Publié le 29 avril 2025

Les séances de l’Académie*

*Résumés rédigés par Catherine Adamsbaum, Bernard Bauduceau, Nathalie Cartier Lacave, Jacques Delarue, Jacques Hubert, Jean-Pierre Richer

 Séance dédiée : « Les xénogreffes »

Organisation : Yvon LEBRANCHU

 

Introduction

Xénogreffe : le serpent de mer ressort la tête par Didier HOUSSIN (Membre de l’Académie nationale de médecine)

Dans la culture populaire, on qualifie de « serpent de mer » un sujet qui revient fréquemment alors que son développement ou son aboutissement ne semblent pas arriver ou bien être repoussés continuellement.

La xénogreffe d’organes — greffe entre donneur et receveur d’espèces différentes— a connu une histoire très évocatrice du mythe du serpent de mer.

Depuis la tentative de greffe d’un rein de porc au pli du coude chez une jeune femme en insuffisance rénale terminale en 1906, la xénogreffe d’organes a ainsi émergé de façon intermittente avant de replonger, par exemple à la fin des années 1990, lors de l’identification du risque lié aux rétrovirus endogènes porcins.

Au-delà de la fascination inévitable pour la transgression que constitue la xénogreffe, c’est l’insuffisante disponibilité des greffons humains -allogreffe-, meilleur traitement actuel de l’insuffisance rénale chronique, qui rend nécessaire d’autre alternatives.

Les progrès dans les techniques d’ingénierie génétique font actuellement re-émerger le serpent de mer, poussé par le besoin médical, mais aussi par la force économique du marché qui voit déjà des entreprises se préparer à produire et vendre des greffons xénogéniques.

La route est sans doute encore longue, sur le plan scientifique mais aussi éthique et économique, avant que la xénogreffe d’organes devienne un vrai succès médical et une thérapeutique de routine mais, dans ce nouveau contexte, l’Académie nationale de médecine a tenu à mettre ce thème à son ordre du jour.

 

Pénurie d’organes : estimation des besoins dans 5 ans par Régis BRONCHARD (Agence de la Biomédecine)

Chaque jour, 23 nouveaux patients s’inscrivent sur une liste d’attente pour une greffe, mais seules 17 greffes sont réalisées et 2 patients décèdent faute de greffon. Ce déséquilibre persiste malgré une légère amélioration de l’activité (+5,5 %). Le besoin reste largement supérieur à l’offre, en particulier pour la greffe rénale, qui représente le plus grand écart.

Les greffes cardiaques, pulmonaires, hépatiques et rénales sont toutes concernées par cette tension. Depuis 2019, le nombre d’inscrits sur la liste d’attente a diminué pour certaines indications du fait d’un traitement plus efficace de la maladie causale (carcinomes hépato-cellulaires et hépatite C pour le foie, mucoviscidose pour le poumon), alors que pour le rein ce nombre a augmenté de 34%. Le délai médian entre l’inscription et la greffe augmente également, atteignant 33 mois pour le rein.

Pour agir sur la pénurie, plusieurs leviers sont identifiés :

– Prévention et traitement des pathologies sources d’insuffisance d’organes,

– Optimisation du recensement des donneurs potentiels, et augmentation des donneurs vivants pour le rein.

– Réduction du taux d’opposition, qui augmente ces dernières années

– Amélioration de la prise en charge en réanimation,

– Reconditionnement des greffons via des machines de perfusion,

– Réduction des délais et meilleure compatibilité.

Les projections sur 20 ans montrent que les besoins vont croître, en particulier à cause du vieillissement de la population et de l’augmentation des pathologies chroniques. En parallèle, le nombre de donneurs potentiels risque de diminuer (ex. baisse des décès par AVC).

En conclusion, malgré des marges d’amélioration, le déficit entre l’offre et la demande de greffes ne pourra être comblé avant plusieurs décennies.
Devant ce constat, la xénogreffe offre un espoir important mais qu’il convient de tempérer. Dans l’immédiat, une mobilisation conjointe des professionnels de santé, du grand public et des pouvoirs publics est essentielle.

Xénogreffes au XXe siècle par Yvon LEBRANCHU (Membre de l’Académie nationale de médecine)

La xénogreffe, transplantation d’organes animaux chez l’humain, a traversé le XXe siècle entre fascination médicale et échecs répétés. Le XXIe siècle pourrait être celui de son succès.

Tout commence par une première vague à la fin du XIXe siècle avec l’essor de la chirurgie vasculaire grâce aux travaux d’Alexis Carrel. Dès 1906, Mathieu Jaboulay tente des greffes rénales animales (porc, chèvre) au pli du coude chez des patients en insuffisance rénale terminale. Ces expériences, bien que brèves, posent les bases d’un champ expérimental inédit. Dans les années 1920, Voronoff réalise des greffes de tissus animaux (testicules, thyroïde) avec un écho médiatique retentissant, sans validation scientifique.

La deuxième vague, dans les années 1960, est marquée par des greffes d’organes entiers (reins, foies, cœurs) de primates non humains. Les résultats sont globalement décevants : survies courtes, infections, rejets massifs. L’expérience la plus célèbre reste celle de Baby Fae, greffée d’un cœur de babouin en 1984 : 20 jours de survie seulement, mais une émotion planétaire.

Les années 1990 voient une troisième vague, avec l’arrivée des immunosuppresseurs modernes et des porcs clonés génétiquement modifiés. Des porcs Gal-KO (dépourvus d’un antigène ciblé par les anticorps humains naturels) sont développés pour éviter le rejet hyperaigu, principal obstacle immunologique.

Mais un moratoire est posé en 1998, face à la crainte des infections croisées : les rétrovirus porcins (PERV) peuvent infecter les cellules humaines in vitro, sans traitement disponible à l’époque. Cette menace virologique, ainsi que les enjeux éthiques, freinent durablement le passage à l’homme.

Conclusion : Le XXe siècle a vu naître les premières expérimentations, identifier les verrous biologiques majeurs et poser les fondations de la xénogreffe moderne. Aujourd’hui, ces acquis sont réactivés par le progrès génétique du XXIe siècle, redonnant un souffle à cet ancien rêve médical.

 

Le redémarrage au XXIe siècle par Gilles BLANCHO (Néphrologie et immunologie clinique, Nantes)

Face à la pénurie persistante d’organes, la xénogreffe — transplantation d’organes entre donneur et receveur d’espèces différentes— connaît un regain d’intérêt grâce aux profondes avancées dans les modifications du génome porcin et l’utilisation d’immunosuppressions innovantes.

Une différence principale entre le porc et les humains est liée aux xénoantigènes (XénoAg) qui, à la faveur des mutations génétiques liées à l’évolution des espèces, ont été perdues chez les humains et sont responsables de rejets « hyperaigus ». Le principal XénoAg identifié est le α-1,3-Galactose (Gal) dont on sait maintenant invalider l’expression (porcs « Gal KO » knock-out).

Malgré ces progrès, d’autres XénAg se sont révélés induire une réponse immune. Deux autres XénoAg majeurs ont été identifiés, menant également à leur invalidation, générant des animaux triple KO. Il s’est ensuite révélé que d’autres systèmes biologiques, en particulier la coagulation, interviennent également.

Les modèles porcins actuels cumulent plusieurs modifications génétiques : suppression de gènes immunogènes et introduction de gènes humains codant pour des protéines régulant l’immunité, la coagulation et la réponse inflammatoire, qui « rendent le porc un peu moins porcin ».

Les greffes expérimentales sur primates montrent ainsi des succès croissants, avec des xénogreffes cardiaques fonctionnant plus de 3 ans.

Pour le rein, dont les survies ont été longtemps moins bonnes que pour le cœur, des essais cliniques chez l’humain ont débuté récemment, essentiellement aux USA et à un moindre niveau en Chine.

En 2023, une greffe rénale porcine a fonctionné 61 jours chez un patient en état de mort cérébrale.

En avril 2024, une greffe rénale a été réalisée avec succès chez une patiente vivante, sans rejet à 12 jours post-transplantation.

Les résultats sont prometteurs : absence de rejet hyperaigu, fonction rénale assurée, et tolérance aux traitements immunosuppresseurs. Cependant, des rejets tardifs ou des complications techniques persistent, les doses d’immunosuppresseurs ne sont pas compatibles avec un traitement prolongé, le recul reste limité, et d’autres obstacles peuvent surgir. Des enjeux sécuritaires et éthiques demeurent : risque de transmission de virus porcins, acceptabilité sociale, statut des animaux génétiquement modifiés.

L’amélioration passera par la création de greffons multitransgénique (actuellement jusqu’à 60 gènes), l’identification de bons receveurs par des cross-match, l’amélioration des techniques  d’immunosuppression, l’immuno-monitorage multimodal, l’invalidation des séquences des rétrovirus endogènes porcins.

Conclusion : la xénogreffe, longtemps considérée comme utopique, est désormais une réalité expérimentale en voie de transition clinique. Elle pourrait, à terme, élargir l’accès à la greffe, notamment rénale, sous réserve que ces progrès considérables se poursuivent.

 

Le problème des rejets : phénotypages immunologiques par Alexandre LOUPY (Néphrologie, Transplantation rénale, HEGP, Paris)