RAPPORT au nom de la Commission VIII (Urgences — Réanimation — Anesthésiologie — Chirurgie — Traumatologie)
Organisation des urgences
Emergencies organization
Maurice GOULON, Jean-Marie MANTZ Malgré d’incontestables progrès réalisés dans l’organisation générale des urgences médicales, les difficultés signalées à plusieurs reprises par l’Acadé- mie nationale de Médecine, en particulier lors de la séance présidée par le professeur Maurice Mercadier 1 en 1991 et dans le rapport du professeur Denys Pellerin 2 consacré aux urgences pré-hospitalières en 1995, n’ont fait que s’amplifier au cours des dernières années.
Cette étude comprend trois volets :
— l’organisation pré-hospitalière des urgences, — l’organisation hospitalière, — les problèmes relatifs à la formation à l’urgence.
URGENCES PRÉ-HOSPITALIÈRES
Un constat s’impose : en l’an 2000, environ douze millions de patients se sont présentés en France dans les services hospitaliers d’accueil des urgences contre sept millions en 1995, et ceci en dépit de l’activité libérale qui reste très soutenue.
Cet afflux massif de patients entraîne, dans les services hospitaliers d’urgence, un encombrement et une surcharge préjudiciables à la qualité de la réponse rapide et spécifique qu’exige l’urgence vraie.
1. Séance à thème : L’Organisation des Urgences (sous la présidence du Professeur Maurice MERCADIER) — Bull. Acad. Natle Méd ., 1991, 175 , no 3, 347-349.
2 Professeur Denys PELLERIN — Organisation pré-hospitalière des Urgences —
Bull. Acad.
Natle Méd ., 1995, 199 , 1823-1833.
Cette situation relève de différentes causes. Certaines sont liées à l’épidémiologie : fréquence accrue de la pathologie traumatique, des polypathologies, des maladies infectieuses négligées, des maladies de l’environnement ; d’autres tiennent à l’emprise croissante des problèmes de société : vieillissement de la population, immigration, précarité ; par ailleurs, le public n’est pas suffisamment informé de toutes les ressources de la chaîne des urgences : permanences médicales des généralistes, centres libéraux d’accueil aux premiers soins, unités mobiles d’intervention (SAMU, SMUR, SOS Médecins…..), permanences de la Croix Rouge, des services de la Police (No 17), d’Incendie (No 18), de la Gendarmerie.
Mais la cause principale de cet hospitalo-centrisme est sans doute une certaine inadéquation de la médecine libérale aux besoins de la population, ce dont témoignent par exemple les difficultés d’organisation de la garde médicale en ville.
Tous ces facteurs aggravent la tendance des patients et de leur entourage à s’adresser directement aux structures d’urgence hospitalière. Aussi, certaines propositions destinées à améliorer la prise en charge des urgences pré- hospitalières, doivent être rappelées. La plupart d’entre elles figuraient déjà dans les rapports du professeur Adolphe Steg (1991 1993, 1994) 3, à la Commission Nationale de Restructuration des urgences et du professeur D.
Pellerin.
Tout d’abord en dehors de certaines situations d’urgence, en particulier celles survenant sur la voie publique et qui, de toute évidence, justifient l’appel au centre téléphonique hospitalier régulateur (centre 15) ou aux services de police [17] ou d’incendie [18] qui, de par la loi, devraient être interconnectés, l’appel au médecin généraliste de garde doit être la règle. C’est lui qui appréciera le degré d’urgence, assurera les premiers soins et orientera le patient.
Le public doit être formé aux techniques élémentaires de secourisme, tout citoyen devant être en mesure d’assurer les gestes de survie en attendant l’arrivée du médecin de garde ou des secours organisés.
Le système de garde médicale doit reposer sur une organisation sans faille.
C’est le lieu de rappeler que l’article 77 du Code de Déontologie Médicale fait à tout médecin obligation de participer au service de garde, de jour et de nuit.
Les dispenses ne peuvent être accordées, pour des raisons valables, que par le Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins.
Le Centre téléphonique hospitalier régulateur doit pouvoir bénéficier du concours de médecins libéraux formés à cette tâche, dans le cadre, d’ailleurs réglementaire, des PARM (Personnel Auxiliaire de Régulation Médicale).
3 Professeur Adolphe STEG. — Rapports sur la Médicalisation des urgences à la Commission Nationale de restructuration des Urgences, 1991-1993-1994.
Il serait préférable de renforcer les différents maillons du dispositif extrahospitalier dédié à l’urgence plutôt que de créer de nouveaux « effecteurs périphériques de secteur ». Il convient par exemple de développer, en particulier dans les quartiers difficiles des grandes villes, des CAPS (Centre d’Accueil aux Premiers Soins) médicalisés, balisés et sécurisés.
Enfin, l’activité médicale effectuée en urgence doit être revalorisée.
URGENCES HOSPITALIÈRES
Un grand effort d’adaptation des services d’urgence des hôpitaux a été accompli en application, entre autres, des travaux du professeur A. Steg qui ont conduit au décret de 1997 : on distingue désormais, suivant l’importance des centres hospitaliers, des « Services d’Accueil des Urgences » (SAU) et des « Unités de Proximité, d’Accueil, de Traitement et d’Orientation des Urgences » (UPATOU).
Les patients qui se présentent à ces services sont répartis par un binôme trieur (composé généralement d’un médecin et d’une infirmière) en trois flux distincts :
Un flux minoritaire (moins de 10 % des patients) constitué par les grandes urgences vitales qui relèvent directement d’une « unité médico-chirurgicale de déchocage » (UMCD) dotée d’un plateau technique lourd et d’un personnel hautement compétent. La mission de cette structure est d’assurer la stabilisation et le monitorage des urgences vitales et, en coordination avec les réanimateurs, d’entreprendre un traitement adapté. Le patient sera alors confié aux services chirurgicaux ou médicaux dont il relève.
Un flux majoritaire comprend les patients qui relèvent d’une pathologie moins sévère. Ceux qui peuvent se déplacer sont dirigés vers une vaste policlinique où ils reçoivent conseils et soins ; les autres, généralement couchés, sont confiés à une « Unité d’Hospitalisation de Courte Durée » (UHCD) n’excédant pas en moyenne 24 heures. Le dégagement de ces patients se fait, suivant les cas, vers les services spécialisés, les services hospitaliers de médecine interne ou le domicile, ce qui pose parfois des problèmes que l’on ne saurait sous-estimer.
Un flux nouveau , dont l’importance va croissant, comprend les urgences sociales et de précarité. La loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions a en effet élargi les missions du service public hospitalier à la prise en charge des personnes en situation de précarité, le Code de santé Publique prévoyant de son côté (art. L 711.7.1) la mise en place de PASS (Permanences d’accès aux Soins de Santé), lieux d’écoute, de soins, d’orientation et d’accompagnement.
Ces nouveaux schémas généralement adoptés peuvent comporter, suivant les endroits, quelques variantes, notamment en matière de prise en charge des urgences traumatologiques : ces urgences sont parfois regroupées dans des centres auxquels les spécialistes de différentes disciplines prêtent leur concours. Ces expériences, dont certains principes s’apparentent à ceux des « Trauma Centers » américains, sont d’un grand intérêt bien qu’elles ne puissent être aisément reproduites en tous lieux pour des raisons économiques et organisationnelles.
Un flux particulier de malades doit être individualisé, celui des urgences psychiatriques : ces malades doivent en effet être pris en charge par une équipe médicale et paramédicale spécialisée au niveau de l’accueil général des urgences, car beaucoup d’entre eux présentent une pathologie mixte, à la fois psychiatrique et somatique. Le professeur A. Larcan 4 a, dès 1992, dans une communication présentée à l’Académie, souligné l’importance de cette question.
Un Centre d’Imagerie Médicale et un Laboratoire de Biologie d’Urgence doivent fonctionner en permanence dans l’environnement immédiat des structures d’accueil des urgences.
Les normes architecturales des centres SAU et UPATOU doivent répondre à ces différentes exigences, jusqu’à présent inconnues dans les structures traditionnelles d’accueil hospitalier.
Enfin, dans tous les hôpitaux, pour pallier le manque éventuel de lits pour les cas urgents, prévoir une « structure à géométrie variable » comprenant des lits de réserve et un personnel qualifié rapidement opérationnel en cas de nécessité circonstancielle.
En aval de l’accueil des urgences, le recours aux spécialités, les filières
Certains patients accueillis au Service des Urgences, après examen et correction éventuelle des désordres biologiques, relèvent à l’évidence d’une prise en charge spécifique par un service spécialisé.
Il convient qu’aient été établies et codifiées les relations entre les services d’urgence et les services de spécialités, constituant ainsi une véritable filière de soins qui ne laisse place à aucun retard ni aucune improvisation. Ceci impose que soient établis des protocoles précis de collaboration, mais aussi et surtout que les services de spécialités aient eux mêmes prévu une permanence d’accueil et de soins pour les malades qui relèvent de leur compétence et, notamment en ce qui concerne les disciplines chirurgicales, la disponibilité permanente d’une équipe et de locaux opératoires appropriés. Ces dernières dispositions sont d’ailleurs réglementaires depuis le décret de 1997.
4. LARCAN Alain et coll. — Organisation des Urgences Psychiatriques à l’Hôpital Général. Bull.
Acad. Natle Méd. , 1992, 176 , no 9, 1481-1490.
FORMATION ET RECRUTEMENT
La qualité de la prise en charge des urgences, aussi bien dans les SAU et les UPATOU que dans les services de spécialités, requiert une compétence particulière des médecins qui en ont la charge.
Tous doivent avoir reçu une formation théorique et pratique à l’urgence au cours de leurs études.
L’actuelle Capacité de Médecine d’Urgence, très limitée dans son contenu, n’est accessible qu’aux médecins thésés. Un enseignement de haut niveau théorique et pratique de l’urgence doit être organisé dans les Facultés de Médecine, ouvert aux médecins qui se destinent à la pratique des urgences.
Parallèlement l’enseignement des urgences doit être développé dans les écoles formant les personnels para-médicaux.
L’encadrement d’un service d’accueil des urgences exige toute la compétence de médecins seniors aptes à faire face, en un temps limité, à la multitude des problèmes médicaux, sociaux, psychologiques et administratifs qui se posent.
Les Praticiens Hospitaliers affectés aux urgences peuvent provenir de toutes les spécialités et sont nommés, selon les critères habituels, dans la spécialité de leur choix.
Les responsables des services d’urgence devraient pouvoir accéder à une carrière hospitalo-universitaire dans le cadre de la 48ème section du CNU ou de toute autre section existante au sein de laquelle ils ont commencé leur carrière avant de se consacrer à l’accueil des urgences. Ils seraient ainsi à même d’organiser les enseignements nécessaires à la formation des personnels auxquels s’adresseront les recrutements ultérieurs et d’initier les programmes de recherche qui s’imposent dans le domaine des urgences. Au-delà de leur activité dans un service d’urgence, généralement temporaire ne serait-ce qu’en raison de la servitude engendrée par cette activité, leur retour doit être possible, selon leurs désirs et les possibilités, dans leur discipline d’origine.
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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 26 juin 2001, a adopté ce rapport à l’unanimité (une abstention).
Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 6, 1163-1167, séance du 26 juin 2001