays d’Europe du Nord. Il est capital de réduire les prescriptions inutiles au cours d’infections virales saisonnières d’un sujet en bonne santé apparente, sans risque particulier. C’est le cas au cours des rhino-pharyngites aiguës de l’adulte et de l’enfant, des bronchites aiguës et des angines après exclusion d’une origine streptococcique. Il va sans dire que toute radicalisation serait inopportune et que dans les trois éventualités que je viens de signaler, si l’évolution clinique ne se faisait pas favorablement dans les jours qui suivent, l’indication de l’antibiothérapie devrait être envisagée. La majorité des pneumonies sont traitées en milieu extra-hospitalier de manière empirique.

Le pneumocoque, qui est le plus susceptible d’une évolution fulminante ou de complications précoces, doit être couvert prioritairement par le traitement antibiotique devant tout tableau clinique de condensation pulmonaire. L’absence de réponse clinique au troisième jour doit faire réévaluer la thérapeutique antibiotique probabiliste et combler les lacunes de spectre du traitement de 1ère intention, généralement par un macrolide ou une fluoroquinolone anti-pneumococcique, en substitution ou en association. Cette attitude est particulièrement justifiée devant l’éventualité toujours possible d’une légionellose (5 % des pneumonies communautaires en France).

M. Claude MOLINA

Les critères cliniques et radiologiques de diagnostic étant souvent défaillants, les examens bactériologiques des expectorations méritent-ils le discrédit qui les frappe. Il semble que des études récentes les réhabilitent dans le diagnostic des poussées évolutives de bronchopathies chroniques obstructives.

L’examen cytobactériologique de l’expectoration au cours des infections respiratoires basses est grevé de faux-négatifs nombreux et de faux-positifs par contamination à partir de la flore commensale bucco-pharyngée. Il faut proscrire cet examen en routine en milieu extra-hospitalier : la flore pathogène est fragile et ne résiste habituellement pas à un délai d’attente inférieur à 3 heures. En revanche, la flore commensale est vivace, contaminante et conduit à un faux diagnostic microbiologique. Dans la mesure où l’on peut réaliser l’examen quasi au lit du malade, dans l’heure qui suit, s’agissant au cours d’une pneumonie d’une expectoration bien drainée non contaminée par la salive, il n’est pas exceptionnel de confirmer le diagnostic de l’infection à pneumocoque par un examen direct après coloration de Gram, celui-ci mettant en évidence une profusion de diplocoques Gram + sous la lame.

M. Roger NORDMANN

Gérard Dubois nous a démontré l’intérêt de la vaccination anti-pneumococcique chez les sujets de 65 ans et plus. Cependant, une prévalence importante d’affections liées au pneumocoque s’observe chez l’enfant, surtout en Ile-de-France. Il a ajouté que le vaccin était inefficace avant deux ans. Convient-il donc de préconiser une vaccination pneumococcique généralisée à l’âge de deux ans (surtout en région parisienne), ce d’autant plus qu’une vaccination assure une couverture de plusieurs années ?

Le vaccin polysaccharidique à 23 valences, communément utilisé, est en effet inactif chez l’enfant de moins de 2 ans, car c’est un vaccin thymo-indépendant. On dispose désormais d’un vaccin conjugué à une protéine porteuse, incluant 7 valences (parmi les 90 sérotypes du pneumocoque), les plus souvent en cause au cours des infections respiratoires aiguës. Ce vaccin est indiscutablement très efficace dès les premiers mois de la vie, il est désormais inclus dans le calendrier vaccinal de l’enfant dès les 6 premiers mois. Il y a tout lieu de penser que chez l’adulte, la réponse vaccinale au vaccin polysaccharidique pourrait être potentialisée par une pré-immunisation par un vaccin conjugué, en particulier chez les sujets à haut risque. Toutefois, il n’existe pas d’étude démontrant cette hypothèse chez l’adulte. La tolérance vaccinale avec l’un et l’autre vaccin est bonne.

M. Louis AUQUIER

Il est bien établi que notre pays est le premier consommateur d’antibiotiques dont vous avez montré des résultats nocifs dans la pathologie respiratoire liée au pneumocoque. L’Acadé- mie ne serait-elle pas dans son rôle en reprenant cette question dans le cadre de la prévention et dans les conseils destinés aux praticiens de Médecine Générale ?

À titre personnel je ne peux que m’associer à votre proposition tant en ce qui concerne des conseils sur un meilleur usage des antibiotiques au cours des infections respiratoires, que sur une application beaucoup plus large de la vaccination anti-pneumococcique, au même titre que la vaccination grippale, chez des sujets particulièrement à risque, mais aussi chez la personne âgée en général.

M. Maurice GOULON

Trois questions : l’association pneumonie et méningite à pneumocoque : fréquence et pourcentage ? L’influence des saisons : on apprenait jadis que les pneumonies étaient plus fréquentes en hiver qu’en été ? Si la vaccination anti-pneumococcique n’est pas plus souvent pratiquée en France, qui en est responsable ?

Dans les séries de la littérature portant sur les pneumonies à pneumocoque bactériémiques, la fréquence des méningites associées est de l’ordre de 1 à 7 %. Il y a une influence significative des saisons, « du coup de froid » et surtout de l’infection virale préalable.

Une importante étude a montré une corrélation étroite entre les pics de circulation virale et la survenue de pneumonie à pneumocoque. Cela dit, s’il y a une plus grande fréquence saisonnière indiscutable des pneumonies à pneumocoque en période automno-hivernale, la survenue d’une pneumonie à pneumocoque en pleine saison estivale n’est pas exceptionnelle. Les réticences sur la vaccination pneumococcique tiennent probablement aux données contradictoires des premières études épidémiologiques visant à évaluer le béné- fice vaccinal. Il a été démontré une efficacité de l’ordre de 60 % au cours des pneumonies bactériémiques du non immunodéprimé. En revanche, les données n’ont pas été concluantes concernant les pneumonies non bactériémiques. Des publications des deux dernières années, (une mêta-analyse et une étude de cohorte) sont en faveur d’une efficacité vaccinale au cours des pneumonies non bactériémiques, avec notamment une réduction de la mortalité de l’ordre de 50 %.

M. Pierre PÈNE

Avant la pandémie de SIDA, l’Afrique subsaharienne était déjà une zone de haute prévalence pour les pneumonies en raison d’une forte sensibilité de la race noire au pneumocoque.

La pneumonie à pneumocoque s’accompagnait très souvent d’un ictère (c’était « la pneumonie aux yeux d’or » qui témoignait certainement d’une septicémie à pneumocoque).

Pouvez-vous nous préciser si les infections à pneumocoque sont beaucoup plus habituelles chez les sujets atteints de SIDA en Afrique que chez les sujets atteints de SIDA dans notre pays ?

Je n’ai pas connaissance de données comparatives dans la littérature. On sait que dans les pays industrialisés le risque d’infection pneumococcique est multiplié par 100 au cours du SIDA dont il est un mode de révélation fréquent ; le risque de récidive a été évalué entre 8 et 25 %. D’après les données de la littérature en Afrique, l’infection à pneumocoque est extrêmement répandue dans les populations séropositives au même titre que la tuberculose. Les données établissant un double risque ethnique et immunitaire sont probables sans que je puisse en apporter une preuve chiffrée. Je partage votre expérience sur la pneumonie au « yeux d’or ». Quoique l’ictère franc soit relativement plus rare dans les populations caucasiennes, il est fréquent d’observer un subictère conjonctival, une élévation de la bilirubine avec un mouvement des transaminases au cours de la pneumonie franche.

M. Étienne FOURNIER

Les sulfamides restent-ils une indication thérapeutique dans les pays dits en voie de développement ? La thérapeutique d’urgence chez le sujet âgé doit-elle comprendre la perfusion d’antibiotiques à haute dose ?

Les indications des sulfamides sont actuellement limitées dans les pays industrialisés, essentiellement le cotrimoxazole au cours des pneumocystoses. En revanche, c’est au même titre que les phénicolés une alternative thérapeutique qui reste encore largement utilisée dans les pays en développement pour des raisons économiques. On ne dispose pas de données épidémiologiques précises sur le niveau des résistances des pneumocoques aux sulfamides dans ces pays. Il est élevé en France. Je ne pense pas que la perfusion d’antibiotiques à haute dose doive être systématique chez le sujet âgé. Une thérapeutique orale à bonne dose, par exemple au cours d’une pneumonie à pneumocoque, de 3 g d’amoxicilline est généralement suffisante. Bien sûr s’il y a des facteurs de comorbidité ou de gravité symptomatique ou des troubles digestifs empêchant l’absorption médicamenteuse, l’indication d’une hospitalisation avec traitement par voie parentérale aussi pré- coce que possible est justifiée.


* Service de Pneumologie, Hôpital Rangueil, TSA 50032 — 31059 Toulouse cedex 9. Tirés-à-part : Professeur Paul LÉOPHONTE, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 2 septembre 2002, accepté le 7 octobre 2002

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, n° 8, 1439-1459, séance du 5 novembre 2002