Communication scientifique
Session of 15 mars 2005

Nouvelles méthodes d’étude du risque médicamenteux : l’expérience du Centre Midi-Pyrénées de Pharmaco Vigilance

MOTS-CLÉS : médicaments/effets secondaires. systèmes de pharmacovigilance.
New methods for studying drug associated risk : experience of the Toulouse Regional Pharmacovigilance Center
KEY-WORDS : adverse drug reaction reporting systems.. drugs/adverse effects

Jean-Louis Montastruc, Haleh Bagheri, Isabelle Lacroix, Pascale Olivier*, Geneviève Durrieu*, Christine Damase-Michel*, Maryse Lapeyre-Mestre*

Résumé

Les auteurs présentent les différentes méthodes d’étude du risque médicamenteux. À côté de la notification spontanée (la méthode universelle de base utilisée pour l’alerte en Pharmacovigilance), les méthodes classiques correspondent au recueil intensif, à l’application des études cas-témoin, de suivi de cohortes ou des essais cliniques à l’évaluation du risque médicamenteux. À partir d’exemples personnels, ce travail décrit et illustre aussi des méthodes plus récemment utilisées pour l’évaluation et la quantification des effets indésirables : études cas/non-cas, utilisation des signaux des laboratoires de biologie, croisement de fichiers indépendants avec utilisation du PMSI (Programme de Médicalisation des Systè- mes d’Information) et études de perception du risque médicamenteux.

Summary

This review examines the methods used to study adverse drug reactions (ADRs) and to quantify drug risk in pharmacovigilance. Beside analysis of spontaneous reports (the basic and universal alert method in pharmacovigilance), epidemiological methods can also be used. Classical methods are based on intensive recording, case-control or cohort studies, and clinical trials. Other more recent methods have been applied to pharmacovigilance. Using recent personal data, the authors present and discuss these new methods. Case/non-case studies quantify drug risk based on a pharmacovigilance database, and are used as signals in pharmacovigilance. Analysis of laboratory data can also be used to evaluate biological ADRs such as elevated liver enzyme and creatine phosphokinase levels. Cross-linkage studies can be used to minimize the consequences of under-notification in pharmacovigilance. Finally, ADR perception analysis is a useful method to evaluate the perceived social and medical importance of drug risks in different populations (public, pharmacists, general practitioners, medical specialists).

La pharmacovigilance, définie comme « la surveillance du risque d’effet indésirable résultant de l’usage des médicaments » est née dans les années 1970 du désir de maîtriser les conséquences indésirables de l’utilisation des médicaments. Ses missions se sont progressivement élargies, du simple recueil des effets indésirables médicamenteux à la quantification du risque médicamenteux puis à la diffusion d’une information pertinente et indépendante sur le médicament. Les recherches récentes en pharmacovigilance ont identifié de nouvelles méthodes d’évaluation de ce risque médicamenteux. Dans cet article, après un bref rappel des méthodes classiques, nous discuterons quelques méthodes plus récemment développées en pharmacovigilance et rendues nécessaires par la volonté toujours plus marquée de notre société de quantification et de prévention du risque.

Les méthodes classiques en pharmacovigilance

La notification spontanée des effets indésirables médicamenteux

Il s’agit d’une méthode de surveillance passive consistant au recueil, à l’échelon du territoire, des cas d’effets indésirables des médicaments observés postérieurement à la mise sur le marché. Elle repose sur la déclaration par les professionnels de santé de tout effet indésirable « grave » ou encore « inattendu » aux Centres Régionaux de PharmacoVigilance (CRPVs). La notification spontanée reste le système universel de base utilisé dans tous les pays puisqu’elle permet de surveiller toute la population traitée par le(s) médicament(s) étudié(s). Son coût reste modéré. L’application des méthodes d’ imputabilité permet d’approcher la relation de cause à effet entre la survenue de l’effet indésirable et la prise du médicament. En France, on utilise une méthode officielle et validée de mesure de l’imputabilité médicamenteuse [1]. La notification spontanée a permis depuis plusieurs décennies la description du profil des effets indésirables de nombreux médicaments en situation réelle de prescription, notamment au décours de leur mise sur le marché.

Cependant, la notification spontanée ne permet jamais une collecte exhaustive de l’ensemble des cas survenus, en raison de la sous-notification des effets indésirables médicamenteux par les professionnels de santé aux CRPVs. Des études récentes ont permis de quantifier cette sous-notification. Dans un travail concernant les hépatites
médicamenteuses hospitalisées dans un hôpital universitaire, nous avons trouvé une valeur d’un peu moins de 8 % [2]. Une autre équipe française a, à partir de trois autres exemples, calculé des chiffres de sous-notification variant entre 4,16 et 5,26 % [3]. La notification spontanée ne renseigne pas sur les conditions d’exposition et ne prend pas en compte la taille de la population traitée, ce qui rend aléatoire le calcul du taux d’incidence du risque. Elle est cependant la seule technique permettant de surveiller le médicament durant toute sa vie publique. Elle reste le moyen irremplaçable d’identification des effets indésirables inconnus jusqu’alors : elle joue donc un rôle essentiel dans l’alerte en pharmacovigilance.

Recueil intensif des effets indésirables médicamenteux

Dans certaines structures (par exemple hospitalières), il est possible, en fonction de l’objectif recherché, de pratiquer un relevé exhaustif de tous les effets indésirables médicamenteux. Ainsi, le réseau des Centres Régionaux de Pharmacovigilance a pu montrer que 3,19 % des hospitalisations (c’est-à-dire plus de 130.000 par an) dans les hôpitaux publics français étaient causées par un effet indésirable médicamenteux [4]. Cette méthode, consommatrice de temps et d’argent, ne peut être envisagée que pour des objectifs ponctuels, nécessairement limités. Nous l’avons récemment appliquée à la surveillance des effets indésirables des vaccins contre la méningite C dans le cadre des campagnes de vaccinations systématiques [5].

Méthodes pharmacoépidémiologiques appliquées à l’étude du risque médicamenteux

En pharmacovigilance, on peut utiliser le suivi de cohorte , par exemple pour identifier en population réelle après notification de mise sur le marché, l’incidence vraie des effets indésirables d’un médicament [6]. La méthode cas-témoin est aussi largement utilisée en raison, notamment, de sa rapidité et de son moindre coût par rapport à la méthode des cohortes. Elles posent néanmoins le problème de la sélection des témoins et des biais dans le recueil de l’exposition médicamenteuse. Ces études pharmacoépidémiologiques permettent de vérifier et de quantifier le risque médicamenteux suspecté à partir de la notification spontanée. Ainsi, l’étude castémoin « International Primary Pulmonary Hypertension Study », entreprise à la suite de notifications spontanées de cas sous anorexigènes, a montré que l’utilisation de fenfluramine et dérivés multipliait par 6 le risque de développer une hypertension artérielle pulmonaire [7].

Essais cliniques

Les essais cliniques de phase III sont habituellement construits pour évaluer le bénéfice (et non pas pour quantifier les effets indésirables). Ils souffrent, en effet, d’un certain nombre d’ insuffisances méthodologiques obligatoires pour la détection du risque médicamenteux, comme par exemple leur durée trop brève, l’exclusion des sujets à risque, des enfants ou des populations très âgées ou encore le nombre insuffisant de patients inclus. On peut affirmer très schématiquement que les effets indésirables dont la fréquence est inférieure à 1 % ne sont pas détectés au
cours de la phase III. La réalisation d’essais cliniques spécifiques sur le risque médicamenteux pose un problème éthique évident [8].

Par contre, la prise en compte de plusieurs essais dans une méta analyse permet d’approcher la fréquence réelle de l’effet indésirable médicamenteux et de rechercher certains facteurs de risque en s’affranchissant au maximum des limites obligatoires des études observationnelles [9].

Nouvelles méthodes d’évaluation du risque médicamenteux

Étude cas/non-cas

Cette méthode, sans porter systématiquement le nom de méthode cas/non-cas, a été largement utilisée depuis de nombreuses années, en particulier dans les registres des malformations congénitales [10] ou encore dans la banque de données de PharmacoVigilance de l’OMS [11, 12]. À partir des observations enregistrées dans la Banque Nationale de Pharmacovigilance, on définit comme cas toutes les observations comportant au moins un code de l’effet indésirable étudié dans la classification OMS utilisée par le système français de Pharmacovigilance. L’ensemble des autres observations de la banque représente les non-cas (ou témoins). Afin de reproduire la démarche d’une analyse cas-témoin à l’intérieur d’une base de données fermée, on définit comme exposition à un médicament de la classe étudiée la présence de ce médicament dans l’observation, quel que soit son score d’imputabilité. On évalue l’importance de l’association entre l’effet indésirable et le médicament par le Rapport de Cotes (RC) d’exposition à ces médicaments chez les cas et les non-cas (avec son intervalle de confiance à 95 %).

Cette méthode a permis d’établir que le risque de syndrome de sevrage était plus important avec la paroxétine ou la venlafaxine qu’avec les autres antidépresseurs sérotoninergiques [13]. Pour notre part, nous avons pu montrer l’absence de majoration du risque hémorragique digestif lors de l’utilisation des médicaments anticalciques [14]. Nous avons aussi trouvé qu’au sein des anti-inflammatoires non stéroïdiens, le naproxène et le diclofénac présentent la fréquence d’atteintes hépatiques la plus élevée [15].

Plus récemment, nous avons appliqué cette méthode à la recherche d’une association entre la survenue d’effets indésirables digestifs graves (perforations, ulcérations, saignements) et la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) du groupe des coxibs [16]. Le Tableau I indique que ce risque concerne, non seulement les AINS classiques (avec la valeur la plus élevée pour les oxicams), mais aussi les coxibs, rofecoxib et celecoxib. Ainsi, le risque digestif des coxibs, à l’évidence insuffisamment évalué lors des essais cliniques, ne diffère pas significativement, en situation de pratique clinique réelle, de celui des autres AINS.

Cette méthode cas/non-cas permet également de préciser certains effets indésirables difficilement évaluables lors d’essais cliniques. Ainsi, dans un autre travail effectué à partir de la Banque Nationale de Pharmacovigilance, nous avons montré une

TABLEAU 1. — Répartition des Effets Indésirables digestifs (perforations, ulcérations, saignements) dans la Banque Française de Pharmacovigilance (observations enregistrées entre le 25 mai 2000 et le 31 décembre 2002) en fonction de l’exposition aux différents anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). L’association entre Effets Indésirables digestifs et exposition aux AINS est estimée par le calcul du rapport de cote (RC) et son intervalle de confiance à 95 % [d’après 16].

Intervalle de

Intervalle de

Médicaments

RC ajusté†

RC ajusté †† confiance à 95 % confiance à 95 %

Ibuprofène 4,5 (2,3 – 8,8) 7,3 (3,2 – 16,6)*

Diclofénac 3,9 (2,1 – 7,2) 9,2 (3,8 – 22,2)*

Naproxène 10,6 (4,7 – 23,7) 17,9 (6,7 – 47,6)*

Kétoprofène 8,6 (5,3 – 13,9) 19,9 (10,7 – 37,0)*

Oxicams 12,2 (6,7 – 22,2) 25,3 (11,9 – 53,6)*

Coxibs 4,6 (3,3 – 6,5) 14,9 (9,3 – 23,7)*

Célécoxib 3,7 (2,4 – 5,8) 11,7 (6,6 – 20,9)*

Rofécoxib 5,2 (3,1 – 8,7) 21,0 (10,6 – 41,6)*

† Ajusté selon l’âge, le genre et la période de survenue.

†† Ajusté selon l’âge, le genre, la période de survenue et les facteurs confondants suivants : Centre Régional de Pharmacovigilance relevant l’effet indésirable, lieu de travail du professionnel de santé, association aux anticoagulants, antiplaquettaires, aspirine, gastroprotecteurs et autres AINS.

* P < 0,0001 relation entre la survenue de chutes et la prise de certains médicaments : benzodiazépines, antidépresseurs (imipraminiques ou sérotoninergiques) ou dérivés nitrés mais pas digoxine ou diurétiques (Tableau 2) [17].

Malgré leur intérêt, ces études cas/non-cas souffrent, d’une part des limites liées aux études cas-témoin et, d’autre part de celles inhérentes à la notification spontanée :

sous notification (ou encore notification élective), biais de reconnaissance de l’effet indésirable, absence d’estimation de la population traitée, informativité des observations… Cependant, cette méthode, facile à mettre en place, permet de répondre rapidement à une alerte en fournissant les éléments utiles à la mise en place éventuelle d’une étude ad hoc ultérieure. Elle est utilisée d’ailleurs désormais de façon automatisée dans les agences de régulation pour le signal en pharmacovigilance [18].

Détection et quantification de l’incidence des effets indésirables à partir des examens de laboratoires de biologie médicale

L’utilisation de moyens automatisés (résultats des laboratoires de biologie ou bases de données hospitalières) peut aussi permettre d’améliorer l’estimation de la fré- quence des effets indésirables médicamenteux (dont on connaît la sous notification quasi-systématique même à l’hôpital). Nous avons conduit une étude prospective recherchant les modifications des fonctions hépatiques (transaminases hépatiques et

TABLEAU 2. — Risque d’exposition aux différentes classes de médicaments psychoactifs ou cardiotropes chez les cas (« chutes », n = 315) et chez les non-cas (autres observations, n = 67.149) dans la Banque Nationale de Pharmacovigilance. Les résultats correspondent au Rapport de Cote avec leur intervalle de confiance à 95 % (IC à 95 %) (d’après 17).

Rapport de

Rapport de

IC à 95 %

IC à 95 %

Cote

Cote ajusté*

Benzodiazépines 5,1 4,0 – 6,3 4,7 3,7 – 5,9 Demi-vie courte 5,1 4,0 – 6,7 4,9 3,7 – 6,3 Demi-vie longue 3,1 2,1 – 4,5 3,0 2,1 – 4,4 Antidépresseurs 3,4 2,4 – 4,8 3,6 2,5 – 5,1 imipraminiques Antidépresseurs 2,6 1,8 – 3,6 2,2 1,5 – 3,1 sérotoninergiques Digoxine 3,3 2,1 – 5,1 1,1 0,7 – 1,7 Dérivés nitrés 5,4 3,6 – 8,0 1,9 1,2 – 2,8 Diurétiques de l’anse 2,5 1,8 – 3,6 1,1 0,7 – 1,5 Diurétiques thiazidiques 3,4 1,5 – 7,5 1,9 0,8 – 4,3 * Ajusté sur l’âge et le genre.

phosphatases alcalines) dans un laboratoire hospitalier de biologie. Sur près de 2.000 dosages de chacune de ces deux enzymes, nous avons retrouvé 7,9 % d’élévations des transaminases au-delà de 2 N et 8,8 % de majoration des phosphatases alcalines au-delà de 1,5 N (total : 147 patients). Parmi ces 147 atteintes hépatiques, 13 (soit 8,8 %) étaient d’origine médicamenteuse. Sept cas étaient asymptomatiques.

Six cas ont été définis comme « graves ». En utilisant les données des registres d’hospitalisation, nous avons pu estimer l’incidence des atteintes hépatiques aiguës médicamenteuses à 6,6 pour 1.000 patients hospitalisés [2].

Nous avons conduit un travail identique à partir des dosages de l’activité musculaire (créatine-phosphokinase : CPK). L’incidence calculée des altérations musculaires d’origine médicamenteuse a été estimée à 7,2 pour 10.000 patients hospitalisés (et à 9,3 pour 10.000 patients consultants). Ce type d’étude permet aussi de préciser les médicaments imputés dans l’effet indésirable étudié : à côté des hypolipidémiants (statines pour 46,4 %, fibrates pour 14,3 %), nous avons retrouvé également des antirétroviraux (14,3 %), des antagonistes des récepteurs à l’angiotensine II (10,7 %), des immunosuppresseurs (7,1 %) ou l’hydroxychloroquine (7,1 %) [19] Les croisements de fichiers indépendants

Il s’agit de confronter les données consignées dans des fichiers concernant les mêmes sujets mais relevées de manière indépendante les unes des autres. Ainsi, on peut établir une association entre la survenue d’un effet indésirable et la prise d’un médicament.

Nous avons récemment utilisé cette méthode pour quantifier le nombre d’effets indésirables « graves » survenus en cours d’hospitalisation dans les Hôpitaux Universitaires de Toulouse. Les deux bases de données utilisées ont été, d’une part, le PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information) et, d’autre part, la Base Française de PharmacoVigilance (entre le 1er janvier et le 30 juin 2001). À partir du PMSI, nous avons retenu 304 effets indésirables différents survenus chez 290 patients hospitalisés. Dans la Banque française de Pharmacovigilance, nous avons extrait 151 effets indésirables déclarés durant cette même période par les Hôpitaux de Toulouse au Centre Midi-Pyrénées de Pharmacovigilance. Nous avons trouvé 57 effets indésirables communs à ces deux bases de données. En appliquant la méthode capture-recapture, nous avons estimé le nombre d’effets indésirables « graves » observés dans les Hôpitaux de Toulouse durant les 6 premiers mois de l’année 2001 à 805 [intervalle de confiance à 95 % (656-954)], c’est-à-dire une incidence calculée de 2,9 % des patients hospitalisés [IC 95 % (2,4-3,5)] [20]. L’application de cette méthode, au travers notamment de la méthode capture-recapture, permet de minimiser (au moins en partie) les conséquences de la sous notification en pharmacovigilance.

Perception du risque médicamenteux

La Pharmacologie Sociale, nouvelle branche de la Pharmacologie Clinique s’inté- resse aux conséquences sociales de l’utilisation des médicaments [21]. Ainsi, un de ses champs d’application concerne la perception du risque médicamenteux (encore appelée dangerosité) par les différentes classes sociales. À partir d’une première étude montrant une grande hétérogénéité de perception du risque des grandes classes de médicaments entre les professionnels de santé et le public [22], nous avons conduit une autre étude portant sur le risque perçu d’effet indésirable digestif (perforations, ulcérations, saignements) des AINS classiques comme des coxibs par différentes spécialités médicales [23]. Les rhumatologues considèrent globalement les AINS comme moins dangereux sur le plan digestif que les médecins généralistes ou les gastroentérologues. La classique hiérarchie du risque digestif (maximum avec les oxicams, minimum avec les aryls carboxyliques type ibuprofène) s’avère méconnue des médecins (généralistes comme spécialistes) (Tableau 3). Ces différences dans la perception du risque digestif des AINS (y compris les coxibs) s’expliquent probablement par la formation médicale et le type d’activité : les rhumatologues jugent les AINS comme les moins dangereux car ils s’avèrent surtout impliqués dans la prescription et l’évaluation de l’efficacité à l’inverse des médecins généralistes et des gastroentérologues plus souvent concernés par la surveillance ou le traitement des effets indésirables digestifs de cette classe pharmacologique. Cet exemple illustre aussi l’importance des facteurs irrationnels dans la perception du risque médicamenteux.

TABLEAU 3. — Risque perçu (dangerosité) des effets indésirables digestifs des AINS par trois groupes de médecins. Valeur médiane (25-75ème percentiles) (D’après 19).

Médecins

Niveau de

Rhumatologues

Gastroentérologues généralistes signification*

(n = 58) (n = 45) (n = 69)

P

Dérivés indoliques 6,3 (4,3-7,2) 4,4 (3,3-7,1) 5,2 (3,8-6,5 0,10 Oxicams 5,4 (3,5-9,2) 3,9 (2,9-9,2) 5,4 (4,0-8,4) < 0,05 Dérivés arylcarboxyliques 5,2 (3,6-9,3) 3,6 (2,4-8,0) 5,5 (3,8-8,5) < 0,001 Coxibs 2,0 (1,2-9,0) 1,4 (0,8-4,3) 2,5 (1,6-5,1) < 0,001 * P : valeur calculée à partir du test de Kruskal-Wallis.

Conclusion

Cette revue de la littérature et de nos recherches personnelles récentes permet de hiérarchiser les différentes méthodes d’étude du risque médicamenteux en pharmacovigilance. La notification spontanée reste la méthode fondamentale permettant notamment la détection et l’alerte. Dans certaines circonstances (effet indésirable fréquent ou encore grave, médicament ayant des équivalents ou produit au bénéfice mal établi), elle s’avère suffisante pour assurer une décision concernant un médicament (information, restriction d’indication voire retrait du marché. Cependant, en raison de ses insuffisances obligatoires, elle s’avère incapable de quantifier réellement l’incidence des effets indésirables des médicaments. Il convient donc de faire appel aux méthodes pharmacoépidémiologiques traditionnelles ou nouvelles décrites plus haut. Le développement de bases automatisées de prescription devrait, à l’avenir, faciliter grandement l’étude du risque médicamenteux dans le but de minimiser les conséquences délétères de l’usage des médicaments.

Remerciements

Les auteurs remercient Madame Paulette BONTEMPS pour la préparation soigneuse du manuscrit.

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DISCUSSION

M. Jean-Paul GIROUD

Vous indiquez que la notification spontanée est insuffisante pour un certain nombre d’effets indésirables. Qu’en est-il par exemple des coxibs ? Quelle est la différence entre la différence entre étude cas/non cas et les études épistémologiques classiques cohortes et cas témoins ?

Comment pourrait-on améliorer la notification spontanée ?

La notification spontanée trouve ses limites dans certains types d’effets indésirables, comme par exemple ceux survenant après un important temps de latence. Par exemple, la notification spontanée a permis de mettre en évidence les effets indésirables digestifs perforations, ulcérations, saignements) des coxibs, mais pas leurs effets cardiovasculaires thrombotiques à type d’infarctus du myocarde. La pharmacovigilance anglaise n’a recueilli que cinq à sept cas d’infarctus du myocarde par an jusqu’en octobre 2004, ce qui, compte tenu du bruit de fond a été insuffisant pour donner l’alerte. Les études cas/noncas appliquent la méthode cas-témoin à l’intérieur d’un registre (ici, la banque nationale de pharmacovigilance). Elles sont toutes les deux rétrospectives. Les cohortes sont des études prospectives. Pour améliorer la surveillance des effets fâcheux, il faudrait, à l’évidence, une grande campagne d’information des professionnels de santé pour rappeler le caractère obligatoire de la notification des effets indésirables « graves » ou encore « inattendus ». La notification directe par les usagers est également une piste à développer (sous certaines conditions méthodologiques). Des expériences en ce sens sont d’ailleurs en cours actuellement.

M. Pierre DELAVEAU

L’accent a été mis, dans l’exposé, sur la différence d’estimation de la « dangerosité » des médicaments par le grand public vis-à-vis des professionnels. Quelle explication donnezvous ? Cette estimation inexacte ne risque-t-elle pas de fausser certaines décisions, notamment le passage de substances médicamenteuses dans la catégorie incertaine et souvent mal comprise des « compléments alimentaires » ?

L’appréciation de la dangerosité des médicaments est un sujet d’actualité en pharmacologie sociale. Les différences observées peuvent résulter des campagnes d’information, de la formation différente des diverses catégories interrogées mais surtout de facteurs
complexes, irrationnels et « dérationalisants » étudiés justement par la pharmacologie sociale. La distinction entre médicament et compléments alimentaires (ou alicaments) est clairement définie par la législation.

M. Louis DOUSTE-BLAZY

Comment les médecins (généralistes ou spécialistes) peuvent-ils bénéficier de vos travaux ?

Une des missions des Centres Régionaux de Pharmaco Vigilance et des pharmacologues concerne l’information validée et indépendante sur le médicament (dans tous ses aspects : efficacité, effets indésirables, interactions, utilisation sur des terrains à risque…). Les Centres de Pharmaco Vigilance assurent, à l’échelon de leur région, une permanence téléphonique en répondant aux questions posées par tous les professionnels de santé. Ils effectuent aussi de nombreux enseignements post-universitaires. Notre service édite également un bulletin trimestriel d’information de pharmacologie, rassemblant les actualités sur les médicaments nouveaux ou plus anciens.

M. Roger NORDMANN

Vous avez, à juste titre, insisté sur la nécessité de mieux informer le public sur les effets indésirables médicamenteux. N’est-il pas nécessaire de préciser la fréquence et la sévérité de ces effets ? À titre d’exemple, les effets indésirables liés à la consommation d’alcool au cours du traitement sont signalés avec une telle fréquence dans les notices des conditionnements des médicaments que ce signalement semble peu efficace. Il nous apparaît nécessaire de distinguer les interférences alcool/médicament établies de façon indiscutable de celles simplement relatées de façon anecdotique et, à cet effet, d’établir un pictogramme indiquant le degré de sévérité d’une telle interférence. Un tel pictogramme a été prévu. Qu’en est-il de sa réalisation ?

Effectivement, l’information doit être proportionnée au risque réel en population. Je n’ai pas d’information concernant le pictogramme « alcool et médicaments », mais je peux vous dire que nous avons travaillé, au sein de l’AFSSAPS, à la réalisation d’un classement des médicaments selon leur risque lors de la conduite automobile : trois pictogrammes différents informeront désormais sur le niveau de risque pour le conducteur.

M. Michel BOUREL

Quels incidents (risque de chute) liés à L DOPA ? Quels doubles accidents (digestifs et hépatiques) liés aux AINS ?

Nous n’avons pas étudié le risque de chute sous dopa. On peut aussi rappeler que, chez le parkinsonien, la dopa, utilisée à posologie adéquate, prévient le risque de chute. Les AINS déterminant le plus d’atteinte hépatique ne sont pas ceux dont le risque digestif est le plus élevé.

M. Daniel SRAER

Comment rendre fiable la base de données en utilisant uniquement une notification spontanée qui sera toujours insuffisante donc non fiable ?

Toutes les études prouvent que, malgré la sous notification, la base de données de pharmacovigilance permet l’alerte pour la grande majorité des effets indésirables.

L’approche pharmacoépidémiologique assure secondairement la quantification du risque.

M. Jean-François BACH

Un problème important de la pharmacovigilance fondée sur la notification spontanée est l’absence de preuve sur la responsabilité du médicament sur l’effet indésirable signalé.

Comment appréhendez-vous cette question ?

La relation de cause à effet est réalisée en appliquant la méthode validée d’imputabilité des effets indésirables : cette méthode repose sur l’analyse et la combinaison de trois critères relevés dans l’observation, la chronologie (entre l’apparition de l’effet indésirable et la prise du médicament), la sémiologie (caractéristiques cliniques ou biologiques de l’observation) et la bibliographie (notoriété de l’effet indésirable).

M. Michel HUGUIER

Ne pensez-vous pas que la sous notification est, en partie, due à la difficulté qu’il peut y avoir, même pour les médecins, de différencier association et causalité ?

Il s’agit là, assurément d’une des explications. Une autre cause repose aussi, selon nous, sur le trop peu d’intérêt attribué en général par les professionnels de santé au médicament. Le médecin s’intéresse plus au bénéfice des médicaments qu’à leur rapport bénéfice/risque. D’autres explications ont aussi été proposées : manque de temps, de motivation, peur de dépaire aux firmes pharmaceutiques…

M. Jean-Louis IMBS

Vous décrivez parfaitement les progrès faits dans la détection du risque des médicaments après leur mise sur le marché. Les méthodes plus récentes s’appuient toutes sur des techniques épidémiologiques susceptibles d’être peu rentables, à tous points de vue, si elles ne sont pas orientées par un signal préalable. Comment assurer mieux encore la perception de ce signal ?

La notification spontanée, méthode de base, doit être encouragée, renforcée et absolument développée, car sans elle toute alerte et donc toute étude pharmacoépidémiologique serait sans fondement. Il s’agit là du défit majeur pour la pharmacovigilance dans les années à venir.

M. Patrice QUENEAU

Vos méthodes pharmacoépidémiologiques permettent-elles une réelle exhaustivité des effets indésirables comme vous l’avez indiqué ? Concernant les anti-inflammatoires non stéroï- diens (AINS), avez-vous pu rechercher le Rapport de Côtes appliqué aux complications digestives graves en comparant non pas deux mais trois voire quatre groupes de malades : — ceux traités par AINS classiques seuls — ceux traités par coxibs seuls — mais aussi ceux traités par AINS classiques associés à la prise d’IPP (inhibiteurs de la pompe à protons) — voire ceux traités par coxibs associés à la prise d’IPP, association classiquement déconseillée mais qui se trouve réalisée en pratique médicale de façon non exceptionnelle (notamment chez des malades à risques), qui donc mériterait d’être évaluée elle-aussi. Enfin, toujours concernant les AINS, avez-vous pu établir le Rapport de Côtes appliqué aux complications digestives graves en fonction de sous-groupes faisant intervenir les populations à risques, par exemple adultes de plus de 65 ans versus adultes de moins de 65 ans ? En effet, on sait que la dangerosité digestive des AINS augmente chez les personnes âgées, d’où l’utilité d’affiner les données en fonction de l’âge.

Les centres de pharmacovigilance estiment l’incidence des effets indésirables des médicaments en fonction du coefficient de sous notification. Ce coefficient varie selon la gravité et la notoriété de l’effet indésirable, le médicament, la pathologie traitée…Cependant, comme vous le soulignez justement, l’exhaustivité du relevé des effets indésirables des médicaments reste un problème majeur en pharmacovigilance. L’utilisation de bases de données appropriées (par exemple hospitalières venues des laboratoires de biologie) apparaît comme une des méthodes de choix permettant une approche exhaustive. La transférabilité à la pratique des données issues de ces études pharmacoépidémiologiques dépendra, à l’avenir, de la qualité et de l’informativité des bases de données qui seront mises en place. Il ne m’est pas possible de répondre à votre deuxième question, car le plan de l’étude n’était pas celui-là. Au contraire, nous avons ajusté sur les facteurs médicamenteux comme les anticoagulants, l’aspirine, les antiagrégants, les « gastroprotecteurs » et les autres AINS. La dernière association (coxib + IPP) n’a, à ma connaissance, jamais été évaluée dans un essai clinique bien mené. Il s’agit d’une association onéreuse et par ailleurs illogique sur le plan pharmacologique (pourquoi associer un « protecteur gastrique » à un AINS censé ne pas déterminer d’effet digestif fâcheux ?). Ma réponse à votre dernière question est la même que précédemment : nous avons ajusté sur l’âge.


* Laboratoire de Pharmacologie Médicale et Clinique, Unité de Pharmacoépidémiologie, EA 3696, IFR INSERM 126, Faculté de Médecine, 37 allées Jules-Guesde, BP 7202, 31073 Toulouse Cedex 7, France. ** Service de Pharmacologie Clinique, Centre Midi-Pyrénées de Pharmacovigilance, de Pharmacoépidémiologie et d’Informations sur le Médicament, Hôpitaux Universitaires de Toulouse, France. Tirés-à-part : Professeur Jean-Louis MONTASTRUC, même adresse. Article reçu le 10 janvier 2005, accepté le 21 février 2005.

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 3, 493-505, séance du 15 mars 2005