Communication scientifique
Session of 25 octobre 2005

Mouvements oculaires : de la sémiologie élémentaire aux neurosciences cognitives

Eye movement : from basic semiology to cognitive neuroscience Charles Pierrot-Deseilligny

Summary

Eye movements are an integral part of visual function. They are particularly well developed in frontal-eyed predator species. The abducens nuclei ensure lateral ocular motor synergy, while the oculomotor nuclei control vertical eye movements and convergence. The two main types of conjugate eye movement — saccades (image switching) and slow movements (image stabilization) — are controlled by specific brainstem premotor structures (respectively reticular and vestibular). Upstream of the brainstem, the cortical and subcortical pathways involved in eye movements are gradually being elucidated. Saccades are being used as a motor model to study the different cognitive processes, such as spatial memory, prediction and decision, involved in general movement preparation. The classical approaches based on lesion analysis, combined with transcranial magnetic stimulation and functional cerebral imaging, are contributing to our understanding of how the brain functions. Eye movements can be used for bedside diagnostic purposes, but also for sophisticated laboratory studies designed to explore the universe of cognition.

La connaissance des mouvements oculaires s’est considérablement accrue au cours des vingt-cinq dernières années grâce aux techniques expérimentales modernes, électrophysiologiques et morphologiques, mais aussi à de nouveaux moyens d’exploration chez l’homme, tels que la stimulation magnétique transcrânienne et l’imagerie cérébrale fonctionnelle, qui apportent des résultats complétant utilement la méthode classique d’analyse des effets des lésions. Nous tenterons de répondre brièvement ici à trois types de questions. A quoi servent les mouvements oculaires ?

Comment sont-ils organisés ? A quoi peuvent-ils être utilisés en recherche ?

A QUOI SERVENT LES MOUVEMENTS OCULAIRES ?

La réponse à cette première question est simple, puisque les mouvements oculaires sont à l’évidence au service de la Vision qu’ils sont chargés d’optimiser en permanence [1]. Mais, on est ensuite en droit de se poser une deuxième question, dont la réponse est beaucoup moins simple : à quoi sert la Vision ? En effet, tout dépend alors de l’espèce à laquelle on appartient. Parmi les mammifères, si on fait partie des prédateurs — comme les primates, félins, canidés, ours, etc — on a un besoin vital de la vision pour se nourrir. L’image de la proie puis la proie elle-même finissent toujours par être droit devant : droit devant doit donc aussi être l’axe de la vision des prédateurs. Ces espèces ont développé une vision frontale binoculaire couvrant un champ visuel d’environ 180° vers l’avant, la binocularité leur permettant en outre d’avoir une bonne appréciation de la profondeur. Pour les proies, qui sont en général herbivores — comme les antilopes, chevaux, lapins, moutons, caprins, etc — l’odorat est plus important que la vision pour se nourrir. Celle-ci a en fait un objectif plus fondamental, qui est de repérer à temps les prédateurs. Leur vision est donc restée très latérale, panoramique, couvrant quasiment les 360° avec les deux yeux.

L’objectif principal de la vision et son axe chez les prédateurs et les proies ont des conséquences sur l’organisation de la rétine et des mouvements oculaires. Chez les prédateurs, la macula, zone arrondie située au centre de la rétine, est petite (1 % de la rétine) mais permet une vision centrale très fine. Dans le champ visuel périphérique, la vision est de plus en plus floue à mesure qu’on est à distance de la macula. Les mouvements oculaires doivent donc pouvoir déplacer très rapidement et de façon ample ce tunnel central de vision fine. Ce rôle est assigné aux saccades qui changent en permanence les images et permettent une exploration efficace dans toutes les directions sur les 90° situés en avant de l’axe horizontal de la tête. Une fois qu’une image a été capturée par les saccades, les mouvements oculaires lents prennent le relais pour stabiliser cette image sur la rétine afin qu’elle puisse être vue. Ainsi, la poursuite oculaire permet de garder sur la macula l’image d’une petite cible en mouvement. Le réflexe vestibulo-oculaire (RVO) permet de compenser exactement tous les mouvements de la tête du corps, de sorte que le sujet puisse bouger et voir en même temps. Enfin, la convergence est utilisée pour la vision de près pour rompre le parallélisme des deux yeux et permettre aux deux maculas de rester sur l’objet regardé. Ces différents mouvements oculaires se sont tous pleinement développés chez les prédateurs pour servir au mieux leur vision. Chez les proies à vision latérale, la zone maculaire est très allongée latéralement, correspondant principalement à l’horizon, d’où viennent les prédateurs [2]. Leurs saccades, poursuite et convergence se sont donc très peu développées. Seul leur RVO est aussi performant que celui des prédateurs.

COMMENT SONT ORGANISES LES MOUVEMENTS OCULAIRES ?

Tronc cérébral.

Dans le pont du tronc cérébral [3], le noyau abducens (VI) assure un parfait parallélisme des deux yeux chez les espèces à vision frontale binoculaire, évitant ainsi toute diplopie (Figure 1). Il commande en effet l’abduction ipsilatérale par les motoneurones du muscle droit externe et l’adduction conjuguée de l’œil contralaté- ral, grâce aux neurones internucléaires et au faisceau longitudinal médian (FLM), reliant le noyau du VI aux motoneurones du muscle droit interne dans le noyau du nerf moteur oculaire commun (III). Les sémiologies, maintenant bien connues, de l’ophtalmoloplégie internucléaire (par atteinte du FLM), du syndrome du noyau abducens (VI) ou du syndrome ‘‘ un et demi ’’ (associant une atteinte du noyau du VI et du FLM voisin) ne seront pas rappelées ici [4-6]. La convergence est entièrement organisée dans le pédoncule cérébral, où il existe un relais prémoteur très près des noyaux des III. Celui-ci assure avec le noyau du nerf pathétique la verticalité oculomotrice. Dans le noyau du III, les motoneurones du muscle droit supérieur décussent, et passent par le nerf contralatéral, ce qui entraîne un syndrome caractéristique lors d’une lésion nucléaire du III : paralysie ipsilatérale complète du III et paralysie isolée du muscle droit supérieur contralatéral [7]. En amont de ces noyaux,
il existe des relais prémoteurs réticulaires pour les saccades, la formation réticulaire pontique paramédiane dans le pont pour les saccades latérales, le noyau rostral interstitiel du FLM dans le pédoncule cérébral pour les saccades verticales [8] (Figure 1). Les syndromes de Parinaud [9], qui sont caractérisés par des paralysies supranucléaires des saccades verticales (vers le haut, ou vers le bas ou vers le haut et le bas), ont vu leur sémiologie se préciser un siècle après leur description [10], même si leur physiopathologie n’est toujours pas encore bien comprise[1]. La paralysie supranucléaire progressive constitue l’atteinte clinique la plus fréquente du noyau riFLM, touché précocément par le processus dégénératif de cette affection, avec la possibilité maintenant de faire des diagnostics infra-cliniques par enregistrement oculomoteur [11-12].

Les relais prémoteurs de tous les mouvements lents latéraux et verticaux sont situés dans différentes subdivisions des noyaux vestibulaires. On peut noter qu’il existe en fait deux voies vestibulaires activatrices assurant la verticalité oculomotrice vers le haut, l’une passant par le FLM et l’autre par la voie tegmentale antérieure (VTA), alors qu’une seule voie (passant par le FLM) contrôle le bas [1,13]. Cette asymétrie dans les connexions vestibulaires centrales pourrait avoir un rapport avec la station verticale humaine et le rôle de la gravité, favorisant les mouvements vers le bas mais retenant aussi nettement les mouvements vers le haut. La VTA, voie activatrice unissant le noyau vestibulaire supérieur (SVN) aux motoneurones du muscle droit supérieur dans le noyau du III, ainsi qu’un contrôle inhibiteur spécifique du SVN venant du flocculus cérébelleux, se seraient ainsi principalement développés pour contrebalancer le rôle de la gravité. Cette théorie nouvelle a le mérite de pouvoir expliquer la physiopathologie des nystagmus verticaux (battant vers le bas ou vers le haut) restée jusqu’à présent sans explication satisfaisante [1]. Nous n’évoquerons pas ici le rôle du cervelet, qui intervient dans le contrôle de tous les mouvements oculaires, calibrant les saccades, modulant le RVO et constituant un relais indispensable pour la poursuite oculaire [3].

Déclenchement cortical des saccades.

En amont du tronc cérébral, les différents mouvements oculaires sont contrôlés par le labyrinthe pour le RVO, le cortex cérébral pour la pousuite oculaire et les saccades.

Les saccades sont commandées par différentes aires en fonction de leur type[14]. Les saccades réflexes, déclenchées de façon externe par une cible survenant brutalement dans le champ visuel périphérique, sont essentiellement contrôlées par le cortex oculomoteur pariétal (COP), situé à la partie interne et postérieure du sillon intrapariétal [15] (Figure 1). Les saccades volontaires, déclenchées de façon interne par le sujet au moment où il le choisit, sont contrôlées par le cortex oculomoteur frontal (COF), situé dans le sillon précentral [16]. Chacune de ces aires frontale et pariétale commandent les saccades dans les deux directions horizontales [17] et il faut donc une atteinte de ces quatre aires pour observer le rare syndrome ‘‘ d’apraxie oculomotrice acquise ’’, où le déclenchement de toutes les saccades est alors dura-
blement paralysé[18]. Quand plusieurs saccades sont enchaînées en séquences ou mixées avec d’autres mouvements du corps, le cortex oculomoteur supplémentaire (COS), contrôlant les programmes moteurs, et le pré-COS, organisant l’apprentissage moteur, sont impliqués [19, 20] (Figure 1). Enfin, quand il s’agit de retenir des saccades réflexes importunes, c’est le cortex préfrontal dorsolatéral (CPFDL) (aire 46 de Brodmann) qui joue le principal rôle inhibiteur [21].

A QUOI PEUVENT ETRE UTILISES LES MOUVEMENTS OCULAIRES EN RECHERCHE ?

On vient de voir que l’organisation des mouvements oculaires dans le tronc cérébral et que la commande corticale des saccades sont maintenant assez bien connues. Les mouvements oculaires sont en outre faciles à enregistrer, puisque les déplacements ne se font que dans un plan de l’espace, et on peut donc ainsi aisément les quantifier.

Depuis une dizaine d’années, les mouvements oculaires, en particulier les saccades, ont de ce fait été utilisés comme modèle moteur pour étudier la motricité en général [22]. On a imaginé des paradigmes dans lesquelles la sortie motrice était une saccade et l’entrée une stimulation visuelle, auditive ou somesthésique. De tels paradigmes ont permis d’analyser les différents processus cognitifs qui préparent les mouvements, et ce qui a été démontré pour les saccades est sans doute applicable à peu de choses près aux autres mouvements du corps.

Parallèlement, de nouvelles techniques d’exploration cérébrales chez l’homme ont vu le jour au cours des quinze dernières années. A la méthode classique d’analyse des effets des lésions cérébrales — qui seule permet d’affirmer qu’une aire corticale est bien impliquée dans le contrôle d’un paradigme donné quand on observe un déficit significatif après atteinte de cette aire — sont venues s’ajouter la stimulation magnétique transcrânienne (SMT) et l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). La SMT induit un léger courant électrique dans l’aire stimulée, qui interrompt l’activité de cette aire et équivaut donc à faire une lésion fonctionnelle brève. Cette interruption étant de l’ordre de quelques millisecondes, la résolution temporelle de cette méthode est donc excellente. Elle permet de déterminer à quel moment précis d’un paradigme telle aire est indispensable à sa bonne réalisation finale. En revanche, la résolution spatiale de la SMT est médiocre. L’IRMf a en revanche une excellente résolution spatiale, mais une résolution temporelle limitée.

Elle permet de visualiser l’ensemble d’un réseau impliqué dans le contrôle d’un paradigme, sans pouvoir cependant déterminer quelles structures à l’intérieur de ce réseau sont réellement indispensables à la réalisation du paradigme. La méthode des lésions, la SMT et l’IRMf apportent donc en fait des résultats parfaitement complémentaires, qui permettent de comprendre beaucoup plus précisément le fonctionnement cérébral. Nous allons donner quelques exemples de cette nouvelle approche multi-méthodologique dans cette section finale en détaillant deux processus cognitifs, la mémoire spatiale et la décision.


Mémoire spatiale.

La mémoire spatiale de travail est celle que nous utilisons pour faire une saccade ou un geste approprié vers une cible aperçue quelques instants auparavant. En physiologie oculomotrice, on utilise pour l’étudier le paradigme des saccades mémorisées.

Le sujet fixe un point central pendant qu’une cible périphérique est flashée ; après quelques secondes, le sujet doit faire une saccade (mémorisée) à l’emplacement où était apparue la cible. L’amplitude de la saccade est un reflet de la mémoire spatiale.

L’imagerie cérébrale fonctionnelle a suggéré que tout un réseau pariéto-frontal, incluant le CPFDL, est impliqué lors d’un tel paradigme [24, 25]. Les études de lésions ont montré que dans ce réseau, au moins trois aires — le COP, le COF et le CPFDL — sont cruciales pour l’exécution de ce paradigme [26, 27], sans pouvoir cependant indiquer à quel moment précis du paradigme chacune de ces aires intervient. Une étude en SMT a permis de préciser que le cortex pariétal postérieur est impliqué pendant les premières centaines de millisecondes, ce qui correspond probablement à l’intégration visio-spatiale, tandis que le CPFDL est en charge de la mémorisation (à court terme) proprement dite [28]. Une autre étude en SMT a confirmé que le COF est impliqué dans le déclenchement de la saccade mémorisée [29]. On voit donc que les trois principales méthodes d’étude du fonctionnement cérébral — lésions, SMT et IRMf — ont apporté des résultats très complémentaires dans l’étude des saccades mémorisées avec des délais brefs, permettant d’asssigner un rôle précis à chacune des trois aires principalement impliquées.

Mais l’étude de la mémoire spatiale au moyen des saccades mémorisées ne s’est pas arrêtée là [30]. Des temps de mémorisation plus longs ont été utilisés pour déterminer l’éventuelle implication d’autres aires. Une étude chez des sujets normaux a d’abord montré qu’une aire autre que CPFDL était probablement impliquée au-delà de 20-25 secondes de mémorisation [31]. Une étude de lésions a ensuite permis de suggérer que le cortex parahippocampique prenait en charge ce qu’on peut appeler la mémoire spatiale à moyen terme, au-delà de 25 secondes [32], la mémoire à long terme, après quelques minutes, étant probablement sous le contrôle de l’hippocampe [30] (Figure 1). Une nouvelle étude de SMT montré que le transfert FIGURE 1. — Aires et circuits oculomoteurs.

AOC = aire oculomotrice cingulaire ; AOF = aire oculomotrice frontale ; AOP = aire oculomotrice pariétale ; AOS = aire oculomotrice supplémentaire ; C = noyau de Cajal ; CCP = cortex cingulaire postérieur ; CP = commissure postérieure ; CPH = cortex parahippocampique ; CPP = cortex pariétal postérieur ; CS = colliculus supérieur ; D = noyau de Darkschewitsch ; FLM = faisceau longitudinal médian ; FR = formations réticulaires ; fr.III = fibres du III ; fr.VI = fibres du VI ;

FRM = formation réticulaire mésencéphalique ; FRPP = formation réticulaire pontique paramé- diane ; GA = gyrus angulaire ; GSM = gyrus supramarginal ; HC = hippocampe ; NR = noyau rouge ; NV = noyaux vestibulaires ; riFLM = noyau rostral interstitiel du faisceau longitudinal médian ; sc = sillon central ; sfi = sillon frontal inférieur ; sfs = sillon frontal supérieur ; sip = sillon intra-pariétal ; spc = sillon précentral ; spo = sillon pariéto-occipital ; s.post.c =sillon post-central ;

sts = sillon temporal supérieur ; ss = scissure de Sylvius ; th = thalamus ; V = ventricule ; VTA = voie tegmentale antérieure ; III = noyau du nerf moteur oculaire commun ; VI = noyau abducens.

de l’information mémorisée entre ces aires se faisait en partie en série (d’une aire à l’autre) et en partie en parallèle (à partir de l’information spatiale pariétale initiale) [33]. On est ainsi arrivé à la conception relativement originale d’un contrôle cortical de la mémoire spatiale par plusieurs aires, successivement, en fonction de tranches de temps spécifiques.

Décision

Nous venons de rappeler que le CPFDL jouait un rôle majeur dans l’inhibition des saccades réflexes et dans la mémoire spatiale à court terme. Il est impliqué aussi dans la sélection de cibles et la prédiction motrice [27, 34]. La prédiction motrice est un processus cognitif qui permet d’anticiper l’apparition d’une cible par une saccade ou un geste approprié. Pour un prédateur en quête d’une proie, cette anticipation est primordiale et tout retard ou toute maladresse dans ce domaine peut être préjudiciable. Ces multiples actions préparatoires du mouvement suggèrent que le CPFDL joue un rôle essentiel dans les processus décisionnels moteurs. Il se trouve en outre placé anatomiquement à un carrefour stratégique pour influer sur le comportement moteur. Il reçoit en effet des afférences des aires attentionnelles, alertant les structures frontales prémotrices, et des aires cingulaires antérieures, ‘‘ motivant ’’ ces mêmes structures par des pré-activations [34]. Il projette d’autre part sur les aires frontales motrices, incluant le COF et le COS, et sur le colliculus supérieur, relais supranucléaire des saccades, situé entre le cortex et les formations réticulaires (Figure 1).

Nous avons récemment étudié plus directement le processus décisionnel [34]. Un tel processus n’est pas facile à saisir et nous avons donc essayé d’élaborer un nouveau paradigme saccadique en utilisant l’IRMf. Dans ce paradigme, la réponse motrice était une saccade volontaire à faire sur une cible visuelle latérale, soit à droite soit à gauche, mais il existait deux conditions de préparation. Dans la première condition, dite de ‘‘ décision ’’, le sujet devait décider, après l’apparition d’un premier indice neutre, de la direction (droite ou gauche) de la saccade à venir, pendant une phase de préparation de quelques secondes. Puis, à l’apparition d’un deuxième indice neutre, il devait exécuter la saccade dont il venait juste de choisir la direction. Dans la deuxième condition, dite ‘‘ imposée ’’, le premier indice imposait la direction de la saccade à venir (par exemple à droite), cette saccade étant préparée pendant la phase de préparation et exécutée après l’apparition du deuxième indice rappelant la direction imposée. On peut noter que pendant la phase de préparation, la seule différence comportementale existant entre les deux conditions était la décision directionnelle à prendre dans la première condition et l’absence de décision dans la seconde décision. Les résultats ont montré une activation de l’habituel réseau pariéto-frontal contrôlant les saccades mais avec une différence notable entre les deux conditions. En effet, le CPFDL était fortement activé dans la condition décision et n’était pas actif dans la condition imposée, confirmant que cette aire joue un rôle crucial dans la décision motrice.

CONCLUSION

On a d’abord vu que les mouvements oculaires dépendaient du type de vision qu’ils servaient et qu’ils avaient dû particulièrement se développer chez les mammifères prédateurs. Il est utile de connaître quelques principes de leur organisation dans le tronc cérébral afin d’orienter le diagnostic topographique au lit du patient à partir d’une sémiologie élémentaire. Ils peuvent servir aussi de modèle moteur, facilement quantifiable, pour étudier la préparation du mouvement par divers processus neuropsychologiques, permettant ainsi d’explorer l’univers des neurosciences cognitives.

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DISCUSSION

M. Bernard LECHEVALIER

Pouvez-vous me dire si le nystagmus dit rétractorius mérite bien (en raison de son caractère peu rythmique) le nom de ‘‘ nystagmus ’’ ? Est-il toujours associé à une paralysie de la verticalité ? Quel est son mécanisme ?

Il est vrai que le nystagmus retractorius est souvent irrégulier, mais il a bien une phase rapide et une phase lente comme tous les nystagmus « à ressort ». Cependant, à la différence de ces derniers, où c’est la phase lente qui est physiologique ou pathologique et compensée par des phases rapides automatiques de sens inverse, c’est phase rapide qui est pathologique dans le nystagmus retractorius, phase rapide qui est suivie par un retour plus lent, essentiellement passif. Ce nystagmus est souvent accompagné d’une composante en convergence qui le fait dénommer dans la littérature internationale sous le terme de « convergence-retraction nystagmus ». La composante rapide se fait alors en convergence pour les deux yeux. Tous les intermédiaires existent entre un nystagmus de convergence pur et un nystagmus retractorius pur. Dans ce dernier cas, la composante rapide est constituée d’une brusque rétraction simultanée des deux yeux dans les orbites, ce qui fait qu’on observe alors mieux ce nystagmus en regardant la tête du patient de profil. On sait, par des enregistrements électromyographiques des muscles oculomoteurs, que la rétraction des globes oculaires est due à une décharge simultanée dans tous les nerfs et muscles oculomoteurs. La résultante de cette décharge serait plus ou moins marquée en convergence du fait de l’innervation particulièrement riche des muscles adducteurs (assurant deux types de mouvements oculaires, les mouvements latéraux conjugués et la convergence). Ces nystagmus sont en général dus à des lésions focales vasculaires, tumorales ou infectieuses de la région périaqueducale haute, dans les pédoncules cérébraux. En cas d’infection, il existe en règle une méningite associée, dont les causes sont diverses. La lésion est en général très proche de la commissure postérieure qui véhicule les fibres cortico-réticulaires de la verticalité oculaire volontaire supérieure.

Cette lésion entraîne donc habituellement une paralysie associée des saccades vers le haut, même en cas de latéralisation franche de la lésion puisque la commissure posté- rieure est un système de décussation. Quant aux mécanismes même de la décharge simultanée de tous les muscles oculomoteurs et au rôle précis de la région périaqueducale dans ce phénomène, ils restent, à ma connaissance, à être élucidés.

M. Jean-Jacques HAUW

Dans quelle mesure les variations de l’état de veille, notamment le sommeil, influencent-elles les systèmes oculo-moteurs ?

Le sommeil influence beaucoup les mouvements oculaires puisque lors du sommeil paradoxal il existe des mouvements, dits « rapides », conjugués des deux yeux dans tous
les sens, qui sont en fait des saccades oculaires. Il existe toute une littérature dans ce domaine, en particulier expérimentale (chez le chat).

M. Roger NORDMANN

Vous avez mis en exergue les mécanismes destinés à compenser les effets de la microgravité.

Qu’en est-il lorsqu’un animal d’expérience ou un spationaute est soumis à des conditions éliminant la microgravité ? Ces conditions déterminent-elles des saccades ou un nystagmus ?

Il s’agit en effet d’une question très intéressante dans l’hypothèse que nous proposons où la gravité influence la physiologie oculomotrice verticale. Cependant, le système cérébello-vestibulaire impliqué dans cette régulation est, chez le sujet normal, d’une remarquable plasticité et on peut prévoir une adaptation rapide en quelques minutes ou heures aux nouvelles conditions de gravité, si elles sont stables. Ce type d’expérience, qui n’a pas encore été à ma connaissance mené, pourrait être tenté dans les changements rapides de gravité — comme, par exemple, dans les vols paraboliques — où les sujets se trouvent assez brusquement, au sommet de la parabole, en microgravité, avant de se retrouver, en bas de la parabole, en macrogravité. Dans ce dernier cas, il existe une réponse qui va dans le sens de notre hypothèse. En effet, si on met un sujet normal dans une centrifugeuse (sa tête étant près de l’axe de rotation), la gravité se trouve rapidement multipliée par deux ou trois et on observe alors un nystagmus vertical physiologique battant vers le haut, la phase lente se faisant donc vers le bas. On peut interpréter ce phénomène par un renforcement transitoire inhabituel du système oculomoteur abaisseur qui ne pourrait être immédiatement compensé par l’action de la voie tegmentale antérieure (VTA) — anti-gravitationnelle, comme nous le supposons, — qui serait calibrée pour une gravité normale (à 1) et donc peu fonctionnelle pour une gravité supérieure, surtout si le changement est rapide. Quant à la microgravité brusque, elle devrait entraîner, à l’inverse de la situation précédente, une phase lente vers le haut (et donc un nystagmus battant vers le bas) par activité relative trop importante de la VTA, continuant à compenser, avant adaptation, une gravité rapidement annulée ou amoindrie. Cette expérience reste cependant à faire en vol parabolique.

M. Jacques PHILIPPON

Quelle est l’explication de certaines paralysies de la verticalité observées lors de lésions extra tronc cérébral, type hydrocéphalie décompensée ?

La réponse sur ce point a été en partie donnée lors de la première question où on a vu que des lésions venant de l’intérieur à proximité de la commissure postérieure, dans la région pédonculaire supérieure, pouvaient entraîner une paralysie des saccades oculaires vers le haut par atteinte des voies supraréticulaires de ces mouvements. Ces voies décussent en effet spécifiquement dans la commissure postérieure, ce que ne font pas les voies des saccades vers le bas. Les tumeurs ou hydrocéphalies comprimant la commissure posté- rieure, de l’extérieur cette fois, aboutissent donc au même résultat fonctionnel, c’est-à- dire une paralysie des saccades vers le haut. Si la compression est très marquée, elle peut même atteindre les autres structures oculomotrices du pédoncule cérébral, voisines de la commissure postérieure, et aboutir à une paralysie plus ou moins complète de la verticalité oculaire .

M. Pierre RONDOT

Au cours de myoclonies oculaires accompagnant des « myoclonies du voile », des myoclonies peuvent être observées au cours de lésions bulbaires. Peut-on rapprocher ces myoclonies d’un nystagmus ?

Les myoclonies oculaires sont des secousses non rythmées et donc non nystagmiques. De plus, ce sont des secousses assez rapides, proches des saccades oculaires, avec retour un peu moins rapide. Dans les nystagmus, comme je l’ai rappelé, c’est la phase lente qui est physiologique ou pathologique, la phase rapide étant une secousse de rappel automatique générée par les formations réticulaires du tronc cérébral en réponse aux phases lentes inhabituelles. Les mécanismes fondamentaux des myoclonies oculaires en général, et des myoclonies d’origine bulbaire en particulier, bien que peu connus, sont donc a priori très différents de ceux des nystagmus.

M. Jean François ALLILAIRE

Comme cela vient d’être mentionné par l’orateur, de très nombreuses recherches ont été réalisées chez les malades schizophrènes concernant les anomalies des saccades oculaires.

Celles-ci sont présentes chez plus de 75 % des patients et ceci indépendamment de tout traitement psychotrope, en particulier neuroleptique. Plus encore, ces anomalies ont été retrouvées dans de très nombreux cas chez les apparentés de patients schizophrènes, ce qui pose le problème de l’existence d’un ‘‘ endophénotype ’’ prédisposant aux troubles schizophréniques. On sait de plus que ces anomalies sont corrélées avec des scores élevés aux échelles d’évaluation des traits de personnalité schizotypiques et sont associées avec certains indices de dysfonctionnement cognitif (Wisconsin Card Sorting Test) en faveur d’une implication du cortex pré-frontal. On pense donc que ces anomalies pourraient constituer un marqueur de vulnérabilité génétique pour la pathologie schizophrénique, ce qui m’amène à poser la question suivante : que sait-on à l’heure actuelle des bases neurogénétiques d’acquisition de ces comportements oculo-moteurs ?

Il existe en effet maintenant une vaste littérature concernant les saccades dans la schizophrénie (et autres maladies psychiatriques), mais je n’ai pas de réponse à cette intéressante question car je n’ai pas suivi de près les derniers développements dans ce domaine.

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 7, 1505-1517, séance du 25 octobre 2005