Communication scientifique
Session of 19 janvier 2010

De la chirurgie de l’obésité à la chirurgie à visée métabolique. Expérience de quinze ans dans un service hospitalier universitaire

MOTS-CLÉS : chirurgie de l’obésité. diabète. laparoscopie.. obésité
From bariatric to metabolic surgery : 15 years experience in a French University Hospital
KEY-WORDS : bariatric surgery. diabetes mellitus.. laparoscopy. obesity

Jean-Marc Chevallier

Résumé

L’obésité massive a des conséquences graves sur la santé et sur la qualité de vie. Les pathologies vasculaires, respiratoires, ostéo-articulaires et métaboliques (diabète de type 2) qui la compliquent diminuent l’espérance de vie des patients, tout comme certains cancers plus fréquents chez le patient obèse. Les études démographiques récentes montrent une augmentation de sa prévalence en France comme dans l’ensemble des pays occidentaux, plus encore chez les sujets jeunes, en particulier l’obésité-maladie (IMC > 40 kg/m2) touche maintenant 1,1 % de la population en France. Les traitements médico-diététiques ont des limites bien connues puisqu’ils ont fait la preuve d’une efficacité inconstante, souvent modeste et sont grevés d’un taux élevé de récidive de l’obésité. C’est ce constat d’échec qui a conduit à proposer une intervention chirurgicale pour le traitement de l’obésité morbide, surtout depuis l’essor de la laparoscopie. Quatre interventions sont proposées : deux agissent par restriction gastrique (anneau LAGB et sleeve gastrectomy SG), une agit de façon mixte restriction et malabsorption (le bypass gastrique BPG) et la dérivation bilio-pancréatique (DBP) apporte une importante malabsorption. Plus une opération est efficace plus le risque est élevé : ainsi pour LAGB, SG, BPG et DBP la perte d’excès de poids à deux ans est respectivement de 49 %, 56, %, 63,3 et 73,3 % et le taux de mortalité de 0,1 %, 0,15 %, 0,5 % et 08 %. Il est apparu qu’à dix ans la chirurgie de l’obésité réduisait le risque de mortalité globalement de 40 % (56 % par infarctus, 92 % par diabète et 60 % par cancer. Il est apparu récemment que la chirurgie de l’obésité pouvait améliorer certaines maladies métaboliques, surtout le diabète, de façon indépendante de la perte de poids concomittante. Enfin la chirurgie de l’obésité est rentable par rapport au traitement médical à 3,5 ans. Certes la chirurgie bariatrique ne constitue pas la réponse idéale ni définitive à l’augmentation de la prévalence et de la gravité de l’obésité. Mais il est probable qu’elle restera pendant une, voire deux décennies, le mode de prise en charge le plus efficace. C’est la collaboration médico-chirurgicale, selon les Recommandations actuelles de l’HAS, qui permettra au plus grand nombre de patients obèses de profiter des remarquables résultats de cette chirurgie, en améliorant la qualité et l’espérance de vie de ces patients tout en diminuant le coût économique et social de l’obésité.

Summary

Morbid obesity has a major impact on both the duration and quality of life. It can be accompanied by vascular, respiratory, joint and metabolic complications (such as type 2 diabetes) which can shorten life expectancy, and some cancers are also more frequent in obese individuals. Recent demographic data show an increase in the prevalence of obesity in France, as in most western countries, particularly in young subjects. Morbid obesity (BMI >40 kg/m2) now affects more than 1.1 % of the population. Medical and dietary management has shown only modest and transient efficacy, and surgical procedures have thus been developed, notably using the laparoscopic approach. Four procedures are generally used: two are restrictive (gastric banding, LAGB ; and sleeve gastrectomy, SG), one is mixed (gastric bypass, GBP) and one is malabsorptive (biliopancreatic diversion, BPD). Unfortunately, the more effective the procedure, the higher the risk. With LAGB, SG, GBP and BPD, excess weight loss at two years is respectively 49 %, 56 %, 63.3 % and 73.3 %, and the mortality rates are 0.1 %, 0.15 %, 0.5 % and 0.8 %. Bariatric surgery appears to reduce overall mortality by 40 % at ten years (56 % for myocardial infarction, 92 % for diabetes, and 60 % for cancer). It has recently emerged that bariatric surgery can also improve metabolic diseases like type 2 diabetes, independently of excess weight loss. Bariatric surgery is cost-effective after 3.5 years. This may not be the ideal treatment for obesity, but it is likely to remain the most effective treatment for another 10 to 20 years. Cooperation between physicians and surgeons, based on official guidelines like those published by the French authorities, should allow more morbidly obese patients to benefit from the excellent results of this surgery, which improves both quality and duration of life and lessens the economic and social costs of obesity.

L’obésité massive a des conséquences graves sur la santé et la qualité de vie. Les pathologies vasculaires, respiratoires, ostéo-articulaires et métaboliques qui la compliquent diminuent l’espérance de vie des patients. Les études démographiques récentes montrent une augmentation de sa prévalence dans l’ensemble des pays occidentaux, dans toutes les tranches d’âge, mais plus encore chez les sujets jeunes.

Les traitements médico-diététiques ont des limites bien connues puisqu’ils ont fait la preuve d’une efficacité inconstante, souvent modeste et sont grevés d’un taux élevé de récidive de l’obésité. C’est ce constat d’échec qui a conduit à proposer une intervention chirurgicale pour le traitement de l’obésité morbide, surtout depuis l’essor de la laparoscopie. Il est apparu récemment que la chirurgie de l’obésité pouvait améliorer certaines maladies métaboliques, surtout le diabète, de façon indépendante de la perte de poids concomittante.

 

EFFICACITÉ GLOBALE DE LA CHIRURGIE SUR l’OBÉSITÉ-MALADIE

Dès 1996 une étude confirmait que le court-circuit gastrique était plus efficace que la prise en charge médicale seule dans le traitement du diabète de type II [1]. Deux revues de synthèse concluaient à l’intérêt de la chirurgie dans le traitement de l’obésité morbide : à partir de l’analyse de treize essais randomisés les auteurs observaient que la perte de poids était importante après la chirurgie, que le court-circuit gastrique entraînait une perte d’excès de poids (PEP) plus importante que la chirurgie de restriction gastrique et que la chirurgie améliorait les facteurs de comorbidité. L’étude « Swedish Obese Subjects » [2] est depuis 2004 la référence de l’efficacité de la chirurgie dans le traitement de l’obésité morbide : dans cette étude comparative non randomisée sur un total de 4 047 patients obèses suivis deux ans, 1 703 ont été suivis dix ans : 627 ont été suivis avec une prise en charge médicale conventionnelle et ont été comparés à 641 patients opérés.

Tableau I. — Efficacité de la chirurgie sur dix ans [2].

Trois informations sont apportées par ce travail déterminant (Tableau I) :

— La PEP est significativement plus importante dans le groupe opéré que dans le groupe contrôle.

— Cette PEP est maximale à deux ans et plus importante pour les bypass que pour les anneaux.

— Enfin cette PEP diminue ensuite avec le temps mais reste significativement efficace à dix ans.

 

Très récemment deux études déterminantes viennent de montrer que la chirurgie de l’obésité diminuait significativement la mortalité : la même étude SOS [3] rapporte la mortalité à 10,9 ans. Parmi 2 037 patients traités médicalement de manière conventionnelle (groupe contrôle) il y a eu 129 décès (6,3 %) ; parmi les 2 010 obèses opérés il y eut 101 décès (5,0 %). Les causes de décès les plus fréquentes ont été l’infarctus du myocarde (25 dans le groupe contrôle, 13 dans le groupe opéré) et le cancer (47 dans le groupe contrôle, 29 dans le groupe opéré).

Une étude de Salt Lake City sur la mortalité à long terme [4] comparant 7 925 patients traités médicalement à 7 925 bypass montre, après un suivi moyen de 7,1 ans, que la mortalité chute de 40 % grâce à l’intervention. La mortalité par maladie coronarienne a chuté de 56 %, de 60 % par cancer et surtout de 92 % par diabète.

Comme l’on sait déjà que l’obésité est un facteur favorisant certains cancers [5], il apparaît donc désormais que la chirurgie de l’obésité participe à la prévention du cancer et diminue l’incidence du diabète chez les obèses.

LES MÉTHODES CHIRURGICALES ET LEURS RÉSULTATS

Deux grands principes thérapeutiques sont utilisés : malabsorption et restriction gastrique. Actuellement deux grands types d’intervention sont réalisées :

— Les interventions visant à réduire la capacité gastrique : la gastroplastie verticale calibrée, le cerclage gastrique par anneau et la sleeve gastrectomy.

— Les interventions associant à une restriction gastrique une dérivation intestinale (court-circuit gastrique, dérivation bilio-pancréatique) qui entraîne un certain degré de malabsorption.

Les interventions de restriction gastrique

Elles consistent à délimiter un « petit estomac » de 15 à 20 ml qui, en se remplissant rapidement, donne au patient une sensation de satiété précoce qui empêche les ingestions massives dont souffrent ces malades.

La Gastroplastie Verticale Calibrée (GVC) selon Mason est la plus ancienne (fig.1):

Elle consiste à réaliser une petite poche gastrique de 15 à 30 ml par une partition de l’estomac à l’aide d’un agrafage vertical parallèle à la petite courbure. Cette poche est reliée au reste de l’estomac par un rétrecissement calibré à 11-12 mm par un collier prothétique externe inextensible. La séparation de la poche gastrique du reste de l’estomac par agrafage avec transsection a permis l’adaptation de la technique à sa réalisation par voie coelioscopique.

La GVC a une efficacité certaine sur la PEP : 40 à 50 % à un an, avec une efficacité maximale à 12-18 mois. Les résultats à long terme sont rares : un travail de la Mayo

Clinic a récemment permis de suivre à dix ans 71 patients après une GVC : avec seulement 26 % de PEP supérieure à 50 %, 17 % ont dû être réopérés. Cette étude est à l’origine d’un consensus américain qui propose d’abandonner cette intervention, maintenant que bypass et sleeve gastrectomy sont utilisés en routine.

Le Cerclage gastrique par anneau (fig. 2)

N’ouvrant pas le tube digestif, procédure réversible et ajustable, le cerclage gastrique est la technique restrictive la moins invasive.

Principe : confection d’un bandage circulaire autour de la partie haute de l’estomac au moyen d’un anneau ajustable de silicone, délimitant un compartiment gastrique d’une contenance de 15 à 20 ml qui constitue le petit estomac. La particularité de ce dispositif est d’être réversible et ajustable : Le diamètre intérieur de l’anneau est modulé par un ballonnet extensible relié à une chambre d’injection sous-cutanée placée sur la face antérieure du muscle droit de l’abdomen. On peut ainsi, après repérage radioscopique, ponctionner la chambre et remplir d’eau stérile l’anneau par une simple ponction, adaptant ainsi la vitesse de l’évacuation du petit estomac de façon personnalisée.

La PEP globale est d’environ 50 % à deux ans, stable à long terme. 80 % des patients ont perdu plus de 50 % de leur excès de poids en deux ans, les 20 % d’échecs sont toujours dus à deux causes : non-respect des contraintes diététiques et absence de surveillance.

Fig. 1. — Gastroplastie vertiFig. 2. — Anneau gastrique Fig. 3. — Sleeve Gastrectomy.

cale calibrée.

ajustable.

(selon Mason-Mc Lean)

Sécurité

Mortalité opératoire très faible (2/2 807, soit 0,07 %) [6].

Morbidité : le taux de complications global est de l’ordre de 10 %, essentiellement bénignes. Les complications graves sont la perforation gastrique (0,3 à %).

Le glissement d’anneau est la complication tardive la plus fréquente, mais une amélioration technique a fait chuter son taux en-dessous de 4 % [7]. La migration intragastrique de l’anneau (1 %) est due à une infection du dispositif ou des serrages trop fréquents ou trop importants.

Les anneaux sont mis en place par voie coelioscopique, technique mini-invasive qui améliore le confort péri- et postopératoire. La sensation de satiété précoce qu’entraî- nent ces techniques restrictives aide les patients à modifier leurs habitudes alimentaires, mais elles peuvent entraîner un inconfort ou des vomissements en cas d’erreur, certains aliments solides étant difficiles à ingérer. D’autre part elles ne fonctionnent pas lorsque le patient compense par des aliments liquides ou semiliquides (en particulier sucrés, ce sont les patients « sweet-eaters »). Ces techniques imposent une préparation diététique et un accompagnement pour aider les patients à modifier leur comportement alimentaire.

La « sleeve gastrectomy » (fig.3)

Principe

Cette technique consiste à transformer la poche gastrique en un long tube étroit calibré le long de la petite courbure gastrique, à partir de l’angle. La totalité de l’antre gastrique est préservée pour la vidange. Le tube gastrique étroit donne une sensation de satiété précoce dès qu’il est rempli.

Complications

Il s’agit d’un agrafage de toute la longueur de l’estomac vertical, soit plus de 20 cms.

Il a été décrit des hémorragies sur les rangées d’agrafes, ou des fistules dont le traitement peut être difficile en raison de l’étroitesse du tube.

Efficacité

À un an la sleeve donne une PEP de l’ordre de 40 %. Il semble qu’après trois ans les deux tiers des patients doivent être réopérés par dilatation de l’estomac.

Indications

Il s’agit de la seule technique de restriction gastrique qui soit irréversible puisque la poche gastrique est enlevée. Pour certains la sleeve gastrectomy pourrait remplacer l’anneau et être la première intervention contre l’obésité. L’inconvénient de cette attitude est que, en terme de complications, la sleeve est équivalente à une ouverture du tube digestif et donne des complications potentiellement plus graves que l’anneau (hémorragies, fistules, péritonite). Nous pensons plutôt qu’il faut la réserver aux situations graves : les patients ayant un IMC > 60 kg/m2 lorsque le bypass n’est pas réalisable dans un premier temps (trop de graisse épiploïque, gros foie stéatosique). On effectue dans un premier temps une sleeve et le patient est réevalué un an après. Soit il a bien perdu et la sleeve suffit, soit il reste en situation de danger (IMC > 35 kg/m2)et on peut alors convertir en bypass un an après, à un moment où l’intervention devient plus facile grâce à la perte de poids.

Les interventions mixtes

Elles associent une réduction de la capacité gastrique à une dérivation intestinale, soit gastrique, soit bilio-pancréatique.

Fig. 4. — Bypass gastro-jéjunal.

Fig. 5. — Dérivation bilio-pancréatique avec sleeve gastrectomy.

Le court-circuit gastrique ou Bypass gastrique (fig. 4)

Principe : création d’une poche gastrique associée à une dérivation intestinale et bilio-pancréatique par la réalisation d’une anse en Y plus ou moins longue. La poche gastrique est réalisée le long de la petite courbure par agrafage, déconnectée du reste de l’estomac. L’anse en Y est anastomosée d’une part à la poche gastrique, de l’autre au grêle transportant les sécretions bilio-pancréatiques à 40 à 70 cm de l’angle duodéno-jéjunal. La longueur de l’anse alimentaire est de 1,5 mètre environ.

Efficacité : PEP de 60 à 70 % à un an, stable avec le temps.

 

Sécurité : ces courts-circuits constituent un bouleversement de l’architecture digestive et imposent une ouverture du tube digestif au niveau des deux anastomoses.

Elles sont donc plus longues et plus délicates à réaliser que les techniques de réduction gastrique.

La mortalité précoce est estimée par le rapport de l’ANAES à 0,5 %. Les complications post-opératoires (5 %) sont marquées par le risque d’abcès profond (1,5 %) ou de fistule digestive (2,2 %). À distance il persiste un risque de sténose de l’anastomose gastro-jéjunale (3,7 %), d’ulcère anastomotique (3,5 %), qui peuvent globalement conduire à un taux de réintervention variable (entre 1,4 et 18,6 %). On peut observer des complications fonctionnelles à type de diarrhée et/ou dumping syndrome et parfois des carences en fer, vitamine B12 et folates qu’il faut savoir prévenir. Le Roux-en-Y gastric bypass a récemment été adapté à la laparoscopie avec les mêmes résultats et moins de complications pariétales.

La diversion bilio-pancréatique (BPD, fig 5)

La BPD est une technique malabsorptive : elle associe une gastrectomie distale, une section de l’iléon à 2,5 mètres de la valve iléo-caecale avec anastomose du segment distal à l’estomac restant (= anse alimentaire) et suture du segment proximal (= anse bilio-pancréatique) à l’iléon terminal à 50 cm de la valve iléo-caecale. Avec duodenal switch elle est destinée à éviter les ulcères anastomotiques : l’estomac est tubulisé en « sleeve gastrectomy », puis le duodénum est sectionné 4 cm après le pylore, le moignon duodénal est suturé, la même anse alimentaire que pour le BPD est anastomosée au duodénum proximal et l’anse bilio-pancréatique est anastomosée à l’iléon un mètre en amont de la valve iléo-caecale.

Souvent pratiquée chez des patients très lourds (IMC > 60 kg/m2), la mortalité est de 2 %. Les complications post-opératoires spécifiques sont surtout des fistules anastomotiques, à distance le principal risque est celui de carences, en particulier hypoalbuminémie en raison de la courte longueur de l’anse commune.

La PEP est la plus importante : 75 à 80 % à deux ans, stable avec le temps avec un succès chez 90 % des patients à dix ans.

Tableau II. — Efficacité et sécurité des différentes interventions [8].

GVC

Anneau

Bypass

DB

Mortalité 0,24 % 0, 07 % 0,5 % 2 % Complications post-opératoires 5 % 5 % 5 % 3 à 16 % Complications tardives 5 à 10 % 5 à 10 % 10 % 10 à 30 % PEP à 2 ans 40-50 % 40-50 % (6) 60-70 % 75-80 % PEP > 50 % à 10 ans 26 % 40 à 50 % 60 % 90 %

LES

INDICATIONS

ET

LES

RECOMMANDATIONS

DE

BONNE

PRATIQUE

La chirurgie n’est indiquée que pour l’obésité morbide, c’est-à-dire. celle qui diminue l’espérance de vie.

Les indications de la chirurgie de l’obésité ont fait l’objet de recommandations basées sur des consensus professionnels des sociétés savantes médico-chirurgicales françaises [9], européennes [10] et américaines plus récentes.

Une obésité morbide : IMC supérieur à 40 Kg/M2 ou à 35 Kg/m2 avec des facteurs de comorbidités dus à l’excès de poids et susceptibles de régresser avec la PEP : diabète, hypertension artérielle, syndrome d’apnée du sommeil, arthrose invalidante (gonarthrose, coxarthrose)…

Une obésité stable depuis cinq ans

Un échec du traitement médical conventionnel de l’obésité (régime diététique, activité physique, approche comportementale …) suivi pendant plus d’un an.

Motivation et coopération du patient : les techniques de réduction gastrique impliquent un bouleversement des habitudes alimentaires des patients dont il faut qu’ils soient informés, qu’ils y soient préparés et qu’ils acceptent une surveillance postopératoire régulière prolongée.

Concernant l’âge du patient : la plupart des équipes s’accordent à réserver ces interventions à l’adulte. Concernant la limite supérieure il faut que le patient puisse bénéficier de la perte de poids, le rapport bénéfice-risque est moins favorable au-delà de 60 ans mais certaines situations d’invalidité par arthrose peuvent être pris en compte. Chez l’adolescent, certes la situation d’endémie croissante de l’obésité amène à se poser des questions mais les indications chirurgicales restent exceptionnelles.

Ces recommandations ont été actualisées cette année au niveau européen [11]

La prise en charge de l’obésité grave impose une équipe inter-disciplinaire et la décision d’opérer doit être prise à l’issue d’une Réunion de Concertation Pluridisicplinaire (RCP). Dans ces conditions il a été possible de préciser ces indications :

— L’IMC de référence est l’IMC courant ou un IMC précédent documenté : cette notion d’IMC Maximum permet de ne pas attendre que le patient regrossisse trop avant de le réopérer en cas d’échec.

— La chirurgie est indiquée chez les patients qui ont perdu du poids avec un traitement médical mais ont repris du poids.

— Le constat d’échec de la prise en charge médicale, s’il se fait en RCP, ne nécessite plus un délai specifique.

 

Les contre-indications de la chirurgie de l’obésité

Elles sont de trois ordres : anesthésiques, médicales et psychiatriques Les contre-indications anesthésiques à la réalisation d’une anesthésie générale ou d’une coelioscopie sont : des troubles de la coagulation (cirrhose), une hypertension intra-crânienne non compensée, une hypertension artérielle pulmonaire, une hypercapnie supérieure à 45 mm Hg, une grossesse.

Les contre-indications médicales concernent les obésités endocriniennes, les maladies inflammatoires du tube digestif, les cancers potentiellement évolutifs (mais un ancien cancer du sein ne doit pas être considéré comme une contre-indication à une chirurgie de l’obésité s’il fait seulement l’objet d’une surveillance), les maladies de système évolutives.

Les contre-indications psychologiques : Il est essentiel de pouvoir affirmer que le patient a compris les règles diététiques de la restriction gastrique, qu’il accepte de s’y plier et qu’il coopérera à une surveillance obligatoire. Ceci élimine les patients souffrant de depression, les patients atteints de psychose, les patients dépendant de l’alcool ou des drogues. Dans certains cas moins graves, une prise en charge psychologique peut être requise avant d’envisager l’intervention.

Les indications de l’anneau gastrique

Une étude nationale récente a été réalisée avec la CNAM [14] : tous les patients obèses opérés en France en décembre 2002 et janvier 2003 (N=1236) ont été systématiquement revus de façon indépendante par les médecins conseils de la CNAM en avril 2004 et avril 2005. Un travail statistique a recherché les facteurs susceptibles de succès après anneau gastrique (PEP > 50 %).

En analyse uni- et multivariée les cinq facteurs prédictifs de succès sont :

— l’âge inférieur à 40 ans, — l’IMC initial < 50 kg/m2, — Le volume d’activité des chirurgiens de plus de deux interventions bariatriques par semaine, — Une reprise ou augmentation de l’activité physique en post-opératoire, — Une modification du comportement alimentaire après l’intervention.

Les indications du bypass

De l’étude précédente il est maintenant possible de déduire les indications du bypass selon deux situations :

de première intention le bypass est indiqué :

— chez les patients âgés de plus de 40 ans, — ayant un IMC > 50 kg/m2, — incapables de modifier leur comportement alimentaire (sweet-eaters, bingeeaters…), — souffrant d’une pathologie créant une absence de sensation de satiété (crâniopharyngiome, Prader-Willi), — en cas de réintervention, après échec d’un anneau, chez les superobèses (IMC > 60 kg/m2) le bypass réalisé en un temps comporte des risques (mortalité : 7,8 %, pour l’homme : jusqu’à 16,7 %). Il a été donc proposé de faire une sleeve gastrectomy première, suivie un an après si nécessaire de la montée de l’anse du bypass (stratégie dite « en deux temps »).

La physiopathologie du diabète de type 2 : introduction à une chirurgie « métabolique »

La résolution rapide du diabète après GBP [1] suggère que le contrôle du diabète serait une conséquence directe des modifications architecturales que ces courtscircuits entraînent et pas seulement le résultat de la diminution des apports caloriques et de la perte de poids. Ceci met en valeur le rôle que le tube digestif peut jouer dans le métabolisme du glucose, en particulier par plusieurs hormones intestinales [13].

CONCLUSION

La chirurgie est le seul traitement efficace contre l’obésité-maladie. L’anneau gastrique est une technique de restriction gastrique bien adaptée aux habitudes alimentaires françaises : il peut être le premier choix thérapeutique chez le sujet âgé de moins de 40 ans, ayant un IMC < 50, si le patient accepte de se plier à des régles diététiques assez strictes et de reprendre une activité physique. Il apporte 50 % de perte d’excès de poids en deux ans chez 80 % des opérés, en améliorant significativement la qualité de vie. Chez les super-obèses, chez les patients qui abusent de liquides sucrés ou qui risquent d’échouer avec un anneau parce qu’ils ne pourront pas s’habituer à des contraintes diététiques, il faut préférer la confection d’un court-circuit gastrique, également réalisable actuellement sous laparoscopie. Dans les situations extrêmes (IMC > 60) si l’anesthésie générale est réalisable mais qu’il faut une intervention courte il peut paraître judicieux de faire une chirurgie en deux temps : une sleeve gastrectomy suivie, si nécessaire un an après, d’un bypass ou d’une dérivation bilio-pancréatique. Dans tous les cas de cette pathologie complexe qu’est l’obésité, une prise en charge et une décision (RCP) multi-disciplinaire sont essentielles : médecin traitant, chirurgien, nutritionniste et psychologue doivent aider le patient pendant toute la durée du programme de perte de poids.

 

BIBLIOGRAPHIE [1] Pories W.J. — Who would have thought it? An operation proves to be the most effective therapy for adult-onset diabete melitus. Ann. Surg ., 1995, 222 , 339-352.

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Gastrointestinal Bypass Surgery reveals a Role of the Proximal Small Intestine in the Pathophysiology of Type 2 Diabetes. Ann. Surg ., 2006, 244 , 741-749.

 

DISCUSSION

M. René MORNEX

Je dois avouer que dans les années 80 j’étais hostile à cette technique. Heureusement mes élèves avaient un sens de l’indépendance et j’ai pu constater le bénéfice réel de cette technique. Y a-t-il utilité à pratiquer une chirurgie complémentaire d’adipectomie à visée cosmétique ?

 

Habituellement les patients perdent environ cinquante kilos en dix-huit mois. Ils ont donc bien sûr un excès de peau qui impose une chirurgie de reconstruction de silhouette environ deux ans après la chirurgie gastrique. Seule une petite population de jeunes femmes de moins de vingt-cinq ans peuvent perdre plus de 40 kg sans excès de peau si elles font du sport.

M. Pierre GODEAU

Faites-vous bénéficier vos patients d’une étude psychologique pré-opératoire ? Quel est le pourcentage de patients que vous récusez ?

Tous les patients sont vus pour une évaluation psychologique avant toute décision. Sur des questions désormais validées, les spécialistes les classent en quatre groupe : sans contre-indication, nécessitant un accompagnement psychologique post-opératoire, requérant une préparation psychologique préopératoire ou contre-indication. En 2007 sur 360 patients vus en consultation, 60 environ ont été transitoirement récusés.

M. Jean-Roger LE GALL

Que pensez-vous de la mise en vente libre chez les pharmaciens d’ALI, pour le traitement de l’obésité ? Quelle en est l’efficacité ?

ALI ne concerne pas les patients atteints d’obésité-maladie.

M. Louis HOLLENDER

Il y a un certain nombre d’années, nous traitions l’obésité morbide en réalisant des by-pass intestinaux avec des exclusions du jéjunum et de l’ilion d’étendues variables. Parmi les complications métaboliques observées, nous avons été frappés par l’apparition de lithiases urinaires, lesquelles nous avaient contraints l’une ou l’autre fois à des reconversions. Depuis les by-pass gastriques ont succédé aux by-pass intestinaux. En dehors de quelques rares cas de lithiase vésiculaire, avez-vous constaté la survenue de calculs uniraires ?

La chirurgie de l’obésité actuelle a beaucoup bénéficié des bypass réalisés autrefois. Les mesures de longueur de l’anse alimentaire (1,5 m) et de l’anse commune (> 1m) permettent actuellement d’éviter les graves problèmes que vous aviez rencontrés (calculs rénaux, dénutrition protéique). Mais la surveillance est essentielle.

M. Charles-Joël MENKÈS

La chirurige de l’obésité peut-elle se compliquer de troubles métaboliques osseux, notamment d’ostéomalacie ?

Non si l’on respecte les longueurs d’intestin nécessaires. La seule opération dangereuse est la dérivation bilio-pancréatique pour laquelle il faut que l’anse commune fasse plus d’un mètre de long.

 

M. Bernard LAUNOIS

Dans le traitement du reflux on utilisait des prothèses d’Angelchick qui entraînaient des migrations. Qu’en est-il pour l’anneau ? Dans le passé, j’ai fait des court-circuits iléojéjunaux. Nous avons abandonné après l’apparition de fibrose et cirrhose. Qu’en est-il avec les nouvelles interventions et notamment le scopinaro ? Les grignoteurs sont-ils une contreindication à la chirurgie de l’obésité ?

Les prothèses d’Angelchick étaient placées autour de l’œsophage, ce qu’il ne faut pas faire pour l’anneau qui doit être mis autour de l’estomac de façon à ce qu’il y ait une petite poche proximale. C’est la répletion de cette poche gastrique qui donne la sensation de satiété précoce. Il ne doit pas y avoir de fibrose ou de cirrhose après ces interventions, même après le Scopinaro, sous réserve que l’anse commune fasse plus de 50 cm (variante de Hess, Marceau), ce qui n’était pas le cas des premiers Scopinaro (25 cms !). Non mais les grignoteurs ne doivent pas avoir d’anneau, c’est l’indication d’un bypass.

M. François DUBOIS

Y-a-t-il encore une place pour le ballon intragastrique ?

Dans le cadre de l’obésité maladie (IMC>40 kg/m2) le ballon intragastrique peut aider chez les patients superobèses inopérables (pour des raisons respiratoires par ex). Il permet de perdre quinze kilos en six mois et de rendre certains patients opérables ensuite.

Les autres indications touchent des patients obèses non malades (IMC entre 30 et 35) qui ne concernent pas les hôpitaux publics.

M. Yves LOGEAIS

Les interventions de réduction gastrique entraînent une augmentation de la sensation de satiété. Ceci est-il suffisant pour modifier de façon stable le comportement alimentaire de ces patients, dont les anomalies ont joué un rôle essentiel dans la genèse de ces obésités ?

Dans 20 % des cas les anneaux gastriques échouent, ce qui tend à prouver que la sensation de satiété précoce ne suffit pas. C’est le cas deux fois sur trois chez les patients ayant un IMC > 50 kg/m2, ce qui explique pourquoi il faut ajouter un degré de malabsorption en faisant un bypass.

 

<p>* Chirurgie générale, digestive et oncologique, Hôpital Européen Georges Pompidou, 20, rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15 et e-mail : jean-marc.chevallier@egp.aphp.fr Tirés-à-part : Professeur Jean-Marc Chevallier, même adresse. Article reçu le 31 mars 2009, accepté le 18 janvier 2010.</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 1, 25-38, séance du 19 janvier 2010