Communication scientifique
Séance du 20 novembre 2007

Maladie hypertensive des personnes nées en Afrique sub saharienne adressées à un service spécialisé : étude transversale comparative

MOTS-CLÉS : accident vasculaire cérébral. groupes ethniques. hyperaldosteronisme. hypertension. hypertension, rénovasculaire. proteinurie
Hypertensive disease in subjects born in sub-Saharian Africa or in Europe referred to a hypertension unit : a cross-sectional study
KEY-WORDS : cerebrovascular accident. ethnic groups. hyperaldosteronism. hypertension. hypertension, renovascular. proteinuria

Thierry Gombet, Olivier Steichen, Pierre-François Plouin

Résumé

L’hypertension des personnes noires est réputée plus grave que celle des personnes blanches, mais la plupart des données proviennent d’études nord-américaines. Nous avons comparé les caractéristiques de l’hypertension et la prévalence des facteurs de risque associés, des complications cardiovasculaires et des causes d’hypertension secondaire chez 539 hypertendus nés en Afrique subsaharienne et chez 2610 hypertendus nés en Europe appariés sur l’âge et le sexe. Par rapport aux hypertendues européennes, les hypertendues africaines étaient plus corpulentes (indice de masse corporelle 28,8 vs 26,3 kg/m2, p<0,001) et plus souvent diabétiques (12 vs 5 %, p<0,001). Les hypertendus Africains des deux sexes avaient une pression artérielle systolique plus élevée (152 vs 148 mmHg, p<0,001), plus souvent un antécédent d’accident vasculaire cérébral (11,7 vs 6,7 %, p<0,001), plus souvent une protéinurie à la bandelette (32 vs 18 %, p<0,001), et moins souvent une exposition au tabac ou une hyperlipidémie que leurs témoins européens. Les hypertendus Africains étaient plus souvent sous traitement lors de leur première consultation que leurs témoins européens (84 vs 74 %, p<0,001), avec un traitement comportant plus souvent un diurétique (54 vs 46 %, p=0,001) et un inhibiteur calcique (58 vs 49 %, p=0,001). La proportion d’hypertensions secondaires était similaire dans les 2 groupes mais les hypertendus Africains avaient plus souvent un hyperaldostéronisme primaire (12 vs 7 %, p=0,001) et moins souvent une maladie rénovasculaire (1 vs 5 %, p=0,001) que leurs témoins européens. En conclusion, le retentissement cérébrovasculaire et rénal plus sévère chez les patients d’origine africaine n’est pas complètement expliqué par les différences observées dans la systolique et les cofacteurs de risque. La distribution des hypertensions secondaires chez les patients africains mérite une étude spécifique.

Summary

Hypertensive disease is reported to be more severe in black patients than in white patients, but most available data concern African-Americans. We studied blood pressure history and levels, the prevalence of associated risk factors, renal and cardiovascular complications, and secondary forms of hypertension in patients born in sub-Saharan Africa and managed in France, by comparison with up to five control patients born in Europe and matched for age and sex. Compared to European hypertensive women, African hypertensive women had a higher body-mass index (28.8 vs 26.3 kg/m2, p<0.001) and were more often diabetic (12 vs 5 %, p<0.001). Hypertensive men and women born in sub-Saharan Africa had higher systolic blood pressure (152 vs 148 mmHg, p<0.001), were more likely to have a history of stroke (11.7 vs 6.7 %, p<0.001) and were less likely to have a history of smoking or hyperlipidemia than European controls. Sub-Saharan Africans were more frequently given antihypertensive medication than their paired controls (84 vs 74 %, p<0.001), and their antihypertensive regimens were more likely to include a diuretic (54 vs 46 %, p=0.001) or a calcium channel antagonist (58 vs 49 %, p=0.001). Compared to European controls, patients born in sub-Saharan Africa had more frequent proteinuria (test strip positivity : 32 vs 18 %, p<0.001), irrespective of blood pressure and diabetes. The overall prevalence of secondary hypertension was similar in the two populations. However, patients born in sub-Saharan Africa were more likely than their European controls to have primary hyperaldosteronism (12 vs 7 %, p=0.001) and less likely to have renovascular disease (1 vs 5 %, p=0.001). Thus, the higher prevalence of cardiovascular and renal complications at referral among patients born in sub-Saharan Africa relative to age- and sex-matched European patients does not seem to be explained solely by observed differences in blood pressure or associated risk factors. The difference in the distribution of secondary hypertension warrants further study.

INTRODUCTION

L’hypertension artérielle (HTA) est en Afrique subsaharienne (AS) un problème d’une immense portée médicale et économique du fait de sa grande prévalence en milieu urbain, de son dépistage tardif ou incomplet, des problèmes économiques liés à sa prise en charge, et des conséquences de ses complications [1, 2]. Les personnes nées en AS qui vivent en France et celles qui vivent dans leur pays natal ont en commun des caractéristiques culturelles qui incluent la langue, la religion, les habitudes alimentaires et l’ascendance. Celles qui vivent en France sont néanmoins exposées à un environnement différent ; elles partagent l’environnement climatique, et en partie l’environnement alimentaire et socio-économique des personnes nées en Europe.

En matière d’HTA, les similitudes et différences entre hypertendus africainsaméricains et américains d’origine européenne sont assez bien connues [3, 4], de même que les différences entre hypertendus nés aux Antilles, généralement de lointaine ascendance africaine, et les hypertendus nés en France métropolitaine, généralement d’ascendance européenne [5]. En revanche, les similitudes et différences entre les hypertendus nés en AS résidant en France et les hypertendus nés en Europe sont mal connues. L’étude de ces similitudes et différences devrait reposer sur la comparaison de la prévalence de l’HTA et de ses complications dans des échantillons représentatifs des populations concernées. Il est malheureusement difficile d’obtenir un échantillon représentatif d’une population récemment immigrée comme celle des personnes nées en AS et résidant en France. La question peut être approchée par l’analyse d’une population hospitalière. Nous avons comparé les caractéristiques de l’HTA et la prévalence des facteurs de risque associés, des complications cardiovasculaires et des causes d’HTA secondaire chez des hypertendus nés en AS et des hypertendus nés en Europe adressés à un service spécialisé.

PATIENTS ET MÉTHODES

Sélection des patients et extraction des données

Nous avons inclus les patients hypertendus consultant pour la première fois entre 2001 et 2006 dans notre unité d’hypertension, nés en Europe ou dans les pays suivants d’AS, classés par effectifs décroissants de patients inclus : Congo, Cameroun, Cote d’Ivoire, Sénégal, Mali, Togo, Bénin, Madagascar, Guinée-Bissau, Guinée-Conakry, Mauritanie, Angola, Gabon, Burkina Faso, République CentreAfricaine, Soudan, Ghana, Niger, Tchad, Zambie, Nigeria, Ouganda, Ethiopie et Gambie. Les patients dont la pression artérielle (PA) était normale en l’absence de traitement antihypertenseur, les patients français nés dans un département ou territoire d’Outre-Mer et les patients dont la première visite avait directement lieu en hôpital de jour ou de semaine ont été exclus.

L’observation médicale de l’unité d’HTA est informatisée depuis 1975 ; les données cliniques et paracliniques des patients sont enregistrées dans une base de données hospitalières [6]. Il est ainsi possible d’accéder à travers des requêtes informatiques aux principaux éléments de l’histoire médicale, au traitement en cours lors de la visite, à l’évaluation du contrôle de l’HTA et des cofacteurs de risque cardiovasculaire, et enfin à l’évaluation de la cause de l’HTA et de son retentissement sur les organes cibles.

La valeur des variables suivantes au moment de la première consultation a été extraite : âge, sexe, tabagisme actuel et/ou passé ; ancienneté connue de l’HTA ;

antécédents connus de dyslipidémie, de diabète, d’insuffisance rénale, d’accident vasculaire cérébral (AVC), de cardiopathie ischémique ou d’insuffisance cardiaque ;

indice de masse corporelle (IMC : poids/taille2), pression artérielle (PA), traitement
en cours ; résultats de l’électrocardiogramme (indice de Sokolow : R1 + S5 ou S6 ;

indice de Cornell : RL + S3) ; et présence d’une protéinurie à la bandelette (à partir d’une croix). La PA était mesurée par une infirmière entraînée utilisant un moniteur semi-automatique validé (Omron 705CP). Trois mesures de PA ont été obtenues en position assise après cinq minutes de repos, et la moyenne de la deuxième et de la troisième mesures retenue pour définir la PA clinique, comme décrit précédemment [7]. Chez les patients recevant un traitement antihypertenseur, le score de traitement était défini par le nombre de classes thérapeutiques prescrites parmi les suivantes :

diurétiques, bétabloquants, antagonistes calciques, inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, antagonistes du récepteur AT de l’angiotensine II et 1 antihypertenseurs d’action centrale.

Chez les patients ayant eu une exploration complémentaire en hôpital de jour ou de semaine, on a également recueilli la cholestérolémie, la glycémie à jeun, la créatininémie, l’index de masse ventriculaire gauche (masse ventriculaire gauche estimée en échographie rapportée à la surface corporelle ou à la taille2,7), et le résultat de l’enquête étiologique. Une éventuelle étiologie rénale parenchymateuse, rénovasculaire ou surrénale a été retenue si elle apparaissait dans le compte rendu informatisé de sortie après une hospitalisation. Les méthodes pour le dépistage et la confirmation de ces étiologies sont décrites par ailleurs [8, 9].

Analyse statistique

Chaque patient né en AS a été comparé à cinq patients nés en Europe appariés sur l’âge (fi 1 an) et le sexe, afin de s’affranchir de l’influence majeure de ces deux variables sur la maladie hypertensive et les cofacteurs de risque cardiovasculaire. Les données sont présentées en nombre de patients (pourcentage) pour les variables binaires et en moyenne (fiécart-type) pour les variables quantitatives. Pour chaque variable, le nombre de patients avec des données disponibles est indiqué. Les comparaisons appariées entre hypertendus nés en AS et hypertendus nés en Europe ont été effectuées en régression logistique conditionnelle univariée. Une interaction avec le sexe a été recherchée de façon systématique dans toutes les comparaisons ; le cas échéant, les résultats pour les femmes et pour les hommes sont présentés séparément. Pour ces analyses univariées exploratoires, le seuil de significativité retenu après correction de Bonferroni était α = 0,05/50 = 0,001. En effet, des comparaisons indépendantes étaient prévues sur trente-deux variables, avec une duplication en cas d’hétérogénéité entre hommes et femmes, soit une cinquantaine de comparaisons. Lorsque des différences étaient observées entre hypertendus africains et européens en analyse univariée, l’effet des facteurs de confusion potentiels a été étudié par ajustement en régression logistique conditionnelle multivariée.

Le seuil de significativité retenu était alors α = 0,05. Les analyses statistiques ont été réalisées dans Stata 8,2 (StataCorp, College Station, Texas, États-Unis).

RÉSULTATS

Données de la première consultation

Les caractéristiques initiales des patients originaires d’AS et d’Europe sont comparées dans le Tableau 1. Les hypertendus nés en AS avaient une plus grande prévalence d’AVC et une plus faible prévalence d’hyperlipidémie et d’exposition au tabac que les hypertendus nés en Europe. Leur PA et leurs indices électrocardiographiques étaient plus élevés que ceux des hypertendus nés en Europe et ils avaient plus souvent une protéinurie à la bandelette. La différence de prévalence des AVC restait significative après ajustement sur la PA systolique et les cofacteurs de risque dont l’IMC (p= 0,001). La différence de protéinurie à la bandelette restait significative après ajustement sur l’IMC, le diabète et la PA systolique (p<0,001). La différence de PA entre hypertendus nés en AS et en Europe restait significative après ajustement sur l’IMC et le diabète (p=0,003 pour la systolique ; p=0,001 pour la diastolique). Les femmes nées en AS étaient plus corpulentes et plus souvent diabétiques que les femmes nées en Europe et cette dernière différence restait significative après ajustement sur l’IMC (p=0,004).

Les hypertendus nés en AS étaient plus souvent traités et avaient un score de traitement plus élevé que leurs pairs nés en Europe. La plus grande fréquence du traitement antihypertenseur à la première consultation restait significative (p=0,007) après ajustement sur la PA et les comorbidités (diabète, AVC, cardiopathie ischémique, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale). Ils recevaient plus souvent un diurétique et un inhibiteur calcique que les hypertendus originaires d’Europe et cette différence restait significative après ajustement sur le score de traitement (p=0,01 et p=0,007 respectivement).

Exploration complémentaire

La fréquence et les résultats de l’exploration complémentaire des patients originaires d’AS et d’Europe sont comparés dans le Tableau 2. La fréquence plus importante des consultations et des hospitalisations dans les six mois chez les patients originaires d’AS était associée à la plus grande sévérité de la maladie hypertensive évaluée lors de la consultation initiale. En effet ces différences de fréquence n’étaient plus significatives (p=0,98 et p=0,74 pour les consultations et les hospitalisations, respectivement) après ajustement sur la PA systolique, le diabète et le retentissement sur les organes cibles : AVC, insuffisance cardiaque, cardiopathie ischémique et protéinurie à la bandelette.

Les patients africains avaient des indices de masse ventriculaire gauche plus importants que leurs pairs européens, qu’ils soient indexés sur la surface corporelle ou sur la taille à la puissance2,7. Le plus bas niveau de cholestérolémie chez les patients nés en AS n’était pas uniquement expliqué par la plus faible prévalence des dyslipidé- mies (p<0,001 après ajustement sur ce facteur). En revanche, le plus haut niveau de

TABLEAU 1. — Caractéristiques initiales des patients nés en Europe ou en Afrique sub-saharienne.

Europe Afrique sub-saharienne Nombre de Effectif (%) Nombre de Effectif (%) P données ou moyenne données ou moyenne disponibles fi1DS disponibles fi1DS Données administratives

Age, années 2610 48,6 fi 11,5 539 48,3 fi 11,4 – Hommes 2610 1321 (50,6) 539 273 (50,6) – Antécédents

Durée connue de l’HTA, années 2431 7,4 fi 8,8 497 7,3 fi 8,0 0,71 Plus haute PA systolique, mmHg 2361 193,2 fi 27,7 475 196,5 fi 28,1 0,006 Insuffisance cardiaque 2036 78 (3,8) 352 23 (6,5) 0,02 Insuffisance coronaire 2049 69 (3,4) 345 10 (2,9) 0,85 Accident vasculaire cérébral 2357 158 (6,7) 480 56 (11,7) <0,001 femmes 1229 62 (5,0) 251 30 (12,0) <0,001 Diabète hommes 1241 136 (11,0) 247 30 (12,1) 0,59 Hyperlipidémie 2466 781 (31,7) 496 109 (22,0) <0,001 femmes 1244 460 (37,0) 258 22 (8,5) <0,001 Exposition au tabac hommes 1263 721 (57,1) 250 94 (37,6) <0,001 Données de la 1ère consultation femmes 1247 207 (16,6) 259 5 (1,9) <0,001 Fumeurs actuels hommes 1295 254 (19,6) 267 31 (11,6) 0,002 Indice de corpulence, femmes 1259 26,3 fi 6,3 262 28,8 fi 5,3 <0,001 kg/m2 hommes 1301 28,0 fi 4,5 266 27,7 fi 4,7 0,47 PA systolique, mmHg 2579 147,9 fi 22,6 530 151,5 fi 23,0 <0,001 PA diastolique, mmHg 2578 89,6 fi 12,9 530 92,2 fi 13,3 <0,001 Traitement en cours de l’HTA 2491 1834 (73,6) 516 433 (83,9) <0,001 Si oui :

Durée, années 1786 5,8 fi 7,5 398 5,8 fi 6,8 0,87 Score de traitement 1834 2,2 fi 1,3 433 2,3 fi 1,3 0,03 Diurétiques 1834 843 (46,0) 433 233 (53,8) 0,001 Bétabloquants 1834 766 (41,8) 433 154 (35,6) 0,03 Inhibiteurs du SRA 1834 976 (53,2) 433 233 (53,8) 0,60 Antagonistes calciques 1834 903 (49,2) 433 253 (58,4) 0,001 Indice de Sokolow, mm 2276 22,9 fi 8,0 459 27,9 fi 10,2 <0,001 Indice de Cornell, mm 1836 16,1 fi 7,0 384 18,4 fi 9,0 <0,001 Protéinurie à la bandelette 1607 290 (18,0) 341 108 (31,7) <0,001 HTA : hypertension ; PA : pression artérielle ; SRA : système rénine-angiotensine glycémie chez ces patients était expliqué par la plus grande prévalence du diabète et du surpoids (p=0,17 après ajustement sur ces facteurs). La créatininémie des patients africains était plus élevée que celle des patients européens.

P 0,02 0,43 0,03 <0,001 0,001 <0,001 <0,001 0,823 <0,001 0,002 0,001 0,001 (%) enne 1,1 1,9 1,7 66,4 33,3 16,6 y 1DS (59,0) (58,3) fi fi fi fi fi fi (20,2) (12,3) (6,1) (1,4) ff ectif mo fi 6 89 54 27 E 318 314 5,0 5,7 5,9 ou 98,8 99,9 47,3 sub-saharienne sub-saharienne e d les e é es Afrique 539 539 449 214 210 480 239 240 440 440 440 440 en Afrique donn ou Nombr disponib ope Eur (%) 1,1 1,1 1,5 38,6 30,5 14,9 e n enne y (50,2) (50,2) (18,3) (7,1) (3,7) (4,7) é s 1DS fi fi fi fi fi fi n ff ectif mo fi 155 81 104 E 5,3 5,4 5,9 401 ou 1309 1310 85,0 96,5 44,5 tients ope pa Eur e d des les e e é es 2610 2610 2124 938 996 2230 888 889 2196 2196 2196 2196 donn Nombr disponib é mentair 6 6 compl les les 2 2,7 g/m g/m tion dans , , a dans e tion tion gauche gauche teuse Explor tion tion e e é e — primair yma e 2.

consulta hospitalisa ench J 1 consulta consulta re J 1 re mmol/l è è , entriculair entriculair document par asculair ABLEAU eu 1 v v v eu 1 µ mol/l e , é r onisme T la la thie ant r é no y ant l é mie mmol/lfemmes a ant y ant é mie v a v , masse masse opa é ro aldost e e ypertension sui sui d d tinin secondair h c é mie x x é phr :

tients tients y é a A a a Hyper N Maladie A P mois P mois Cholest Gl hommes Cr Inde Inde HT HT

COMMENTAIRES

Les principaux constats tirés de cette étude sont la plus grande fréquence des antécédents cardiovasculaires ; le plus haut niveau de la PA à la première consultation ; et le retentissement cardio-rénal plus sévère de l’HTA chez les hypertendus nés en AS que chez leurs pairs nés en Europe. Ces différences ne sont pas inattendues [1-4,10,11]. Bien que la distribution des cofacteurs de risque (corpulence, tabagisme, diabète, dysplipidémie) soit différente dans les deux groupes, elle ne semble pas suffire à expliquer la différence de sévérité de la maladie hypertensive.

Nos résultats ne paraissent pas non plus directement expliqués par une différence dans l’accès aux soins [12]. Les patients nés en AS avaient à la première consultation une PA plus élevée — et un niveau maximum connu de PA systolique plus élevé — que leurs pairs nés en Europe. Néanmoins leur HTA n’était pas plus ancienne et elle était plus souvent traitée que celle de leurs pairs. Les traitements prescrits — plus nombreux comme le justifiait leur niveau de PA — utilisaient plus souvent les diurétiques et les inhibiteurs calciques, des agents bien adaptés à l’HTA des sujets d’ascendance africaine [4,12,13]. Ces patients nés en AS ont été plus souvent explorés en hospitalisation et suivis en consultation que leurs pairs, à proportion de leur HTA plus sévère. Au sein de cette population référée par les correspondants d’une unité spécialisée d’HTA, il n’y avait pas donc de biais évident pouvant suggérer une moins bonne prise en charge des patients nés en AS. Néanmoins les complications et les atteintes précliniques cardiovasculaires et rénales étaient plus fréquentes chez ces patients que chez leurs pairs européens, et cette différence de fréquence persistait après ajustement sur la PA.

Ces données suggèrent que le facteur hémodynamique — le niveau de la PA — n’est pas la seule explication de la plus grande prévalence des AVC, de l’hypertrophie ventriculaire gauche ou de l’atteinte rénale chez les patients nés en AS. Des diffé- rences dans le bilan sodé et son contrôle neurohormonal, d’origine environnementale ou génétique, peuvent rendre compte de complications cardiovasculaires et rénales plus fréquentes à niveau égal de PA [14, 15]. Notre étude n’avait ni les moyens ni l’objectif d’une étude physiopathologique des cas d’HTA essentielle qui formaient la majorité du recrutement. Toutefois des différences étaient présentes parmi les étiologies d’HTA secondaires que nous avons détectées. La maladie rénovasculaire, localisation de l’athérosclérose dans la circulation rénale, était moins fréquente chez les patients originaires d’AS que chez leurs pairs d’Europe, ce qui peut refléter la moindre prévalence chez les premiers de l’hypercholestérolémie et de l’exposition au tabac. Au contraire l’hyperaldostéronisme primaire semblait plus fréquent chez les patients nés en AS. Cette forme d’HTA est connue pour entraîner, à niveau égal de PA, des conséquences plus sévères en termes de morbidité cérébrovasculaire, d’hypertrophie ventriculaire gauche et de protéinurie [16, 17].

Cette étude a plusieurs limites. Elle est rétrospective ; même si le recueil des données a été prospectif, utilisant une base de données standardisée, le recueil des données
n’est pas exhaustif. Certaines variables intéressantes n’ont pas pu être étudiées de façon systématique comme le niveau d’éducation, le niveau de prise en charge médicale, la natriurèse et la créatininurie : des différences concernant ces paramètres peuvent influencer l’accès au soin, le niveau de la PA et le débit de filtration glomérulaire. Elle porte sur une population hospitalière, nécessairement biaisée : de nombreux hypertendus nés en AS et vivant en France ne sont pas référés dans un centre d’HTA, et il en est de même pour de nombreux hypertendus nés en Europe. Il serait d’ailleurs difficile de constituer un échantillon représentatif des hypertendus nés en AS et résidant en France parce qu’il s’agit d’une population migrante et parce que les pays d’origine sont nombreux. Enfin l’ajustement statistique sur le niveau de la PA n’apporte pas une certitude sur le poids relatif du niveau de la PA et de facteurs non hémodynamiques dans le retentissement cardiaque, cérébral et rénal de l’HTA.

Notre étude a cependant des implications pratiques. La prise en charge des hypertendus nés en AS devrait être plus précoce qu’elle ne l’est actuellement. Un contrôle strict de la PA devrait être doublé d’objectifs non tensionnels : contrôler les facteurs de risque associés et réduire la microalbuminurie si elle est présente [4,18]. Les différences liées au sexe concernant l’IMC et la prévalence du diabète indiquent qu’une prise en charge diététique est importante chez les femmes nées en AS. Enfin une recherche spécifique devrait être consacrée au dépistage et à l’analyse des HTA secondaires chez les patients nés en AS.

REMERCIEMENTS

Le docteur Thierry Gombet a bénéficié pour ce travail d’une bourse de l’Académie nationale de médecine.

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DISCUSSION

M. Gabriel RICHET

Avez-vous recherché systématiquement une pathologie excrétrice par Shistosomiahaemiothrombine ?

La recherche d’une infestation par Schistosoma haematobium ou de ses séquelles urinaires n’était pas systématique et n’était pas mentionnée dans la base de données.

M. Jean-Etienne TOUZE

L’hypertension artérielle des sujets d’Afrique subsaharienne fait intervenir une prédisposition génétique démontrée dans de nombreuses études nord américaines, une anomalie de
l’excrétion sodée, mais aussi des facteurs diététiques. Sur ce point, le régime alimentaire est différent selon les pays d’Afrique avec une part plus importante des apports glucidiques dans les pays d’Afrique de l’ouest, de Sahel ou de l’est, que dans les pays d’Afrique centrale, équatoriales ou de forêt. Dans ce contexte, avez-vous constaté dans votre étude des différences régionales dans les caractéristiques de vos patients et dans leur profil évolutif ?

Ces personnes originaires d’Afrique subsaharienne vivaient en France et pouvaient avoir modifié les habitudes diététiques de leur pays d’origine. La multiplicité des pays d’origine, et donc le petit effectif par pays, ne permettait pas d’analyser d’éventuelles différences régionales. Nous n’avons pas cherché de relation entre la pression artérielle et l’excrétion sodée parce que la natriurèse mesurée en hospitalisation de jour ou de plus d’un jour n’est pas un bon reflet de la natriurèse ou de l’apport sodé habituels.

M. Paul DOURY

Vos patients présentaient-ils fréquemment ce type de maladie métabolique (diabète avec glycémie très élevée, hyperuricémie et goutte articulaire aiguë) ?

Dans la présente étude, la glycémie à jeun et la prévalence du diabète étaient significativement plus élevées chez les femmes nées en Afrique que chez les femmes nées en Europe, mais ces différences n’étaient pas présentes chez les hommes. Nous n’avons pas de données sur la fréquence de l’hyperuricémie ou de la goutte.


* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine. ** Unité d’hypertension artérielle, Hôpital Européen Georges Pompidou, 20 rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15 ; Université Paris Descartes, Faculté de Médecine, Paris. *** Médecine interne, Hôpital Tenon, 4 rue la Chine, 75020 Paris, Université Pierre et Marie Curie-Paris6, Faculté de Médecine, Paris. Tirés-à-part : Professeur Pierre-François PLOUIN, unité d’Hypertension artérielle, Hôpital Européen Georges Pompidou, 75908 Paris cedex 15. Article reçu le 28 septembre 2007, accepté le 22 octobre 2007

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 8, 1745-1755, séance du 20 novembre 2007