Communication scientifique
Séance du 24 février 2009

Médicaments facteurs de risque de sévérité de l’anaphylaxie alimentaire de l’adulte. Étude cas-contrôle

MOTS-CLÉS : acide acétylsalicylique. anaphylaxie. antagonistes betaadrenergiques. anti-inflammatoires non stéroïdiens. facteurs de risque. inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine. troubles lies à une substance
Drugs as risk factors of food anophylaxis in adults : a case-control study
KEY-WORDS : adrenergic bêtaantagonists. anaphylaxis. angiotensin-converting enzyme inhibitors. anti-inflammatory agents, non steroidal. aspirin. risk factors. substance-related disorders

Denise-AnneMoneret-Vautrin, Clothilde Latarche

Résumé

Une étude cas-contrôle a été menée de 1995 à 2008 pour évaluer l’implication de médicaments dans un risque accru de choc anaphylactique alimentaire (CA). Les données cliniques et biologiques incluant la notation systématique des médicaments associés à la prise de l’allergène alimentaire ont été colligées et informatisées. Soixante-seize cas de CA ont été comparés par analyse multivariée à deux cent trente-cinq cas d’allergies alimentaires d’intensité modérée ou moyenne (AAmm). Le ratio M/F est de 54,6 % (vs 36 % dans les AAmm). La fréquence du CA parmi les tableaux cliniques est de 17,3 % chez l’adulte jeune, et de 54,6 % au-delà de 45 ans. La consommation médicamenteuse caractérise 40,8 % des cas (vs 14,9 % des AAmm) : OR : 3,94 [IC 95 % : 2,11-7,34], p<0,0005. Elle est notée chez 23,2 % des adultes de moins de 45 ans, 45,4 % des adultes plus âgés (p<0,04). L’aspirine, les AINS, les beta-bloqueurs et les inhibiteurs d’enzyme de conversion sont notés respectivement dans 15,8 %, 6,6 %, 10,5 % et 5,3 % des cas (vs 1,7 %, 0,9 %, 1,7 % et 0,4 % des AAmm : p<.003). Les odds ratio sont respectivement : 10,8 [IC 95 % : 3,10-41,3], 8.2 [IC 95 % : 1,37-62,51], 6,8 [IC 95 % : 1,78-27,78], et 13 [IC 95 % : 1,34-310,38]. Aucun autre médicament n’est associé aux CA. L’alcool ou l’exercice ne sont pas isolément des facteurs de risque de sévérité. L’association d’alcool ou d’exercice au médicament est observée dans * Médecine interne, immunologie clinique et allergologie, Hôpital Central, Avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny — 54035 Nancy. ** Épidémiologie et évaluation cliniques — même adresse Tirés à part : Professeur Denise-Anne Moneret-Vautrin, adresse ci-dessus Article reçu le 30 janvier 2009, accepté le 19 février 2009 27,6 % et 10,5 % des CA (vs 8,1 % et 0,4 % des AAmm: p. <.0005). L’exercice potentialise drastiquement le risque médicamenteux. L’aspirine, les AINS, les beta-bloqueurs et les IEC sont des facteurs de risque confirmés d’anaphylaxie sévère. Les mécanismes d’action sont discutés. Une prévention peut être instituée chez les adultes allergiques ou sensibilisés à des allergènes alimentaires, comportant l’exclusion de prise d’aspirine ou d’AINS avant les repas, le choix d’autres classes pharmacologiques pour le traitement de l’hypertension. En cas de cardiopathie le rapport bénéfice-risque des beta-bloqueurs et des IEC doit être pesé cas par cas.

Summary

Between 1995 and 2008, a case-control study was conducted to determine the role of drugs as risk factors for severe food anaphylaxis in adults. Data including exercise, alcohol intake, and use of aspirin, non steroidal anti-inflammatory drugs, beta-blockers, and angiotensinconverting-enzyme inhibitors (ACEI) were prospectively recorded. Multivariate analysis was used to compare 76 cases of severe anaphylaxis (SA) with 235 cases of mild to moderate food allergy (mmFA). The M/F sex ratio was 54.6 % in SA and 36 % in mmFA (p<.003). SA represented 17.3 % of all food allergies below 45 years and 54.6 % over this age. Drug intake did not differ between the two age categories. Drug use was noted in 40.8 % of SA and 14.9 % of mmFA (p<.0005). Aspirin, NSAIDs, betablockers and ACEI were associated with respectively 15.8 %, 6.6 %, 10.5 % and 5.3 % of SA, and with 1.7 %, 0.9 %, 1.7 % and 0.4 % of mmFA (p<.003). The respective odds ratios were 10.8, 8.2, 6.8 and 13.0. No other drugs were associated with FA. Exercise and alcohol intake were associated to drugs with respectively 10.5 % and 27.6 % of SA and 0.4 % and 8.1 % of mmFA (p<.0005). Exercise drastically increased the risk of drugs. We conclude that aspirin, NSAIDs, betablockers and ACEI are significant risk factors for severe IgE-dependent food allergy. The underlying mechanisms are discussed. Adults with food allergy or sensitization should avoid taking aspirin and NSAIDs before meals and should receive drug families other than ACEI and betablockers for hypertension. In case of pre-existing heart disease, the benefit-risk ratio of ACEI and beta-blockers has to be carefully considered.

INTRODUCTION

L’anaphylaxie sévère connaît depuis quinze ans une inquiétante progression de prévalence : la fréquence, multipliée par cinq en France entre 1980 et 1995, a augmenté d’autant et plus de 1995 à 2005 selon des études en Australie et RoyaumeUni [1-4]. Elle est en majorité d’origine alimentaire. La caractérisation de facteurs de risque qui contribueraient à expliquer cette augmentation en même temps qu’elle pourrait proposer une prévention efficace est devenue nécessaire. Des facteurs de risque clinique de gravité, concernant l’hôte, ont été documentés : maladie asthmatique instable, mastocytose, cardiopathie, grand âge [5-9]. Aucune des grandes séries publiées sur l’anaphylaxie ne documente d’éventuels facteurs de risque liés aux influences exogènes que pourraient exercer des médicaments en traitement chroni- que ou pris simultanément avec l’allergène alimentaire. L’attention à certains médicaments, signalée dans certaines revues, se fonde sur des observations isolées dénonçant l’interférence probable de l’aspirine, et des betabloqueurs [10-13] L’incrimination formelle de l’aspirine, par des tests de provocation orale aux allergènes sans ou avec le médicament a toutefois été abordée dans la population japonaise [14, 15]. L’étude multicentrique menée en 1995 auprès de services français d’urgence et de spécialités médicales avait attiré l’attention sur la relative fréquence de traitements médicamenteux par aspirine, ou par betabloqueurs chez les sujets ayant présenté un choc anaphylactique [1]. Le but de cette étude mise en place en 1995, fondée sur le recueil prospectif des médications associées à l’ingestion des allergènes alimentaires, est d’établir si des facteurs associés médicamenteux sont des facteurs de risque de survenue de toute allergie alimentaire, ou bien caractérisent spécifiquement l’anaphylaxie sévère, par la comparaison des fréquences relatives de ces facteurs dans un groupe de 118 chocs anaphylactiques alimentaires (CA) et de 922 cas d’allergie alimentaire modérées à moyennes (AAmm), dont respectivement 76 et 235 cas chez l’adulte.

MÉTHODOLOGIE

L’étude est fondée sur une population source constituée de patients reçus de 1995 à juillet 2008 dans un centre hospitalo-universitaire spécialisé en allergologie alimentaire. Le diagnostic d’allergie alimentaire est assuré selon une méthodologie consensuelle, par prick-tests, dosage d’IgE spécifiques, et tests de provocation orale standardisés en double aveugle [16]. L’association de traitements au moment de la réaction, par betabloqueurs ou inhibiteurs d’enzyme de conversion (IEC), ou la prise simultanée d’aspirine, d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), ou d’autres médicaments est colligée, ainsi que d’autres facteurs associés : alcool, exercice, accident par allergène masqué.

Le diagnostic du choc anaphylactique est reconnu sur la base d’un collapsus cardio-vasculaire associé à des symptômes allergiques de deux ou plus de deux organes (cutanés, digestifs, respiratoires) au moment de l’urgence, correspondant aux critères actuels [17]. L’analyse porte sur 1 040 cas segmentés en cent dix-huit chocs anaphylactiques(CA) et 922 allergies alimentaires de tableaux cliniques diffé- rents dont la gravité est estimée modérée ou moyenne (AA mm). Les symptômes en sont les symptômes cutanés isolés : urticaire ou angiœdème de localisations diverses (œdème de Quincke), les troubles digestifs (diarrhée chronique, douleurs abdominales, constipation) la dermatite atopique, l’asthme, les symptômes ORL (rhinite) et conjonctivaux, le syndrome oral aux fruits et légumes par allergie croisée avec les pollens, la stagnation pondérale.

Les données cliniques et biologiques ont été recueillies sous logiciel Cognos. Elles sont analysées séparément en population adulte (76 CA et 236 AAmm) et en population pédiatrique (42 CA et 923 AAmm). Les variables qualitatives ont été

Tableau 1. — Facteurs de risque d’anaphylaxie sévère (médicaments, exercice, alcool) Facteurs cas témoins

OR

IC 95 % p (n = 76) (n=235) n % n % sexe masculin 42 54,6 85 36,0 2,18 1,25-3,81 0,003 < 45 ans, sans prise 21 27,6 166 70,6 0,26 0,10-0,67 0,003 médicamenteuse aucun facteur associé 30 39,5 184 78,3 0,18 0,10-0,33 <0,0005 Tous médicaments 31 40,8 35 14,9 3,94 2,11-7,34 <0,0005 Aspirine 12 15,8 4 1,7 10,83 3,10-41,36 <0,0005 AINS 5 6,6 2 0,9 8,20 1,37-62,51 0,003 béta-bloqueur 8 10,5 4 1,7 6,79 1,78-27,78 <0,0005 IEC / SARTAN 4 5,3 1 0,4 13,00 1,34-310,38 0,003 autre médicament 2 2,6 6 2,6 1,01 0,14-5,74 ns 0,693 alcool seul 7 9,2 13 5,5 1,73 0,60-4,89 ns 0,255 effort seul 7 9,2 17 7,2 1,30 0,47-3,51 ns 0,57 allergène masqué 2 2,6 3 1,3 2,09 0,24-15,72 ns 0,35 médicament isolé 9 11,8 6 2,6 5,13 1,60-16,92 0,001 médicament + alcool 21 27,6 19 8,1 4,34 2,07-9,13 <0,0005 médicament + effort 8 10,5 1 0,4 27,53 3,41-597,09 <0,0005 Plus d’un facteur 21 27,6 10 4,2 8,59 3,60-20,90 <0,001 exprimées par leur effectif et leur fréquence. Chez l’adulte uniquement, le risque associé à la survenue d’un choc anaphylactique a été exprimé pour chacun des facteurs médicamenteux, pour l’alcool, l’effort et les allergènes masqués, par son odds ratio, issu d’une régression logistique. Les odds ratio ont été exprimés avec leur intervalle de confiance à 95 %. Les interactions ont été testées entre l’alcool, l’effort, les allergènes masqués et chacune des classes médicamenteuses. L’analyse statistique a été réalisée à l’aide du logiciel SAS version 9,1 Le seuil de signification a été retenu à 5 %.

RÉSULTATS (tableau 1)

Chez l’enfant (sujets I15 ans), la fréquence relative des CA, dans l’ensemble des AA exprimées, est de 42/729 : 5,7 %. La proportion masculine est identique dans les CA et les AA mm : (66,6 % et 64,2 % respectivement). Aucun facteur médicamenteux n’est associé au CA sauf chez un adolescent ayant pris de l’aspirine et s’étant livré à un exercice physique, et chez un nourrisson, ayant reçu une antibiothérapie dans la première semaine de vie. L’ensemble des facteurs est très faiblement représenté chez les 923 enfants avec AAmm : moins de 0, 29 % par facteur.

Chez l’adulte, sur 311 patients allergiques alimentaires, 76 cas de CA sont observés :

56,5 % surviennent chez l’adulte jeune de moins de 45 ans, 25 % chez l’adulte de 45 à 60 ans, 18,5 % chez l’adulte de plus de 60 ans. Le ratio M/F est de 54,6 % dans le CA, vs 36 % dans les AAmm (p = 0,003). La fréquence relative du CA dans l’ensemble des tableaux cliniques est de 17,3 % chez le jeune adulte de 15 à 45 ans, et passe à 54 ,6 % chez l’adulte plus âgé.

Cinq allergènes représentent 51,7 % des cas de CA : blé, sésame, crustacés, céleri, rognons de bœuf ou porc. Les cinq allergènes suivants représentent 18 % : avocat, sarrasin, seigle, noisette, banane. 30,3 % des CA correspondent à 30 autres allergènes.

Un ou plusieurs facteurs médicamenteux sont associés au CA de l’adulte dans 40,8 % des cas vs 14,9 % dans les AAmm (p<0,0005). Les prises médicamenteuses caracté- risent 23,2 % des adultes de moins de 45 ans, 45,4 % des adultes plus âgés (p<0,04).

L’aspirine, les AINS, un traitement intercurrent par betabloqueur, par IEC, par un autre médicament figurent respectivement dans 15,8 %, 6,6 %, 10,5 % et 5,2 % des cas de CA vs 1,7 %, 0,8 %, 1,7 % et 0,4 % dans les AAmm (pI0,003 pour chaque classe de médicaments). L’OR est de 13 pour les IEC, 10,8 pour l’aspirine, 8,2 pour les AINS, 6,7 pour les beta bloqueurs. L’association d’un médicament à l’effort est notée dans 10,5 % des CA vs 0,4 % des AAmm (p<0,0005) et celle d’un médicament à l’alcool, dans 27,6 % vs 8,1 % dans les AAmm(p<0,0005).

Une interaction significative est retrouvée entre l’exercice et la prise de médicament :

l’odds ratio d’une prise médicamenteuse est de 5,1. Il passe à 27,5 quand l’effort est associé (tableau 1). La prise simultanée d’alcool ne potentialise pas le risque propre du médicament.

DISCUSSION

Les AA de l’enfant sont 3,6 fois plus fréquentes que chez l’adulte [18]. Cependant le CA est beaucoup plus rare chez l’enfant que chez l’adulte : 5,7 % des AA vs 24,4 %.

Il ne reconnait aucun facteur médicamenteux associé (sauf chez un adolescent).

La physiopathologie du choc anaphylactique repose d’une part sur une hyperperméabilité capillaire associée à une vaso-dilatation, entraînant une hypovolémie profonde par exhémie plasmatique. Elle repose d’autre part sur une modification secondaire — diminution — du débit cardiaque. L’hypoxie tissulaire consécutive peut être accentuée. L’homéostasie est réalisée par une activation réflexe sympathique qui provoque au niveau de l’appareil juxta-glomérulaire la sécrétion de rénine entraînant la génération d’angiotensine 1, et une sécrétion de catécholamines par la médullo-surrénale [19].

Le mécanisme du choc anaphylactique reconnait en préalable une sensibilisation IgE-dépendante. Le CA alimentaire, chez l’enfant, survient constamment sur un terrain atopique. Il n’en est pas toujours ainsi chez l’adulte, invitant à apprécier l’implication éventuelle de facteurs de risque endogènes et exogènes. Les facteurs endogènes liés à des pathologies pré-existantes sont bien identifiés : une maladie asthmatique, surtout sérieuse, une mastocytose (systémique plus que cutanée, et surtout lorsque le taux basal de tryptase sérique est élevé), une cardiopathie pré- existante, sont des facteurs prédisposant à une anaphylaxie sévère, voire létale [5-9].

D’autres facteurs endogènes, génétiques, sont des polymorphismes modulant diverses activités enzymatiques permettant la synthèse des médiateurs chimiques de l’anaphylaxie comme leur dégradation [20-22]. Une synthèse accrue de leucotriènes, par surexpression de LTC4 synthase, ou bien une altération de dégradation de médiateurs vaso-actifs, comme la bradykinine et le PAF-acether, liée à un déficit en aminopeptidase P ou/et en enzyme de conversion,ou en PAF acether-hydrolase, pourraient accentuer la gravité d’une réaction allergique. Le déficit en PAF-acether hydrolase est formellement identifié dans l’anaphylaxie mortelle [22]. Un dysfonctionnement du système rénine-angiotensine, dans le sens d’une déficience en rénine et angiotensine, a été objectivé dans l’anaphylaxie aux hyménoptères, ainsi qu’une absence de réponse homéostasique après le déclenchement de la réaction clinique par test de provocation réaliste au venin [23, 24] Chez l’adulte, l’âge apparaît nettement comme facteur de risque de choc anaphylactique, d’autant plus si l’adulte est âgé de plus de 45 ans (17,3 % de fréquence relative de CA en dessous de 45 ans, 54,6 % au-dessus).

Il est vrai que l’âge est un facteur de confusion dans la relation entre prise médicamenteuse et choc car la fréquence de prise médicamenteuse est liée à l’âge. Cependant l’âge peut comporter un risque qui lui est propre, en raison de nombreux facteurs du vieillissement qui seraient facilitateurs. Ce sont une diminution de la fonction cardiaque, marquée par une diminution de vitesse de remplissage ventriculaire (moins 35 %), une plus grande sensibilité à l’ischémie, une rigidité artérielle altérant les possibilités de vasocontriction, une diminution quantitative de la régulation circulatoire orthostatique mettant en jeu le tonus veineux, les barorécepteurs, le débit cardiaque et la vasoconstriction artérielle, ce qui entraîne une majoration des risques d’hypotension orthostatique [25]. Il a été montré que des cas de mort anaphylactique surviennent lors du passage à l’orthostatisme [26]. Au niveau des métabolismes, des anomalies de production et de destruction des espèces réactives de l’oxygène pourraient caractériser le vieillissement [25]. Or l’activation des cellules-cible, mastocytes et basophiles, s’accompagne de génération d’ERO. Ils peuvent favoriser l’histamino-libération des cellules humaines [27].

On connaît la prépondérance du sexe féminin dans les AA de gravité minime ou moyenne (64 % des cas). Le sexe masculin est noté dans 54,6 % des CA de l’adulte vs 36,1 % dans les AAmm. Il est incertain que le sexe masculin soit un facteur de risque.

Un biais peut-être que les hommes consultent moins fréquemment que les femmes lorsque la réaction clinique d’AA est minime ou modérée.

Les facteurs exogènes que sont les médicaments, à risque d’interférence avec la physiopathologie du choc anaphylactique, sont peu étudiés. L’étude de 1995 indi- quait qu’une prise simultanée d’aspirine, ou un traitement concomitant par beta bloqueur, étaient notés dans 4,9 % des cas reçus dans les services d’urgence et de spécialités médicales [1]. Ce chiffre était minoré par une absence de relevé systématique. Cette étude fondée sur un recueil à but prospectif souligne qu’ils caractérisent 40,8 % % des chocs anaphylactiques de l’adulte, ce qui est significativement plus élevé que la fréquence observée : 14,9 %, dans les AAmm (OR : 3,94, p<0,0005).

Le fait que l’aspirine soit un facteur de risque d’anaphylaxie sévère a été bien documenté au Japon. Son rôle a été formellement établi par la comparaison de tests de provocation à l’aliment, négatifs sans aspirine et positifs avec la co-administration [14, 15]. Même les faibles doses utilisées en prévention d’accidents cardiovasculaires paraissent à risque [28]. La fréquence de la prise d’aspirine est confirmée dans cette étude sur une population française puisqu’elle concerne 15,8 % des CA (vs 1,7 % des AAmm). Le mécanisme d’action est prioritairement l’augmentation de perméabilité intestinale [29]. Celle-ci favorise un passage accru de l’allergène dans le sang comme il a été montré pour un allergène majeur de la farine de blé, l’omega 5 gliadine [30]. L’aspirine en bloquant la cyclo-oxygénase pourrait aussi favoriser une synthèse accrue de leucotriènes, chez certains sujets [20].

En ce qui concerne les AINS la littérature ne fait état que d’un cas [31]. Leur consommation pourrait être particulièrement fréquente en France. Cette étude apporte la confirmation de ce facteur de risque puisqu’ils sont notés dans 6,6 % des CA (vs 0,9 % dans les AAmm). Les mécanismes d’action sont similaires à ceux de l’aspirine, tant par leur inhibition de la cyclo-oxygénase que par l’hyperperméabilité intestinale [32].

Il est établi que les beta- bloqueurs sont des facteurs de risque de sévérité de l’anaphylaxie per-anesthésique et médicamenteuse [10, 33-36]. Les mécanismes invoqués sont la facilitation de l’histamino-libération, et le caractère réfractaire du collapsus à l’adrénaline qui serait lié à la « down regulation » des récepteurs alpha, secondaire à ce traitement [10, 34, 36]. ]. Le fait que les alpha-bloquants ne sont pas décrits comme facteurs de risque d’anaphylaxie paraît militer contre cette hypothèse. Par contre la beta-stimulation au niveau de l’endothélium prévient l’hyperperméabilité dans l’anaphylaxie expérimentale [37]. On peut donc concevoir que les bêtabloqueurs s’opposent à cet effet bénéfique. Cette étude objective 10,5 % de CA qui étaient traités par betabloqueurs alors que ce traitement figurait seulement dans 1,7 % des AAmm (OR : 6,79). Sur huit patients traités par beta-bloqueur, quatre recevaient une association avec l’aspirine (un cas), des AINS (deux cas), un IEC (un cas).Un patient traité pour cardiomyopathie hypertrophique associait betabloqueur, aspirine et sartan. Sept sujets sur huit avaient plus de quarante-cinq ans, dont quatre, plus de soixante ans.

Les IEC pourraient-ils être un facteur de risque de CA ? L’enzyme de conversion de l’angiotensine I est impliqué dans le catabolisme de la bradykinine, également tributaire de l’aminopeptidase P. Le blocage pharmacologique par les IEC entraine des angiœdèmes parfois létaux, chez des sujets qui présentent de façon latente une déficience en aminopeptidase P [38]. Des allergies sévères aux fruits à coque lorsqu’elles s’expriment par un angiœdème pharyngo-laryngé sont liées à un taux bas de l’enzyme de conversion, sans modification du taux d’aminopeptidase P. [39].

Une observation a montré le rôle d’un traitement par IEC, déclenchant un CA [40].

Cette étude établit l’implication des IEC dans le collapsus anaphylactique, l’odds ratio étant particulièrement élevé : 13. La facilitation d’un collapsus dépendrait d’un double mécanisme : d’une part, le blocage de l’enzyme de conversion induisant un taux abaissé d’angiotensine 2, est susceptible d’altérer la réponse homéostasique.

D’autre part, la bradykinine insuffisamment dégradée pourrait additionner son action puissamment vaso-dilatatrice aux effets de l’histamine et des leucotriènes.

La prise d’alcool a été relevée dans diverses observations faisant l’hypothèse d’un risque lié à l’augmentation possible de la perméabilité intestinale et au fait que son métabolite, l’acétaldéhyde, est vaso-dilatateur [41-43]. Ceci pourrait accentuer la vaso-dilatation d’origine histaminique et aggraver l’hypotension. Il favorise très probablement l’extériorisation clinique d’une sensibilisation, mais ni isolément, ni en association avec un médicament, il ne constitue un risque de sévérité.

Par contre, l’exercice associé à la prise de médicament potentialise de façon drastique le risque propre du médicament, l’odds ratio pour le médicament seul étant de 5,1 alors que l’association de l’exercice obtient un odds ratio de 27,5. Ceci a été antérieurement noté [14, 15, 44] et pourrait être lié à l’induction d’une hyperperméabilité intestinale pour l’allergène, chez des sujets sensibilisés, fait démontré chez l’animal comme chez l’homme [29, 45]. La franche stimulation du système nerveux parasympathique, initiée par l’effort, pourrait aussi favoriser l’histamino-libération car les mastocytes humains ont des récepteurs cholinergiques [46].

On note l’absence de prise d’alpha-bloquants et d’inhibiteurs calciques dans les prises médicamenteuses des sujets présentant un CA, ainsi que l’absence de prise d’inhibiteurs de pompe à proton, incriminés dans la facilitation de sensibilisations alimentaires [47]. De même on note l’absence de médicaments inhibant la di-amineoxydase, enzyme majeur pour la dégradation de l’histamine : antibiotiques (acide clavulanique, céfuroxime et cefotiam, imipénem, isoniazide, métronidazole, pentamidine), mucolytiques (ambroxol, acétylcystéine), et d’autres médicaments : dihydralazine, propafénone, vérapamil, dobutamine, aminophyline salazosulfapyridine [48].

CONCLUSION

L’identification d’interférences pharmacologiques dans les mécanismes du choc anaphylactique doit retenir toute l’attention dans la mesure où leur identification permet une prévention. Cette étude légitime une prévention secondaire s’adressant aux patients présentant une allergie ou des sensibilisations alimentaires encore sans expression clinique : chez les allergiques alimentaires, l’éviction de l’allergène, pierre angulaire de la prévention, ne met pas à l’abri du risque d’accident par allergène inapparent. Chez les sujets simplement sensibilisés, les évictions alimentaires sont sans objet et pourraient même être nocives. Les conseils soutenus par cette étude sont l’abstention de prise d’aspirine ou d’AINS au début des repas, tout en reconnaissant que des traitements de plusieurs jours sont aussi incriminables, alors que la prise médicamenteuse est faite à distance de l’ingestion de l’allergène… Une contreindication de traitement par betabloqueurs ou par IEC doit être nuancée : elle ne peut être systématique dans la mesure où le bénéfice thérapeutique dans les cardiopathies paraît supérieur au risque d’aggravation d’une anaphylaxie, elle-même aggravée par une cardiopathie[49]. Par contre, le traitement de l’HTA a plus de possibilités de faire appel à d’autres classes thérapeutiques. L’âge avancé doit faire envisager la conjonction de divers facteurs dont le vieillissement cardio-vasculaire parait le plus important. La vigilance vis-à-vis de tout médicament pris conjointement avec l’allergène alimentaire devra être étendue à toutes les classes pharmacologiques. En raison du rôle majeur d’un dysfonctionnement endothélial dans la pathogénie du choc anaphylactique, et de la richesse prévisible des polymorphismes enzymatiques impliqués dans la synthèse et la dégradation des médiateurs de l’anaphylaxie, aucune nouvelle interférence ne devrait être éliminée a priori [50].

REMERCIEMENTS

Nous remercions pour sa collaboration au recueil des données informatisées Monsieur Philippe Lemerdy, administrateur de la banque de données du CICBAA.

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DISCUSSION

M. Alain LARCAN

Le mécanisme de médiation par IgE couvre-t-il toute la question de l’anaphylaxie grave et des réactions pseudo-anaphylactiques liées à l’histamine, à la tyramine, etc. ? Ce que vous prouvez pour l’anaphylaxie alimentaire s’applique-t-il aux anaphylaxies aux betalactamines, aux anesthésiques, aux venins d’hyménoptères ? Enfin, peut-on parler de pré- disposition génétique aux réactions anaphylactiques mortelles comme on commence à l’entrevoir pour les chocs endotoxiniques ? A ce sujet, la communication de Vagas et coll. sur la PAF acétyl-hydrolase est prometteuse et permettra probablement d’autres recherches.

On distingue actuellement les phénomènes complexes d’activation cellulaire impliqués dans l’anaphylaxie IgE-dépendante, des processus plus simples mis en jeu dans les intolérances à l’histamine ou à la tyramine. Cependant on peut rappeler que des accidents histaminiques surviennent chez des sujets traités par des médicaments inhibant la diamine oxydase, et qu’autrefois des accidents mortels avaient été décrits avec les aliments riches en tyramine chez des patients traités par inhibiteurs de mono-amineoxydase. Un phénomène central, commun aux intolérances, aux amines biogènes et à l’anaphylaxie IgE-dépendante — je pense aux IEC — est donc bien l’inhibition enzymatique. Mais dans le cas de l’anaphylaxie, d’autres types d’interférences pharmacologiques s’additionnent : soit blocage de récepteurs, soit déviation de voies métaboliques de certains médiateurs. Le mécanisme de l’anaphylaxie est le même quel que soit l’allergène.

Vous avez certainement raison d’envisager l’application de nos données aux anaphylaxies médicamenteuses ou aux hyménoptères. En ce qui concerne une prédisposition génétique, comme vous le soulignez, le déficit fonctionnel en PAF acether hydrolase paraît suffire à rendre compte d’une anaphylaxie mortelle. Celle-ci représente environ 1,5 % des anaphylaxies sérieuses. Il restera à établir, dans les anaphylaxies non mortelles si des polymorphismes enzymatiques peuvent accentuer le risque de certaines interférences pharmacologiques.

 

M. Jean-Pierre NICOLAS

Faut-il envisager, hors de la découverte d’un nouveau type de médicaments, sa nouvelle aptitude à constituer un facteur de risque ? Comment le démontrer ?

Si l’on admet que le couple — cellules-cibles libérant les médiateurs chimiques et endothélium — est le pivot autour duquel s’articulent les phénomènes d’activation à la base de l’anaphylaxie, on doit penser que tout médicament nouveau ayant des interfé- rences avec ces phénomènes, et ayant en amont un impact démontré sur ce couple, représentera un risque particulier. Une attention à ces impacts sera nécessaire lors de l’évaluation du dossier soumis pour l’AMM, mais il ne faut pas se dissimuler le fait que la véritable suspicion commencera avec les premiers faits cliniques documentant l’implication de ce médicament dans une anaphylaxie sévère… C’est une mission d’allergovigilance clinique qui permettrait dans un second temps, une évaluation pharmacologique.

M. François-Bernard MICHEL

Quel est l’arsenal préventif et curatif « portable », par la personne qui se sait exposée ?

Le consensus général est la prescription d’une adrénaline auto-injectable à la dose habituelle de 0,15 mg pour un enfant de 15 à 25 kilos, 0,30 mg au-dessus. Les réflexions récentes portent sur la dose administrable chez le nourrisson d’une part et d’autre part sur une dose nécessaire de 0,50 mg pour l’adulte. La prévention chez un adulte sous beta-bloquant pourrait faire appel au glucagon pour la trousse d’urgence. Malheureusement elle ne se prête pas à une injection facile par le patient. Sa trousse d’urgence contiendra néammoins deux seringues d’adrénaline auto-injectable soit deux fois 0,30 mg, et un corticoïde comme la prednisolone oro-dispersible. Il est conseillé de remettre un document avertissant du risque d’état réfractaire à l’adrénaline et conseillant les alternatives : vasopressine et bleu de méthylène seront toutefois de la décision du médecin des Urgences ou du réanimateur.

M. Daniel COUTURIER

L’aspirine et les AINS d’un côté, les β bloquants et les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’autre, augmentent de façon très importante le risque de CA d’origine alimentaire. Ces moyens pharmacologiques sont fréquemment prescrits de façon associée, notamment chez les sujets âgés : en cas d’intoxication doit-on redouter un sur risque cumulé ?

Les données que nous avons sont insuffisantes pour répondre affirmativement mais l’hypothèse méritera d’y prêter attention.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 2, 351-363, séance du 24 février 2009