Communication scientifique
Session of 4 décembre 2001

L’infection nosocomiale : la responsabilité médicale face au droit

MOTS-CLÉS : infection hospitalière. responsabilité légale.. témoignage expert
The nosocomial infection : the medical responsibility with regard to the right
KEY-WORDS : cross infection. expert testimony. liability, legal.

J. Hureau Académie nationale de médecine

Résumé

L’infection nosocomiale, infection transmise à un malade lors de soins médicaux ou paramédicaux, constitue un cadre nosologique complexe. La connaissance des facteurs de risque est indispensable à leur bonne gestion. Elle sous-tend tous les textes réglementaires concernant la lutte contre les infections nosocomiales. Ces textes nous proposent des définitions établies dans un contexte d’hygiène et de santé publique. La complexité et le coût de la gestion de tous ces risques n’ont d’égal que la simplification jurisprudentielle qui en découle en matière de responsabilité. Dans un souci pro-indemnitaire, la position de la Cour de cassation rejoint la rigueur du Conseil d’État qui impose la présomption irréfragable de faute à l’encontre des présumés coupables, personnes physiques ou morales. Il faut redéfinir les risques face au droit prétorien. C’est le rôle de l’expert judiciaire, auxiliaire du juge, de fournir, en équité, un avis éclairé sur les faits. Les critères factuels doivent permettre de moduler la responsabilité dans le sens de la faute, du risque sériel ou de l’aléa médical.

Summary

The nosocomial infection, infection transmitted to a patient at the time of medical care, constitutes a complex nosological framework. The knowledge of the risk factors is essential to their good management. It underlies all the lawful texts concerning the fight against the nosocomial infections. These texts propose to us definitions established in a context of public hygiene and health. The complexity and the cost of the management of all these risks can only be compared with jurisprudential simplification, which results from this in responsibility matters. In a pro indemnity concern, the position of the « Cour de Cassation » is closely akin to the rigor of the « Conseil d’état », which imposes the uncompromising presumption of fault against supposed guilty, persons or entities. It is necessary to redefine the risks towards praetorian right. It is the role of the legal expert, auxiliary of the judge, to provide in equity an informed opinion on the facts. The factual criteria must allow a modulation of responsibility concerning the fault, the serial risk or the medical risk.

INTRODUCTION SÉMANTIQUE « Nosocomial » de νο´σο — nosos — maladie et de χοµεı¨ν — comeïn — soigner, nous rappelle Littré.

La sémantique a dénommé tardivement un concept dont la réalité factuelle est établie depuis les temps les plus anciens. L’étymologie est sans ambiguïté : nosocomial se rapporte aux soins donnés aux malades. Par aberration du langage le terme s’est presque exclusivement appliqué aux infections d’origine hospitalière. L’infection nosocomiale est vieille comme les hôpitaux. Rappelons qu’en français archaï- que le nosocome désigne indifféremment la maison destinée aux malades et celui qui dirige les soins donnés aux malades. L’infection nosocomiale est l’infection transmise lors de soins médicaux. Ce n’est pas toute infection survenant au cours de soins médicaux.

CADRE NOSOLOGIQUE, FACTEURS DE RISQUE ET AMPLEUR DU PHÉ- NOMÈNE

Polymorphe et ubiquitaire, l’infection nosocomiale est une maladie multifactorielle.

Sans prétendre être exhaustif, une liste des facteurs de risques variables d’un établissement, d’un service, d’une discipline à l’autre, peut être établie même si certaines rubriques se recoupent. Il faut tenir compte :

— de l’agent infectieux dont la potentialité pathogène est variable ;

— du mode de contamination endogène ou exogène, distinction capitale ;

— des conditions cliniques liées au patient, à sa maladie et à ses traitements ;

— du type de l’acte invasif contaminant, qu’il soit d’investigation ou de traitement ;

— des conditions d’environnement hospitalier, architectural, d’organisation fonctionnelle, de moyens mis en œuvre donc financiers, d’hygiène générale ; il y a des secteurs qui seront toujours à risque, ils sont pourtant indispensables ;

— de l’interpénétration géographique des soins tant en interne qu’en externe aux établissements mais aussi des transferts, ambulanciers par exemple ;

— des personnes dont l’ignorance ne peut être compensée que par la formation, personnel soignant et, au 1er chef, les médecins, personnel non médical mais également des malades eux-mêmes et de toute personne pénétrant dans la structure ouverte qu’est une structure de soins ;

— des vecteurs humains, contaminateurs à surveiller, contaminés potentiels à protéger.

Devant cette complexité intriquée des facteurs en cause faut-il s’étonner de l’ampleur des risques ? En France l’enquête de prévalence menée en 1996 sur 830 établissements a révélé que 6,7 % des patients hospitalisés avaient acquis une infection nosocomiale. Aux États-Unis l’enquête du National Nosocomial Infections Surveillance System (NNIS system) a chiffré de 3 à 5 % l’incidence sur les patients admis. C’est à partir de telles études que l’on a avancé pour la France les chiffres potentiels de 600 000 à 800 000 infections nosocomiales par an auxquelles seraient imputés 8 000 à 10 000 décès. Une certaine incertitude règne encore. Des chiffres actualisés sur 2001 sont attendus de l’enquête française de prévalence effectuée entre le 21 mai et le 23 juin 2001 sur 1 500 établissements.

LUTTE CONTRE L’INFECTION NOSOCOMIALE — CADRE RÉGLEMENTAIRE

Une véritable stratégie de lutte contre l’infection hospitalière ne peut être instaurée si elle ne repose sur une définition générale théorique rendue opérationnelle par les précisions cliniques et microbiologiques qui lui sont intimement liées. Ainsi s’exprimait, dès le 14 septembre 1971, le professeur M. Maisonnet, expert consultant du Conseil de l’Europe. L’action de ce conseil fondée sur l’expérimentation a abouti à la Résolution (72) 31 du 19 septembre 1972 et surtout à la Recommandation R (84) 20 adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 25 octobre 1984.

Elle a été soutenue par le vœu de l’Académie nationale de médecine le 12 mars 1991.

Ce n’est pas ici le thème ni le temps de rappeler tous les textes réglementaires qui ont vu le jour en France à la suite de cette action européenne. Depuis la circulaire du 13 octobre 1988 [1] l’organisation de la surveillance et de la prévention des infections nosocomiales s’est progressivement mise en place [8]. Les cinq textes les plus récents sont :

— « les 100 recommandations pour la surveillance et la prévention des infections nosocomiales » [4] ;

— la circulaire DGS du 29 décembre 2000 [2] ;

— la circulaire DGS du 14 mars 2001 [3] ;

— le décret no 2001 —671 du 26 juillet 2001 [13] ;

— la circulaire DHOS du 30 juillet 2001 [14].

Tous ces textes organisent les Comités de Lutte contre l’Infection Nosocomiale, au niveau local, régional et national. Ils se basent sur des définitions dont il importe de rappeler les plus marquantes :

— dans le texte officiel européen de 1984 est donnée comme infection hospitalière « toute maladie contractée à l’hôpital, due à des micro-organismes, cliniquement ou/et microbiologiquement reconnaissable, qui affecte soit le malade du fait de son admission à l’hôpital ou des soins qu’il y a reçus, en tant que patient hospitalisé ou en traitement ambulatoire, soit le personnel hospitalier du fait de son activité, que
les symptômes de la maladie apparaissent ou non pendant que l’intéressé se trouve à l’hôpital » ;

— la circulaire DGS du 13 octobre 1988 reprenait en moins complet une définition identique ;

— le site internet du ministère de la Santé en 2001 se veut plus précis : « L’état infectieux du patient à l’admission est inconnu, l’infection est classiquement considérée comme nosocomiale si elle apparaît dans un délai de 48 heures d’hospitalisation. Ce délai est cependant assez artificiel et ne doit pas être appliqué sans réflexion ». Il y a un souci d’interprétation des faits qui n’est pas sans incidence sur les responsabilités mises en cause. Cela nécessite l’intervention d’un expert.

Cette réflexion est directement liée au fait que l’infection nosocomiale relève de modes de transmission différents : « les infections d’origine endogène : le malade s’infecte avec ses propres germes à la faveur d’un acte invasif et/ou en raison d’une fragilité particulière — les infections d’origine exogène : il peut s’agir soit d’infections croisées, transmises d’un malade à l’autre par les mains ou les instruments de travail du personnel médical ou paramédical, soit d’infections provoquées par les germes du personnel porteur, soit d’infections liées à la contamination de l’environnement hospitalier (eau, air, matériel, alimentation…) ». Il faut se féliciter du souci des rédacteurs pour ce distinguo si fondamental ;

— pour le Comité technique national des infections nosocomiales dans son manuel de 1999 : « une infection est dite nosocomiale si elle apparaît au cours ou à la suite d’une hospitalisation et si elle était absente à l’admission à l’hôpital. Ce critère est applicable à toute infection. Lorsque la situation précise à l’admission n’est pas connue, un délai d’au moins 48 heures après l’admission (ou un délai supérieur à la période d’incubation lorsque celle-ci est connue) est communément accepté… (il est) recommandé d’apprécier, dans chaque cas douteux, la plausibilité du lien causal entre hospitalisation et infection. Pour les infections du site opératoire on considère comme nosocomiales les infections survenues dans les 30 jours suivant l’intervention ou, s’il y a mise en place d’une prothèse ou d’un implant, dans l’année qui suit l’intervention ». Cette définition générale, complétée par des définitions plus ciblées concernant les différents sites de l’infection, tend à intégrer les notions de germes portés et de germes acquis sans en tirer toutefois les consé- quences en terme de responsabilité ;

— la circulaire DGS du 29 décembre 2000 introduit, pour la 1ère fois dans un texte français, la notion que les infections nosocomiales peuvent toucher les professions de santé en raison de leur activité ;

— la circulaire DGS du 14 mars 2001, se basant sur le principe de précaution, assimile l’encéphalite subaiguë spongiforme transmissible aux infections nosocomiales alors que la plus grande incertitude règne encore quant à la nature de l’agent infectieux, son mode d’action et ses modalités de transmission.

Pour la plupart ces diverses définitions s’inscrivent plus dans un contexte d’hygiène et de santé publique que dans un contexte médico-judiciaire, même si les plus récentes tendent à s’y adapter.

ÉVOLUTION DE LA JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE

Face à la complexité des faits en matière d’infection nosocomiale la jurisprudence a été simplificatrice.

En droit administratif [7-9], depuis l’arrêt Cohen — CE — 09.12.1988, la condamnation de l’établissement public de santé est acquise sur la base de la présomption irréfragable de faute dont l’établissement ne peut s’exonérer qu’à deux conditions :

établir la cause extérieure en prouvant que le malade était porteur de l’agent infectieux lors de la prise en charge des soins ou prouver la quasi impossibilité que la contamination ait pu survenir dans l’établissement. Le Conseil d’État ne cache pas vouloir provoquer par là une indemnisation systématique. Il écrit dans son rapport de 1998 »…le recours à la présomption de faute apparaît s’imposer lorsque la faute est impossible à prouver tout en étant manifeste…Ce régime constitue en l’état actuel de la jurisprudence la seule voie permettant d’indemniser le patient… »

En droit civil [7-9], initialement la jurisprudence appréhende ces risques à travers deux approches : l’exigence d’une asepsie parfaite puis, à partir de 1996, une présomption de responsabilité. L’exigence d’une asepsie parfaite découle des articles 47 et 71 du Code de déontologie médicale . Rappelons certains arrêts marquants de la Cour de cassation : arrêt Pougheon du 28.02.1984 — arrêt Briois du 09.12.1986 — arrêt Matsoukis du 29.11.1989 — arrêt Llamas du 07.07.1998. Le haut conseiller P. Sargos insiste déjà sur la rigueur de cette jurisprudence « qui fait découler la preuve de la faute d’asepsie de l’absence de toute autre cause envisageable de l’infection » .

Dans le même temps la présomption de responsabilité est évoquée. A propos de l’arrêt Bonnici du 21.05.1996, la Cour de cassation affirme un principe nouveau :

« une clinique est présumée responsable d’une infection contractée par un patient lors d’une intervention pratiquée dans une salle d’opération, à moins de prouver l’absence de faute de sa part ». L’arrêt Clinique Belledonne du 16.06.1998 confirme et ajoute « qu’une salle d’accouchement devait être assimilée à une salle d’opération ». Ce n’est qu’une obligation « renforcée » de sécurité de moyens qui met à la charge du défendeur l’obligation de prouver qu’il n’est pas responsable du dommage.

Un nouveau pas est franchi le 29.06.1999 avec les arrêts dits « des staphylocoques dorés » par lesquels il est décidé que « les établissements de santé privés et les médecins sont tenus d’une obligation de sécurité de résultat en matière d’infection nosocomiale dont ils ne peuvent se libérer qu’en apportant la preuve d’une cause étrangère » [10-12]. C’est l’application de l’article 1147 du Code civil.

Cette évolution est importante, écrit P. Sargos, car la définition de l’infection nosocomiale est très large. Nous y voilà. Il écrit : « l’infection nosocomiale concerne l’infection qui était absente chez le patient avant son entrée à l’hôpital et qui se révèle à partir de 48 heures après ». Un tel raccourci simplifié ne tient pas compte de la complexité des caractères nosologiques de cette pathologie pourtant évoquée dans les textes réglementaires.

La position de la Cour de cassation rejoint la rigueur du Conseil d’État qui impose la présomption irréfragable de faute par le biais de la preuve négative, la preuve la plus diabolique qu’il soit à apporter [6]. Ajoutons que les arrêts du 29.06.1999 confirmés par les arrêts des 13.02.2001 et 27.03.2001 étendent cette jurisprudence à la pratique libérale de ville, hors de tout établissement de santé, confirmant ainsi l’analyse sémantique du terme « nosocomial ».

IL FAUT REDÉFINIR LES RISQUES FACE AU DROIT PRÉTORIEN

Les jurisprudences qui ont été établies vont tout à fait dans l’esprit global des dispositions européennes qui consistent à mettre une obligation de résultat à l’encontre de quiconque délivre un produit ou un service. À des degrés divers l’infection nosocomiale est inhérente à toute hospitalisation, à tout acte invasif en quelque lieu qu’il soit réalisé. Seule une organisation sans faille de la gestion des risques peut en diminuer la fréquence. Tous les acteurs des systèmes de soins en sont responsables, même s’ils ne sont pas toujours fautifs.

La Cour de cassation comme le Conseil d’État, avec des abords juridiques différents, ont exclu les infections nosocomiales du champ de l’aléa [6-11] tout en restant conscients du problème. P. Sargos [11] écrit, à propos de l’arrêt Destandau du 08.11.2000 : « la question qui se pose est celle de l’éventuelle extension de la théorie de l’obligation de résultat à ce que l’on appelle l’aléa thérapeutique… encore que, d’une certaine façon, le risque zéro n’existant pas, l’exigence absolue… d’une asepsie parfaite introduit l’obligation de réparer une forme d’aléa ». Cette réflexion traduit un embarras certain de la haute juridiction qui tend à indemniser le préjudice lié à l’infection nosocomiale sur la base du respect de l’obligation de sécurité de résultat tout en reconnaissant que ces infections comportent une part d’aléa thérapeutique et en estimant, à propos de l’arrêt sus-cité, que « la réparation des conséquences de la survenue d’un aléa thérapeutique n’entre pas dans le champ des obligations que le contrat médical met à la charge de la médecine ». Et d’ajouter « N’est-on pas, avec la question de l’aléa thérapeutique, dans un domaine qu’il n’incombe qu’au législateur de régler ? » Cette dernière phrase résume toute l’évolution de la jurisprudence administrative et judiciaire des dix dernières années face à la tendance pro-indemnitaire absolue de notre société [5]. La relance maintenant programmée du projet de loi de modernisation du système de santé devrait permettre de résoudre le problème crucial de la responsabilité non fautive autrement que par la présomption de faute contraire à l’équité.

Il y a un risque certain d’explosion du contentieux des infections nosocomiales et de leur coût. La juridiction administrative n’a pas encore vu poindre cette catastrophe sanitaire. Toutefois dans le cadre de la contamination transfusionnelle (risque sériel) par le VIH et/ou l’hépatite C, deux ou trois dossiers nouveaux arrivent chaque jour au seul tribunal administratif de Paris [9]. C’est dire si une telle machine est lente à s’ébranler. Pour la SHAM (Société Hospitalière d’Assurances Mutuelles) qui assure
en France la moitié des hôpitaux publics et un certain nombre d’établissements privés [7-9], les déclarations d’infections nosocomiales sont passées de 27 en 1988 à 71 en 1997 et à 80 en 1998, avec un coût des dossiers en considérable augmentation, de 3,9 MF en 1988 à 11,3 MF en 1997. Mais surtout il existe un réservoir potentiel extraordinaire si l’on compare les déclarations faites chez l’assureur et les chiffres officiels mis en évidence par l’enquête nationale de prévalence de 1996. À titre d’exemple les infections urinaires ne constituent que 1 % des déclarations alors qu’elles représentent 36,3 % de l’ensemble des infections nosocomiales. À l’opposé les réclamations portent à 50 % sur l’infection d’un site opératoire qui ne représente pourtant que 11 % des infections nosocomiales. Une infime partie des infections nosocomiales fait aujourd’hui l’objet d’une réclamation indemnitaire. B. Guimbaud estime « que si les assureurs (et les tribunaux) n’ont pas plus d’affaires, la raison en est qu’aujourd’hui ces infections nosocomiales sont encore tolérées par la société ». Cette méconnaissance actuelle laisse couver une situation explosive. L’application de la circulaire du 30 juillet 2001 se chargera de la faire exploser. Un rapide calcul a minima de ce risque potentiel établit entre 12 et 15 milliards de francs la fourchette du coût annuel que devront supporter les assureurs de la médecine [6]. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si l’économie de la médecine pourra à l’avenir supporter cette charge prévisible d’indemnisation.

S’il paraît difficile de donner une définition juridique d’un concept, l’infection nosocomiale, qui constitue un tout indissociable en termes de surveillance et de prévention, du moins doit-on s’efforcer d’adapter les connaissances que nous en avons pour une meilleure prise en compte des facteurs de risque et de leur gestion face au droit de la responsabilité médicale. L’accès à des critères de normalisation européenne ou internationale doit être l’objectif à atteindre. C’est un des éléments de la démarche qualité. Dans les cas litigieux elle plaidera en faveur du caractère non nosocomial de l’infection.

L’EXPERT JUDICIAIRE ET LE JUGE

C’est en définitive à l’expertise judiciaire confiée à un collège d’experts qu’il appartiendra de dire les faits concernant la gestion des facteurs de risque. Certains dépendent du soignant, personne physique responsable, d’autres des structures et des moyens octroyés par la société aux collectivités de soins et de l’usage qui en aura été fait par ces personnes morales, certains enfin sont indépendants des acteurs du service de santé et relèvent du malade et de sa maladie ainsi que de l’interpénétration des milieux. L’hôpital est, par vocation, ouvert sur la population qui l’entoure.

Les experts amenés à donner leur avis dans ce type de conflit ne doivent plus être acculés à la rigueur d’une jurisprudence qui rend de fait leur action inutile. Une condamnation quasi automatique aboutirait à la déresponsabilisation des acteurs de santé face à l’infection. Toute personne, physique ou morale, a droit à un procès équitable. Elle est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement
établie. Les experts doivent disposer de points de repère, de recommandations qui leur permettent d’établir ou non la notion de faute. Qui sera responsable s’il est démontré que toutes les règles édictées, toutes les recommandations officielles ont été scrupuleusement respectées ? Quelques critères positifs ou négatifs doivent permettre de moduler la responsabilité respective des personnes physiques et des personnes morales dans le sens de la faute, du risque sériel ou de l’aléa médical avec les variétés de prises en charge indemnitaires que cela sous-tend.

L’infection nosocomiale est un risque médical parmi d’autres et, comme tel, la responsabilité qu’elle représente pour les acteurs de santé ne doit pas être traitée hors du droit commun de la responsabilité médicale. Il ne faudrait pas que le recours systématique à la présomption de faute décourage les efforts de prévention entrepris. Sur l’infection nosocomiale le droit positif s’oppose à l’équité qui doit s’appuyer sur des faits médicaux.

REMERCIEMENTS

L’auteur adresse ses remerciements à Monsieur le professeur Gabriel Blancher, président de l’Académie nationale de médecine, et aux membres du groupe de travail qui ont accepté de participer de façon très constructive au thème de réflexion qu’il leur avait soumis. Il remercie particulièrement Monsieur le professeur M. Maisonnet qui lui a apporté toute son expérience d’expert consultant auprès du Conseil de l’Europe. Le travail du groupe a donné lieu à un communiqué de l’Académie nationale de médecine présenté par Monsieur le président Gabriel Blancher le 19 juin 2001. Cette étude doit également beaucoup aux entretiens que l’auteur a eus avec Monsieur le haut conseiller P. Sargos.

BIBLIOGRAPHIE [1] Circulaire DGS no 263 du 13 octobre 1988 relative à l’organisation de la surveillance et de la prévention des infections nosocomiales.

[2] Circulaire DGS/DHOS/E2 no 645 du 29/12/2000 relative à l’organisation de la lutte contre les infections nosocomiales dans les établissements de santé.

[3] Circulaire DGS/5C/DHOS/E2/2001/138 du 14 mars 2001.

[4] Comité technique national des infections nosocomiales « 100 recommandations sur la surveillance et la prévention des infections nosocomiales ». La documentation française — 1999 — cote MI 99-4-0482 et 0483.

[5] Hureau J. — Évolution du droit civil en responsabilité médicale. In « L’expertise en responsabilité médicale et en réparation du préjudice corporel ». Poitout D.G. et Hureau J. — Paris :

Masson édit, 1998, 91-111.

[6] Hureau J. — Les infections nosocomiales — risques, préventions, responsabilités. Experts, 1999, 4 2, 20-24.

[7] Les infections nosocomiales — La catastrophe sérielle médicale du xxie siècle — Journée d’actualités médico-juridiques du Centre Médical de Forcilles, 20 octobre 1998. In

Colloques médico-juridiques de la CNEM, sous la direction de J. Hureau. Paris : Experts édit — no hors série juin 1999.

[8] Recommandations no R (84) 20 adoptées par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.

[9] La responsabilité en matière d’infections nosocomiales. Colloque du CLIN de l’hôpital Ambroise Paré — Paris, 15 avril 1999.

[10] Sargos P. — L’aléa thérapeutique devant le juge judiciaire J.C.P. , 2000, 5 , 189-192.

[11] Sargos P. — Rapport de l’arrêt du 8 novembre 2000 — CC, 1ère Ch. Civ.

[12] Sargos P. — Responsabilité des médecins, aléa thérapeutique et obligation de sécurité de résultat. Experts, 2000, 49 , 25-26.

[13] Décret no 2001 — 671 du 26 juillet 2001 relatif à la lutte contre les infections nosocomiales dans les établissements de santé et modifiant le code de la santé publique (deuxième partie : Décrets en Conseil d’État).

[14] Circulaire DHOS/E2 — DGS/SD5C No 2001/383 du 30 juillet 2001 relative au signalement des infections nosocomiales et à l’information des patients en matière d’infection nosocomiale dans les établissements de santé.

DISCUSSION

M. Pierre VAYRE

Au cours de la dernière décennie l’idéologie proindemnitaire a conduit à l’erreur sémantique et à la faute nosologique. La jurisprudence de la Cour de cassation et celle du Conseil d’Etat soutiennent que toute infection nosocomiale doit être indemnisée. Cette conséquence juridique unidimensionnelle est en opposition avec les réalités scientifiques qui démontrent que l’infection nosocomiale est polymorphe, ubiquitaire et polyfactorielle. En pratique il faut retenir le classement des hygiénistes et des infectiologues : infection endogène et infection exogène. C’est certes à cette dernière que s’appliquent toutes les réglementations et recommandations de prévention de transmission. Pourquoi les professionnels de santé sont-ils déclarés coupables par principe jusqu’à preuve du contraire, même s’ils ont satisfait à toutes les obligations ? C’est un illogisme qui légalise une injustice. Quelle définition simple et pratique doit-on proposer et comment peut-on l’utiliser en matière de responsabilité médicale ? Quel doit être le rôle du collège d’experts dans l’appréciation subtile du passage de la responsabilité à la culpabilité ?

La meilleure définition est sémantique : l’infection nosocomiale est l’infection transmise lors de soins donnés à un malade et en rapport avec ces soins. Elle doit, en matière médico-juridique, être complétée par la triple distinction entre infection nosocomiale fautive, risque sériel ou relevant du cadre de l’aléa médical. C’est le rôle du collège d’experts d’établir ce distinguo : ce collège devra comprendre un clinicien de la discipline concernée, un infectiologue ou un bactériologiste et, le cas échéant, un expert non médecin spécialiste du manquement technique incriminé, ingénieur biomédical, architecte, ingénieur thermicien ou autres, par exemple.

M. Pierre AMBROISE-THOMAS

Les efforts de prévention sont évidemment à développer et à réactualiser sans cesse car la structure « monobloc » de nos hôpitaux et la présence de malades de plus en plus fragiles
augmentent régulièrement ce risque ; les textes réglementaires récents risquent d’avoir de très graves conséquences non seulement techniques et financières mais surtout psychologiques en compromettant la confiance du malade en son médecin ; enfin, la recherche obsessionnelle du « risque zéro » conduit à ne plus hiérarchiser les risques. C’est ainsi que des mesures très contraignantes, techniquement et financièrement, concernent la transmission nosocomiale de l’ESB, dont nul ne sait si elle existe. Le coût de ces mesures ne pourra que diminuer les moyens nécessaires à la prévention d’autres affections nosocomiales dont la réalité est reconnue.

Je vous remercie d’avoir souligné, à juste titre, trois des points importants concernant la gestion actuelle des infections nosocomiales.

M. André VACHERON

Vous évaluez à plusieurs milliards de francs le montant annuel des indemnisations pour infections nosocomiales. En tant que Président du Conseil Médical des Mutuelles professionnelles d’assurances médicales (Sou médical et MACSF), je dois souligner l’impossibilité pour les Compagnies d’Assurances d’assurer de telles indemnisations qui vont les conduire à la faillite et le risque pour le corps médical, comme pour les établissements de soins, de ne plus pouvoir trouver d’assureur dans les années à venir, en l’absence de modification de la législation et de la jurisprudence.

L’évaluation de l’important coût financier des indemnisations résulte malheureusement d’un calcul a minima . Il suppose que 10 % seulement des infections nosocomiales donneront lieu à réparation, chacune à hauteur de 200 000 francs seulement. Cette évaluation a été faite avant la diffusion de la circulaire du 30 juillet 2001 M. Claude SUREAU

Ne faut-il pas profiter de la discussion législative en cours pour chercher à obtenir la reconnaissance de la qualification d’aléa médical pour certaines infections nosocomiales ?

Ne faut-il pas également reconnaître le caractère absurde de l’assimilation de la salle d’accouchement à la salle d’opération, ne serait-ce qu’en raison des multiples personnes appartenant à la famille de l’accouchée qui sont invitées à y entrer.

L’infection nosocomiale n’est reconnue comme aléa médical ni dans les commentaires de l’arrêt Destandau (1re Ch. Civ. — CC — 8 novembre 2000), ni véritablement dans le titre III du projet de loi de modernisation du système de santé. L’infection nosocomiale aléa médical est, avec l’infection nosocomiale fautive et le risque sériel, l’une des trois possibilités médico-juridiques sur lesquelles les experts doivent pouvoir se prononcer sans se voir opposer systématiquement la présomption irréfragable de faute ou l’obligation de sécurité de résultat. Malheureusement, dans l’esprit de la jurisprudence, l’assimilation de la salle d’accouchement à une salle d’opération (arrêt Clinique Belledonne — 1re Ch. Civ. — CC — 16 juin 1998) appartient à une jurisprudence « libérale » actuellement dépassée qui ne fait appel qu’à l’obligation renforcée de sécurité de moyens. Cette « libéralité » a été remise en question par les trois arrêts dits « des staphylocoques dorés » du 29 juin 1999 qui ont établi le principe de l’obligation de sécurité de résultat. Il faut certainement tenir compte, dans l’évaluation des responsabilités, du caractère obligatoirement ouvert de toute structure d’hospitalisation sur le monde extérieur et sa population.

M. Louis AUQUIER

La suggestion de Claude Sureau reçoit mon approbation. Il est nécessaire que notre compagnie s’exprime sur les dispositions actuelles concernant l’infection nosocomiale, ainsi que l’élargissement de la responsabilité des médecins dans tous les actes de leur profession, ce qui pourrait aboutir à une paralysie du système de soins et à la mise en faillite de notre système d’assurances des professionnels de santé. On doit se demander si les hauts magistrats ont conscience des conséquences des règlements qu’ils ont mis sur pied récemment. Le tribunal administratif a-t-il prononcé des jugements de relaxe vis-à-vis des hôpitaux publics dans les dernières années ?

Je m’associe à vos propos qui confirment ceux de M. Sureau. En ce qui concerne l’état actuel de la jurisprudence administrative, elle reste fondée sur les termes de l’arrêt Cohen (CE-9 décembre 1988) qui établit le principe de la présomption irréfragable de faute.

M. Maurice TUBIANA

Il existe des variations importantes dans la fréquence des maladies nosocomiales d’un établissement à l’autre et d’un pays à un autre. A-t-on pu établir les facteurs qui impliquent ces variations ? Peut-on les limiter par une formation stricte du personnel ?

Je connais mal les variations du taux des infections nosocomiales selon les pays. Nous avons vu qu’il y a une certaine similitude statistique entre les États-Unis et la France.

Notons que la France est un gros consommateur d’antibiotiques, ce qui n’est pas sans répercussion sur la potentialité pathogène et surtout sur la sensibilité des agents infectieux que l’on y rencontre. Les variations que vous évoquez sont réelles et statistiquement démontrées. Elles sont dépendantes du caractère multifactoriel de la maladie infectieuse nosocomiale. Parmi ces facteurs, la formation du personnel et, en particulier des médecins, est primordiale mais ce n’est pas le seul.

M. Jean NATALI

Il a été fait allusion dans cet exposé à la circulaire du 30 juillet 2001. Quelle est la teneur exacte de cette circulaire ?

Le 26 juillet 2001 est paru au

JO un décret « relatif à la lutte contre les infections nosocomiales dans les établissements de santé et modifiant le code de la Santé publique ».

Il concerne le signalement des infections nosocomiales et le recueil des informations les concernant. C’est une mesure de déclaration non nominative semblable à celle faite pour certaines maladies infectieuses. Mesure de santé publique, elle ne peut qu’être bénéfique à l’établissement de nos connaissances statistiques sur ce risque. Encore faudra-t-il que toutes les infections nosocomiales fassent l’objet d’une déclaration auprès du CLIN. Il importe pour cela que le caractère anonyme du signalement soit scrupuleusement respecté faute de quoi, compte tenu de la jurisprudence actuelle, une telle signalisation revêtirait pour celui qui la ferait, le caractère d’un « véritable aveu » aboutissant automatiquement dans son esprit à une condamnation en cas de réclamation, sans tenir compte du caractère fautif, sériel ou aléatoire de ladite infection nosocomiale. Ce décret devait être complété par une 2e partie qui n’a pas, à ce jour, reçu l’aval du Conseil d’État.

Ce document a été diffusé le 30 juillet 2001 (4 jours après la publication du décret) sous
forme d’une circulaire DGS/DHOS « relative au signalement des infections nosocomiales et à l’information des patients en matière d’infection nosocomiale dans les établissements de santé ». Comme l’a souligné M. Pierre Ambroise-Thomas, une telle mesure appliquée sans discernement risque d’avoir des conséquences psychologiques. A trop vouloir informer ne risque-t-on pas de voir des malades se soustraire à des soins qui leur sont indispensables. Notre métier de médecin, au service de l’homme malade, se doit de rester empreint d’un humanisme que ni la technique, ni les règlements ne doivent nous faire oublier.

M. Maurice GOULON

Les infections nosocomiales peuvent être considérées comme une des rançons des thérapeutiques et de certaines explorations médicales modernes dont le nombre est difficile à évaluer car la plupart sont heureusement bénignes et/ou curables. Il faut rappeler que l’Académie nationale de médecine avait consacré, en 1993, une séance aux « infections nosocomiales ».

Pour en limiter le nombre, il avait été rappelé la nécessité de mesures d’hygiène souvent simples comme le lavage des mains et le port de survêtements par le personnel soignant. La réanimation est certainement une des spécialités qui exposent le plus aux infections en raison de la gravité des patients, de leur immunité souvent diminuée et des nombreuses portes d’entrée inévitables. Mais peut-on mettre en parallèle une vie sauvée au prix d’une périphlé- bite sur cathéter ou d’une infection urinaire sur sonde ou encore un abcès des parties molles après infections sous-cutanées ou intramusculaires ? Un grand nombre de patients a la sagesse de faire le bon choix.

À travers mon expérience d’expert agréé près la Cour de cassation, j’ai vu trop de patients qui, sauvés par des soins de haute technicité scientifique, n’acceptaient pas la moindre défaillance en terme d’infection nosocomiale. Ce n’est pas, pour le moment, la majorité.

Qu’en sera-t-il dans l’avenir ? Une telle attitude confine à ce que j’ai appelé ailleurs « une demande d’immortalité sur cette terre ».

M. Guy de THÉ

Une des sources majeures d’infections nosocomiales dans les hôpitaux est le non-respect des règles d’hygiène de base dans les gestes de soins. Quand les règles d’hygiène sont scrupuleusement suivies, comme c’est le cas dans les laboratoires de virologie de recherches, les infections sont rarissimes. Si l’Académie prépare un avis sur le problème des infections nosocomiales, il sera important d’insister sur l’éducation continue du personnel soignant.

Pour un chirurgien, le lavage des mains passe au premier plan. J’ai souligné que cette formation devait toucher, à des degrés divers, toutes les personnes approchant un malade.

Elle intéresse l’un des facteurs de risque primordiaux de l’infection nosocomiale. Cette maladie polymorphe et ubiquitaire doit être évaluée comme telle, en terme de responsabilité médicale.


* Chirurgien honoraire des Hôpitaux de Paris. Tirés-à-part : Professeur Jacques Hureau, 85 avenue Émile Thiébaut — 78110 Le Vésinet. Article reçu le 24 juillet 2001, accepté le 8 octobre 2001.

Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 9, 1647-1658, séance du 4 décembre 2001