Communication scientifique
Session of 19 janvier 2010

L’obésité, une maladie en soi

MOTS-CLÉS : comportement alimentaire.. obésité. tissu adipeux
Obesity, a disease
KEY-WORDS : adipose tissue. feeding behavior.. obesity

Arnaud Basdevant, Cécile Ciangura

Résumé

L’obésité a été reconnue comme une maladie par l’Organisation Mondiale de la Santé en 1997. Elle était précédemment considérée comme un simple facteur de risque et comme un simple avatar de la société de consommation. Plusieurs facteurs ont conduit à cette reconnaissance : les données épidémiologiques indiquant une diffusion mondiale de ce problème ; l’impact medico-économique lié principalement à l’incidence croissante du diabète due à l’obésité ; enfin les progrès des concepts physiopathologiques. L’obésité est une maladie chronique évolutive : son traitement doit être adapté, de la prévention à la chirurgie, au stade évolutif du processus.

Summary

Obesity has been considered as a disease by the World Health Organisation since 1997. It was previously considered a simple risk factor and a manifestation of consumer society. This recognition was based on several developments, including epidemiological data showing the worldwide spread of the disease ; the increasing health expenditure due to the obesityrelated increase in type 2 diabetes ; and progress in pathophysiological concepts. Obesity is a chronic and progressive disease. Management approaches range from prevention to surgery, and must be adapted to the individual situation.

L’entrée de l’obésité dans le champ de la médecine moderne est récent. Dans cet article nous discuterons des arguments qui ont conduit les autorités de santé internationales à considérer que cette caractéristique de corpulence était en réalité un problème médical à considérer comme une maladie à part entière [1,2]. Nous analyserons trois domaines ayant eu un rôle déterminant dans cette reconnaissance : les données épidémiologiques, l’impact medico-économique enfin les progrès des concepts physiopathologiques. Nous conclurons sur les conséquences pour la prise en charge et le système de soins.

Émergence de l’obésité en santé publique : le fait épidémiologique

Si Hippocrate note que l’obésité est associée à un « risque accru de mort subite », si Gallien établit la première description raisonnée de la « polysarkia », c’est à l’approche positiviste de l’état pathologique en tant que dégradation d’un état parfait (dont on peut définir la norme) que l’on doit la notion de « poids idéal » et donc d’obésité [3]. Cette notion de norme pondérale apparaît au début du xixe siècle à partir des travaux d’Adolphe Quetelet. En charge d’analyser les caractéristiques anthropomé- triques des conscrits, ce savant belge définit « le poids idéal » à partir d’une formule désormais célèbre qui porte son nom, l’indice de masse corporelle, conçu pour exprimer la corpulence en fonction de la taille (IMC : rapport du poids en kg sur le carré de la taille en cm). Cette approche quantitative de la maladie connaîtra son plein essor dans les années 1950-60, par la définition des facteurs de risque dont les compagnies d’assurance ont besoin pour fixer les niveaux de primes. Sont ainsi identifiés le tabagisme, l’hypercholestérolémie, l’hypertension artérielle, le diabète…

et le poids idéal donc l’obésité. C’est à la Metropolitan Life Insurance Company que l’on doit la définition des seuils d’indice de masse corporelle (IMC) exposant à des dépenses accrues : l’obésité se définit par un IMC>30 et l’obésité sévère par un IMC>40. La perspective medico-économique, celle de l’assurance, est à l’origine même de la définition de l’obésité en santé publique.

L’obésité sera initialement marginalisée parmi les facteurs de risque vasculaires du fait de sa faible prévalence et donc de sa contribution relativement modeste à la morbi-mortalité comparée à celle de l’hypertension, du tabac ou du diabète.

L’absence de médicaments et de bases physiopathologiques, contribuera également à un certain désintérêt, voire à une négligence. De plus le problème restera longtemps circonscrit aux USA. La situation va évoluer dans les années 1990.

Il apparaît à cette époque que l’augmentation de la prévalence de l’obésité déborde largement les USA pour atteindre la Grande Bretagne et progressivement le reste de l’Europe dans les années 80 puis la quasi-totalité des pays du globe en particulier les pays émergents, dont le Brésil à partir de 1990 enfin la Chine. Les données épidé- miologiques deviennent préoccupantes : l’OMS estime à 400 millions le nombre de personnes obèses dans le monde soit 7 % de la population mondiale, ce chiffre devant atteindre 12 % en 2020 si les tendances évolutives actuelles se confirment. En France les études Obepi/Inserm situent la prévalence de l’obésité à 8,7 % de la population en 1997 et à 14,5 % en 2009 avec un triplement de la prévalence des formes les plus graves et une augmentation dans toutes les tranches d’âge [4].

 

L’obésité s’avère jouer un rôle central dans le développement d’une série de maladies chroniques avant le diabète non insulino-dépendant, (80 % des diabètes sont liés à l’obésité), l’hypertension artérielle et des maladies cardiovasculaires mais aussi certains cancers et des maladies respiratoires et articulaires sources de handicap.

S’ajoute le retentissement psychologique et social, le tout générant des coûts indirects conséquents. L’Organisation Mondiale de la Santé s’alarme de l’extension épidémique de l’obésité et de ses conséquences dans un retentissant rapport intitulé « Obesity : the global epidemic », publié en 1997 [5].

Dans cette même période, les progrès de la recherche vont donner à cette pathologie sa crédibilité scientifique. Se succèdent la découverte du rôle majeur d’une hormone, des facteurs de prédispositions innés (génétiques) et acquis (intra utérin), des bases cellulaires et moléculaires du développement du tissu adipeux et du contrôle de la prise alimentaire. La science ouvre ainsi des perspectives pharmacologiques qui ne peuvent laisser indifférents les acteurs économiques, les firmes pharmaceutiques.

Bref, l’obésité cesse d’être une simple mésaventure de la société fast food pour devenir une préoccupation de santé publique mondiale ce que confirmeront les études médico-économiques.

L’impact médico-économique

Première alerte en 2000, selon les

Centers for disease control and prevention , les dépenses de soins liées à l’obésité dépassent les 75 milliards de $. Plus récemment, l’Union européenne constate que les coûts annuels directs et indirects sont de l’ordre de 15 à 32 milliards k soit 0,3 % du PIB. En 2008, le Président de la Haute Autorité de Santé, HAS, s’inquiète : « seuls les pays qui auront su maîtriser l’épidémie d’obésité pourront préserver leur système de protection sociale » [6]. Cette inquiétude est-elle fondée ?

Une étude de l’IRDES sur des données de 2002, situe le coût de l’obésité entre 1,5 et 4,6 % des dépenses de santé. La consommation moyenne de soins et de biens médicaux d’une personne obèse s’élèverait à environ 2 500 k, soit le double de celle d’un individu non obèse. Si l’on tient compte des montants remboursés par l’Assurance maladie, le surcoût lié à l’obésité est estimé à 407 k en moyenne et 631 k avec les indemnités journalières. Selon cette étude, les dépenses de santé liées à l’obésité atteignent 2,6 milliard k et pour l’Assurance maladie, 2,1 milliards k. Selon la CNAMTS, à âge égal, les personnes atteintes d’obésité ont deux fois plus de risque d’avoir une affection de longue durée que les personnes de « poids normal ».

Les dépenses liées à l’obésité représenteraient 3 % et 7 % de l’objectif 7 % national des dépenses d’assurance maladies (ONDAM) pour 2008. Au rythme actuel la progression de l’obésité, le coût pourrait doubler d’ici 2020 et représenter 14 % de l’ONDAM. Selon l’IGAS le surcoût de l’obésité se situe aux alentours de 5 milliards k mais pour l’Inspection Générale des Finances il atteindrait entre 11,5 et 14,5 milliards. Ces données françaises concordent avec celles des pays européens.

 

Plus que leur valeur absolue, sur laquelle apparaissent des divergences liées en partie à des différences méthodologiques, c’est la tendance évolutive qui importe [6-9].

En 2009, les préoccupations économiques des Américains s’aggravent devant la publication lors d’une conférence du Center of Disease Control (CDC), mentionnant que pour l’année 1998 les dépenses médicales liées à l’obésité étaient de 78,5 milliards de dollars par an, mais que la progression épidémiologique de l’obésité (+ 37 % en dix ans) aboutissait à une progression des dépenses annuelles de 40 milliards de dollars pour le système de santé. En 2008 les dépenses liées à l’obésité était de 147 milliards de dollars soit 9,1 % des dépenses à comparer avec 6,5 % en 1998. L’obésité augmente les dépenses de 42 % (plus 1 429 dollars/an) principalement par les dépenses de médicaments [10].

Les progrès des concepts physiopathologiques

Nous avons eu l’opportunité de présenter récemment devant l’Académie nationale de médecine l’évolution des concepts physiopathologiques dans le domaine de l’obésité et de ses complications. Nous résumerons ici les points clés de ce progrès scientifique [11].

L’obésité est liée à des facteurs biologiques, comportementaux et environnementaux. Il est admis qu’un déséquilibre entre les apports et les dépenses énergétiques est une étape incontournable de la constitution d’une inflation des réserves énergé- tiques stockées sous forme de triglycérides dans le tissu adipeux. Néanmoins plus les connaissances biologiques, épidémiologiques, comportementales progressent, plus sont remis en cause les schémas simplistes qui feraient de l’obésité la seule consé- quence de la gloutonnerie ou de l’inactivité sur un terrain biologique, génétique prédisposé ou autre. Les concepts physiopathologiques se complexifient et s’ouvrent vers la notion de pathologie d’organe à retentissement systémique. Les altérations du tissu adipeux primaires ou secondaires contribuent à l’aggravation progressive de la maladie, c’est-à-dire au passage à la chronicité et à la survenue de complications.

Il faut donc distinguer les facteurs d’initiation, de maintien, d’aggravation et de résistance. [12-16].

L’obésité se définit par une inflation de la masse grasse entraînant des inconvénients pour la santé. Elle traduit l’incapacité du système réglant les réserves énergétiques à faire face à une pression biologique, comportementale ou environnementale. En effet, la composition corporelle d’un individu reste dans la majorité des cas d’une remarquable stabilité en touts cas à court et moyen terme en dehors de fluctuations mineures. On parle de « régulation pondérale », de pondérostat, concept qui mériterait une définition plus précise car il faudrait plutôt parler de régulation des compartiments corporels, incluant les réserves énergétiques et hydriques, ainsi que la masse maigre etc. Mais la majorité des réserves étant sous forme de tissu adipeux, il est généralement considéré que l’inflation de la masse grasse traduit un déséquilibre de la balance énergétique [12].

 

Il faut admettre que nous ne sommes pas en mesure faute d’outils précis de savoir ce qui contribue en termes comportementaux à déséquilibrer la dépense énergétique pour favoriser l’obésité chez un individu donné, augmentation des apports ou diminution des dépenses. Nous ne le savons d’autant moins que la recherche clinique porte rarement sur les événements initiaux de la prise de poids : les sujets sont généralement étudiés au stade de surpoids ou d’obésité donc à un stade avancé du processus. Reste que les désordres comportementaux, les effets de la transition nutritionnelle, la pression environnementale sont vraisemblablement des déterminants majeurs. La diminution de la dépense énergétique tient à la sédentarité accrue liée à l’urbanisation, à la réduction du travail physique et à une moindre nécessité de thermogenèse (température de l’habitat, vêtements, etc.). Ce déséquilibre de la dépense énergétique n’est pas la seule explication possible de l’obésité. Pourrait également intervenir l’augmentation des capacités de stockage par augmentation du nombre de cellules ou de leurs capacités de lipogenèse ou d’un déficit de lipolyse ou de l’association de ces différents facteurs [17-20].

Quel que soit le mécanisme primaire, on ne peut que constater l’incapacité du système réglant les réserves adipeuses à contrebalancer la perturbation initiale. On sait que pour des raisons génétiques, épigénétiques ou acquises, des altération de l’intégration des messages périphérique renseignant sur l’état des réserves énergé- tiques explique l’incapacité du système réglant (principalement hypothalamique) à maintenir la stabilité des réserves énergétiques [14].

Une nouvelle étape a été franchie au cours des dernières années qui permet de mieux comprendre la tendance à la chronicité de l’obésité. L’inflation de la masse grasse ne s’associe pas seulement à une augmentation du nombre et/ou de la taille des cellules adipeuses mais à un profond remaniement de sa structure dominé par l’inflammation et la fibrose. C’est ainsi que se constitue progressivement une pathologie d’organe dont la réversibilité au cours de la perte de poids n’est que partielle. Ces données fournissent une explication, ou au moins une base biologique, à la résistance à la perte de poids [21-25].

L’inflammation et la production par le tissu adipeux d’autres substances (hormones, toxiques, polluants) sont impliqués dans les complications de l’obésité : l’obé- sité devient au fil du temps une maladie systémique [21].

Ce bref et incomplet aperçu des concepts physiopathologiques (n’abordant pas la question majeure de la génétique) explique que l’on puisse maintenant ranger l’obésité dans le cadre des maladies liées aux comportements et à l’environnement et conduisant à une pathologie d’organe à retentissement systémique [27-24] Implications cliniques et thérapeutiques

La médecine de l’obésité doit en premier lieu tenir compte du caractère évolutif de la maladie. L’obésité évolue en plusieurs phases. Dans la phase initiale de prise de poids, de constitution de l’obésité, l’essentiel du travail médical consiste à en identifier les déterminants comportementaux (alimentation, activité physique) biologiques (génétiques, médicamenteux, métaboliques, hormonaux), psychologiques et sociaux. À ce stade, l’action médicale est centrée sur les modifications comportementales, l’adaptation des modes de vie. L’efficacité thérapeutique est maximale.

Chez environ la moitié des cas cette phase débute dans l’enfance ou l’adolescence.

Le plus souvent, faute d’intervention précoce ou du fait de la persistance de ses déterminants, la maladie s’installe dans la durée. Elle s’aggrave en raison du développement d’anomalies organiques du tissu graisseux qui, pour des raisons biologiques, devient de plus en plus résistant aux traitements qui impliquent alors d’importantes contraintes et astreintes comportementales (diététique, activité physique, éventuelle assistance respiratoire, insulinothérapie..). D’où la place centrale de l’éducation thérapeutique et de l’accompagnement du patient. Un patient sur dix évolue vers le stade d’obésité sévère dont la prise en charge devient particulièrement complexe. Le traitement des diverses complications devient central et sollicite de nombreux intervenants. Le retentissement psychologique et social peut être considérable. Dans les formes résistantes aux traitements médicaux et exposant à des complications majeures et/ou des handicaps, la chirurgie peut être indiquée en sachant que l’intervention ne dispense pas d’un suivi durable.

L’hétérogénéité clinique est considérable, les stratégies thérapeutiques sont donc variables, évolutives, basées sur des approches et des intervenants différents selon les situations.

La médecine de l’obésité doit également tenir compte de la diversité des complications. Celles-ci se répartissent en plusieurs domaines : les complications métaboliques et cardiovasculaires dominées par le diabète, l’hypertension, les maladies cardiaques ischémiques et l’insuffisance cardiaque ; les complications dites mécaniques en particulier le syndrome d’apnée du sommeil, l’hypoventilation alvéolaire, les atteintes articulaires, l’incontinence urinaire ; le risque accru de nombreux cancers qui se manifeste actuellement plus clairement du fait de la prévalence importante de l’obésité massive et de la longévité accrue de la population ; les conséquences inflammatoires (steatohépatite ; asthme) ; les conséquences psychologiques et le retentissement sociale [28-30].

Il n’est pas facile de conduire les bilans et les traitements en cas d’obésité massive car les corpulences extrêmes mettent actuellement en échec les investigations, et en particulier l’imagerie, modernes.

Les enjeux pour le système de soins

Face à la progression de l’obésité à tous les âges de la vie et dans toutes les générations, il s’agit d’assurer aux personnes obèses la qualité et la sécurité des soins en médecine, en chirurgie et en obstétrique. La priorité doit être d’optimiser la chaîne de soins en définissant les rôles des différents acteurs et structures , afin d’assurer la qualité et la sécurité des soins. Cette adaptation impose une évolution des organisations, des pratiques et des ressources.

La chaîne de soins pour les enfants et les adultes obèses sollicite en premier lieu le médecin traitant ou le pédiatre, les mieux placés pour assurer la cohérence de la prise en charge, de la prévention au traitement, et en second recours les médecins libéraux spécialistes de l’obésité pour les situations complexes. Le recours aux établissements de santé se situe en « 3ème ligne ».

Les points critiques sont les capacités d’accueil et de suivi, les ressources médicales et paramédicales, les équipements, la prise en compte des dimensions médico-sociales, la cohérence de la chaîne de soins, l’identification de l’obésité dans le système d’information et les tarifications [31].

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[30] NICE — www.nice.org.uk/guidance/CG4 3 [31] Basdevant A. — Rapport sur l’amélioration de la prise en charge de l’obésité dans les établissements de soins- www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_A_Basdevant

DISCUSSION

M. Jean-Pierre NICOLAS

Il me semble qu’en dépit des efforts d’éducation nutritionnelle, la fréquence de l’obésité continue de progresser dans de nombreux pays. Je me demande si cette éducation prend suffisamment en compte, lors des repas, l’attention à porter aux messages de notre organisme que sont la faim, la satiété, les appêtits spécifiques, le goût, le plaisir, plutôt que les informations télévisées par exemple. Pensez-vous que plus il y a de plaisir par bouchée, moins il y a de bouchées ?

En effet la fréquence de l’obésité augmente chez l’adulte alors que différentes études indiquent une relative stagnation chez les enfants. Cela ne remet pas en cause le bien fondé des campagnes d’information mais souligne que l’impact de celles-ci n’est pas immédiat. Je partage votre observation sur l’importance des signaux physiologiques qui déclenchent et interrompent la prise alimentaire : ceux-ci sont de plus en plus disqualifiés par l’importance des stimuli extérieurs, des facteurs psychologiques et sociaux de l’obé- sité, au rang desquels figure l’idéal minceur. La question de la microstructure de la prise alimentaire et celle du plaisir sont d’une grande complexité. Mais il apparaît au clinicien des désordres alimentaires que de nombreux conseils diététiques, en aggravant la restriction alimentaire donc en diminuant le plaisir, favorisent les dérives pondérales.

M. Maurice TUBIANA

Dans votre excellent exposé, vous n’avez pas fait allusion à l’étiquetage qui, actuellement, en France, contrairement à ce qui se fait dans la plupart des pays, n’apporte aucune information sur la teneur en calories des produits alimentaires. En 1998, l’Académie avait voté une résolution demandant un étiquetage informatif (on pensait notamment aux biscuits dont les enfants sont si friands) (Bull. Acad. Natle Med., 1998, 82, 1887-97). Hélas, malgré plusieurs rappels, il n’y a toujours aucun étiquetage. Dans des conversations avec le ministre et les directeurs généraux de la Santé, on m’a fait deux objections : aux États-Unis où l’étiquetage existe depuis longtemps, le surpoids et l’obésité sont très fréquents. C’est exact, mais cela ne signifie pas que l’étiquetage soit inutile et inefficace. Dans les classes, un poids excessif n’est observé que chez 6 % des personnes les moins instruites, contre 22 % dans les classes sociales instruites. Ceci montre que les plus éduqués bénéficient de l’étiquetage, alors que les moins éduqués n’en tirent que peu de bénéfice. D’ailleurs, dans, les restaurants américains de bon niveau, la richesse en calories des plats est indiquée sur le menu, alors que dans les restaurants plus simples il n’y a aucune information ; que l’étiquetage accentue les disparités sociales. C’est hélas vrai et montre que l’étiquetage n’est pas suffisant et doit être accompagné par l’information et l’éducation. Dans le cas du tabac, l’information a une efficacité d’autant plus grand que le niveau d’instruction est plus élevé et le pourcentage de fumeurs en France passe de 15 à 65 % en fonction du niveau socio-économique. Est-ce à dire qu’il est inutile ? Le taux de cancers du poumon en France a notablement baissé, faut-il le regretter, même si les plus instruits en bénéficient plus que les autres ! En réalité, l’absence d’étiquetage me paraît surtout due au lobby très intense de certaines industries de l’agroalimentaire. Que peut-on faire pour améliorer les choses ? Merci de votre avis et de vos conseils

La question de l’étiquetage reste en effet d’actualité avec des positions divergentes entre les pays européens ce qui ne facilite pas l’application d’une mesure cohérente. Différents types d’étiquetage sont possibles plus ou moins informatifs ; l’une des méthodes simple étant trois couleurs, rouge, jaune, verte en fonction de l’intérêt nutritionnel. Cette approche est discutée car elle a tendance à classer de manière dichotomique bons et mauvais aliments…. L’argument selon lequel les mesures de prévention ne sont pas justifiées puisque l’obésité progresse dans les milieux en situation difficile sur le plan économique et sociale me paraît, j’en conviens, spécieux. Tous les programmes de santé publique connaissent des succès initiaux dans les populations favorisées qui peuvent les appliquer plus facilement et étendent leur efficacité secondairement vers le reste de la population. L’exemple du tabac est à cet égard éloquent. L’étiquetage n’est qu’un outil de la prévention, comme vous le soulignez l’éducation et l’information sont essentielles.

Mais j’ajouterai qu’une autre étape doit être franchie, celle de la ‘‘ facilitation ’’.

J’entends par là : rendre possible l’application des recommandations. L’exemple est celui des « vélib »: ils ont sans doute autant contribué à la pratique de l’activité physique par leur accessibilité, leur disponibilité que les messages ‘‘ bouger pour votre santé ’’. Les deux approches sont, bien entendu, complémentaires. De même améliorer la qualité de la cantine scolaire est aussi important que de donner des conseils aux enfants. Bref passer à la pratique concrète par les apprentissages et les conditionnements.

M. Claude JAFFIOL

Pour la prévention de l’obésité infantile quel est l’intérêt du système EPODE ? Quel est le rôle de la flore intestinale dans la genèse de l’obésité ?

L’approche EPODE mise sur des partenariat régionaux réunissant institutionnels et secteur privé, milieu associatif, secteur santé etc. L’initiative vient du maire qui engage sa commune dans le projet de prévention de l’obésité de l’enfant et sollicite les bonnes volontés locales. C’est un projet intéressant qui se développe en France et a été considéré comme un modèle par certains de nos voisins. Sa force est de miser sur les acteurs de proximité et de chercher à développer des messages positifs. Certains contestent la participation du privé : c’est là un débat de fond mais je pense que seul le multipartenariat permettra d’avancer dans la prévention. Le rôle de la flore intestinale dans le développement ou l’entretien de l’obésité est au cœur d’une recherche actuellement en plein développement. J’avais évoqué cette question lors de ma précédente intervention au mois de juin 2009. Le constat est que la flore intestinale des personnes obèses présente certaines spécificités qui pourraient contribuer par voie locale ou systémique à déséquilibrer le bilan d’énergie. Ceci a été montré par le groupe de Gordon aux USA et a été exploré de manière très intéressante par des groupes français dont celui de Rémi Burcelin à Toulouse, de Gérard Cortier à l’INRA et de Karine Clément à Paris.

M. Pierre DELAVEAU

La prévention chez l’enfant avant l’apparition de l’obésité ne devrait-elle pas être généralisée ? Du fait que la saveur du lait maternel est très peu sucrée, n’y a-t-il pas à observer soigneusement la saveur des premiers aliments tels que les compotes pour très jeunes enfants, de façon à équilibrer très tôt dans la vie les besoins énergétiques et les dépenses ?

Oui, il faut sans doute intervenir tôt car les facteurs épigénétiques et de la petite enfance sont importants. Les facteurs sensoriels que vous évoquez peuvent au travers des apprentissages et des conditionnements entraîner des habitudes durables de consommation.

Mais comme vous le savez l’établissement des goûts et des préférences chez l’enfant est un processus complexe qui est passé par une période de néophobie dont il faut tenir compte.

Il importe donc de poursuivre les recherches, comme celles conduites à Dijon par l’équipe de B. Schaal pour donner les bases scientifiques d’actions péventives précoces.

 

M. Claude DREUX

On connaît le rôle de l’alcool dans l’obésité. Cet effet est-il seulement calorique ou également métabolique et sociologique ?

Métabolique certainement par les calories de l’alcool et peut-être par une moindre oxydation lipidique lors de la consommation de graisses et d’alcool. Mais également sociologique, dans certains cas.

M. Alain LARCAN

Pourquoi existe-t-il une prédisposition aux complications graves de la grippe H1 N1 chez les obèses ? Existe-t-il une ou des obésités ? L’obésité associée à un syndrome inflammatoire (parfois évocateur d’une artérite temporale) et compliquée d’une cirrhose pseudo-étylique est-elle une maladie autonome ou la forme extrême de toute obésité ? Quel est le rôle du stockage dans l’adipocyte de celui de la cellule endothéliale dans le dépôt et le déstockage des graisses cellulaires ?

Cette vulnérabilité des personnes atteintes d’obésité au complications de la grippe H1N1 n’est pas surprenante quand on connaît la précarité respiratoire de ces patients atteints d’hypoxémie chronique, d’hypoventilation alvéolaire, d’apnée du sommeil. C’est vrai de toute agression infectieuse respiratoire : l’attention portée à la grippe H1N1 a été l’occasion de mieux documenter ce phénomène .

 

M. André VACHERON

Chez les obéses, après plusieurs d’années d’évolution, il semble bien que les adipocytes engaînés dans la fibrose ne puissent plus évacuer leur stock de triglycérides. Qu’en est-il après la chirurgie ?

Il existe en effet un processus inflammatoire et fibrosant du tissu adipeux qui pourrait contribuer à la résistance de la perte de poids. Ce que nous constatons après la chirurgie de l’obésité c’est une régression de l’inflammation et une persistance de la fibrose. Nous n’avons pas pu pour l’instant montrer de corrélation entre degré de fibrose et le devenir de la lipolyse.

M. Roger NORDMANN

Vous n’avez pas envisagé la possibilité que l’obésité (notamment dans certaines de ses variété) puisse être classée parmi les processus addictifs. Dispose-t-on de données expérimentales concernant les souches de souris ou rats obèses qui indiqueraient si leur obésité s’accompagne des altérations neuro-biologiques (portant, en particulier, sur le système de récompense) que l’on retrouve dans la quasi-totalité des addictions ?

Le système dit de la récompense, « reward system » des anglo saxons, joue un rôle central dans une série de modèles expérimentaux animaux en particulier le célèbre modèle du rat cafétaria, l’obésité induite par le régime riche en lipides entre autres. D’où l’hypothèse, compte tenu de l’implication de ce circuit dans certaines addictions, d’assimiler l’obésité à ces situations de dépendance. L’hétérogénéité des obésités est telle que l’on ne peut réduire leur physiopathologie à cette hypothèse. D’un point de vue clinique nous ne constatons qu’exceptionnellement des situations rappelant une véritable dépendance. Il n’y pas d’équivalent de syndrome de sevrage. Mais l’imagerie cérébrale témoigne de l’implication des systèmes que vous évoquez dans certains comportements alimentaires.

 

<p>* Pôle endocrinologie, diabètologie, nutrition, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 47 bld de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, et e-mail : arnaud.basdevant@psl.aphp.fr Tirés-à-part : Professeur Arnaud Basdevant, même adresse. Article reçu le 14 décembre 2009, accepté le 11 janvier 2010.</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 1, 13-24, séance du 19 janvier 2010