Présentation ouvrage
Session of 27 septembre 2016

Michel Huguier. Trois grands esprits de la Renaissance sur les routes de l’Europe, Loyola, Sittow, Vésale. Éditions Fiacre, 2016. 1 vol. 283 p.

Raymond ARDAILLOU *

Les récits de voyage sont toujours source d’enseignement. Tantôt, ce sont les voyageurs, eux-mêmes, qui les racontent, tantôt ce sont des écrivains curieux de l’époque où ils ont eu lieu et des personnages qui les ont accomplis. Michel Huguier, qui est un grand voyageur, est de ceux-là. Son goût de l’histoire l’a déjà conduit à écrire un livre sur une année charnière de la IIIe république, 1905, et un autre sur le devenir de l’Indochine Française durant la 2ème guerre mondiale. Dans ce nouvel ouvrage, il quitte le XXe siècle pour le XVe et le XVIe , période de la Renaissance qui connut une profonde transformation de l’Europe avec la découverte du Nouveau Monde, le retour aux sources gréco-latines de notre civilisation, les débuts de l’imprimerie, une floraison de grands artistes, peintres, sculpteurs et architectes, la Réforme et la Contre-réforme tridentine, la démonstration de la rotation de la Terre autour du Soleil et, enfin, la connaissance de l’anatomie du corps humain et les débuts de la chirurgie. Michel Huguier a choisi de nous parler des voyages de trois personnages de cette époque, un peintre, Michel Sittov, un prêtre, Ignace de Loyola, un anatomiste et chirurgien, André Vésale.

Michel Sittov est un peintre oublié dont on peut encore admirer quelques œuvres de motif religieux dont l’assomption de la Vierge, l’ascension du Christ, le couronnement de la vierge et un portrait de Marie-Madeleine sous les traits de Catherine d’Aragon. Né à Reval, en Livonie qui inclut l’actuelle Estonie, en 1468 ou 69, il fit son éducation à Bruges dans l’atelier de Memling. Ses voyages ont été dictés par la recherche de commanditaires. Il a, pour cela, fréquenté les principales cours européennes dont celle d’Isabelle de Castille à Tolède, celle d’Henri VII à Londres où il peignit, Catherine d’Aragon, première épouse du futur Henri VIII, celle de Philippe Le Beau à Bruxelles. Il retourna ensuite à Reval récupérer l’héritage de son père que son beau-père lui disputait. Puis, il recommença ses pérégrinations, toujours dans les cours européennes où sa réputation lui assurait des commandes. Appelé au Danemark par Christian II, il fut ensuite convié à la cour de Marguerite d’Autriche à Malines, puis revint en Espagne récupérer des dettes non soldées. C’est là qu’il peignit la Pieta de la Chapelle royale de Grenade. Il retourna, enfin, à Reval où il passa les dernières années de sa vie, homme connu et respecté, titulaire de charges administratives dans la Cité telle la maîtrise de l’Ordre de Saint Canut. Comme on le voit, curieusement pour un peintre, il n’alla jamais en Italie et resta toujours inspiré par les maîtres flamands. Décédé en 1525 ou 26, il connut les premières années de la Réforme puisque Luther afficha dès 1517 sa célèbre « protestation » sur les portes de la cathédrale de Wittenberg, mais mourut dans la foi catholique. Michel Sittov, comme beaucoup de peintres de cette époque, voyagea donc beaucoup, appelé par les grands, fuyant les épidémies et les guerres. Ses œuvres voyagèrent aussi beaucoup alors qu’il était en vie et, bien sûr, plus tard suite aux acquisitions des amateurs et des musées. Il est toujours possible d’en admirer quelques-unes que caractérisent l’harmonie des couleurs, les contrastes entre ombres et lumière et une composition centrée sur un personnage sans ajouts secondaires.

Avec Ignace de Loyola né 25 ans après Sittow, on aborde l’histoire de la Contre-réforme et la fondation de l’ordre des jésuites. Il naquit à Azpeitia en Pays basque espagnol d’une famille de petite noblesse et eut une jeunesse tumultueuse, s’adonnant au jeu, aux aventures galantes et à l’usage des armes. Blessé au siège de Pampelune dont il assurait la défense contre une coalition Franco-Navarraise, il revint à Azpeitia, la jambe cassée, et dut rester immobilisé. Il passa alors son temps à lire des ouvrages religieux. Il réfléchit à sa vie passée et, pour expier ses péchés, décida de faire pénitence en allant en pèlerinage à Jérusalem, décision encouragée par ce qu’il appelle « une visitation » de Notre-Dame et de l’Enfant Jésus. Il traversa l’Espagne vivant d’aumônes et distribuant aux pauvres tout l’argent qui lui était donné. Il arriva à trouver un bateau à Barcelone partant pour Gaète dont le capitaine accepta de le faire voyager gratuitement. Il arriva à Rome sans jamais être découragé par les multiples difficultés rencontrées. Il reçut l’autorisation du pape de se rendre en Terre Sainte et marcha jusqu’à Venise. Grâce à l’appui d’un compatriote rencontré par hasard il obtint une audience du Doge qui l’autorisa à embarquer pour Chypre, possession de Venise. De là, il trouva un autre bateau qui l’amena à Jaffa, puis chemina jusqu’à Jérusalem où il fut logé par les franciscains qui, pour des raisons de sécurité, limitèrent ses déplacements aux lieux saints chrétiens de la ville. Après un court séjour, il repartit par le même chemin et, après avoir subi une tempête, toucha terre dans les Pouilles et remonta la côte adriatique jusqu’à Venise. De là, il suivit la vallée du Pô et, après avoir été arrêté par les Impériaux, puis par les Français qui étaient en guerre, il arriva à Gênes d’où un bateau le conduisit à Barcelone. Là, il décida de perfectionner ses connaissances en latin et théologie à l’Université Alcala de Henares, près de Madrid. En même temps, il constitua un groupe de compagnons auxquels il donnait des exercices spirituels. Il poursuivit ses études à Salamanque et, enfin, à Paris où il resta 8 ans. Il vécut toujours d’aumônes, impressionnant par sa charité et son mépris de l’argent. Il passa avec succès ses examens, puis retourna en Espagne qu’il quitta après un bref séjour pour revenir en Italie, d’abord à Bologne, puis à Venise où il retrouva ses compagnons et fut ordonné prêtre. Ne pouvant retourner en Terre Sainte du fait de la guerre avec les Ottomans, il rejoignit Rome. Là, il rédigea ses célèbres « exercices spirituels » et les statuts de l’ordre qu’il souhaitait créer avec ses compagnons, statuts qui seront approuvés par Paul III. Il mourut à Rome en 1556. Le compte-rendu de son autopsie que M. Huguier a examiné montre une fistule entre les voies biliaires et une branche de la veine porte. Même s’il n’a pas participé au Concile de Trente, Ignace de Loyola a formé les théologiens qui y ont réaffirmé les dogmes de l’Eglise catholique. Ses voyages ont servi d’exemple aux pères jésuites qui, avec François Xavier, sont partis évangéliser le Japon et la Chine dès le XVIème siècle et, un siècle plus tard, le Paraguay. Des trois voyageurs dont M. Huguier est le biographe, c’est certainement celui qui a le plus marché ayant fait tous ses voyages sur la terre ferme à pied.

Le troisième héros de Michel Huguier, né en dernier à Bruxelles en 1514, est André Vésale. De famille médicale, il étudia dans sa ville natale, puis alla poursuivre ses études à Montpellier et, enfin à Paris où il vécut à la même époque qu’Ignace de Loyola. Formé par Jean Fernel et Sylvius qui a laissé son nom à l’artère sylvienne, Vésale n’était pas satisfait par l’enseignement livresque conforme aux écrits de Galien qu’on lui infligeait, assorti de rares autopsies faites par des barbiers ignorants. Devenu maître es Arts, Vésale regagna Louvain et continua à se passionner pour l’anatomie. Rencontrant des difficultés pour obtenir des cadavres à disséquer, il partit à Padoue où il soutint sa thèse et, déjà célèbre, devint à 23 ans chargé de cours, puis rapidement titulaire de la chaire d’anatomie. Disséquant de nombreux cadavres, ce qui n’était pas interdit par l’Église au XVIème siècle, mais limité à l’enseignement, il put rectifier des affirmations de Galien, comme la communication interventriculaire. C’est à Padoue qu’il prépara et publia son ouvrage célèbre d’anatomie « De humanis corporis fabrica » dont nous possédons un exemplaire de l’édition originale à la bibliothèque de l’Académie. Cet ouvrage à la base de la terminologie anatomique encore usitée actuellement comporte plus de 300 illustrations décrivant le corps humain. La célébrité de Vésale lui assura de nombreuses propositions. Resté peu de temps à Pise, il la quitta pour devenir premier médecin de l’empereur Charles-Quint en 1543. Il le suivit dans ses déplacements nombreux dans ses états couvrant l’Espagne, les Pays-Bas, une partie de l’Italie, de la France actuelle et de l’Allemagne. Il rencontra vraisemblablement Ambroise Paré à Hesdin dans le Pas-de-Calais, ville conquise aux Français par les Impériaux. Vésale et Ambroise Paré étaient dans les deux camps opposés, et se trouvèrent ensemble au chevet du Seigneur de Martigues blessé durant le siège. Après l’abdication de Charles-Quint en 1555, Vésale rejoignit son successeur, Philippe II qui s’installa à Madrid. La célébrité de Vésale lui attirait une riche clientèle. En 1557, il fut appelé en consultation auprès d’Henri II, blessé à la tête au cours d’une joute, mais ne put que constater la sévérité des lésions. Michel Huguier rétablit ensuite la vérité sur le pèlerinage de Vésale à Jérusalem qu’il décida lui-même après avoir obtenu l’accord du roi et, non, sur l’injonction de l’Inquisition. Il partit de Venise, passa par Chypre et arriva à Jérusalem où il resta 5 mois. Reparti avec l’intention d’occuper de nouveau la chaire d’anatomie de Padoue après la mort de Fallope, il tomba malade sur le bateau et fut débarqué à Zante au sud de Corfou où il mourut.

Ce livre est la preuve de la culture étendue de Michel Huguier. Pour nous éclairer, il a rédigé des annexes qui relatent en détail des événements concomitants aux voyages de ses trois héros. Le lecteur peut ainsi mieux comprendre leurs décisions, leurs réussites et leurs échecs. Je ne peux que vous engager à le lire.

Bull. Acad. Natle Méd., 2016, 200, no 7, 1499-1504 1499