Résumé
Tous les systèmes de l’organisme sont affectés à des degrés divers par l’exposition à la microgravité. La disparition de la gravité agit de façon majeure sur l’appareil cardiovasculaire du fait du déplacement thoraco-céphalique des fluides lié à la disparition des gradients de pression hydrostatique. Elle affecte également le système neuro-sensoriel au sein duquel le conflit sensoriel amène en début de vol au fréquent tableau du mal de l’espace. L’appareil locomoteur est très affecté par l’absence de sollicitations. L’appareil respiratoire semble moins touché. L’ensemble de ces modifications ne semble pas altérer la santé et la performance de l’équipage. Si finalement, l’homme semble s’adapter convenablement à l’espace, son retour sur terre s’accompagne de perturbations à plus ou moins long terme qui souligne l’intérêt de contre-mesures spécifiques en vol.
Summary
Microgravity affects the different organ systems to various degrees. In particular, a thoracocephalic fluid shift occurs through suppression of the hydrostatic gradient. Sensory conflict leads to space motion sickness, which is frequent early in the flight, and the musculo-skeletal system is perturbed by the lack of stimuli. The respiratory system seems to be less affected. These changes do not seem to impair health or performance. Humans seem able to adapt to long-term exposure to microgravity, but disorders can occur on return to Earth. In-flight preventive measures need be developed.
INTRODUCTION
Pêché d’orgueil ou curiosité scientifique, l’homme ne peut accepter de limites à son environnement ! Des travaux de Galilée à ceux du CERN et son grand collisionneur de hadrons capable de générer un microscopique trou noir, le terrien veut tout connaître de ‘‘ son ’’ univers. De Jules Vernes et d’Hergé au très pragmatique Daniel Goldin, actuel patron de la NASA, l’humain veut quitter son atmosphère naturelle, ‘‘ conquérir ’’ l’espace et en faire une destination de ‘‘ voyage touristique ’’ comme le montrent les premiers vols ‘‘ commerciaux ’’ ! Cependant, depuis les débuts de l’aventure spatiale, la question qui se pose est de savoir si l’homme, qui sur Terre, passe approximativement les deux-tiers de son temps en position debout ce qui conditionne ses repères, ses systèmes de régulation et créé des gradients de pression d’origine hydrostatique, peut vraiment s’adapter à un environnement dont le plus caractéristique est la ‘‘ disparition ’’ de la pesanteur, i.e. l’impesanteur ou plutôt la microgravité, sans aborder ici d’autres facteurs à l’évidence hostiles. Le problème se complique quand on sait que les voyages spatiaux impliquent une certaine durée et que ce n’est pas seulement ‘‘ l’adaptation ’’ à la microgravité qu’il faut étudier mais ses effets à plus ou moins long terme. Pour étudier les modifications physiologiques en microgravité, l’ingéniosité des chercheurs n’a pas eu de limites. Les ‘‘ décubitus anti-orthostatique ’’ de plus ou moins longue durée ont apporté des éléments fondamentaux de compréhension mais cela reste une ‘‘ simulation ’’. Les sophistiqués vols paraboliques donnent accès à une microgravité très proche de celle des navettes et stations mais les réponses n’y sont que partielles, très limitées dans le temps et perturbées par les périodes d’hypergravité liées aux ressources ! Le parti pris dans cette ‘‘ revue ’’ de la session ‘‘ L’homme dans l’Espace ’’ sera donc d’une part de rapporter, de façon à l’évidence non exhaustive, les principaux résultats de ce qui a été réellement observé ou mesuré en orbite et d’autre part de ne le faire que pour les systèmes dont les modifications sont les plus susceptibles d’altérer la santé des spationautes ou d’affecter leurs performances en mission !
État des lieux
À la suite des observations du programme Gemini, c’est surtout à partir des années 70, que la recherche en physiologie humaine a trouvé sa place au cours d’un certain nombre de missions spatiales. Les principales conclusions du programme Apollo restent la base de nos connaissances et ont par la suite fait l’objet d’études complémentaires pour caractériser les modifications observées et affiner les contremesures. Les missions américaines Skylab et russes Salyut ont particulièrement été dédiées à cet effet ; puis, la station Mir a permis de faire des études d’exposition de plus de six mois. Par la suite, la navette spatiale américaine a permis et permet des études de moyenne durée ; enfin, la mise en place de la station spatiale internationale a permis d’envisager d’autres études au point de vue humain, en particulier la mise en place d’une médecine dans l’espace pour répondre aux besoins éventuels d’un vol de très longue durée à destination de Mars !
Cependant, dans un souci de rigueur scientifique, on pourrait dire que, malgré toutes ces études, les effets réels de la microgravité per se chez l’homme ne sont pas vraiment connus ! Ce qui a été étudié jusqu’à présent dans l’espace, l’a été dans un contexte opérationnel où les effets absolus de la microgravité se combinent avec un grand nombre d’autres facteurs comme l’activité physique liée à la mission, des facteurs environnementaux et psychologiques, des contre-mesures (exercices volontaires, thérapeutiques, …). Il est douteux qu’il n’y ait jamais de mission en microgravité avec des sujets totalement témoins ou contrôle.
De plus un certain nombre d’investigations reste impossible en microgravité et comme certaines mesures ne peuvent être obtenues qu’avant et après le vol, les considérations concernant leur évolution pendant le vol restent hypothétiques et sont déduites de la variation des autres systèmes dont on peut mesurer les variations.
Une dernière limite à nos connaissances est que la taille des échantillons reste ‘‘ relativement faible ’’ puisqu’à la fin de 2005, 971 expériences humaines en vol avaient été réalisées qui concernaient 435 individus différents [1].
Les modifications physiologiques ou ‘‘ adaptations ’’ à la microgravité
En fonction des systèmes concernés, l’adaptation à la microgravité survient à des niveaux et des temps différents qui peuvent aller de quelques jours à quelques semaines. Certains effets apparaissent secondaires de ceux directement liés à la microgravité comme par exemple la réduction de la masse cellulaire sanguine qui suit la diminution du volume plasmatique.
Si pour certains systèmes, la finalité de l’adaptation semble actuellement bien comprise, pour d’autres systèmes, on ne sait pas s’il s’agit d’une adaptation ou d’une pathologie liée à la microgravité. En fait, les vols spatiaux humains incluent deux phases de ‘‘ réponses physiologiques ’’ qui suivent des courbes temporelles différentes, une première phase de modifications et d’adaptation au vol et une deuxième phase de ‘‘ réadaptation ’’ post-vol à la gravité terrestre, dont nous ne citerons que certains points Il n’est pas possible de faire dans le temps et l’espace impartis une revue exhaustive des effets de la microgravité ! Nous ferons donc un choix guidé d’une part par l’importance que joue sur terre la gravité sur le système étudié et par les données disponibles à partir des vols spatiaux, et d’autre part par la volonté d’éviter de tomber dans le piège du catalogue ! Avant de voir successivement les conséquences de la microgravité sur les différents systèmes, un point mérite d’être mis en exergue.
Il semble bien que les adaptations à la microgravité traduisent non pas une finalité d’optimisation du fonctionnement du corps humain en impesanteur mais davantage une tendance à ‘‘ mettre de côté ’’ certaines capacités physiologiques et fonctionnelles qui sont utiles dans un monde de gravité normale mais qui n’apparaissent pas nécessaires dans l’espace !
Appareil cardio-vasculaire et compartiments liquidiens
Le système cardio-vasculaire est un des plus influencés par la microgravité. La disparition de gradient hydrostatique observé en position debout sur terre fait que les liquides se redistribuent de la moitié inférieure du corps vers les régions thoracocéphaliques. Ce transfert liquidien, également appelé ‘‘ Fluid Shift ’’ se traduit par des signes cliniques objectifs qui surviennent dans les premières minutes ou les premières heures de la microgravité (œdème de la face et des paupières, érythème du visage, congestion nasale, turgescence des veines du cou, aspect caractéristique des membres inférieurs en ‘‘ jambes de poulet ’’) et subjectifs (maux de tête, sensation de ‘‘ plénitude ’’ céphalique que certains membres de l’équipage rapportent à la sensation que l’on a lorsque l’on est suspendu par les pieds sur terre).Ces manifestations durent habituellement de quelques heures à quelques jours et vont disparaître lorsque les systèmes de régulation des fluides vont s’accommoder à l’apesanteur.
L’augmentation du débit cardiaque due à l’augmentation du retour veineux et du volume d’éjection systolique (VES) commence très tôt durant le vol, accompagnant le déplacement immédiat des fluides vers la région centrale [2]. Le maintien de la pression sanguine artérielle (PSA) implique une diminution concomitante des résistances vasculaires périphériques. A l’inverse grâce à l’élévation modérée des résistances vasculaires cérébrales, le débit dans l’artère cérébrale moyenne ne subit pas les variations du débit cardiaque. Dans un délai variable suivant les individus, et là encore en fonction de l’activité dévolue à chaque membre de l’équipage, la fréquence cardiaque, le VES et le débit cardiaque retrouveront en quelques jours leurs valeurs de pré-vol, alors qu’une petite baisse de la PSA sera observée [3].
Le flux de sang vers le cœur est perçu comme une hypervolémie par les barorécepteurs et volorécepteurs du système cardio-vasculaire. Ces derniers vont déclencher les mécanismes de régulation des liquides corporels aboutissant à un nouvel équilibre liquidien qui va transformer cette hypervolémie relative en une hypovolémie vraie, caractérisée par une diminution du volume plasmatique. Celle-ci commence également très tôt avec pour principal mécanisme l’extravasation à partir de l’espace vasculaire liée apparemment à une augmentation de la perméabilité capillaire [4].
L’élévation de l’hématocrite va inhiber la sécrétion d’érythropoïétine [5]. Au bout de plusieurs jours, la stabilisation du volume plasmatique est accompagnée par une réduction de la masse des globules rouges avec normalisation de l’hématocrite. La diminution de la masse des globules rouge semble mettre en jeu un processus sélectif d’hémolyse des plus jeunes érythrocytes (néo-cytolyse) facilitant une plus rapide adaptation à l’état circulatoire de microgravité [6]. En état stable de microgravité, on observe une réduction de 10 à 15 % du volume plasmatique et de 10 % de la masse érythrocytaire.
La réponse à ce déplacement des fluides et l’acquisition de ce nouvel équilibre ne s’accompagne pas d’une augmentation de la diurèse, du fait d’une diminution de la prise volontaire de boissons liée à une réduction de la soif et d’une augmentation (d’un facteur 4, environ) de la sécrétion d’hormone antidiurétique, induite par le mal de l’espace, très fréquent chez les spationautes. L’eau totale de l’organisme reste inchangée et c’est la répartition entre les milieu extra et intra cellulaire qui est modifiée. Après une phase transitoire de diminution, la rénine plasmatique et l’aldostérone reviennent à la normale [4].
D’autres modifications surviennent comme une diminution des dimensions du volume cardiaque qui reflète le nouveau statut des volumes circulants ; elle peut s’accompagner d’une diminution du débit cardiaque de repos et de la masse ventriculaire gauche, de l’ordre de 8 à 10 % [7]. La performance cardio-vasculaire est diminuée mais en règle générale, la fonction contractile du ventricule gauche est maintenue, comme cela a pu être montré par échocardiographie après trois à huit mois de microgravité [8, 9].
La conséquence la plus nette s’observe finalement, au retour sur terre après un séjour en microgravité. C’est l’apparition d’un phénomène d’intolérance orthostatique, de degré variable, lié au rétablissement du gradient hydrostatique avec un volume plasmatique encore abaissé, et susceptible de créer de façon transitoire une hypoperfusion cérébrale. Pour l’éviter, un certain nombre de contre-mesures sont proposées en vol, la plus connue étant l’application d’une LBNP ou Lower Body Negative pressure, dont le principe consiste à créer une dépression autour des membres inférieurs grâce à un caisson hermétique. La dépression à l’intérieur du caisson est assimilable à une aspiration et provoque ainsi un transfert liquidien du territoire central vers les membres inférieurs [1, 3].
En synthèse, en microgravité, le système cardiovasculaire atteint un nouvel état d’équilibre au bout de quelques jours et semble rester stable par la suite. Cet état est caractérisé par une réduction du volume plasmatique et du volume cardiaque. La principale conséquence s’observera au retour en normo-gravité, ce qui souligne l’intérêt de contre-mesures.
Système neuro-sensoriel
Le deuxième appareil dont le fonctionnement est particulièrement modifié en microgravité est le système neuro-sensoriel. Comme l’appareil cardio-vasculaire, il est très précocement sensible à la microgravité ; il est probablement celui qui s’adapte le plus vite mais aussi celui dont la réadaptation à la gravité terrestre peut s’avérer le plus difficile chez certains.
La microgravité a un effet direct sur les systèmes sensori-moteurs. Sur terre, les systèmes visuel, vestibulaire et somesthésique utilisent la gravité comme référence pour l’orientation. La ‘‘ disparition ’’ de la gravité confronte le spationaute à des données sensorielles inhabituelles et conflictuelles. A l’exception du mal de l’espace, les modifications du système neuro-sensoriel si elles sont nettes en début de vol, ne semblent pas affecter le déroulement des missions car le spationaute va développer de nouvelles stratégies qui passent très vraisemblablement par une re-pondération des signaux visuels et otolithiques, et peut être somesthésiques [10]. Les ‘‘ altérations ’’ du système neuro-sensoriel seront surtout problématiques lors de la ré-entrée et de la réadaptation à la gravité terrestre.
En vol, elles se traduisent par des troubles de l’orientation, liés à la perte de la référence otolithique de la verticalité et à une dépendance visuelle accrue, qui s’accompagnent d’une sensation du mouvement du corps souvent plus intense que sur terre. Dans certains cas, des perturbations des mécanismes de contrôle du regard, à type de déplacements apparents de la scène visuelle lors de mouvement de la tête ou d’illusion de déplacement du corps ont été décrites [11].
Elles se traduisent aussi par des troubles de la posture et du mouvement. Ceux-ci sont liés directement à des anomalies des processus de régulation par modification du fonctionnement des récepteurs sensoriels (perte du référentiel vestibulaire de verticalité, ‘‘ mise au repos ’’ des récepteurs musculaires, articulaires et cutanés) et par modification des processus intégratifs des messages afférents (perte de la notion de poids du corps et de ses différents segments) ; ils sont aussi liés à l’atteinte directe des effecteurs, atrophie musculaire et atteinte ostéo-articulaire, sur lesquelles nous reviendrons.
La diminution des réflexes posturaux, la diminution du tonus des muscles extenseurs et l’augmentation de celui des muscles fléchisseurs aboutit à une attitude en ‘‘ semi flexion ’’ qui a été décrite comme une tendance à se rapprocher de la position ’’fœ- tale ’’, chez un spationaute cependant plus ‘‘ grand ’’ puisque le disque interverté- bral ne subit plus le ‘‘ poids ’’ des vertèbres. [12].
Le contrôle du mouvement fin semble peu affecté, mais le déplacement nécessite un certain degré de ‘‘ freinage ’’ car tout déplacement ébauché se poursuit jusqu’à …la rencontre d’un obstacle !
En fait la meilleure illustration (et finalement, la seule vraiment préoccupante) de l’atteinte neuro-sensorielle est la fréquence du mal de l’espace chez les astronautes, cosmonautes et autres spationautes. A partir de l’entrée en microgravité jusqu’à trois ou quatre jours de vol, les deux-tiers des membres de la navette spatiale présentent un mal de l’espace [13]. La fréquence était d’environ 35 % pour les membres des équipages du programme Apollo, 60 % pour ceux du programme Skylab. Chez les Russes, en particulier pour les missions Salyut et Soyuz, des fréquences de l’ordre de 40 à 50 % ont été rapportées [14]. Il semble que l’incidence augmente encore aujourd’hui (environ 70 %), avec l’augmentation du volume des cabines et des stations. Ce mal de l’espace apparaît entre les quinze premières minutes de la microgravité mais parfois jusqu’à trois jours après l’atteinte de l’orbite.
Il dure généralement deux à trois jours mais peut persister chez un faible nombre de personnes de sept à dix jours. Les symptômes sont variables, assez proches du mal des transports terrestre, aérien et maritime (pâleur, bouffées de chaleur, sueurs, nausées, vomissements) mais s’en distinguent par l’importance des maux de tête.
L’augmentation de l’activité et l’augmentation des mouvements de la tête aggravent les symptômes qui sont diminués par la réduction des mouvements, la fermeture des yeux ou l’adoption d’une position visant à maintenir de façon volontaire un sens de la verticalité dans l’environnement (prise de point d’ancrage sur une des parois de la cabine, par exemple). A l’inverse, les mouvements exagérés de flottaison liés à la liberté que l’on rencontre en microgravité aggravent les symptômes [1].
Sa physiopathologie associe aujourd’hui trois hypothèses complémentaires, celle du conflit sensoriel, celle des conséquence du déplacement des fluides et celle de l’asymétrie otolithique[15] :
— le conflit sensoriel résulte du fait que des informations fournies par certains appareils ne sont plus cohérentes avec celles fournies par d’autres, ou sont en désaccord avec celles attendues par le système nerveux central dans la circonstance du moment ; en microgravité, il serait plutôt intravestibulaire et visuootolithique.
— le déplacement des fluides est susceptible d’entraîner un certain degré d’hypertension intracrânienne et des troubles de la résorption du liquide endolymphatique aboutissant à un ‘‘ hydrops ’’ assez proche de celui invoqué dans la maladie de Ménière. Ce mécanisme semble plus une cause adjuvante que déterminante dans le mal de l’espace.
— une asymétrie otolithique (poids différent entre la droite et la gauche) existerait chez certains individus et serait normalement compensée au sol par le système nerveux central. En microgravité, cette compensation deviendrait inadéquate puisque la différence de poids est annulée. Il en résulterait une nouvelle asymé- trie génératrice de troubles jusqu’à ce que le système nerveux central arrive à compenser cette nouvelle situation.
Deux derniers points nous semblent devoir être abordés dans ce chapitre neurophysiologique.
Celui du rôle du système nerveux autonome dans ‘‘ l’adaptation ’’ cardio-vasculaire que nous avons vue plus haut pour lequel les observations en vol ont pu montrer une réponse adrénergique exagérée en réponse aux ‘‘ stress ’’ que représentent l’exercice [16] et l’exposition au LBNP [17], ce qui est en faveur d’un ‘‘ maintien ’’ de l’activité orthosympathique. A l’inverse, celle du parasympathique est atténuée comme le montre les diminutions en vol de la réponse à la manœuvre de Valsalva et de celle de la variabilité de la fréquence cardiaque [18].
Celui des rythmes biologiques et du sommeil en microgravité, car les conséquences sur la ‘‘ performance ’’ de l’équipage peuvent être particulièrement délétères.
L’exemple le plus marquant reste celui de la Mission Mir 23, privée de sommeil par une accumulation de ‘‘ catastrophes ’’ (fuite persistante d’éthylène glycol, début d’incendie, collision lors de l’arrimage d’un transporteur, problèmes cardiovasculaires d’un membre de l’équipage), physiquement et psychologiquement épuisée et finalement remplacée pour les réparations par un équipage neuf [3]. En vol, le rythme veille-sommeil n’est plus calqué sur l’alternance jour-nuit. Les difficultés d’endormissement (position ‘‘ debout ’’ et contention, bruit, mal de l’espace, excitation,…) amènent plus du tiers des spationautes à se traiter ! Lors des premiers jours de vol, on note cependant une nette augmentation de la durée du sommeil paradoxal, dont on pense que la finalité pourrait être la nécessité d’acquérir les nouvelles données vécues dans la journée ! Là encore, c’est finalement au retour sur terre que les difficultés sont les plus marquées [19].
Appareil musculo-squelettique
On ne peut dissocier os et muscles non seulement parce qu’ils constituent notre ‘‘ charpente ’’ et nous permettent mouvements, locomotion et application de forces, mais aussi parce que ce sont des tissus qui répondent structurellement et fonctionnellement, en termes de masse et de force aux charges qui leur sont appliquées.
L’intégrité osseuse et l’homéostasie calcique représentent un point crucial pour les vols de longue durée. On connaît depuis longtemps, les effets sur la densité minérale osseuse de l’immobilisation prolongée sur terre. Depuis les premiers vols de longue durée, la perte osseuse est bien documentée, affectant préférentiellement les os porteurs, principalement les membres inférieurs, le bassin et la colonne lombaire [20]. La mise en évidence de cette perte osseuse nécessite plusieurs semaines de vol ;
en fonction des os considérés, la perte mensuelle va de l’ordre de 0,05 % pour les bras, peu affectés, à 1,56 % au niveau trochantérien [20, 21].
La perte calcique osseuse arrive tôt en microgravité. Au cours des vols de longue durée, s’installe une balance azotée négative, avec augmentation des pertes urinaires et fécales et diminution de l’absorption intestinale du calcium. Les marqueurs de la résorption osseuse sont augmentés, alors qu’en fonction des études ceux de la formation de l’os sont diminués ou inchangés [22]. Résorption osseuse et diminution de l’absorption intestinale du calcium apparaissent bien comme les principaux déterminants de la perte osseuse.
Le corollaire de cette perte osseuse est à l’évidence le risque fracturaire, d’autant que la déminéralisation ne semble pas atteindre un ‘‘ état stable ’’ lors des vols de longue durée. Ce risque ayant été très tôt identifié, il est actuellement bien maîtrisé par des contre-mesures de plus en plus ciblées et de plus en plus efficaces, en particulier par des exercices contre résistance.
L’atrophie et la perte de force musculaire sont également des phénomènes connus de longue date dans la conquête spatiale. Les modifications se manifestent beaucoup plus tôt que pour l’os et sont dépendantes de la nutrition (la perte est importante lors de la première semaine où un certain degré d’anorexie est observé), des contremesures à type d’exercice musculaire et semble-t-il de dispositions génétiques individuelles. Malgré l’exercice et l’adaptation nutritionnelle, un certain degré de perte musculaire persiste toujours [23].
Les muscles les plus affectés sont bien sûr ceux de la posture, avec une atteinte prédominante des extenseurs ; les fléchisseurs ne sont cependant pas épargnés [24].
En fonction de la localisation, la perte de volume musculaire sera de l’ordre de 5 à 10 % [25]. La perte de masse au niveau des cuisses contribue à l’aspect caractéristique des membres inférieurs en ‘‘ jambes de poulet ’’ qui accompagne le déplacement thoraco-céphalique des fluides. La répartition de la perte musculaire entre les types de fibres musculaires a été peu étudiée pour des raisons évidentes et a fait l’objet de résultats conflictuels probablement du fait des muscles concernés et des contremesures appliquées [1, 24]. Dans un travail très récent, une diminution de 12 à 17 % du phénotype des chaînes lourdes de myosine des fibres I avec redistribution vers des phénotypes plus rapides a pu être montré après six mois chez des spationautes de la Station Spatiale Internationale pratiquant différents types d’exercice comme contremesures [23].
La force musculaire diminue donc de façon variable en fonction des muscles ; peu affectée aux membres supérieurs, elle peut être diminuée de l’ordre de 25 à 30 % au niveau des muscles du dos [1]. Contrairement à la perte d’os, la diminution de la force musculaire semble atteindre un ‘‘ plateau ’’, après une centaine de jours en microgravité [26]. A contrario de la perte de masse et de force, la vitesse de contraction est augmentée ce qui permet un certain degré de compensation [27].
Le mécanisme de cette perte musculaire semble être plus un déficit de synthèse qu’une augmentation de la dégradation ce qui souligne encore l’intérêt des ‘‘ contremesures ’’ nutritionnelles [26].
Appareil respiratoire
Le système respiratoire est affecté pendant le processus d’adaptation à la microgravité mais il n’est pas vraiment perturbé pendant le vol et il n’y a pas de plaintes sur des difficultés à respirer en vol. Cependant, le système respiratoire est un système ouvert, assez unique dans son potentiel d’interaction avec l’environnement en particulier dans une cabine fermée avec une atmosphère artificielle et la possibilité de contaminant comme par exemple des poussières liées aux industries des maté- riaux nécessaires à la fabrication des navettes et autres stations. Le risque d’aspiration de particules étrangères en milieu de microgravité est plus élevé que sur terre et des réactions de toux, toutefois peu marquées, ne sont pas inhabituelles [1].
Le système thoraco-pulmonaire subit des modifications en microgravité dans sa forme et son contenu, qui retentissent sur les paramètres ventilatoires et circulatoires et seraient donc susceptibles d’affecter les échanges.
L’ascension du diaphragme, la disparition du poids de la ceinture scapulaire et l’augmentation du volume sanguin pulmonaire diminue la capacité résiduelle fonctionnelle [28]. Le volume courant (pour lequel la contribution abdominale est augmentée) diminue mais cette diminution est partiellement compensée par l’augmentation de fréquence respiratoire. La ventilation alvéolaire n’est pas affectée car l’espace mort physiologique est abaissé du fait de la distribution plus homogène de la perfusion pulmonaire [29]. La capacité vitale et la capacité vitale forcée subissent des diminutions modérées dans les 24 heures d’arrivée en microgravité mais reviennent à la normale en trois à quatre jours [30]. Cette diminution précoce de la capacité vitale reflète l’augmentation initiale du volume sanguin pulmonaire.
La crainte alléguée de voir cette augmentation liquidienne entraîner un œdème pulmonaire a été contredite par l’observation d’une augmentation de la capacité de diffusion alvéolo-capillaire durant le vol, du fait d’un remplissage capillaire plus uniforme et d’une distribution de la ventilation plus ‘‘ homogène ’’, augmentant ainsi de façon conséquente la surface effective d’échange. Cette homogénéisation de la perfusion et de la ventilation n’est cependant pas complète et il persiste un faible degré d’inhomogénéité des rapports ventilation/perfusion, mettant en évidence l’implication de facteurs non gravitationnels, peut être en relation avec la diffusion et la convection dans les petites unités pulmonaires et avec la possible existence de ‘‘ gradients de perfusion intra-pulmonaires ’’ entre la périphérie et le centre des poumons [30].
Les gaz du sang n’ont pu être mesurés mais l’absence de modification des consommation d’oxygène et rejet de dioxyde de carbone apportent des arguments indirects de l’absence de perturbations [29].
La performance physique en vol
Au terme de cette revue des modifications ‘‘ physiologiques ’’ en microgravité, rappelons que si la santé de l’équipage est la motivation première, sa performance au cours de la mission est également primordiale. Peu d’études ont pu être conduites en vol et une appréciation indirecte a souvent été réalisée. Cependant, on peut à partir de mesures directes de la consommation d’oxygène (V ˆO2) dire que les spationautes maintiennent un niveau suffisamment haut de capacité aérobie, même si le V ˆO2 diminue légèrement pour une charge donnée. La raison en est un débit cardiaque plus faible essentiellement du fait du volume d’éjection systolique dont la diminution n’est pas compensée par une fréquence cardiaque plus élevée. Cette conservation d’un bon niveau d’aptitude, associée au maintien de la force musculaire des membres supérieurs permet d’assumer les tâches de l’équipage, en particulier les très épuisantes sorties extravéhiculaires [31].
CONCLUSION
Manifestement, l’homme peut tolérer une exposition de longue durée à la microgravité et sa réadaptation à la gravité terrestre est facilitée par des contre-mesures dont l’efficacité a été augmentée par la meilleure connaissance des modifications physiologiques en vol. Il reste cependant beaucoup à faire pour mieux comprendre les mécanismes à l’origine de ces modifications. Ceci aura à l’évidence des conséquences positives pour les futurs vols spatiaux, mais permettra aussi de mieux connaître les effets de la gravité sur notre organisme, ce qui finalement intéresse la très grande majorité des terriens !
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