Communication scientifique
Séance du 13 mars 2007

Manifestations vasculaires au cours des thrombocytémies essentielles

MOTS-CLÉS : thrombocytémie hemorragique/sang
Vascular complications of essential thrombocytemia
KEY-WORDS : thrombocythemia/blood

Sylvia Bellucci

Résumé

Les manifestations vasculaires constituent le principal problème clinique des thrombocyté- mies essentielles (TE). Il s’agit de thromboses artérielles dans 30 à 40 % des cas, de thromboses veineuses dans 5 % des cas et de manifestations ischémiques touchant la microcirculation. Elles sont surtout observées à la phase initiale de l’affection et leur fréquence diminue au cours de l’évolution sans s’annuler toutefois. Leur pathophysiologie met en jeu une dysmégacaryocytopoïèse responsable d’une activation des plaquettes, des leucocytes et des cellules endothéliales vasculaires. La découverte récente dans 50 à 60 % des cas de TE de la présence de la mutation V617F sur la tyrosine kinase JAK2 définit un nouveau sous-groupe se rapprochant de la Polyglobulie de Vaquez. Cet article récapitule les différentes études biologiques et les corrélations avec la survenue de thromboses ; cependant, à ce jour, la stratification du risque vasculaire, de façon consensuelle, s’appuie sur des critères cliniques étayés sur une étude clinique cas/témoin ; un âge supérieur à soixante ans et/ou des antécédents thrombotiques. A ces critères on a adjoint par la suite une majoration rapide de l’hyperplaquettose pour dépasser 1 500 G/l, entraînant alors une aggravation du risque hémorragique. C’est chez ce groupe de patients que le traitement cytoréducteur est préconisé. Si de nombreux tests biologiques, reflétant la dysmégacaryocytopoïèse et l’hyperactivité cellulaire qui l’accompagne, ont pu être associés à un risque thrombotique accru, aucun en règle n’est réalisable à grande échelle pour permettre de définir un groupe de risque vasculaire intermédiaire. Le rôle de la mutation V617F de JAK2 dans l’accroissement du risque thrombotique reste controversé. Néanmoins, d’ores et déjà, quelque soit le groupe vasculaire, le traitement antiagrégant plaquettaire ayant recours en règle à l’aspirine est volontiers prescrit, d’autant plus qu’une grande étude prospective contrôlée, l’ECLAP, a montré son efficacité statistiquement significative pour diminuer le nombre de thromboses, au cours de la Polyglobulie de Vaquez, syndrome myéloprolifératif très proche de la TE.

Summary

Vascular manifestations are the main clinical complication of essential thrombocythemia (ET). They include arterial thrombosis (30-40 % of patients), venous thrombosis (5 %), and ischemia due to microcirculatory disorders. Their incidence is highest at disease onset and diminishes gradually thereafter. The pathophysiology of ET involves dysmegakaryocytopoiesis, leading to platelet, leukocyte and vascular endothelial cell activation. The recent discovery of the V617F mutation of the JAK2 tyrosine kinase in 50-60 % of patients with ET defined a new subgroup resembling polycythemia vera. This review examines biological findings and their correlation with the risk of thrombosis. Until now, stratification of the vascular risk has relied on a clinical case-control study showing that thrombotic and vascular complications are more frequent in patients over 60 and those with a history of thrombosis. These criteria, along with a rapid increase in thrombocytosis (>1 500 G/L) leading to an increase in the bleeding risk, define a high-vascular-risk subgroup of patients warranting cytoreductive therapy. Although many biological markers of dysmegakaryocytopoiesis and cellular hyperactivation have been linked to an increase in the thrombotic risk, none is available for large-scale prediction of an intermediate vascular risk. The role of the JAK2 V617F mutation itself is controversial. Whatever the ET subgroup, antiplatelet therapy is largely used, based on the results of the ECLAP prospective controlled trial that showed a statistically significant reduction in thrombotic complications in patients receiving aspirin for polycythemia vera, a very similar myeloproliferative disorder.

INTRODUCTION

Avec la Polyglobulie de Vaquez (PV), la Thrombocytémie Essentielle (TE) est le syndrome myéloprolifératif Philadelphie négatif le plus fréquent. Le diagnostic est évoqué devant une hyperplaquettose persistante, pouvant aller de 450 à plus de 2 000 G/L, en l’absence de toute autre cause d’hyperplaquettose : syndrome inflammatoire, carence martiale ou hypersplénisme (qui toutefois peuvent lui être associés).

Les manifestations vasculaires constituent la principale complication clinique des TE. Sur le long terme, les transformations en myélofibrose, polyglobulie ou leucémie aigüe font toute la gravité de l’affection mais restent exceptionnelles [1] ceci d’autant plus que le diagnostic de TE aura été retenu après avoir éliminé avec soin les autres syndromes myéloprolifératifs (Myélofibrose, Polyglobulie de Vaquez) en particulier à leur phase débutante grâce aux critères histologiques de l’OMS [2]. Plus récemment la découverte de la mutation V617F sur la tyrosine kinase JAK2 dans la plupart des cas de PV [3-7] et dans environ 50 % des cas de TE permet d’envisager une sous-classification de celles-ci. En effet, les formes portant la mutation sur JAK2 se rapprochent des cas de PV, ayant un taux d’hémoglobine statistiquement plus élevé [8].

Dans cette revue, nous aborderons l’étude sémiologique des manifestations vasculaires tenant compte en particulier des résultats d’une métaanalyse de onze séries retrospectives [9] et leur mécanisme. Le rôle de la mutation V617F sur JAK2 dans la
genèse des manifestations thrombotiques est encore controversé. Une classification du risque vasculaire sera proposée dans le but de préciser les indications thérapeutiques.

SÉMIOLOGIE DES MANIFESTATIONS VASCULAIRES

On distingue les complications artérielles, veineuses et celles touchant la microcirculation. Une étude rétrospective cas-témoin a estimé l’incidence annuelle globale des thromboses à 1,7 % chez les sujets jeunes de moins de 40 ans comparée à 6,3 % et 15,1 % chez les patients de 40-60 ans et de plus de 60 ans respectivement [10].

Les thromboses artérielles

Observées chez environ 30 % des patients à la phase initiale, leur fréquence diminue en cours d’évolution si un traitement cytoréducteur a été institué, comme le suggè- rent les études rétrospectives [9] et comme le démontre une étude prospective contrôlée [11]. Par fréquence, les thromboses artérielles touchent d’abord les vaisseaux à destinée céphalique et cérébraux, puis les artères des membres inférieurs d’autant plus qu’existe une artériopathie oblitérante athéromateuse sous-jacente, et enfin les artères coronaires. Au plan neurologique, l’on distingue ainsi des accidents vasculaires cérébraux transitoires ou constitués (12-14), des accidents occlusifs des artères rétiniennes [12], voire des manifestations de névrite optique ou vestibulaire.

Au plan cardiaque, on a décrit des manifestations d’ischémie myocardique : angor stable, ou instable, voire véritables tableaux d’infarctus du myocarde [13] : à partir de cent soixante-dix cas de TE, Rossi et al ont retrouvé 9,4 % d’infarctus du myocarde [15]. Les complications artérielles peuvent aussi toucher les artères périphériques (que le mécanisme soit thrombotique ou thrombo-embolique) responsables de tableaux de claudication intermittente des membres inférieurs, de thrombose de pontage ou de thrombose de stent pouvant entraînant une évolution vers l’ischémie critique [16]. Des thromboses des artères des membres supérieurs ont été exceptionnellement rapportées. La découverte de thrombi affectant la circulation utéro-placentaire peut expliquer une insuffisance vasculaire responsable d’accidents obstétricaux.

Les thromboses veineuses

Elles peuvent toucher les territoires profonds ou superficiels et se compliquer d’embolie pulmonaire [13, 16]. Elles sont particulièrement graves lorsqu’elles touchent les sinus veineux intra-cérébraux [12, 14]. Un siège inaugural atypique et grave est parfois retrouvé : veine mésentérique, veine porte, syndrome de Budd-Chiari, pouvant conduire au diagnostic de l’affection [17]. Un priapisme lié à une thrombose des corps caverneux a été également rapporté. La fréquence initiale de ces thromboses veineuses est estimée à 5 % [9] et diminue au cours de l’évolution si un traitement cytoréducteur est institué [11].

Les troubles de la microcirculation

Les atteintes de la microcirculation ont été fréquemment décrites [9,12-14]. Il peut s’agir de céphalées, de sensations vertigineuses, d’acrosyndromes, de livedo souvent particuliers par leur composante nécrotique, de gangrène digitale comme au cours du syndrome de l’orteil bleu. L’érythromélalgie, caractérisée par de violentes douleurs à type de brûlures de la plante des pieds et des orteils très érythrosiques, associées à une augmentation de la chaleur locale est une manifestation rare mais suggestive de cette affection [18]. On en rapprochera les ulcérations cutanées à type d’ulcères de jambe ou d’angiodermite nécrosante.

DONNÉES PHYSIOPATHOGÉNIQUES DES MANIFESTATIONS THROMBOTIQUES

Il existe au cours de la TE, un état préthrombotique lié à l’hyperactivation de plusieurs types cellulaires : plaquettes, leucocytes, cellules endothéliales vasculaires.

L’hyperactivation plaquettaire

Elle est suggérée devant la présence d’amas plaquettaires sur les frottis sanguins, ou devant celle de plaquettes avec de nombreux pseudopodes en ultrastructure. Les tests d’agrégation peuvent objectiver une agrégation plaquettaire spontanée et paradoxalement une hypoagrégation in vitro après stimulation par différents inducteurs (ADP, collagène) expliquée en fait par la dégranulation des plaquettes circulantes [19]. Il existe une synthèse accrue in vivo du thromboxane A d’origine 2 plaquettaire, non corrélée au chiffre plaquettaire comme l’atteste la mesure de l’élimination urinaire du métabolite stable principal le 2-3 dinorthromboxane B2 [20]. Par ailleurs, l’augmentation du taux circulant de béta-thromboglobuline (βTG), constituant normalement présent dans les granules alpha plaquettaires, reflète une sécrétion accrue in vivo [21] comme le suggère également, une augmentation à l’état basal à la membrane plaquettaire du taux de thrombospondine endogène [22, 23], ou de P selectine [23], autres constituants intra alpha granulaires, ou encore celui du CD36 [22, 24, 25].

Finalement, on peut concevoir qu’au cours de cette affection la lignée mégacaryocytoplaquettaire, à tous les stades de différenciation/maturation, soit hyper-réactive à la thrombopoïétine, facteur de croissance de cette lignée d’une part et facteur sensibilisant les plaquettes aux principaux stimuli d’autre part expliquant l’hyperactivation observée [26].

L’hyperactivation leucocytaire

Elle touche les polynucléaires, mise en évidence in vivo devant l’expression du

CD11b membranaire, devant l’augmentation du contenu en phosphatases alcalines,
en élastase ou en myéloperoxydase [27, 28] et également les monocytes estimée par l’augmentation à leur surface du facteur tissulaire [29]. Du fait d’un métabolisme transcellulaire de l’acide arachidonique une synthèse accrue de thromboxane A par 2 les plaquettes favorise celle de leucotriènes par les polynucléaires et inversement [30].

La présence de plaquettes activées et celle de polynucléaires ou monocytes activés est à l’origine de la formation d’agrégats mixtes plaquettes-monocytes ou plaquettes-polynucléaires [29, 31, 32].

L’activation de la cellule endothéliale vasculaire

Dès 1993, nous suggérions une tendance à l’activation de la cellule endothéliale vasculaire jugée sur l’augmentation du taux plasmatique de marqueurs, qu’il s’agisse des taux du facteur von Willebrand ou de l’activateur du plasminogène (tpA) reflétant un processus aigü, ou bien de celui de la thrombomoduline, ou de l’inhibiteur de type 1 de l’activateur du plasminogène (PAI-1) reflétant un processus plus chronique [33]. D’autres auteurs ont retrouvé cette activation de la cellule endothéliale vasculaire estimée sur les mêmes marqueurs ou sur l’augmentation du taux plasmatique d’adhésines solubles comme sVCAM d’origine endothéliale [34, 35].

Au total, l’activation de ces différents types cellulaires est concomitante à un degré variable. Ainsi l’activation des plaquettes s’accompagne de celle de la cellule endothé- liale vasculaire [33-35] ou bien de celle des polynucléaires et des monocytes [29] ;

l’activation des polynucléaires peut aussi être associée à celle de la cellule endothéliale vasculaire voire à celle de la coagulation plasmatique [27].

La présence de la mutation V617F sur la tyrosine kinase JAK2

Elle a été rapportée dans 50 % environ des cas de TE [3-7]. Pour la première fois, Arellano-Rodrigo et al ont montré un pourcentage statistiquement plus élevé de plaquettes activées chez les patients atteints de TE avec la mutation JAK2 [29]. Par contre il n’existe pas de différence concernant l’activation leucocytaire ou le pourcentage d’agrégats plaquettes-leucocytes [29]. Une étude non encore publiée suggé- rerait une activation des plaquettes et également des polynucléaires plus importante non à l’état basal mais après stimulation par leurs agonistes respectifs en cas de TE avec mutation de JAK2 [36].

ESTIMATION DU RISQUE VASCULAIRE

Celui-ci peut être estimé, en tenant compte de différents facteurs qui peuvent être intriqués à des degrés divers. Certains facteurs sont inhérents à la thrombocytémie elle-même. D’autres sont biologiques, génétiques ou acquis, entraînant un risque vasculaire accru, ou socioculturels.

Facteurs inhérents à la TE

Facteurs témoignant d’une dysmégacaryocytopoïèse

Le caractère monoclonal de l’affection retrouvé dans deux tiers des cas environ est corrélé à une fréquence plus grande de thromboses [35]. Néanmoins les contraintes techniques font que ce test de monoclonalité, réalisable par ailleurs uniquement chez les femmes jeunes, ne peut être utilisé à grande échelle.

La culture des progéniteurs mégacaryocytaires, effectuée par de nombreuses équipes retrouve une pousse spontanée des progéniteurs mégacaryocytaires in vitro , dans 80 % des cas environ [19]. L’équipe de Juvonen [38] a pu démontrer l’existence d’une corrélation entre la sévérité de l’affection et l’intensité de la pousse spontanée.

Toutefois, là encore, cette technique longue, coûteuse, délicate ne peut être utilisée à grande échelle.

La surexpression du mRNA du gène PRV-1 (codant pour un récepteur de la famille des récepteurs à l’urokinase) initialement montrée au niveau des polynucléaires de patients atteints de PV, a été ensuite retrouvée chez 20 % à 50 % des patients ayant une TE, et serait associée à une évolution plus fréquente vers un tableau franc de PV et à une fréquence plus élevée de thromboses [39].

Facteurs liés à l’activation des plaquettes, des polynucléaires neutrophiles et des monocytes

L’hyperactivation plaquettaire a pu être rendue responsable d’accidents thrombotiques artériels, voire de la micro-circulation comme certaines études de corrélation bio-cliniques ont pu le suggérer [24, 29, 34, 35] ; il en est de même de l’importance de l’hyperactivation des polynucléaires neutrophiles [29, 32, 39] ou des monocytes [29].

Facteurs liés à l’activation de la cellule endothéliale vasculaire

Une corrélation entre une activation plaquettaire et endothéliale vasculaire plus élevées et le risque de survenue d’érythromélalgie ou de thrombose a été rapportée [35].

La présence de la mutation V617F sur JAK2

La présence de cette mutation ne semble pas strictement corrélée à l’augmentation du mRNA de PRV1 au niveau leucocytaire ni à une pousse spontanée des progéniteurs érythroblastiques, contrairement à ce qui avait pu être suggéré initialement sur un plus petit nombre de patients [40]. Son rôle comme facteur favorisant les thromboses est controversé. Certaines études [29, 40, 41] ne retrouvent pas d’association aux thromboses de même que l’étude déjà mentionnée portant sur plus de huit cents patients [8] qui montrerait toutefois une tendance à une fréquence plus élevée de thromboses veineuses. Deux études plus récentes au contraire montrent une association significative à un taux plus élevé de thromboses [42, 43]. Cette discordance pourrait être expliquée par une certaine hétérogénéité au niveau des
critères de sélection des patients comme au niveau de l’analyse sémiologique des manifestations vasculaires.

Facteurs de risque vasculaire liés au terrain

Le diabète, l’HTA, l’hypercholestérolémie doivent être recherchés systématiquement. En effet, trois études rétrospectives ont bien montré leur responsabilité dans l’accroissement du risque thrombotique [13, 44, 45]. Ce n’est pas le cas de l’homocystéinémie. Par ailleurs, si un travail a montré que la présence de l’anomalie de type V Leiden augmentait la fréquence des thromboses veineuses avant le diagnostic de TE et celle des rechutes par la suite [46], il s’agissait en fait d’une étude portant à la fois sur les PV et les TE dont le risque thrombotique veineux est différent [19]. Une étude rétrospective multicentrique française récente concernant cent cinquante patients atteints de TE ne retrouve en fait aucune corrélation entre la présence des anomalies de thrombophilie (V Leiden, II Leiden, et mutation C677T homozygote sur le gène de l’enzyme méthyltétrahydrofolate réductase) et la survenue de thromboses artérielles ou veineuses (S. Bellucci, communication personnelle).

Au plan socio-culturel, la consommation de tabac majore le risque thrombotique comme le montrent trois études retrospectives déjà citées [14,44,45]. Enfin, toute situation prédisposant déjà par elle-même à un risque thrombotique est susceptible de majorer celui inhérent à la TE : c’est le cas par exemple de la grossesse, des interventions chirurgicales, d’un alitement prolongé ou d’une position immobile lors de voyages de longue durée, de la prise des oestroprogestatifs ou du traitement hormonal substitutif qui sont contre-indiqués.

INCIDENCES THERAPEUTIQUES

Données générales

Au plan thérapeutique, ce sont les données de l’étude cas-témoins de Cortelazzo et al [9] qui guident en premier lieu la conduite à tenir . Cette étude a permis d’individualiser au sein des patients ayant une TE un groupe à fort risque vasculaire (patients de plus de 60 ans et/ou ayant présenté des antécédents de thrombose ou d’accidents vasculaires) . Les patients ayant une hyperplaquettose s’aggravant rapidement pour atteindre un chiffre supérieur à 1 500 G/L ont été ultérieurement également inclus dans ce groupe [47]. Chez ce groupe de patients, à fort risque vasculaire, une étude prospective contrôlée a bien montré, de façon statistiquement significative un effet positif d’un traitement cytoréducteur par hydroxyurée sur la prévention des accidents thrombotiques [11]. Cet effet de poursuit après soixante-treize mois de suivi [48]. Notons que, à ce jour, la présence de la mutation V617F sur la tyrosine kinase JAK2, en l’absence de démonstration d’un accroissement significatif du risque vasculaire, ne constitue pas un critère de fort risque vasculaire.

Attitude pratique

L’attitude thérapeutique va donc être différente selon que ce patient appartient ou non à ce sous-groupe dit de fort risque vasculaire [47].

Indication d’un traitement cytoréducteur

Si le patient appartient au groupe à fort risque vasculaire, le traitement cytoréducteur sera prescrit en utilisant en France, en première ligne, l’hydroxyurée. L’Anagré- lide est réservé aux patients présentant une résistance ou une intolérance à l’hydroxyurée. Dans le futur, les patients ayant la mutation sur JAK2 présentant une TE se rapprochant d’un tableau de PV pourraient bénéficier à ce titre de choix thérapeutiques analogues à ceux institués dans la PV telle l’utilisation de PEGinterféron qui dans un essai phase 2 a montré son efficacité pour diminuer le pourcentage du clone JAK2 muté [49].

Le cas particulier de la découverte d’une hyperplaquettose devant une complication vasculaire doit être souligné. En effet, la majorité des complications thrombotiques ou vasculaires notées au cours des TE sont inaugurales ou précèdent de peu le diagnostic [1, 9]. Pour envisager la prescription d’un traitement cytoréducteur, il convient donc de recueillir suffisamment d’arguments en faveur du diagnostic de TE. L’on s’aidera alors en urgence de la recherche de la mutation V617F sur JAK2 ;

c’est aussi dans ces situations que l’on aura recours à la réalisation de tests d’hémostase spécialisés : augmentation du CD36 plaquettaire [25], présence d’une agrégation plaquettaire spontanée, défaut de réactivité plaquettaire à l’adrénaline [19].

Enfin si le tableau clinique le permet, en cas d’absence de mutation sur JAK2, la pratique d’une biopsie de moelle, voire d’une culture des progéniteurs mégacaryoblastiques peut s’imposer rapidement.

Indications d’un traitement antiagrégant plaquettaire

Celui-ci a le plus souvent recours à l’aspirine faibles doses (100 à 160 mg/j), voire au clopidogrel en cas de contre-indication à l’aspirine. Il est préconisé dans le groupe de fort risque vasculaire car le traitement cytoréducteur, s’il diminue le chiffre plaquettaire ne corrige ni la thrombopathie ni l’hyperactivabilité cellulaire [19, 33]. Dans le groupe de risque vasculaire intermédiaire, marqué uniquement par un âge compris entre 40 et 60 ans, il est volontiers prescrit surtout s’il existe des anomalies biologiques évoquant un état préthrombotique inhérent à la TE comme nous l’avons détaillé plus haut, puisque ces anomalies à elles-seules ne justifient pas jusqu’à présent la prescription d’un traitement cytoréducteur. Une indication particulière intéressante est l’existence de manifestations d’érythromélalgie qui classiquement sont réputées sensibles à l’aspirine [18]. Finalement, les données de l’étude randomisée ECLAP [50] qui ont montré une diminution significative des accidents cumulés thrombotiques veineux et artériels chez les patients ayant une polyglobulie de Vaquez et traités par aspirine, incitent de plus en plus à prescrire ce traitement chez tous les patients ayant une TE, du fait de la parenté physiopathogénique de ces
deux syndromes myéloprolifératifs à fortiori dans les formes de TE avec la mutation V617F sur JAK2.

Par ailleurs, bien évidemment les anomalies métaboliques d’origine génétique ou liées à d’autres pathologies devront être corrigées au maximum. La consommation de tabac fortement déconseillée, la prescription d’oestroprogestatifs contreindiquée.

CONCLUSION

La TE est un état préthrombotique. Le traitement cytoréducteur est indiqué en première ligne dans le groupe des patients présentant un fort risque vasculaire, défini selon des données sémiologiques cliniques qui doivent être rigoureuses. Le traitement antiagrégant plaquettaire est volontiers prescrit, quelque soit le groupe vasculaire. Dans le futur, l’avancée des connaissances physiopathogéniques et celles de facteurs biologiques de risque vasculaire devrait permettre une meilleure stratification de la TE. La disponibilité possible de médicaments ciblés, par exemple dirigés contre la tyrosine kinase JAK2 mutée, à l’instar de ce qui est proposé dans la leucémie myéloïde chronique avec l’utilisation des inhibiteurs de la tyrosine kinase couplée au transcript BCR-Abelson, amènera alors à redéfinir la stratégie thérapeutique.

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DISCUSSION

M. Michel ARTHUIS

Existe-t-il des cas rapportés chez l’enfant ? J’ai observé, avec Stéphane Thieffry, deux cas de paralysie faciale liée à une thrombocytémie sur des enfants de moins de dix ans.

Oui il existe plusieurs cas rapportés chez l’enfant dans différents points du globe. Le problème est alors de faire la distinction entre une thrombocytémie essentielle et une hyperplaquettose familiale.

M. Jacques CAEN

Pouvez-vous nous dire si, dans les thrombocytémies essentielles, la culture des mégacaryocytes est thrombopoïétine indépendante, la culture des granuleux est-elle G-CSF indépendante ? Quelle est l’importance des acrosyndromes ? L’activation plaquettaire, granulocytaire et endothéliale m’intéresse beaucoup : pouvez-vous nous dire si les chiffre plaquettaire et leur activation induit l’activation des PMN α de la cellule endothéliale ?

Dans 80 % des cas environ la culture des progéniteurs mégacaryocytaires montre au cours des Thrombocytémies Essentielles une pousse spontanée indépendante de la thrombopoïétine facteur de croissance de cette lignée. La tyrosine kinase JAK2 est aussi impliquée dans la voie de signalisation G-CSF dépendante. L’on peut donc prédire que la culture des précurseurs des granuleux, si elle était étudiée, montrerait qu’elle est également GCSF indépendante : toutefois ces études n’ont pas été faites récemment à ma connaissance. Les acrosyndromes sont fréquents au cours de cette affection, du tableau évocateur de l’érythromélagie aux formes plus courantes comme les syndromes de Raynaud, les dysesthésies des extrémités…L’activation plaquettaire en effet peut être responsable de la survenue de ces acrosyndromes ce qui explique leur net amendement après prescription d’un antiagrégant plaquettaire comme l’aspirine. L’activation plaquettaire, plus que le chiffre plaquettaire, favorise l’activation des polynucléaires neutrophiles et la formation d’agrégats plaquettes/leucocytes, du fait de l’exposition à la membrane plaquettaire de protéines adhésives comme la Psélectine qui entraîne donc l’adhésion des polynucléaires neutrophiles. Il existe aussi un métabolisme transcellulaire de l’acide arachidonique, précurseur des prostaglandines : l’activation des plaquettes entraîne donc une activation des polynucléaires et vice-versa. Par ailleurs, nous avons montré que l’activation plaquettaire mesurée sur une sécrétion accrue des constituants normalement contenus dans les alpha granules comme la bétathromboglobuline est associée à une activation des cellules endothéliales vasculaires estimée sur le taux plasmatique du facteur von Willebrand de la thrombomoduline de l’inhibiteur de l’activateur du plasminogène…activation qui n’atteint pas toutefois le degré de significativité.

M. André VACHERON

Vous avez souligné l’intérêt de l’aspirine pour prévenir les complications de thrombose. Le clopidogrel a-t-il une place dans cette prévention et l’association clopidogrel aspirine serait-elle plus efficace que l’aspirine seule ?

Si le taux des thromboses est bien diminué sous Aspirine il ne s’annule toutefois pas complètement. Le Clopidogrel qui inhibe la fixation de l’ADP stimulus des plaquettes à la membrane de celles-ci a donc sa place dans la prévention thrombotique au cours de cette affection. L’association Clopidogrel/Aspirine serait donc probablement plus efficace que l’Aspirine seule. Un essai international est prévu pour tester cette association.

M. Michel BOUREL

Vous avez mélangé les malades de votre expérience (votre cohorte) et ceux de la littérature colligée. Avez-vous donné les pourcentages de complication et de risques qui sont propres à votre expérience ?

Notre cohorte comportant 94 patients a constitué la première grande série de la littérature concernant la Thrombocytémie Essentielle, montrant une survie de 80 % des patients à huit ans. Ces données ont été confirmées dans toutes les études rétrospectives de la littérature et plus récemment dans l’étude de la MayoClinic, portant sur 605 patients suivis pendant au moins sept ans. Cette dernière étude permet de caractériser des facteurs de mauvais pronostic non identifiés jusqu’à présent : un âge supérieur à 60 ans, un taux d’hémoglobine inférieure à la normale, ou un taux de leucocytes supérieur à 15×109/L (au diagnostic). Selon la présence ou non de ces facteurs de risque, la médiane de survie est très différente : allant de 278 mois (en l’absence de ces facteurs) à 211 mois (lorsque deux ou trois facteurs sont présents). La différence selon les auteurs étant liée aux complications thrombotiques.

M. Pierre GODEAU

Devant une hyperplaquettose non classée, faut-il ou non demander la recherche d’une mutation sur JAK2 ? En cas de thrombocytose, vous avez signalé que c’est pour le chiffre de un million de plaquettes qu’existe un risque thrombolique significatif. Qu’en est-il des chiffres inférieurs ?

Devant une hyperplaquettose non classée lorsqu’il existe en particulier un doute entre une hyperplaquettose secondaire liée à un état inflammatoire ou une carence martiale et une hyperplaquettose de syndrome myéloprolifératif qui d’ailleurs peuvent être associés, la recherche de la mutation V617F sur JAK2 peut apporter une réponse précieuse : en effet si elle est retrouvée elle signe la présence d’un syndrome myélorpolifératif. S’agissant du risque thrombotique il n’y a pas de relation entre le chiffre plaquettaire et le risque thrombotique comme cela a pu être montré par l’ensemble des séries de la littérature.

M. Charles-Joël MENKÈS

Certains rhumatismes inflammatoires s’accompagnent d’une augmentation très importante du nombre de plaquettes. Y a-t-il une limite à partir de laquelle il faut évoquer une origine hématologique de type thrombocytémie ?

Certaines maladies inflammatoires d’origine rhumatismale ou intestinale s’accompagne effectivement d’une hyperplaquettose parfois très importante, il n’y a pas de limite supérieure à partir de laquelle il faut évoquer une origine hématologique à ce type de thrombocytémie puisque aussi bien des hyperplaquettoses supérieures à 2 000 × 109/L peuvent être observées en cas d’hyperplaquettoses secondaires.

M. Jean-Yves LE GALL

La mutation V617 de JAK 2 induit-elle une prolifération hématopoïétique à l’état hétérozygote ou après des remaniements chromosomiques aboutissant à une hémizygotie ou une homozygotie ? Comment expliquer que la même mutation dans le même gène soit responsable de plusieurs phénotypes pathologiques différents ? Y a-t-il nécessité d’autres mutations dans d’autres gènes pour assurer cette différenciation ?

La mutation V617F sur JAK2 peut être à l’état hétérozygote ou homozygote ; pour expliquer que la même mutation dans le même gène soit responsable de plusieurs
phénotypes pathologiques différents à l’origine des différents syndromes myéloprolifé- ratifs on peut envisager trois hypothèses : la première serait que le niveau d’atteinte des cellules souches hématopïètiques serait différent : cette hypothèse jusqu’à présent n’est pas retenue du moins en ce qui concerne les progéniteurs déjà commis vers les différentes lignées hématologiques ; on peut aussi envisager que la mutation sur JAK2 s’accompagne d’un deuxième événement mutationnel à l’origine des différents syndromes myéloprolifératifs : là encore cette hypothèse n’a pas été étayée. Enfin l’on peut penser que le degré d’atteinte hétérozygote ou homozygote est important et de fait la mutation est souvent retrouvée à l’état homozygote dans la Polyglobulie de Vaquez ce qui n’est pas le cas dans la thrombocytémie essentielle.

M. Jacques-Louis BINET

Un mot tout de même du diagnostic différentiel : quand peut-on affirmer qu’il s’agit d’une thrombocytémie essentielle et sur quels examens ?

S’agissant du diagnostic différentiel, l’on parle de thrombocytémie essentielle après avoir éliminé les hyperplaquettoses secondaires liées à une carence martiale ou à un syndrome inflammatoire voire à une asplénie ou à un hyposplénisme. Le diagnostic de Thrombocytémie Essentielle doit ensuite éliminer les autres syndromes myéloprolifératifs : en premier lieu la Polyglobulie de Vaquez par la mesure de la masse érythrocytaire isotopique et la myélofibrose par la pratique d’une biopsie de moelle. Enfin il est de bonne règle d’éliminer également la leucémie myéloïde chronique dans sa forme hyperplaquettaire en vérifiant l’absence du chromosome Philadelphie et/ou du transcript BCR/Abelson. La classification internationale de l’OMS souligne en particulier le rôle important des données fournies par l’histologie médullaire qui montre un nombre augmenté de mégacaryocytes volontiers de grande taille, homogènes, avec un noyau très hyperlobé et regroupés en amas .


* Hématologie Biologique, Hôpital Lariboisière 2, rue Ambroise Paré — 75010 Paris et Université Paris 7 — Denis Diderot — 75010 Paris, email : sylvia.bellucci@lrb.ap Tirés à part : Professeur Sylvia BELLUCCI, même adresse Article reçu le 18 octobre 2006, accepté le 14 décembre 2006.

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 3, 519-533, séance du 13 mars 2007