Communication scientifique
Session of 20 mars 2012

L’ulcère de Buruli : hypothèses relatives au mode de transmission de Mycobacterium ulcerans

MOTS-CLÉS : transmission de maladie infectieuse. ulcère de buruli. vecteurs insectes
Buruli ulcer : hypothetical modes of transmission of Mycobacterium ulceran François Rodhain
KEY-WORDS : buruli ulcer. infectious. infectious disease transmission. insect vectors

Résumé

L’ulcère de Buruli, dû à Mycobacterium ulcerans , est en forte recrudescence depuis une trentaine d’années. C’est en Afrique sub-saharienne que la prévalence est la plus élevée. Les lésions nécrotiques extensives qui caractérisent cette maladie sont dues à une toxine produite par la bactérie : la mycolactone. Le mode de transmission de Mycobacterium ulcerans est encore l’objet de controverses. Depuis quelques années, on a évoqué le rôle potentiel de différents insectes ; il convient donc d’examiner le bien fondé de cette hypothèse. En Australie, une infection par Mycobacterium ulcerans a été détectée chez différentes espèces de moustiques. En Afrique, c’est sur des punaises aquatiques prédatrices, en particulier les bélostomes et les naucores, que portent les soupçons. La mycobactérie a été détectée dans les glandes salivaires de ces insectes et la transmission expérimentale à des souris a été démontrée, ce qui suggère que la piqûre de punaises infectées est contaminante. Par ailleurs, les personnes les plus exposées aux piqûres de punaises aquatiques se révèlent être les moins infectées, ce qui pourrait traduire l’existence d’une protection conférée par les piqûres répétées de punaises saines. Ce mode de transmission par insectes pourrait ne venir qu’en complément d’une transmission directe à l’occasion d’un traumatisme.

Summary

The incidence of Buruli ulcer, caused by Mycobacterium ulcerans, has been increasingly rapidly over the past thirty years, particularly in Africa. These extensive necrotic lesions are due to mycolactone, a toxin produced by the bacterium. The mode of Mycobacterium ulcerans transmission is still controversial, and several insect species have been incriminated. Several infected mosquito species have been identified in Australia, while predatory water bugs, particularly belostomatids and naucorids, have been implicated in Africa. Indeed, the bacterium has been detected in these insects’ salivary glands, and experimental transmission to mice has been demonstrated, raising the possibility of human transmission by water bug bites. Interestingly, individuals highly exposed to water bug bites tend to be less often infected, indicating that frequent bites by non infected bugs might have a protective effect. Insect-borne transmission would be a minor route of transmission compared to direct transmission via skin trauma.

Les espèces bactériennes du genre

Mycobacterium sont au nombre d’une centaine.

Parmi elles, trois espèces pathogènes pour l’homme sont responsables de maladies redoutables : la tuberculose, la lèpre et l’ulcère de Buruli. Cette dernière affection, due à Mycobacterium ulcerans , est en forte recrudescence depuis une trentaine d’années et l’Organisation Mondiale de la Santé la considère comme une maladie émergente négligée.

MYCOBACTERIUM ULCERANS ET L’ULCÈRE DE BURULI

Observé, semble-t-il, depuis 1897 en Ouganda, l’ulcère de Buruli a été décrit en Australie en 1948 (sous le nom de ‘‘ Bairnsdale Ulcer ’’), puis en République Démocratique du Congo (alors Congo belge) en 1959 et en Ouganda en 1961. Il s’agit d’une panniculite aboutissant à une nécrose extensive de la peau et des tissus sous-jacents (muscles, os), dont l’évolution spontanée, toujours très lente, peut aboutir au bout de quelques années à des séquelles très invalidantes, à l’origine d’un handicap fonctionnel et d’un préjudice esthétique majeurs. Pour avoir des chances d’être efficace, le traitement par bi-antibiothérapie associé à des soins locaux doit être entrepris précocément. Plus tard, la persistance de séquelles peut justifier le recours à une chirurgie réparatrice cutanée et à une correction des lésions articulaires et des rétractions musculaires importantes, accompagnée d’une physiothérapie active [1].

Le séquençage de la totalité du génome de Mycobacterium ulcerans a été réalisé en 2007. Par PCR, on a reconnu, chez cette espèce, l’existence de trois sous-types géographiques (Afrique, Australie, Amérique du Sud). Les lésions observées sont dues à une toxine produite par la bactérie, la mycolactone, dont la biosynthèse est permise par six gènes connus ; il s’agit d’un système génétique très instable, avec un taux de mutation élevé, de sorte qu’il existe des souches productrices et non productrices de mycolactone.

 

Cette mycobactériose sévit en zone rurale, principalement dans des régions de climat chaud et humide ; c’est en Afrique sub-saharienne, où les enfants et les femmes sont plus souvent atteints que les hommes adultes, que la prévalence est de loin la plus élevée, surtout le long du golfe de Guinée où la maladie est en forte expansion depuis les années 1980, mais les chiffres officiels sont le plus souvent fortement sous-estimés. L’OMS estime à quelque cent mille le nombre total de personnes atteintes d’ulcère de Buruli.

LE MODE DE TRANSMISSION DE MYCOBACTERIUM ULCERANS

Le mode de transmission de

Mycobacterium ulcerans est encore l’objet de controverses. S’il n’y a pas de transmission directe d’homme à homme, un lien est généralement reconnu avec un contact avec des eaux stagnantes ou faiblement courantes, de sorte que l’existence d’un réservoir hydro-tellurique est fortement soupçonnée. La bactérie, qui à été isolée de mares et de rizières, se développerait dans la boue, la vase, peut-être sur les racines de certaines plantes aquatiques. La recrudescence observée sur le continent africain pourrait dès lors être dûe au développement des aménagements hydro-agricoles. En Australie, toutefois, ce lien avec les marais n’est pas retrouvé.

La contamination par l’intermédiaire d’excoriations ou de micro-traumatismes est depuis longtemps considérée comme très probable, par exemple à l’occasion du lavage du linge ou du recueil d’eau de boisson, mais, depuis quelques années, plusieurs équipes de chercheurs ont évoqué le rôle potentiel de différents insectes dans la transmission de Mycobacterium ulcerans. Il convient par conséquent d’examiner le bien fondé de cette hypothèse.

Arguments en faveur d’une implication des moustiques

Dans le Sud-Est de l’Australie (région de Melbourne, état de Victoria), région de climat tempéré autrefois indemne, une véritable épidémie d’ulcères de Buruli s’est développée depuis le début des années 1990, touchant des résidents comme des visiteurs de toutes les tranches d’âge. Les épidémiologistes ont cherché à mettre en évidence la mycobactérie chez des moustiques. Par PCR, l’infection des moustiques a, en effet, été détectée chez 4,3 % d’entre eux, principalement chez Aedes camptorhynchus , l’espèce la plus abondante [2]. Dans cette région, la densité maximale des moustiques est observée au printemps et en été et les nouveaux cas de maladie apparaissent en automne et en hiver, ce qui indiquerait une durée d’incubation de trois à sept mois, compatible avec les données déjà disponibles.

Arguments en faveur d’une implication de punaises aquatiques

D’autres auteurs travaillant en Afrique se sont penchés sur le rôle éventuel joué par certaines punaises aquatiques dans la transmission de Mycobacterium ulcerans .

 

Les premiers de ces insectes à avoir été étudiés sont les Bélostomes (genre

Belostoma ,

Famille des Belostomatidae). Il s’agit de punaises aquatiques de grande taille (3 à 12 cm.), prédatrices, fréquemment rencontrées dans les marais et les rizières. Leurs proies habituelles sont des crustacés, des insectes, des batraciens, des poissons. Les Bélostomes, lorsqu’on les saisit sans précaution, peuvent infliger des piqûres très douloureuses en injectant leur salive aux propriétés cytolytiques. Dans différents pays d’Afrique (Bénin, Côte d’Ivoire, Cameroun), une infection naturelle par Mycobacterium ulcerans a été détectée par PCR au niveau des glandes salivaires de ces punaises.

Par la suite, d’autres espèces de Bélostomes (genre Diplonychus notamment) mais aussi d’autres punaises aquatiques prédatrices ont également été trouvées porteuses de la bactérie : des Naucores (genre Naucoris , Famille des Naucoridae) au Bénin et au

Ghana, puis des Corises du genre

Micronecta (Famille des Corixidae) en Côte d’Ivoire [3, 4]. La question est alors de savoir si ces insectes sont des vecteurs potentiels ou seulement des hôtes plus ou moins occasionnels de Mycobacterium ulcerans .

Pour tenter de répondre à cette question, Marsollier et al. ont entrepris des expé- riences de transmission expérimentale. Des punaises, préalablement infectées sur asticots contaminés, ont été amenées à piquer des souris ; ces dernières ont effectivement développé des lésions à Mycobacterium ulcerans quelques semaines plus tard, ce qui suggère que la piqûre de punaises infectées est bien contaminante.

D’autre part, la présence de Mycobacterium ulcerans a été montrée chez des punaises capturées de nuit hors du milieu aquatique (ces punaises se déplacent d’une collection d’eau à une autre par le vol), ce qui suggère en outre un rôle possible de ces insectes dans la dissémination de la bactérie [5].

Éventualité d’un rôle protecteur de la salive des punaises

L’hypothèse d’une transmission par piqûre de bélostomes est néanmoins discutée par d’autres auteurs qui ne retrouvent pas de lien entre l’abondance des punaises et la fréquence des cas d’ulcère de Buruli chez l’homme, ni de différence d’abondance des punaises entre zones endémiques et non endémiques.

De plus, les personnes les plus exposées aux piqûres de punaises aquatiques, comme les pêcheurs, se révèlent être paradoxalement les moins souvent atteintes. Une hypothèse a alors été formulée, selon laquelle une certaine protection serait conférée par les piqûres répétées des punaises saines [6]. Diverses expériences ont été mises en œuvre afin de le démontrer. Ainsi, les souris piquées, de manière répétitive par des punaises saines puis par des Naucoris infectés présentent moins de lésions (9 sur 10 demeurent indemnes) que celles qui ont été seulement piquées par des punaises infectées (8 sur 10 développent des lésions ulcéreuses). De même, des souris sensibilisées par un homogénat de glandes salivaires de Naucores s’avèrent relativement résistantes à l’infection : elles ne développent pas de lésions cutanées et la charge bactérienne au site d’inoculation demeure faible [7, 8]. Enfin, chez l’homme, existent des anticorps reconnaissant les constituants de la salive des punaises et on observe que les personnes porteuses de lésions ulcéreuses ont des titres d’anticorps plus faibles que les autres, ce qui suggère que les antigènes salivaires pourraient conférer une certaine résistance [6].

SYNTHÈSE ÉPIDÉMIOLOGIQUE

Au total, bien qu’encore préliminaire, l’ensemble de ces données nous conduit à penser que la dénomination ‘‘ ulcère de Buruli ’’ pourrait recouvrir plusieurs entités différentes, correspondant peut-être aux différents variants détectés au sein de l’espèce Mycobacterium ulcerans et, plus généralement, parmi les mycobactéries productrices de mycolactone dont la situation taxinomique est loin d’être clairement établie.

Ainsi, en Afrique, on note que les enfants et les femmes sont les plus souvent atteints, qu’un lien, direct ou indirect, avec les eaux stagnantes, la vase, la boue, paraît assez clair et que les piqûres des punaises aquatiques pourraient s’avérer contaminantes.

En Australie, par contre, en région de climat tempéré, les personnes atteintes sont des adultes des deux sexes, le lien avec les eaux douces n’est pas retrouvé et l’hypothèse a été avancée que des moustiques pourraient se trouver impliqués dans la transmission [9], hypothèse toutefois contestée par d’autres auteurs [10].

Quoi qu’il en soit, certaines observations sont en faveur d’une transmission par des insectes, mais elles ne sont pas totalement convaincantes. Même répétés, des isolements de Mycobacterium ulcerans ou des mises en évidence du génome par PCR à partir d’insectes ne prouvent pas que les insectes en question soient bien des vecteurs. Et si tel était le cas, devrait-on les considérer comme des vecteurs mécaniques ou des vecteurs biologiques ? Il est possible, comme le suggèrent certains épidémiologistes, que les mycobactéries puissent constituer des biofilms à la surface de végétaux aquatiques broutés par différents phytophages comme des mollusques ou des poissons ; ces derniers sont eux-mêmes des proies habituelles pour les punaises qui pourraient ensuite les transmettre par piqûre [11]. Ce mode de transmission, toutefois, ne viendrait qu’en complément d’une transmission directe à l’occasion d’un traumatisme cutané qui demeurerait le mode habituel de transmission.

Quant à la protection éventuellement conférée par la salive des punaises saines, son mécanisme reste à préciser. Certains auteurs ont suggéré que des molécules d’insectes, capables de se fixer à la bactérie, seraient reconnues par le système immunitaire de l’homme, ce qui pourrait aboutir à une limitation de la multiplication des bactéries ou peut-être à un changement de leur programme génétique pour diminuer la production de mycolactone. Il serait de toute manière utile d’étudier les mécanismes génétiques de la production de la mycolactone car leur compréhension est susceptible de déboucher sur de nouvelles approches thérapeutiques.

Quoi qu’il en soit, cette intrusion récente des entomologistes dans le domaine des mycobactériologistes est indiscutablement intéressante à suivre.

et des dépots de fibrine. Sur les bords, on observe une hyperplasie de l’épiderme, le derme restant relativement épargné. C’est dans la base nécrosée de l’ulcère que l’on peut voir des bacilles acido-alcoolo-résistants. Pour ce qui est du traitement, on peut procéder à l’exérèse totale de la lésion avant son ulcération. Au stade de lésion ulcérée, le traitement repose sur une biantibiothérapie : rifampicine et aminoside (amikacine par exemple) ou fluoroquinolone et aminoside, pour une durée de huit à douze semaines ainsi que sur des soins locaux. Les séquelles sont justiciables d’une chirurgie réparatrice cutanée, de la correction de la gêne fonctionnelle, d’une kinésithérapie active pour éviter ou corriger les complications invalidantes.

M. Claude GIUDICELLI

Existe-t-il un réservoir animal de Mycobacterium ulcerans ?

En Australie, différents mammifères ont été trouvés porteurs de lésions ulcéreuses à Mycobacterium ulcerans . De rares cas ont été observés chez des animaux domestiques (chats, chiens, chevaux, alpacas). Parmi les animaux sauvages, des marsupiaux sont également atteints : des koalas, des kangourous (Potorous) et surtout des possums. De plus, la bactérie a été retrouvée dans les fécès de possums apparemment sains. La question se pose donc de savoir si ces animaux peuvent constituer des réservoirs naturels, bien qu’ils soient arboricoles et n’aient pas de contacts directs avec les collections d’eau.

En Afrique par contre, aucun animal n’a été trouvé infecté. J’ajoute qu’expérimentalement, des animaux très variés (souris, tatous, lézards, …) peuvent être infectés par Mycobacterium ulcerans .

 

M. André-Laurent PARODI

Vos observations rappellent une maladie cutanée, ulcéreuse, du chat, associée à la présence de très nombreux bacilles alcoolo-acido-résistants dont les microbiologistes nous disaient qu’il s’agissait de mycobactéries « atypiques »

Il existe, en effet, de nombreuses mycobactéries, autrefois regroupées sous l’expression ‘‘ mycobactéries atypiques ’’. On connaît un assez grand nombre mycobactéries, diffé- rant par leurs conditions de culture, l’aspect des colonies, la production on non de toxine et donc leur pathogénicité, leur répartition et leur spectre d’hôtes, etc. et auxquelles des noms d’ ‘‘ espèce ’’ ont été attribués. Mais leur identification est encore imprécise, leur statut incertain. Leur taxinomie et leur phylogénie demeurent très mal connues pour le moment. Lorsque, dans quelques années, les études de taxinomie moléculaire auront pu être réalisées, on y verra plus clair dans la systématique de ce groupe bactérien complexe.

Il est probable que les cas auxquels vous faites allusion entraient dans ce cadre.

 

<p>* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine, 132, boulevard du Montparnasse — 75014 Paris ; e-mail : f.rodhain@noos.fr Tirés à part : Professeur François Rodhain, meme adresse Article reçu le 6 juin 2011, accepté le 14 novembre 2011</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, no 3, 685-691, séance du 20 mars 2012